L’année du centenaire (VI): la démocratie obligatoire
publié dans doctrine politique le 18 juin 2010
Le reproche de base, logiquement le premier que saint Pie X adresse en 1910 à la démocratiechrétienne de Marc Sangnier est de vouloir imposer la démocratie comme le seul régime politique acceptable. Et donc, de lier idéologiquement l’Eglise à l’avènement et au développement de la démocratie en France et dans le monde.
C’est d’abord une question de langage (mais les idées suivent les mots). Indépendamment de l’idée que l’on se fait de la démocratie, indépendamment de la définition que l’on en donne, les termes démocrate,
démocratique, démocratie sont employés comme désignant forcément quelque chose de bien ; et l’absence de démocratie est un mal. Autrement dit, la distinction entre ce qui est démocratique et ce qui ne l’est pas prend l’autorité (voire la place) de la distinction entre le bien et le mal.
Sur ce point, malgré l’opposition de saint Pie X, la démocratie-chrétienne
a tout à fait gagné. Il faut dire qu’elle y a été largement aidée par le monde profane et par la domination idéologique des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. A l’imitation des hommes politiques de tous bords et des médias de toutes natures, la hiérarchie ecclésiastique à tous les niveaux a
peu à peu adopté cette manière de parler. Antérieurement à toute discussion sur la « vraie » démocratie, rien de ce qui est qualifié non démocratique n’est moralement acceptable et finalement ne peut
avoir droit de cité.
Avec une exception notable, mais qui est restée trop isolée jusque dans son propre discours : Jean-Paul II employant l’expression de « démocratie totalitaire » pour qualifier ce que la « culture de mort » fait de la démocratie.
Dans sa lettre apostolique du 25 août 1910 saint Pie X s’en est tenu à la distinction classique des trois régimes qui, avec des nuances variables, vient d’Aristote, a été adoptée par la philosophie chrétienne, et venait d’être explicitement reprise quelques années auparavant par les encycliques politiques de Léon XIII : la monarchie (qui peut se corrompre en tyrannie), l’aristocratie (caricaturée en oligarchie), la démocratie (qui dégénère en démagogie). Ces distinctions peuvent paraître un peu sommaires tant que l’on n’aperçoit pas que tout régime politique est en somme un « régime mixte », avec des dosages subtilement très différents de monarchie (chef de l’Etat), d’aristocratie (sénat, chambre des lords…), de démocratie (suffrage plus ou moins universel). Pour Maurras : démocratie
dans la commune, aristocratie dans la province, monarchie dans l’Etat.
Quoi qu’il en soit, saint Pie X après Léon XIII affirme fortement qu’« il n’est pas interdit aux peuples de se donner le gouvernement qui répond le mieux à leur caractère ou aux institutions et coutumes qu’ils ont reçues de leurs ancêtres ». Prétendre que « la démocratie seule inaugurera le règne de la parfaite justice », c’est « une injure faite aux autres formes de gouvernement, qu’on ravale de la sorte au rang de pisaller impuissants ».
Effectivement la démocratiechrétienne à partir du « dilemme de Marc Sangnier » (cf. Présent du 22 mai) inaugure et systématise dans l’Eglise une attitude d’injure, de mépris, d’exclusion au moins intellectuelle à l’encontre des catholiques qui récusent la démocratie dans tous les cas et quel que soit
le sens que l’on donne à ce terme. Or, circonstance fort aggravante, la démocratie-chrétienne donne à ce terme un sens moralement, doctrinalement, gravement inacceptable. Ce sera l’objet d’un prochain article.
JEAN MADIRAN (extrait de Présent du 12 juin 2010)