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Entraide et Tradition

« Ou eux Ou nous » !

publié dans regards sur le monde le 5 février 2010


Suite de la visite du pape Benoît XVI à la Synagogue de Rome
le 17 janvier 2010.

« Ou eux Ou nous » !

« Se la pace con i lefevriani significa rinunciare alle aperture del Concilio, la Chiesa dovrà decidere: o loro o noi! ».

« Si, (pour Benoît XVI) la paix avec les « lefébvristes » signifie renoncer aux ouvertures du Concile, alors l’Eglise devra décider : ou eux ou nous ».

 

C’est la réponse que le grand rabbin de la Synagogue de Rome, le rabbin Di Segni, successeur de Elio Toaff , donna au journaliste italien Giuseppe Rusconi qui l’interrogeait pour le compte du journal « Consulante RE ». Il le visitait juste après le 17 janvier, jour de la présence de Benoît XVI à la Synagogue de Rome. Il lui a dit :

 

« Si, (pour Benoît XVI) la paix avec les « lefébvristes » signifie renoncer aux ouvertures du Concile, alors l’Eglise devra décider : ou eux ou nous ».

 

Cette réponse est étrange et fausse ! Il ne convient pas de choisir entre les « lefebvristes » et les juifs. Il convient, pour le pape, comme pour les juifs et pour la Fraternité Saint Pie X et pour tous, de choisir la vérité. Seule la vérité compte. « La vérité vous libérera » dit NSJC. Cela vaut aussi pour les Juifs.

 

« Si, (pour Benoît XVI) la paix avec les « lefébvristes » signifie renoncer aux ouvertures du Concile, alors l’Eglise devra décider : ou eux ou nous ».

 

Cela montre, pour le moins, que les Juifs tiennent fort à la déclaration conciliaire Nostra Aetate. Si Rome y touche, Di Segni menace. « C’est eux ou nous ». Il préfère couper avec Rome que de renoncer à ce texte conciliaire. Il faut que le Pape choisisse. Je ne trouve pas la menace élégante ni courtoise. Elle est même irrévérencieuse. Ils nous y ont habitué, il est vrai !

 

Mais cette attitude, cet attachement absolu à Nostra Aetate est peut être une exception dans le monde juif ? Celle du grand rabbin de Rome. Non point.

 

En effet cette réponse du Rabbin Di Segni me rappelle les réflexions que faisait sur « France Info », M Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (le CRIF). Il était interrogé le matin du 2 mars 2009, sur France-Info, vers 8h15, à l’occasion de la tenue, ce jour, de leur grand repas annuel où toutes les personnalités politiques de France, de Droite ou de Gauche, et religieuses sont invitées. Toutes se font « honneur » d’y assister. Je l’écoutais dans ma voiture. Il affirmait que le Président de la République, Nicholas Sarkosy, serait présent, malgré son emploi du temps particulièrement chargé, et prononcerait probablement le discours attendu. Il n’en était pas très sur. C’est le premier ministre qui le remplaça finalement au dernier moment. Il expliquait ensuite pourquoi Madame Buffet n’avait pas été invitée cette année, en raison de son attitude dans la « guerre » de Gaza . Cette réponse donnée, il était tout de suite interrogé par le journaliste, une femme, sur « l’affaire Williamson ». Il déclarait, sans ambages, que ce n’est pas « l’affaire Williamson » qui, finalement, « faisait problème » -Ah bon – mais bien la réhabilitation des quatre évêques de la FSSPX dans l’Eglise par le pape Benoît XVI alors qu’il est de notoriété publique, disait-il, qu’ils refusent, eux et les autres membres de leur société, le document conciliaire Nostra aetate.

 

Ce refus de ce texte par la FSSPX semblait, pour lui, vraiment insupportable, inimaginable. A travers ses propos, c’était manifestement la décision de Benoît XVI réintégrant dans l’Eglise de tels « personnages » qui refusent « les ouvertures » du Concile Vatican II », qui lui paraissait inacceptable. Il le laissait bien entendre.

 

Il est donc claire que le président du CRIF attache, lui aussi, une importance considérable à cette « déclaration » conciliaire Nostra aetate. La refuser c’est refuser l’évolution qu’a voulue le Concile. Ce qui est absolument condamnable et condamné, je vous prie, par M Richard Prasquier et le grand Rabbin Di Segni…

 

Il y a donc une parfaite unité de pensée entre le grand Rabbin de Rome, Di Segni et M Richard Prasquier, président du CRIF.

 

« Si, (pour Benoît XVI) la paix avec les « lefébvristes » signifie renoncer aux ouvertures du Concile, alors l’Eglise devra décider : « ou eux ou nous ». Voilà qui est clair..

 

Mais quelles sont donc ces « ouvertures » du Concile auxquelles sont tellement attachés les autorités juives ?

L’action de Jules Isaac.

 

On le saura si l’on se souvient de l’action que mena, surtout depuis 1949, l’historien Jules Isaac. M Le Caron de Choqueuse nous la résume dans son livre « Dieu est-il antisémite ? » aux Editions Fideliter.

 

En effet parmi les diverses personnalités qui sont à l’origine des « réformes » proposées au Concile en vue de modifier l’attitude et la doctrine de l’Église à l’égard du Judaïsme (Lazel Katz, président des B’nai B’rith, Nahum Goldmann, Kaplan…), l’écrivain Jules Isaac est le principal. Il joua un rôle essentiel.

Cet écrivain, Juif, d’Aix-en-Provence, auteur du manuel classique « Histoire de France » par Malet et Isaac, que tous les petits français ont eu en mains, a été le principal théoricien et promoteur de la campagne menée contre l’enseignement traditionnel de l’Église. A la suite de la disparition de sa femme et de sa fille, mortes en déportation, il consacra les vingt dernières années de sa vie à l’étude critique des rapports entre le Judaïsme et le Christianisme.

 

Il est l’auteur de deux ouvrages importants : « Jésus et Israël » paru en 1946 et « Genèse de l’Antisémitisme » paru en 1948.

