Charles et Zita de Habsbourg
publié dans regards sur le monde le 16 avril 2016
Charles et Zita de Habsbourg : Les fins de l’Empire (1/3)
En ces temps de déliquescence d’un ordre politique devenu pâle reflet d’une France qui fût grande, il est bon de chercher hauteur et noblesse là où notre proche passé en offre des exemples éclatants.
Si la lecture de l’admirable ouvrage de Jean Sévillia « Zita impératrice courage » est incontournable pour qui souhaite rencontrer les belles âmes du bienheureux Charles d’Autriche et de son épouse, les éternels occupés pourront parer au plus pressé en parcourant ces lignes.
Charles de Habsbourg, petit-neveu de l’empereur François-Joseph, voit le jour le 17 août 1887 à Persenbeug, en Basse-Autriche. Membre d’une dynastie sept fois centenaire, cinquième dans l’ordre de succession au trône à sa naissance, il fallut de nombreuses péripéties familiales et politiques pour qu’il se trouva en position de succéder à son grand-oncle.
Zita naît le 9 mai 1892 en Italie, enfant d’une famille ducale italienne dépossédée de son duché par le royaume de Piémont-Sardaigne quelques années plus tôt : les Bourbon-Parme. Cousine à des degrés divers de la plupart des monarques européens, elle possédait indubitablement une position sociale à même de convenir à un futur empereur.
Mais, plus que leurs conditions de prince héritier et de princesse royale, c’est un goût pour la simplicité et l’authenticité ainsi qu’une foi commune qui attira l’un vers l’autre ces très jeunes futurs monarques. Lors de leur mariage, le 21 octobre 1911, Charles n’a que 24 ans et Zita, 19. Bien que manquant d’expérience, ils possèdent déjà un sens aigu du devoir, et de la responsabilité que représentent leurs lignées. Ils considèrent la royauté comme un service en vue du bien commun, comme l’exercice d’un pouvoir reçu de Dieu et des hommes afin de protéger et de guider leurs peuples.
Ils considèrent la royauté comme un service en vue du bien commun, comme l’exercice d’un pouvoir reçu de Dieu et des hommes afin de protéger et de guider leurs peuples.
Si le terme ‘peuple’ se conjugue au pluriel pour Charles et Zita, c’est que l’Autriche-Hongrie d’alors est composée d’une mosaïque de peuples de différentes cultures, langues et religions, d’une population considérable de 52 millions d’habitants, unis par l’appartenance à la double monarchie – certains pays incorporés dans l’empire disposent de leur propre souverain, inféodé à l’Empereur. À titre de comparaison, l’Allemagne d’alors ne comptait que 65 millions d’habitants et la France 42 millions.
Le futur couple impérial est certainement doté d’un tel idéal, parce que l’empire dont il prendra un jour la tête est un exemple unique dans l’histoire. Reposant sur les piliers que sont l’Église, l’armée et l’administration, l’Autriche-Hongrie est un État de droit moderne, voire avant-gardiste : droits de propriété et d’association, congés payés, suffrage universel, égalité devant la loi, droit d’accession de tous aux fonctions publiques, liberté de conscience et d’expression, liberté de circulation ; la liste est longue. L’armée dispose d’un règlement rédigé en douze langues et d’aumôniers de six rites différents. L’économie prospère malgré la crise de 1873 et Vienne, joyau de culture et refuge de génies en tout genre, est cinquième métropole mondiale.
La fonction impériale semble ainsi tenir ses promesses de protection du peuple, de garantie des droits nécessaires à leur épanouissement, d’unité nationale au-delà des différences, de paix et de justice sociales malgré les codes d’appartenance anciens qui régissent la société austro-hongroise de la fin du XIXe siècle.
Ce bonheur n’allait pas durer, cette stabilité s’avérerait éphémère. Charles et Zita, simples prétendants au trône, allaient bientôt être placés dans l’œil du cyclone, puis emportés dans le tourbillon de l’histoire des hommes.
Charles et Zita de Habsbourg : la fin d’un Empire (2/3)
Comment une dynastie sept fois centenaire s’est éteinte, malgré les diverses occasions politiques de salut.
