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Entraide et Tradition

De Johnny à d’Ormesson

publié dans regards sur le monde le 12 décembre 2017


Johnny Hallyday : c’est trop et… pas assez !

 

Trop, c’est trop ! Ce déploiement du faste républicain, l’éloge du président de la République, des centaines de pages dans les media, des couvertures sur toute la presse pendant plusieurs jours, la mobilisation des chaînes publiques pendant des heures autour de la mort d’un chanteur au nom américain, voilà qui est excessif. On peut apprécier telle ou telle chanson de Johnny Hallyday, on peut admirer qu’il ait pu avoir une si longue carrière – près de 60 ans ! – alors que tant d’autres n’ont connu qu’un succès éphémère ; on peut également comprendre qu’il conserve par-delà la mort un noyau de fans qui lui soient inconditionnellement fidèles. Pour certains de ces derniers, le terme d’idole appliqué à leur Johnny est adéquat. Mais, dans ce cas, la célébration de son culte par les pouvoirs publics viole la laïcité ! Autour de la demeure du chanteur défunt se sont déroulé des scènes de désespoir, des dévots se demandant comment ils allaient pouvoir continuer à vivre sans lui ; les autorités ont redouté – et redoutent encore – des suicides! Mais on doit déplorer que les politiques, sans distance ni nuances, participent à cette dévotion. Mercredi matin, le président de l’Assemblée nationale, l’écolo François de Rugy, n’a-t-il pas ouvert la séance en ces termes: « Mesdames et messieurs les députés, je sais exprimer votre sentiment en disant qu’à l’image des Françaises et des Français, nous avons tous quelque chose de Johnny Hallyday ? » A cette annonce, les députés, toutes tendances confondues, se sont levés et une salve d’applaudissements a alors retenti. Personnellement, l’auteur de ces lignes n’a rien de Johnny Hallyday… ni même d’un « biker » enfumé. Mais, c’est le président de la République qui a été le plus loin en qualifiant le chanteur de « héros français ». On ne voit pas du tout où situer l’héroïsme dans sa vie ; il a vendu des millions de disques et assuré des milliers de concerts, ce qui en fait un artiste à succès mais non point un héros! Sauf, dans la bouche d’un ex-ministre des finances plus terre à terre, l’héroïsme de permettre au fisc français d’avoir engrangé peut-être l’équivalent d’un porte- avions en impôts et autres taxes diverses. Les héros, aussi vrais qu’anonymes, on les trouvera, notamment et à juste titre, parmi nos soldats qui, au Mali par exemple, luttent et meurent, les armes à la main, contre les terroristes islamistes. C’est pour ceux qui sont morts là-bas qu’il faudrait déployer les fastes de la République et organiser une descente des Champs-Elysées avec le président de la République en tête et le peuple de France derrière lui. Sinon, pour Johnny Hallyday, nous redisons, « Trop, c’est trop ! » Nous pourrions dire, sous un autre angle que… « ce n’est pas assez ». Ce n’est pas assez de noter simplement au passage qu’il est mort d’un cancer du poumon, sans plus. Lequel cancer n’est pas la conséquence de quelque fatalité mais d’un extravagant et impénitent tabagisme. Dans une interview accordée au Parisien, son plus vieil ami et confrère, Eddy Mitchell, a rappelé l’impressionnante consommation de tabac de « l’idole des jeunes » : « Lui, c’est trois paquets de Gitanes, tranquille. » Et un autre de ses amis, Philippe Manœuvre, indiquait lui, mercredi dernier sur RMC, que la star fumait « presque quatre paquets par jour » et d’ajouter « La clope a tué Johnny. » Alors que les pouvoirs publics dépensent des centaines de millions € dans des actions de prévention contre le tabagisme pour dissuader les jeunes de commencer et convaincre les anciens d’y renoncer, jusqu’à vouloir interdire la cigarette sur nos écrans, le président de la République qualifie de « hérosfrançais» un homme qui pouvait fumer jusqu’à quatre-vingts cigarettes par jour!On nous répète que le cancer du poumon, dû principalement au tabagisme, tue 40.000 individus par an mais, pour le public et les jeunes particulièrement, un chiffre n’est qu’une abstraction lointaine alors que là, nous avions un cas concret et actuel en la personne de Hallyday qui émeut beaucoup de gens et qui aurait donc pu faire réfléchir plus efficacement. Mais non, rien ! Jusqu’au cancérologue qui a soigné l’artiste jusqu’au bout, le professeur David Khayat, lequel, interrogé sur le cas de son patient, demande « un véritable plan de lutte contre le tabagisme » dans le cadre « d’une stratégie européenne. » Le journaliste du Parisien lui demande alors: « Johnny peut-il être un symbole pour les autres malades ? » Réponse : « Il l’est déjà. Un symbole d’espoir et de courage. Ce que souhaitait Johnny, c’est que l’exemplarité de son combat serve à d’autres. Leur dire : Profitez de chaque instant. C’est pour cela qu’il l’a rendu public. » Que l’artiste ait subi sa maladie avec courage, nous n’avons pas de raison d’en douter, mais le courage eût été d’abord de renoncer à la cigarette pour conserver le plus longtemps possible un époux à sa femme, un père à ses enfants et un chanteur à ses admirateurs. Le message dont le professeur Khayat aurait pu se faire l’écho aurait dû être, non pas de profiter de la vie à chaque instant, mais de conserver sa vie pour éviter le cancer en abandonnant le tabac. Ajoutons qu’il se parfumait aux vapeurs des vignes écossaises, selon son propre aveu ; il a aussi durant une grande partie de sa vie usé et abusé de produits stupéfiants divers. Dans ces conditions, qu’il ait tenu jusqu’à 74 ans relève d’une constitution exceptionnelle et peut-être du miracle ! Au chef de l’Etat, qui fait de lui un héros, nous rappelons qu’un héros est quelqu’un que l’on doit imiter. Qu’est -ce que les Français, et les jeunes en particulier, peuvent bien avoir à imiter en Johnny Hallyday ? S’expatrier aux EtatsUnis et mettre ses économies bien au frais au bord d’un lac suisse ? N’est-il pas plutôt un contre-exemple par ses excès de toutes sortes ? Johnny, toi qui as toujours porté la croix avec fierté en toute circonstance, repose en paix à coté de… Marie