Sa thèse peut se résumer ainsi : « Il faut en finir une fois pour toutes avec l’antisémitisme dont l’aboutissement a été le massacre des Juifs européens à Auschwitz et autres camps de la mort. Le plus redoutable antisémitisme est l’antisémitisme chrétien à base théologique. En effet, l’attitude des Chrétiens face au Judaïsme a toujours été fondée sur le récit de la Passion tel qu’il est relaté par les quatre Évangélistes et sur l’enseignement qu’en ont tiré les Pères de l’Église, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire le Grand (pape), saint Agobard (primat des Gaules, etc..) »

C’est donc cette base théologique fondamentale que Jules Isaac a cherché à détruire en contestant la valeur historique des récits évangéliques et en discréditant les arguments avancés par les Pères de l’Église pour préserver les Chrétiens de l’influence des Juifs accusés de nourrir en permanence des desseins subversifs contre l’ordre chrétien. Nous ne pouvons commenter ici les deux ouvrages de Jules Isaac. Notons seulement que saint Jean et saint Matthieu y sont particulièrement attaqués.

Dès la fin de la guerre, il commença à tenir des réunions nationales et internationales avec des personnalités catholiques favorables à sa thèse (Henri Marrou, le père Daniélou, futur cardinal, l’abbé Vieillard du Secrétariat de l’Épiscopat).

En 1947, il rédigea un mémoire en dix-huit points sur le « Redressement de l’enseignement chrétien concernant Israël ».
La même année, il fut invité à la Conférence internationale de Seelisberg, en Suisse, à laquelle participèrent soixante-six personnes venues de dix-neuf pays, parmi lesquelles le grand rabbin Kaplan. La conférence adopta en session plénière « les dix huit points » de Jules Isaac qui sont ainsi devenus « les dix-huit points de Seelisberg ». Ils suggèrent aux Églises chrétiennes les mesures à prendre pour purifier l’enseignement religieux à l’égard des Juifs.

Puis, avec des personnalités juives et catholiques, il fonda la première « Amitié Judéo-Chrétienne », suivie de la fondation d’autres « Amitiés » à Aix, Marseille, Nîmes, Montpellier, Lyon, enfin à Lille, où il obtint le patronage du cardinal Liénart. Il en fonda plus tard en Afrique du Nord. Les Chrétiens qui y participaient n’ont pas compris que les sentiments d’amitié qui les faisaient agir réciproquement masquaient en réalité la volonté juive de faire disparaître l’exclusivisme dogmatique de l’Église et de promouvoir une religion universelle.

A partir de 1949, Jules Isaac entre en relations avec Rome. Il eut une audience privée avec Pie XII auprès duquel il plaida la cause du Judaïsme ; il lui demanda de faire examiner les « Dix huit points de Seelisberg ». Mais, c’est sous son successeur, le pape Jean XXIII, qu’il obtint satisfaction. Lors d’un entretien avec le Saint Père, le 13 juin 1960, il demanda la condamnation de « l’enseignement du mépris » et suggéra la création d’une sous-commission chargée d’étudier ce problème. Quelque temps après, Jules Isaac « avait la joie d’apprendre que ses propositions avaient été retenues par le Pape et transmises au cardinal Béa pour étude ». Celui-ci, d’origine juive, créa un groupe de travail spécialement chargé d’examiner les rapports entre l’Église et Israël. On connaît la suite.

Une réelle influence de Jules Isaac sur le Concile.

 

Monseigneur de Provenchères, évêque d’Aix, dans une conférence faite à « l’Amitié Judéo-Chrétienne », à l’occasion de l’inauguration de l’avenue Jules-Isaac qui avait eu lieu le matin même, a reconnu que l’origine du schéma sur les Juifs provenait d’une demande de celui-ci au Vatican et que la rencontre de Jules Isaac et de Jean XXIII avait été le signe de l’Amitié judéo-chrétienne.
« Mgr de Provenchères donna ensuite un récit détaillé du rôle joué par Jules Isaac, à Rome, dans la préparation du Concile. » Vous commencez à comprendre pourquoi « ils » tiennent tant à ce texte conciliaire !

Voici ce que Jules Isaac exigeait du Concile.
 

L’Église, dit Jules Isaac, est seule coupable de l’antisémitisme; les Juifs sont totalement innocents et purs de toute responsabilité; celle-ci incombe à l’Église dont l’enseignement est la source profonde et durable de l’antisémitisme qui a bouillonné pendant des siècles pour aboutir à ce lieu maudit : Auschwitz .
C’est donc à l’Église seule qu’il appartient de faire acte de réparation en purifiant et en rectifiant son enseignement millénaire et Jules Isaac en vient aux réalisations pratiques.

Il demandait, ou plutôt il exigeait du Concile :

– la condamnation ou la suppression de toute discrimination raciale, religieuse ou nationale à l’égard des Juifs. Il l’obtint. C’est le 5ème paragraphe du texte de Nostra Aetate, ainsi libellé : « En outre, l’Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs ».

Il demandait :

– la modification ou la suppression des prières liturgiques concernant les Juifs, celles du Vendredi Saint en particulier. C’est ce que fit Jean XXIII. Il fallut enlever des oraisons les mots « perfides » ;

Il demandait et exigeait :

– l’affirmation que les Juifs ne sont aucunement responsables de la mort du Christ dont la faute incombe à l’humanité tout entière. C’est un des points importants abordés par Nostra Aetate. C’est ce point particulièrement important que nous allons aborder ici. Trois paragraphes sur six de ce texte sont consacrés à ce sujet.

Il demandait :

– la mise en sommeil ou l’annulation des passages évangéliques relatant cet épisode crucial de la Passion, celui de saint Matthieu principalement, que Jules Isaac traite de menteur et de faussaire. Il ne l’a pas obtenu. Il y a, grâce à Dieu, le canon des Ecritures. On ne peut modifier le Concile de Trente.

Il demandait et exigeait :

– l’aveu que l’Église porte tous les torts dans cet état de guerre latente qui persiste depuis deux mille ans entre les Juifs, les Chrétiens et le reste du monde. Les actes de repentance de Jean Paul II ont montré combien l’Eglise a exécuté ce souhait. Benoît XVI, dans son discours du 17 janvier, y a fait une nette allusion. Malheureusement !

Il demandait :

– la promesse que l’Église modifiera définitivement son attitude dans un sens d’humilité, de contrition et de pardon à l’égard des Juifs. Je crains bien que l’Eglise « conciliaire » ne changera pas son texte sur les Juifs. C’est pourquoi les conversations avec la FSSPX ont de grandes changes d’échouer…d’autant que le monde juif exerce une lourde pression : « c’est eux ou nous ». Il faut grandement prier…

Il demandait enfin :

– qu’elle fasse tous ses efforts pour réparer le tort qu’elle leur a causé, en rectifiant et en purifiant son enseignement traditionnel selon les directives de M. Jules Isaac. C’est chose faite. Le document Nostra Aetate le montre largement.