Au matin de la première guerre mondiale, l’Autriche-Hongrie aurait pu se croire en sécurité. L’empereur François-Joseph règne depuis 66 ans et bien que l’archiduc François-Ferdinand ait été assassiné, la succession est assurée puisque Charles, petit-neveu de François-Joseph, a épousé Zita et semble doté de toutes les qualités nécessaires à un futur empereur. En réalité, la conflagration des nations européennes ne pouvait qu’être fatale à l’Empire. L’empereur le sait trop bien, lui qui peine depuis des années à maintenir l’unité entre les peuples si divers qui composent la double monarchie. Depuis le compromis austro-hongrois de 1867, les Hongrois occupent dans le champ politique une place supérieure à leur poids démographique, les Slaves s’estiment floués par la configuration de l’échiquier politique, de nombreux autrichiens sont séduits par les idées pangermanistes, tandis qu’au Nord, la Russie exerce dans les Balkans une influence croissante.
En réalité, la conflagration des nations européennes ne pouvait qu’être fatale à l’Empire.
L’Autriche-Hongrie a besoin de temps, de paix et de prospérité économique pour mener à bien de difficiles mais incontournables réformes. L’histoire ne le lui permettra pas. Au lendemain de l’assassinat de l’Archiduc, les Austro-hongrois tentent, par le biais d’un ultimatum à la Serbie, d’éviter la guerre en préservant leur honneur. Déboutés, ils se voient obligés d’entrer en guerre. Le jeu des alliances met l’empire dans une situation intenable : allié naturel des Français (avec lesquels des tentatives d’alliance ont échoué), par principe opposé mais par la force des choses allié à l’empire des Hohenzollern (fossoyeurs du Saint-Empire), ce n’est qu’à contrecœur que l’empereur envoie ses troupes au front. Il refuse d’ailleurs de les voir combattre contre des troupes françaises ou anglaises.
Officier, Charles jouera un rôle militaire et politique de plus en plus important au cours des deux premières années de guerre. Zita fait elle déjà preuve d’une grande attention et d’un dévouement inconditionnel aux blessés de guerre. Le 21 novembre, jour où le vieil empereur rend son âme à Dieu, Charles et Zita, âgés de 29 et 24 ans, deviennent respectivement empereur et impératrice d’Autriche-Hongrie.
Charles, empereur, se considère responsable devant Dieu du sort de ses peuples. Il poursuit immédiatement deux objectifs inconciliables : la paix, aussi rapide que possible et les réformes, tant attendues. Ses alliés l’empêcheront de faire la paix, la guerre l’empêchera de mener à bien ses réformes. Il n’empêche, à peine a-t-il pris les rennes de son armée, que l’empereur change du tout au tout la manière dont sont menés les combats : réduction du train du vie des officiers, grand soin de limiter les pertes en vies humaines, mise à disposition des chevaux du palais impérial pour les besoins de la population, les preuves d’exemplarité ne manquent pas.
Ses alliés l’empêcheront de faire la paix, la guerre l’empêchera de mener à bien ses réformes.
Ainsi donc, Charles veut la paix. Il œuvre en ce sens auprès de ses alliés allemands, aveuglés par leur soif de conquête. Convaincu, que l’entrée en guerre des États-Unis signerait la perte de la Triplice, il multiplie les démarches auprès de ses ennemis, du Saint-Siège, rencontre sept fois le Kaiser auquel il prédit la chute de son empire comme du sien s’ils ne mettent pas très vite fin à la guerre.
Face à son refus, Charles se résigne à tenter de négocier l’armistice avec la France, gage de sa volonté de mettre fin au conflit. Gage aussi de la pérennité de sa maison une fois la défaite survenue. La tentative d’entente échouera à cause de la lâcheté et de la cupidité de quelques politiques, dont Pointcarré. Percé à jour dans ce dessein moins d’un an plus tard, isolé et épuisé par des mois de veille et de travail acharné, l’empereur publiera un démenti aux conséquences désastreuses, avant de s’attirer les foudres de ceux qui, à juste titre, l’ont toujours considéré comme pacifique, en envoyant aux Français un télégramme belliqueux. Les Allemands profitent de son erreur pour le forcer à signer un traité d’alliance militaire, qui allait priver l’empire de toute autonomie dans le combat et de facto, le mettre un peu plus encore sous la férule des Hohenzollern.