 

La mort de Jean d’Ormesson : le chanteur éclipse l’écrivain

La mort de Johnny Hallyday en a éclipsé une autre, celle de Jean d’Ormesson, ce qui est dommage. Lui non plus n’é- tait pas un héros, c’était un écrivain de talent à la plume tour à tour charmeuse et acerbe. Il fut aussi journaliste, quoique son passage à la direction du Figaro, de 1974 à 1977, ne fût pas son principal titre de gloire. Il est certain qu’il a apporté à notre pays, sa langue et son génie, bien davantage que le chanteur qui, dans ce domaine, ne les a pas enrichis. Certes, il interpréta parfois de beaux textes mais les paroles de ses chansons, comme la plupart de ses musiques, étaient le fait d’auteurs qui lui faisaient du sur-mesure à l’image de sa vie mouvementée. Le décès de l’écrivain n’a pas eu le même retentissement ni la même charge émotionnelle que celui de Johnny Hallyday. En soi, on peut le déplorer mais, pratiquement, c’était inévitable. Leur public n’était pas le même. Essentiellement populaire pour Hallyday, plus lettré, par la force des choses, pour l’académicien, il est évident que le premier pouvait réunir des foules d’admirateurs, contrairement au second. Mais cela ne veut pas dire que l’auteur d’Au plaisir de Dieu n’était pas populaire, il l’était d’une autre manière que le chanteur. Car ses livres, une quarantaine, n’étaient pas lus par une élite intellectuelle mais par un large public, ses ouvrages – sauf les tout premiers – n’étaient jamais vendus à moins de 100.000 exemplaires, parfois beaucoup plus, sans compter les éditions « club » et les nombreuses traductions. Dans sa « catégorie », si l’on ose dire, l’académicien peut rivaliser avec le chanteur sur le plan du succès. Mais, au-delà de son œuvre littéraire, ce qui charmait les Français, c’était son côté « vieille France », avec le meilleur de celle-là : la courtoisie, une exquise politesse, une volonté de cacher les maux de l’âge ou de la maladie sous un sourire inaltéré, « never explain, never complain » comme on dit à la cour d’Angleterre, « ni plainte, ni explication. » Avec cette distinction quasi innée, à la fois aristocratique et bienveillante, on est à cent lieues de la vulgarité du milieu où évoluait Johnny Hallyday. Ce qui séduisait aussi chez Ormesson, outre l’art de la conversation, c’était aussi ce regard malicieux porté sur les êtres et les choses, comme si la vie, la sienne et celle des autres, ne cessait de l’amuser. Agrégé de philosophie, il savait être grave en s’interrogeant sur Dieu qui fut son tourment, hésitant entre le doute et l’adhésion, au point de finir par se définir dans l’oxymore de « catholique athée » alors qu’il était plutôt agnostique, si l’on en croit ses écrits, sans renier sa culture catholique. Mais le chanteur et l’écrivain avaient un point en commun qui n’est sans doute pas le meilleur pour l’un comme pour l’autre : un certain nomadisme politique pour ne pas dire opportunisme. Jean d’Ormesson était l’homme de droite préféré des politiciens de gauche, de Mitterrand, dont il était un familier, à Mélenchon qui ne perdait jamais une occasion de dire tout le bien qu’il pensait de lui et vice-versa. Il appelait Macron « Emmanuel ». Cela ne l’empêcha pas d’être au mieux avec Chirac et Sarkozy ; il soutint Fillon pour la primaire de la droite et finit par se rallier à Macron. En 1974, il est photographié avec un tee-shirt blanc « Giscard à la barre. » En 1985, plongé au milieu de ses créanciers, il doit chanter à la fête de L’Humanité, accueilli sur scène par George Marchais qui croyait avoir fait là une bonne prise, il explique aux journalistes: « Je ne vois pas pourquoi je ne chanterais pas dans une fête d’un Parti communiste. » En 2012, il estime, après l’élection de François Hollande, qu’il fera « certainement » un « très bon président pour la France ». Il était rapidement devenu l’ami du couple Macron avec lequel il dînait régulièrement. Une seule exception à cette ouverture : Marine Le Pen, y compris post-mortem. La famille du chanteur a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas sa présence lors des obsèques à la Madeleine.

(Source Bulletin d’André Noël)

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