La cause efficiente de la Passion du Christ.

Nous allons nous intéresser uniquement au problème de la cause efficiente de la Passion du Christ. Les Juifs sont-ils « aucunement responsables de la mort du Christ » comme l’affirme Jules Isaac. « Cette faute incomberait-elle seulement à l’humanité toute entière » ?
 

Nostra Aetate aborde cette question dans trois de ses 6 paragraphes.

Dans le troisième, le Concile affirme :
« Au témoignage de l’Ecriture sainte, Jérusalem n’a pas reconnu le temps où elle fut visitée (9); les Juifs, en grande partie, n’acceptèrent pas l’Evangile, et même nombreux furent ceux qui s’opposèrent à sa diffusion (10). Néanmoins, selon l’Apôtre, les Juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance(11). Avec les prophètes et le même Apôtre, l’Eglise attend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d’une seule voix et « le serviront sous un même joug » (Sophonie, 3, 9).

Le Concile poursuit dans son 5ème paragraphe en disant : « Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé (en latin : urserunt) à la mort du Christ (13), ce qui a été commis durant sa passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. »

Et enfin dans le 6ème paragraphe nous lisons : « D’ailleurs, comme l’Eglise l’a toujours tenu et comme elle le tient, le Christ, en vertu de son immense amour, s’est soumis volontairement à la passion et à la mort, à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. Le devoir de l’Eglise, dans sa prédication, est donc d’annoncer la croix du Christ comme signe de l’amour universel de Dieu et comme source de toute grâce. »
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(6) Cf. Gal., 3, 7. ; (7) Cf. Rom., I l, 17-24. ;(8) Cf. Eph.. 2, 14-16 ; (9) Cf. Lc, 19, 44; (10) Cf. Rom., 1 l, 28; (11) Cf. Rom., 1 l, 28-29; Conc. Val. II, Const. Dogm. Lumen Gentium, AAS 57 (1965), p. 20; (12) Cf. Is., 66, 23; Ps. 65, 4; Rom., 11, 11-32.
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Ainsi le Concile attribue la Passion du Christ au Christ lui-même puisque « c’est lui-même qui s’est soumis volontairement à la Passion et à la mort, à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut ». C’est donc le péché des hommes qui est la raison de la Passion du Christ, disons, l’occasion. L’amour du Christ et son obéissance en sont la vraie cause.

 

Il reconnaît que les Juifs du temps du Christ « poussèrent » (urserunt) à la mort du Christ. En ce sens, dit-il, que « beaucoup n’acceptèrent pas l’Evangile » et que « nombreux s’opposèrent à sa diffusion ».

 

Comme vous pouvez le constater, cet enseignement est vague.

 

Quel est en cette matière délicate l’enseignement de l’Eglise depuis toujours ? Nous trouverons la réponse dans la Somme de saint Thomas.

 

Saint Thomas d’Aquin consacre la question 47 de la IIIa Pars de la Somme à cette question. Il l’intitule : « De la cause efficiente de la Passion de NSJC ». Là, il étudie les auteurs de la Passion du Christ. Quels sont-ils ? Et quelles sont leurs responsabilités respectives. Les réponses de saint Thomas nous permettront de cerner au plus près la vérité avec les distinctions nécessaires et de répondre à la grande préoccupation juive : de leur responsabilité dans la Passion du Christ. Jules Isaac demandait à l’Eglise de « se garder par-dessus tout de l’affirmation courante et traditionnelle que le peuple juif a commis le crime inexpiable de déicide, et qu’il en a pris sur lui, globalement, toute la responsabilité ; se garder d’une telle affirmation non seulement parce qu’elle est nocive, génératrice de haines et de crimes, mais aussi parce qu’elle est radicalement fausse » C’est la 14ème proposition de Jules Isaac, celle de Seelisberg. L’autre avantage de l’étude de saint Thomas c’est qu’elle nous permettra de voir les insuffisances et les imperfections de Nostra Aetate.

 

Saint Thomas se pose 6 questions :

1. Le Christ a-t-il été mis à mort par autrui ou par lui-même? – 2. Pour quel motif s’est-il livré à la Passion? – 3. Est-ce le Père qui l’a livré à la Passion? – 4. Convenait-il qu’il souffre par la main des païens, ou plutôt des Juifs? – 5. Ses meurtriers l’ont-ils connu? – 6. Le péché de ses meurtriers.
La cinquième question est particulièrement importante pour répondre à la « problématique » de Jules Isaac.

De ces six articles, les deux premiers examinent la part du Christ dans le fait de sa mort ; le troisième, la part du Père ; les trois autres, la part des hommes.

Pour ce qui est de la part du Christ, saint Thomas se demande, d’abord, si le Christ peut être dit avoir eu une part dans le fait de sa mort ; et, en second lieu, en cas de réponse positive, quel a été le motif ou le mobile qui a porté le Christ à se livrer ainsi à la Passion et à la mort. Le premier point fait l’objet de l’article premier.

Le Christ a-t-il été mis à mort par autrui ou par lui-même?

Il semblerait qu’il faille répondre que le Christ n’a pas été mis à mort par d’autre que par lui-même puisqu’Il dit « Personne ne me prend ma vie, c’est moi qui la donne. » (Jn 10, 18).
D’autre part, le fait qu’il est poussé un « grand cri » remettant son âme en les mains de son Père montre que le Christ a remis son âme quand il le voulut. C’est dire que le Christ n’a donc pas été mis à mort par d’autres, mais par lui-même. « Il n’a pas quitté sa chair malgré lui, mais parce qu’il le voulut, quand il le voulut, et comme il le voulut ».