La presse socialiste et antiroyaliste se déchaine contre Charles et Zita. Nombreux sont ceux qui se laissent séduire par ces discours simplistes, ces raccourcis populistes. L’image de la famille impériale est une fois de plus écornée. Trop bon, trop faible pour certains, l’empereur ne fera jamais emprisonner les rédacteurs de ces pamphlets qui lui font tant de mal. L’influence des milieux pangermanistes est telle que ce sont désormais les parties les plus éloignés de l’empire qui menacent de faire sécession, inquiètes du rapprochement forcé entre l’empire et l’Allemagne. Les Anglais et les Américains, dont les intérêts allaient dans le sens d’un éclatement de l’empire des Habsbourg, attisèrent ces dissensions nationales et apportèrent leur soutien à différents mouvement nationalistes.
La presse socialiste et antiroyaliste se déchaine contre Charles et Zita.
Dans une dernière tentative de redresser la situation, Charles décide de transformer l’empire en une fédération d’États à même de satisfaire les appétits nationaux. Trop tard. La défaite militaire oblige à signer l’armistice et les États-Unis reconnaissent désormais l’indépendance de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Quelques jours plus tard, la révolution éclate à Budapest. Partout, les déclarations d’indépendance fusent. On crée un conseil de l’Autriche allemande, avec lequel Charles a le malheur de négocier, lui reconnaissant de facto une légitimité. Il ne faudra pas longtemps pour qu’un acte de renonciation à la conduite des affaires d’État lui soit présenté. ‘Il ne s’agit pas d’un abdication …’ Comme toujours depuis le début du processus de délitement de l’empire, il s’agit de donner des garanties à l’aile politique la plus progressiste. La signature de ce texte marque en réalité la fin de monarchie autrichienne.
Les occasions politiques de salut ont pourtant été nombreuses, mais à chaque étape, soit la maladresse de Charles, soit la traitrise de quelque homme politique, soit la lâcheté d’alliés potentiels, auront empêché la survie d’une dynastie sept fois centenaire. L’adversité la plus sombre s’abat sur cette famille impériale, injustement privée de l’exercice du pouvoir, de son trône et de toutes ses possessions, publiques comme privées. Le chemin de croix de Charles et Zita ne faisait que commencer.
Charles et Zita : une fin impériale
Telle est la dernière déclaration du Bienheureux Charles de Habsbourg, en tant qu’empereur d’Autriche-Hongrie. Datée du … 11 novembre 1918, elle met fin à son autorité politique, signe l’arrêt de mort d’une dynastie sept fois centenaire. L’empereur l’a paraphée au crayon, sous la pression fébrile des lâches ministres de paille qui l’entourent, intéressés par leur seule survie politique. Ceux-ci ont largement surestimé l’ampleur de l’insurrection populaire, coupablement minimisé les forces vives favorables au maintient de la double monarchie.
Toujours empereur et impératrice, puisque n’ayant au sens strict du terme pas abdiqué, Charles et Zita vont réagir avec toute la dignité due à leur rang à l’injuste spoliation politique, historique et économique dont ils sont les victimes. Réfugiée au château d’Eckartsau, à une heure de Vienne, la famille impériale se tient à distance du jeu politique de la toute fraîche République de l’Autriche allemande et des tribulations hongroises. Pourtant, sa simple présence dérange. Ses ennemis continuent de la craindre : un geste de l’empereur pourrait suffire à rallier ses nombreux partisans. Il faut mettre la famille impériale hors d’état de nuire. Contraints, Charles et Zita quittent l’Autriche pour la Suisse.
Charles et Zita vont réagir avec toute la dignité due à leur rang à l’injuste spoliation politique, historique et économique dont ils sont les victimes.
De son exil suisse, l’empereur œuvre avec tous les moyens à sa disposition pour le non-rattachement de l’Autriche à l’Allemagne. Avec succès. Privé injustement de son trône, il se dépense sans compter et sans rancœur pour le bien de son peuple, adoptant un attitude dont peu d’hommes politiques de l’époque, et encore moins de la nôtre, peuvent se targuer.
C’est en Hongrie cependant qu’allaient se jouer les heures les plus glorieuses et tragiques de la tentative de restauration. Demeurée royaume sous autorité d’un régent du nom d’Horthy, le retour du Roi y semble envisageable malgré les difficultés posées par l’Entente et par le veto des Alliés. Briand, alors ministre français des affaires étrangères, se dit prêt à s’incliner devant la restauration du trône de Hongrie si il est mis devant le fait accompli. Le pape soutient également l’empereur dans sa volonté de récupérer ce qui est sien. Mais le régent prend goût au pouvoir, à tel point que lorsque Charles vient, seul et par voies détournées, le rencontrer dans ce qui fût son palais de Budapest, Horthy marchande avec lui sa future position dans le royaume restauré, avant de le laisser repartir sur de vagues promesses. L’empereur parti, le Régent renforce et cadenasse encore plus sa position, bien décidé à ne pas lui restituer son dû.