Cependant: le Christ annonçait en parlant de lui-même (Lc 18, 33): « Après l’avoir flagellé, ils le tueront. »

Comment répond saint Thomas :

« Il y a deux manières d’être cause d’un effet.
1° En agissant directement pour cela. C’est de cette manière que les persécuteurs du Christ l’ont mis à mort; car ils lui ont fait subir les traitements qui devaient amener la mort, avec l’intention de la lui donner. Et la mort qui s’en est suivie a été réellement produite par cette cause.
2° Indirectement, en n’empêchant pas cet effet; par exemple on dira qu’on mouille quelqu’un en ne fermant pas la fenêtre par laquelle entre la pluie. En ce sens, le Christ n’a pas écarté de son propre corps les coups qui lui étaient portés, mais a voulu que sa nature corporelle succombe sous ces coups, on peut dire que le Christ a donné sa vie ou qu’il est mort volontairement ».
Le Christ pouvait en effet empêcher cette Passion et cette mort. Il le pouvait d’abord, en réprimant ses adversaires, de telle sorte qu’ils ne voulussent pas ou qu’ils ne pussent pas le mettre à mort. On l’a vu au Jardin des Oliviers. Le Christ a terrassé ses ennemis. Il le pouvait aussi, parce que son esprit avait la puissance de conserver la nature de sa chair pour qu’aucune cause de lésion qui lui serait infligée ne parvint à l’accabler : puissance que l’âme du Christ avait parce qu’elle était unie au Verbe de Dieu dans l’unité de sa Personne. Par cela donc que le Christ ne repoussa point de son propre corps les coups qui lui étaient portés mais qu’Il voulut que la nature corporelle succombât sous ces coups, Il est dit avoir disposé Lui-même son âme ou sa vie et être mort volontairement.
Alors lorsque Jésus dit « Personne ne prend ma vie », il faut sous entendre : « sans que j’y consente », car prendre, au sens propre du mot, c’est enlever quelque chose à quelqu’un contre son gré et sans qu’il puisse résister.
Et lorsqu’il est dit dans l’Evangile qu’Il a « poussé un grand cri »; c’est là un des miracles de sa mort. D’où la parole de Marc (15, 39): « Le centurion qui se tenait en face, voyant qu’il avait expiré en criant ainsi, déclara: « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu ! »

Il y eut encore ceci d’admirable dans la mort du Christ, qu’il mourut plus rapidement que les deux larrons. On lit dans S. Jean (19, 32) qu’on « brisa les jambes » de ceux qui étaient crucifiés avec le Christ » pour hâter leur mort « : mais « lorsqu’ils vinrent à Jésus, ils virent qu’il était déjà mort et ils ne lui rompirent pas les jambes ». D’après S. Marc (15, 44), « Pilate s’étonna même qu’il fût déjà mort ». De même que, par sa volonté, sa nature corporelle avait été gardée dans toute sa vigueur jusqu’à la fin, de même c’est lorsqu’il le voulut qu’il céda aux coups qu’on lui avait porté.
Ainsi, avec Saint Thomas, il faut conclure : « en mourant le Christ, tout à la fois, a subi la violence et est mort volontairement, puisque la violence faite à son corps n’a pu dominer celui-ci que dans la mesure où il l’a voulu lui-même ».

Ainsi c’est en toute vérité que le Christ s’est livré Lui-même à la mort ; bien que cependant, en toute vérité aussi, cette mort lui ait été donnée par ses bourreaux.

Vous le voyez : les choses ne sont pas aussi simples que le voudrait Jules Isaac.

Mais pour l’instant, il n’est pas encore question de la « qualité » des bourreaux, les auteurs de la Passion du Christ. On peut dire que la mort, sous un certain rapport, lui a été donnée par ses bourreaux tout en affirmant que le Christ s’est livré lui-même à la mort, sous un autre rapport. Et sous ce rapport, le Christ est seul cause de sa mort.

Mais quelle fut, de sa part, la cause qui le fit ainsi aller à la mort et l’accepter volontairement ? Quel en fut le motif ?

 

A cette question importante, Saint Thomas d’Aquin répond que le Christ est mort par obéissance au précepte de son Père : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre, tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. » (Jn 10, 18), pour réparer la désobéissance d’Adam et Eve en le péché originel.
C’est l’objet de son deuxième article. Il fonde son argument sur la parole de saint Paul: « De même que par la désobéissance d’un seul, beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l’obéissance d’un seul, beaucoup sont constitués justes » (Rm 5, 19).

 

Et le père Pègues fait de cet article un splendide commentaire : « Cette raison éclaire d’un jour magnifique toute l’histoire du genre humain. On peut dire du genre humain, dans la suite de son histoire, que tout s’y ramène à une question de vie et de mort, rattachée elle-même à une question d’obéissance et de désobéissance. Dieu avait créé l’homme, pouvant cependant être mortel de sa nature, dans un état de vie qui ne connaissait point la mort ; mais à une condition : qu’il observerait un précepte, d’ailleurs très facile que Dieu lui donnait pour marquer sa dépendance à l’endroit du Créateur. Il était du reste, expressément averti que s’il désobéissait, il mourrait de mort. L’homme eut le malheur de ne point tenir compte de cette défense et de cette menace. Emporté par un mouvement d’orgueil, à la suggestion du Tentateur perfide, il désobéit à Dieu. Aussitôt le privilège de vie immortelle, accordée par Dieu à la nature humaine dans la personne du premier homme lui fut enlevé. Pour toujours désormais, la mort devait régner dans le genre humain déchu. Mais Dieu, dans sa miséricorde, allait tout restaurer en vue d’un triomphe éblouissant sur la mort et sur le démon, qui en était le premier auteur. Il allait créer l’Homme Nouveau, par lequel Il remporterait sa victoire. Le démon avait vaincu en amenant l’homme premier à désobéir. Dieu allait vaincre en se donnant, dans l’Homme Nouveau, un obéissant parfait. Et, de même que la désobéissance du premier avait causé la mort en violant le précepte auquel était attaché l’immortelle vie ; de même l’Homme Nouveau restaurerait la vie en observant fidèlement et par obéissance au Chef, Dieu lui-même, Souverain maître de la mort et de la vie, le précepte qui lui commandait d’aller à la mort. Toute l’économie des conseils de Dieu, dans l’histoire du genre humain, tient dans ce double contraste : d’une vie immortelle perdue par une désobéissance qui méprisait le précepte de la vie ; et de cette même vie immortelle reconquise par une obéissance qui embrasserait amoureusement le précepte de la mort ».

Ainsi le Christ s’est livré Lui-même à la Passion et à la mort. Comme Dieu et comme homme, et comme Verbe incarné ou Dieu-Homme, non seulement, il n’y avait, pour Lui, aucune nécessité de souffrir ou de mourir, mais Il avait tout Pouvoir, un pouvoir absolu d’éviter la Passion et la mort. Toutefois Il a voulu les subir. Et c’est parce qu’Il a voulu les subir qu’en effet la Passion et la mort l’ont atteint. D’où il résulte qu’en toute vérité Il s’est sacrifié lui-même ; ce qui est la raison de son sacerdoce. Or il l’a fait par obéissance, pour accomplir ce qu’Il savait être une pensée arrêtée dans les conseils de Dieu son Père, une volonté ferme portant sur un dessein qui devait montrer en pleine lumière la sagesse, la bonté , la puissance infinie de Dieu dans l’économie de son Œuvre par excellente : la restauration, par la mort volontaire de son Fils sur la Croix, de l’œuvre ruinée au début du genre humain par la désobéissance du premier homme détachant de l’arbre du Paradis terrestre, à l’instigation du Démon, le fruit défendu.

 

C’est ce qu’exprime bien Nostra Aetate dans son § 6 : « D’ailleurs, comme l’Église l’a toujours tenu et comme elle le tient encore, le Christ, en vertu de son immense amour, s’est soumis volontairement à la Passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. Le devoir de l’Église, dans sa prédication, est donc d’annoncer la croix du Christ comme signe de l’amour universel de Dieu et comme source de toute grâce ».

Mais alors cette volonté formelle du Père, accomplie volontairement et par obéissance par le Fils, permettrait-elle de dire, en toute vérité, que le Père a livré Lui-même son Fils à la Passion et à la mort. La question est d’une portée extrême pour la parfaite intelligence du langage biblique et chrétien dans le grand mystère de la Rédemption.

 

Saint Thomas va la résoudre à l’article 3 où il se pose la question : « Est-ce le Père qui a livré le Christ à la Passion ? Il semblerait que non puisque c’est Judas qui livra le Christ aux Juifs, les Juifs, le Christ à Pilate, ne disait-il : « Ta nation et tes grands prêtres t’ont livré à moi. » et également Pilate « qui le livra pour qu’il soit crucifié » ( Jn 19, 16). Alors qu’en est-il du Père ?

Dans cet article, Saint Thomas rappelle d’un mot la conclusion de l’article précédent et en tire tout de suite une triple preuve pour établir la conclusion du présent article : « Nous l’avons montré à l’article précédent: le Christ a souffert volontairement, par obéissance à son Père. Aussi Dieu le Père a-t-il livré le Christ à la passion de trois façons :

1° Selon sa volonté éternelle, il a ordonné par avance la passion du Christ à la libération du genre humain, selon cette prophétie d’Isaïe (53, 6): « Le Seigneur a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous. » Et il ajoute: « Le Seigneur a voulu le broyer par la souffrance. »

2° Il lui a inspiré la volonté de souffrir pour nous, en infusant en lui la charité. Aussi Isaïe ajoute-t-il « Il s’est livré en sacrifice parce qu’il l’a voulu. »

3° Il ne l’a pas mis à l’abri de la passion, mais il l’a abandonné à ses persécuteurs. C’est pourquoi il est écrit (Mt 27, 46) que, sur la croix, le Christ disait: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » Parce que, remarque S. Augustin, Dieu a abandonné le Christ à ses persécuteurs.
Ainsi le Père a livré le Christ à sa Passion en lui inspirant la volonté de souffrir pour nous.

Et Saint Thomas conclut cet article par une phrase capital : « Par là on constate tout d’abord la sévérité de Dieu qui n’a pas voulu remettre le péché sans châtiment, ce que souligne l’Apôtre (Rm 8, 32): « Il n’a pas épargné son propre Fils » ; et sa bonté en ce que l’homme ne pouvant pas satisfaire en souffrant n’importe quel châtiment, il lui a donné quelqu’un qui satisferait pour lui, ce que l’Apôtre a souligné ainsi: « Il l’a livré pour nous tous. » Et il dit (Rm 3, 25): « Lui dont Dieu a fait notre propitiation par son sang. »

Alors qu’en est-il de Judas, des Juifs, de Pilate ? des Juifs et des Gentils ? L’ont-ils livré à la Passion ou pas ?

Saint Thomas n’exclut pas leur responsabilité en la Passion du Christ – il aurait fallu que Jules Isaac connaisse cette réponse de saint Thomas. Il n’aurait pas été aussi impératif : « La même action se juge diversement, en bien ou en mal, suivant la racine dont elle procède. En effet, le Père a livré le Christ et le Christ s’est livré lui-même, par amour, et on les en loue. Mais Judas a livré le Christ par cupidité, les Juifs par envie, Pilate par crainte ambitieuse envers César, et c’est pourquoi on les blâme ».

 

Il faut donc dire, en toute vérité, que Dieu le Père a livré son Fils à la Passion et à la mort. Jamais, en effet , le Christ n’eut connu la Passion et la mort si Dieu le Père n’en avait disposé ainsi dans ses conseils éternels, en vue du salut du genre humain : non pas que Lui-même ait infligé la mort au Christ, pas plus que le Christ ne se l’est donné Lui-même ; mais Il avait dans son infinie justice, dans sa sagesse et sa miséricorde statué qu’Il inspirerait au Christ, par amour pour nous, la volonté de ne point repousser, comme Il en aurait le droit et le pouvoir, les mauvais traitements et la mort que lui infligeraient des hommes pervers ; d’accepter même tout cela avec une sorte de saint empressement pour que fussent manifestés les infinis trésors de bonté contenus en Dieu et dans son Christ. Le Christ a donc été livré par Dieu son Père et Il s’est livré Lui-même pour des raisons d’infinie sagesse » Ce qui n’est pas le cas et de Judas, des Juifs et de Pilate.

Voilà ce qu’aurait du rappeler Nostra Aetate, ce qu’il n’a pas fait.

Alors Saint Thomas va revenir sur le rôle et de Judas et des Juifs, du peuple et des anciens et de Pilate…Et tout d’abord sur le rôle de Pilate et plus généralement sur le rôle des Gentils

Ainsi dans l’exécution de ce conseil divin, convenait-il que les Gentils eussent une part, la part même décisive – le crucifier – de telle sorte que ce serait eux qui condamneraient à mort et exécuteraient la sentence ? Il semble, au contraire, qu’ils n’y auraient du avoir aucune part.