Convaincu d’être responsable devant Dieu du seul pays dans lequel il ait jamais été sacré roi, Charles tentera une dernière fois de reconquérir son trône, assisté cette fois dans sa tâche d’une armée forte de quatre mille hommes, rejointe dans chaque village qu’elle traverse par des volontaires venus grossir ses rangs. Le peuple est resté royaliste : Horthy n’a pour lui que quelques traîtres bien en place dans l’armée de Charles et trois cent étudiants armés à la va-vite. Plus fin que Charles dans l’art de la dissuasion et du louvoiement, Horthy parviendra à semer le trouble dans l’esprit de l’empereur, dont le souci demeure d’éviter les pertes en vies humaines. Il eût suffit d’un ordre d’assaut généralisé de sa part pour que Budapest fût prise en quelques heures. Les escarmouches et attaques de nuit malgré le cessez-le-feu, orchestrées par le régent, auront raison de sa détermination.
Il eût suffit d’un ordre d’assaut généralisé de sa part pour que Budapest fût prise en quelques heures.
La communauté internationale ne veut pas prendre le risque d’une troisième tentative de restauration. La famille impériale est condamnée à l’exil sur l’île de Madère. C’est là, dans le dénuement le plus extrême d’une maison insalubre et humide, que Charles va contracter une pneumonie qui lui sera fatale, faute de soins médicaux prodigués à temps. Après trois semaines d’agonie, l’empereur décède entouré des siens en murmurant : ‘Bon Sauveur, protégez nos enfants chéris {…} Protégez leurs corps et leurs âmes et laissez-les plutôt mourir que de commettre un péché mortel. {…} Mon Jésus, quand tu veux. Jésus’. Nous sommes en 1922. Zita, trente ans, mère de sept enfants et enceinte du huitième, veuve désargentée de l’empereur d’Autriche, porte désormais seule la responsabilité de la continuité de la maison des Habsbourg.
Il faudrait de trop nombreuses lignes pour décrire comme il se doit les soixante-sept années qui suivirent. Soixante-sept années de veuvage pendant lesquelles Zita fût toujours habillée de noir. Soixante-sept années de dévouement à ses enfants, sa famille, son pays. Soixante-sept années de fidélité à la mémoire de son époux, de foi intense et concrète, (avec son oblature au couvent Sainte-Cécile des Bénédictines de Solesmes). Si son Charles est déjà bienheureux, le procès de béatification de Zita est lui aussi ouvert.
Sept années avant sa mort, Zita connût une grande joie : elle pût revenir dans sa partie, sur ses terres d’impératrice et de reine. Le 13 novembre 1982, plus de vingt mille personnes se pressaient autour de la cathédrale de Vienne pour apercevoir une impératrice de 88 ans, bannie de son pays depuis 1919. Comme son mari 67 ans avant elle, Zita s’en est allée entourée des siens et des sacrements. Au crépuscule de son existence, l’impératrice est âgée de 95 ans. Dernière incarnation de l’époque des grands empires et de la grandeur des empires, elle laisse au monde le témoignage éclatant de la noblesse des Habsbourg, de leur foi exemplaire et de leur dévouement hors normes pour le bien commun.
Dernière incarnation de l’époque des grands empires et de la grandeur des empires, elle laisse au monde le témoignage éclatant de la noblesse des Habsbourg.
Charles et Zita n’auront pas connu une fin glorieuse selon les critères de ce monde. Bien mieux que cela, leur fin fût impériale, exprimant dans sa révérence ce que l’empire et la royauté contiennent de plus hautement spirituel.
Gott erhalte, Gott beschütze
Unsern Kaiser, unser Land!
Mächtig durch des Glaubens
Stütze, Führt er uns mit weiser Hand!
Lässt uns seiner Väter Krone
Schirmen wider jeden Feind!
Innig bleibt mit Habsburgs Throne
Österreichs Geschick vereint!