Saint Thomas considère la question suivante dans son article 4: « Convenait-il que le Christ souffre de la part des païens »? Il répond en faisant un parallèle entre les circonstances de la passion du Christ et les effets de cette même Passion.

 

Il dit :
« Les circonstances mêmes de la passion du Christ ont préfiguré l’effet de celle-ci. D’abord, elle a eu un effet salutaire sur les Juifs, dont beaucoup furent baptisés, d’après les Actes (2, 41 et 4, 42), dans la mort du Christ. Mais ensuite, par la prédication des Juifs, ( juif, saint Pierre, juif , saint Paul…) l’effet de la passion du Christ est passé aux païens. Et c’est pourquoi il convenait que le Christ commence à souffrir de la part des Juifs, et ensuite, les juifs le livrant aux païens, que sa passion soit achevée par ceux-ci ».

Résumons la pensée de saint Thomas : « Il convenait que les auteurs de la mort du Christ fussent, en premier lieu, les Juifs prévaricateurs ; et, en second lieu, les païens eux-mêmes, à l’instigation des Juifs : parce que, en fait, les Juifs, qui pourtant étaient les premiers à vouloir, par haine, la mort du Christ, avaient perdu leur indépendance politique et, par suite, le droit de vie et de mort qui est la prérogative de la souveraineté. D’ailleurs l’ordre même des effets de la Passion du Christ qui devaient se communiquer d’abord aux Juifs et ensuite aux païens, demandait qu’un ordre semblable se retrouvât dans le mode de la Passion du Christ ».

Mais quelle est la part de responsabilité des uns et des autres, des Gentils et des Juifs, des « grands du peuple » et du petit peuple » dans cette Passion et cet mort du Christ ? Devons-nous supposer qu’ils connurent Celui qu’ils poursuivaient ainsi, qu’ils condamnaient et qu’ils frappaient. C’est la question même de la responsabilité des auteurs du déicide.

 

Saint Thomas va le résoudre à l’article 5 : « Les meurtriers du Christ l’ont-ils connu »?

Il semble bien que les persécuteurs du Christ, les Juifs, le connurent:

1. D’après S. Matthieu (21, 38) « Les vignerons, en le voyant, dirent entre eux « Voici l’héritier, venez, tuons-le. » S. Jérôme commente: « Par ces paroles, le Seigneur prouve clairement que les chefs des juifs ont crucifié le Fils de Dieu non par ignorance, mais par envie. Car ils ont compris qu’il est celui à qui le Père avait dit par le prophète (Ps 2, 8): « Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage. » Il semble donc qu’ils ont connu qu’il était le Christ, ou le Fils de Dieu.

2. Le Seigneur dit (Jn 15, 24): « Maintenant ils ont vu, et ils nous haïssent, moi et mon Père. » Or, ce qu’on voit, on le connaît clairement. Donc, les Juifs connaissant le Christ, c’est par haine qu’ils lui ont infligé la passion.

3. On lit dans un sermon du concile d’Éphèse : « Celui qui déchire une lettre impériale est traité comme s’il déchirait la parole de l’empereur et condamné à mort. Ainsi le juif qui a crucifié celui qu’il voyait sera châtié comme s’il avait osé s’attaquer au Dieu Verbe lui-même. » Il n’en serait pas ainsi s’ils n’avaient pas su qu’il était le Fils de Dieu, parce que leur ignorance les aurait excusés. Il apparaît donc que les Juifs qui ont crucifié le Christ ont su qu’il est le Fils de Dieu.
Cependant: il y a la parole de S. Paul (1 Co 2, 8): « S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire », et celle-ci de S. Pierre aux Juifs (Ac 3, 17): « je sais que vous avez agi par ignorance, comme vos chefs » et le Seigneur sur la croix demande (Lc 23, 34): « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

On voit à la lecture de tous ces textes combien délicate est la question posée. Elle est au cœur de la « problématique » de la pensée de Jules Isaac et des 18 questions.

Saint Thomas, pour résoudre ce problème, va établir une distinction de la plus haute importance. Il nous avertit que « parmi les Juifs, les uns étaient les notables ou les Grands ; et les « autres » constituent la multitude et la foule ou les « petits »
Chez les Juifs, il y avait les grands et les petits.

Les grands, qui étaient leurs chefs, ont su « qu’il était le Messie promis dans la loi; car ils voyaient en lui tous les signes annoncés par les prophètes; mais ils ignoraient le mystère de sa divinité ». Et c’est pourquoi S. Paul dit: « S’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire. »
Mais pour autant leur ignorance n’excusait pas leur crime, puisque c’était en quelque manière une ignorance volontaire (affectata). En effet, ils voyaient les signes évidents de sa divinité; mais par haine et jalousie, ils les prenaient en mauvaise part, et ils refusèrent de croire aux paroles par lesquelles il se révélait comme le Fils de Dieu. Aussi dit-il lui-même à leur sujet (Jn 15, 22): « Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse à leur péché. » Et il ajoute: « Si je n’avais fait parmi eux les oeuvres que personne d’autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché. » On peut donc leur appliquer ce texte (Job 21, 14): « Ils ont dit à Dieu: « Éloigne-toi de nous, nous ne voulons pas connaître tes chemins ».

Le Père Pègues commente ainsi ce passage de Saint Thomas : « On remarquera cette doctrine si ferme de saint Thomas sur le caractère d’évidence que portaient les signes ou les miracles faits par le Christ devant les Juifs cultivés et instruits ; de telle sorte que ceux qui n’en ont pas conclu qu’Il était vraiment Dieu et le Fils de Dieu sont inexcusables : seule leur volonté mauvaise en fut la cause. Ces mêmes miracles, et dans des conditions encore plus convaincantes si l’on peut ainsi dire, sont rapportés dans les quatre Evangiles. Il n’est pas un esprit cultivé ou instruit qui ne puisse les connaître et les reconnaître. Si donc ceux-là qui le peuvent ne les connaissent pas ou ne les reconnaissent pas, et que, par ce motif, ils ne viennent pas au Christ par une foi pleine et aimante, ce sera pour une raison de mal ou de disposition mauvaise dans leur volonté ; et, par suite, eux non plus n’auront pas d’excuse pour leur péché de n’être point venus au Christ ».
L’on voit ainsi combien est fausse la position de Jules Isaac. Ils n’ont pas connu le Christ comme Fils de Dieu parce qu’ils ne voulurent pas le reconnaître. Tous ses faits et gestes montraient à l’évidence sa Messianité, sa divinité. Ils sont donc inexcusables dans leur aveuglement ou leur ignorance. Comme le dit Saint Thomas. Les « grands » du peuple Juif sont coupables d’une ignorance volontaire. Elle ne peut les excuser dans la Passion du Christ.

Comme le dit encore sain Thomas : « L’ignorance volontaire n’excuse pas la faute, mais l’aggrave plutôt; car elle prouve que l’on veut si violemment accomplir le péché que l’on préfère demeurer dans l’ignorance pour ne pas éviter le péché, et c’est pourquoi les Juifs ont péché comme ayant crucifié le Christ non seulement comme homme, mais comme Dieu ».

Ils ont donc toute la responsabilité du déicide. Ils l’ont, parce qu’ils pouvaient, parce qu’ils devaient savoir que Celui qu’ils vouaient au crucifiement était vraiment Dieu Lui-même, le Fils de Dieu en Personne ; qu’ils n’ont pas pu ne pas s’avouer qu’il en était ainsi, mais qu’ils ont détourné volontairement leur esprit de ce qui, dans cette vérité, les aurait contraints d’abdiquer devant le Christ et de se faire ses disciples. Ils ont même entraîné, dans la responsabilité du même déicide, la foule qu’ils ont rendue participante de leur crime.
Ainsi est fausse l’opinion de Jules Isaac voulant exempter les Juifs, « les grands » de la moindre responsabilité dans la Passion et la mort du Christ.

 

Quant aux petits, c’est-à-dire les gens du peuple, qui ne connaissaient pas les mystères de l’Écriture, ils ne connurent pleinement ni qu’il était le Messie, ni qu’il était le Fils de Dieu. Car bien que quelques-uns aient cru en lui, la multitude n’a pas cru. Parfois elle se demandait si Jésus n’était pas le Messie, à cause de ses nombreux miracles et de l’autorité de son enseignement, comme on le voit chez S. Jean (7, 31). Mais ces gens furent ensuite trompés par leurs chefs au point qu’ils ne croyaient plus ni qu’il soit le Fils de Dieu ni qu’il soit le Messie. Aussi Pierre leur dit-il: « je sais que vous avez agi par ignorance, comme vos chefs »; c’est-à-dire « que ceux-ci les avaient trompés».

« Ici encore, dit le Père Pègues, on aura remarqué ce tableau si vrai de l’inaptitude de la foule, comme telle, à saisir, par elle seule, les profondeurs cachées de la doctrine ; et sa facilité à être trompée et égarée par les conducteurs pervers, même lorsque sa droiture naturelle l’aurait d’abord portée à se rendre aux signes éclatants plus particulièrement faits pour la convaincre. Sa responsabilité sera donc moindre, et nul doute que Dieu ne soit plus pitoyable aux petits qu’aux « grands », en pareil cas. Il n’en faudrait pas conclure pour autant que toute responsabilité disparaît et que les « petits » égarés par les « grands » seront excusés de tout péché par le fait même. Quelque difficulté qu’il y ait en effet pour la multitude de se conduire par elle-même, surtout quand il s’agit d’une multitude plus éloignée de ce qui constitue, à des degrés divers, la culture de l’esprit, il n’en demeure pas moins que tout être humain ayant l’usage de la raison est à même, absolument parlant, de reconnaître les signes de la vérité, selon que Dieu, dans sa Providence, les met, d’une manière au moins suffisante à sa portée, en utilisant les lumières indéfectibles du bon sens et les sentiments premiers de l’équité naturelle. Aussi bien voyons nous que la multitude du peuple juif n’a pas été indemne aux yeux de la justice divine, et que non seulement les chefs qui l’avaient égaré, mais aussi le peuple qui avait suivi ses chefs, ont tous été châtiés pour le crime de déicide. »

Mais cela nous amène à mesurer la gravité du crime commis par ceux qui se rendirent coupables de la mort du Christ sur la Croix. Faut-il dire que ce crime a été de tous le plus grave ?

 

Saint Thomas nous répond à l’article 6 intitulé : « Le péché des meurtriers du Christ
Est-il ou non le plus grave des péchés ?

Comme on peut s’y attendre, Saint Thomas va distinguer la gravité de la faute chez les « grands » et chez les « petits ». Il parlera ensuite de la faute des « romains », des païens. Voilà le principe de la réponse thomiste : La faute de tous est proportionnée à la connaissance que les uns et les autres ont du Christ :
 

Pour les Grands : « Nous l’avons dit à l’article précédent, les chefs des juifs ont connu le Christ, et s’il y a eu chez eux de l’ignorance, elle fut volontaire et ne peut les excuser. C’est pourquoi leur péché fut le plus grave, que l’on considère le genre de leur péché ou la malice de leur volonté ».
Quant aux « petits », aux gens du peuple, ils ont péché très gravement, si l’on regarde le genre de leur péché, mais celui-ci est atténué quelque peu à cause de leur ignorance. Aussi sur la parole: « Ils ne savent pas ce qu’ils font », Bède nous dit-il: « Le Christ prie pour ceux qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient, ayant le zèle de Dieu, mais dépourvus de connaissance. »
Beaucoup plus excusable fut le péché des païens qui l’ont crucifié de leurs mains, parce qu’ils n’avaient pas la science de la loi.

Mais si on peut mettre une « hiérarchie » dans la faute de tous ces gens, il faut dire, avec Saint Thomas : « Judas a livré le Christ non à Pilate mais aux chefs des prêtres, qui le livrèrent à Pilate selon cette parole (Jn 18, 35): « Ta nation et tes grands prêtres t’ont livré à moi. » Cependant le péché de tous ces gens fut plus grave que celui de Pilate qui tua le Christ par peur de César; et il fut plus grand que celui des soldats qui crucifièrent le Christ sur l’ordre de leurs chefs, non par cupidité comme Judas, ni par envie et par haine comme les chefs des prêtres ».

Ainsi si nous voulions résumer la pensée de saint Thomas dans cette difficile question de la cause efficiente de la Passion et de la mort du Christ, on pourrait dire : « Si la Passion du Christ a eu lieu, c’est, à n’en pas douter parce que Lui-même l’a voulu. Et il ne l’a voulu Lui-même qu’en union de volonté parfaite avec la volonté du Père dont l’infinie sagesse avait renfermée dans ce mystère ses plus riches trésors : la justice et la miséricorde. Mais les exécuteurs humains de ce plan divin qui furent les Juifs et les Gentils, ne sauraient bénéficier de la sagesse des conseils de Dieu. C’est par une volonté perverse de leur part qu’ils ont poursuivi le Christ et l’ont conduit à la mort. La perversité de cette volonté n’a pas été la même pour tous. Car tous n’étaient pas éclairés d’une égale lumière au sujet du Christ.

Les premiers responsables, et, partant, les plus coupables, furent les principaux parmi les Juifs, les chefs du peuple, ceux qui avaient en leurs mains le dépôt des Ecritures. Ils auraient pu et ils devaient reconnaître le Christ dans la Personne de Jésus. Mais par jalousie et par haine, ils éteignirent sciemment la lumière qui leur était donnée avec surabondance. Leur crime est sans excuse. Il est le plus grand qui n’ait été jamais commis parmi les hommes.

Le peuple juif, égaré et trompé par eux, a eu sa responsabilité diminuée en raison de la part d’involontaire qu’il a pu y avoir dans son ignorance.
Il en fut de même et dans une mesure plus grande encore pour les païens, ignorants les choses de la Loi, qui coopérèrent au crime du déicide. Tous furent coupables ; mais bien moins que les Juifs ; et, à des degrés divers selon le degré de leur culture ou de leur indépendance. »
Voilà la doctrine de Saint Thomas sur le problème de la cause efficiente de la Passion et de la mort du Christ et donc sur les « intervenants » dans cette mort.
 

Ce fut la doctrine de l’Eglise jusqu’à Pie XII.

Nostra Aetate

Sans épouser toutes les thèses de Jules Isaac sur ce sujet précis, « Nostra aetate » exprima la doctrine catholique d’une manière équivoque, avec « peur et tremblement », et tout particulièrement sur les responsables du peuple juif dans la Passion et de la mort de NSJC.

 

Dire seulement que « les Juifs, en grande partie, n’acceptèrent pas l’Evangile, et même nombreux furent ceux qui s’opposèrent à sa diffusion », sans rien de plus, est très faible. Et frise l’erreur, la malhonnête intellectuelle.

 

Pour saint Thomas, les « grands » du peuple ont une responsabilité totale en raison de leur volonté perverse refusant l’évidence des signes proposés par le Christ, confirmant les Ecritures. Il est, à mon avis, nécessaire de changer ce passage de Nostra Aetate en s’inspirant de la doctrine de saint Thomas. Il ne correspond pas à la vérité. Le Rabbin Di Segni demande au pape Benoît XVI de choisir : ou « les lefebvristes ou nous », « ou l’acceptation des ouvertures du Concile Vatican II sur le judaïsme ou les lefebvristes ». Il oublie le seul point, l’essentiel : la vérité. « Les grands des Juifs, les rabbins, ont ignoré les Christ. Mais leur ignorance n’excusait pas leur crime, puisque c’était en quelque manière une ignorance volontaire (affectata). Ils voyaient les signes évidents de sa divinité; mais par haine et jalousie, ils les prenaient en mauvaise part, et ils refusèrent de croire aux paroles par lesquelles il se révélait comme le Fils de Dieu ».

Telle est l’aveuglement des Juifs. Retenons que Saint Thomas parle d’ignorance « volontaire ( affectata)». Là est le grand mystère d’Israël. Voilà ce que la déclaration conciliaire devait préciser et n’a pas précisé.
Le plus grand mystère d’Israël ! Comment un peuple qui avait été préparé par Dieu pendant plus de deux mille ans à accueillir le Messie, le Fils de Dieu, a-t-il pu ne pas le reconnaître ? Comment les grands prêtres et les Juifs de Jérusalem ont-il pu le faire mourir d’une mort infâme, en le crucifiant ?
 

Nostra Aetate dit aussi « Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé (en latin : urserunt)à la mort du Christ ce qui a été commis durant sa passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. »

Là aussi, après avoir lu l’enseignement de saint Thomas, on voit combien cet texte est vague, terne, et faible. Les pères conciliaires auraient pu préciser le mot latin utilisé « urgere ». Il fallait préciser la raison de cette opposition du peuple juif et surtout des « Grands » contre Notre Seigneur, sa nature. Souvenez-vous. Les ennemis du Christ, – ceux qui, parmi les Juifs, ne cessèrent de le poursuivre de leur haine jusqu’au jour où ils l’eurent fait mourir sur la Croix et scellé dans son tombeau -, ils s’aveuglaient volontairement, niant ou dénaturant même l’évidence pour se donner le droit de le détester, de le poursuivre et de le perdre. C’est ce péché contre le Saint Esprit que le Christ leur reproche dans l’Evangile, et qui n’est pas autre, ici, que l’aveuglement volontaire, la perversité suprême consistant à nier l’évidence ou à dire et peut-être à finir par se persuader que cela même qu’on voit être n’est pas pour l’unique raison que la volonté perverse veut que cela ne soit pas.

Mais en disant cela, – et cela a été bien pris en compte par Nostra Aetate – il ne faut pas oublier la belle révélation de saint Paul de la conversion du peuple juif, à la fin des temps, de sa conversion à la messianité et à la divinité de NSJC. Il le dit aux Romains, au chapitre 11 : « « Je demande donc :ont-ils bronché afin de tomber pour toujours ? Loin de là ! Mais par leur chute, le salut est arrivé aux nations de manière à exciter la jalousie d’Israël. Or, si la chute a été la richesse du monde et leur amoindrissement la richesse des nations, que ne sera pas leur plénitude !…Car si leur rejet a été la réconciliation du monde, que sera leur réintégration sinon une résurrection d’entre les morts ! Si toi (habitants des nations) tu as été coupé sur un olivier de nature sauvage et enté, contrairement à ta nature, sur l’olivier franc, à plus forte raison les branches naturelles seront-elles entées sur leur propre olivier » (Rm X1)

Telle sera la conversion d’Israël. Le mystère d’Israël est grand. Mais faut-il encore le leur prêcher, le leur annoncer et ne pas en rester au simple droit naturel, aux dix commandements. Il faut que leurs yeux s’ouvrent au Mystère du Christ. « Il y a ici plus que Moïse » disait Jésus aux Juifs…

Revue-Item.com

 

 

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