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Entraide et Tradition

L’histoire pour « les nuls » du combat de la messe (1)

publié dans nouvelles de chrétienté le 1 août 2018


Montfort Juillet

 

2018

 Comme chaque été, depuis mainteant plusieurs années, j’ai participé au Congrès Montfort qui s’ést tenu fin juillet à Sao Paulo au Brésil. Ce groupe Montfort est une réunion de familles catholiques qui se réunissent pour s’entraider dans la foi catholique.  Il me fait penser un peu à la Cité Catholique de Jean Ousset. M Zucci en est actuellement le responsable dynamique et compétent. Il m’a demandé de donner, cette année, deux conférences sur le « combat de la messe ». j’en publie les textes sur mon site ITEM essentiellement pour la nouvelle génération. Elle n’a pas connu ce dur combat. Si elle a la joie de participer à cette messe dite de saint Pie V, elle le doit à la résistence des anciens.

Je ne connais pas le portugais, mais je suis traduit en alternance par les séminaristes de l’Institut du Bon Pasteur(IBP), nombreux en cet Etat brésilien.

 

Première Conférence

 

 

M Zucci, dans sa lettre d’invitation à votre congrès,  m’a demandé de faire deux conférences sur la messe. Je m’en suis réjouis et l’en ai remercié. Il me précisa même les sujets à aborder :

Dans la première conférence, vous pourriez aborder, me dit-il,  «  la bataille de la Messe ». C’est un sujet qui me passionne. C’est le sujet d’un de mes livres.

Nous partirons de la Constitution apostolique Missale romanum » du 3 avril 1969 publiant le « Novus Ordo Missae » et le document appelé : Institutio generalis Missale Romanum », texte  doctrinal expliquant le rituel de la  Nouvelle Messe.

Nous laisserons de côté la messe célébrée par le pape Paul VI lui-même, dans une paroisse populaire de Rome, à Oggnissanti », le 7 mars 1965, messe célébrée pour la première fois  « face au peuple », « en italien », «  distribuant la communion debout », la table de communion ayant été supprimée. Il lançait ainsi la réforme liturgique et donnait une  interprétation « personnelle » de la Constitution Sacro Sanctum Concilium ».  En cette messe, ce jour,  un vrai scandale eut lieu

Oui ! C’est là qu’eut lieu la première manifestation d’opposition à la réforme liturgique. Elle fut reçue par le Pape en pleine face. Paul VI écartant les mains disait: Il Signore sia con voi. Au milieu de la foule, retentit la voix grave et puissante de Tito Casini, un romancier très connu en Italie Et cum spiritu tuo. Troubles dans l’assistance, dont une partie se mit à suivre cet “animateur” bénévole inséré dans la foule. La manifestation se poursuivit ainsi durant toute la messe : In alto i nostri cuori, disait le Pape,  Habemus ad Dominumtonnait Casini. On était en Italie, et il s’agissait du Pape ! Comme un mémorial de l’événement constitué par cette « messe de Paul VI », un livre de Tito Casini deviendra le premier manifeste de résistance, jusqu’à la parution, deux ans plus tard, du Bref examen critique du Nouvel Ordo Missae, signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci, et présenté au Pape le 21 octobre 1969. Le livre de Casini, parut à Florence en 1967, s’intitulait : La tunica stracciataallusion à la Tunique sans couture du Christ, livre que Les Nouvelles Editions latines publièrent en France un an plus tard, avec une préface du cardinal Bacci : La tunique déchirée.

Nous n’insisterons pas sur cet évènement, ni non plus sur la messe normative célébrée par  Mgr Bunigni, Nous ne dirons rien de la réaction de Mgr Lefebvre, du cardinal Slipi qui quitta la chapelle Sistine

Nous commencerons notre récit à la publication de la  « Nouvelle Messe de Paul VI, le 3 avril 1969. Nous parlerons des réactions qu’elle a suscitée dans le monde ecclésiastique, de la lettre du Cardinal Ottaviani au Souverain Pontife, de la réaction de Mgr Lefebvre, de son document du 21 Novembre 1974 et du conflit qui s’en est suivi. Nous parlerons de l’attitude du pape Paul VI, de son discours au Consistoire de 1976, de la lettre quattuor abhinc annos de 1984 du pape Jean-Paul II, de la réunion des 9 cardinaux de 1986, à la demande de Jean-Paul II, des Sacres de 1988, des réactions romaines et de l’excommunication de Mgr Lefebvre.

Pour étonnant que cela soit, je pense que c’est essentiellement à partir des sacres de 1988, et de l’excommunication de Mgr Lefebvre que le Magistère réagit dans le bon sens , en matière liturgique, Nous analyserons les réactions du cardinal Ratzinger, du cardinal Stickler…Nous parlerons  de la réunion à Rome des communautés ecclesia Dei, en 1998, du discours du cardinal Ratzinger. Nous parlerons de la « législation du Cardinal Medina : « le cardinal dit le droit ?

Tous ces évènements nous amènerons insensiblement  au Motu Proprio de Benoît XVI Summorum pontificum, et à son décret d’application de 2011. Ce qui nous conduira à considérer les perspectives d’avenir suite à la publication de ce  Motu Proprio « Summorum Pontificum ». Ce sera alors l’objet de notre seconde conférence que j’ai intitulé : Vers la victoire.  

Nous parlerons, à la demande même de M Zucchi  de « la situation actuelle de la Messe et des perspectives d’avenir ». Ce qui nous obligera de parler de la création de l’Administration apostolique saint Jean Marie Vianney, en 2001-2002. Suivra ensuite l’analyse du Motu Proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI du 7 juillet 2007. Tout cela  nous permettra en effet de considérer l’avenir et de voir le « positif » mais aussi l’opposition qui demeure dans la hiérarchie catholique en ce domaine pourtant crucial pour l’Eglise. – La crise de l’Eglise ne se terminera qu’avec le triomphe définitif de la Messe tridentine et l’abolition ou la réforme de la Nouvelle Messe. Mais est-ce seulement possible de réformer cette messe. M l’abbé Dulac en doutait, ainsi que Mgr Gamber… – C’était, nous le rappellerons une des demandes de la lettre du  cardinal Ottaviani au Pape Paul VI– .

« Perspectives d’avenir »… ce sera l’objet de notre deuxième partie.
Nous conclurons avec la création de l’IBP : Rome lui donnant le droit à l’exclusivité du rite romain de saint Pie V.

Vous le voyez, nous avons du pain sur la planche, de la farine à moudre…Ne perdons pas de temps. Allons moudre notre farine…

 

 

Ière Conférence : la bataille de la messe

 

3 avril 1969

« La bataille de la messe » commence effectivement le 3 avril 1969, avec la publication de la constitution apostolique Missale romanum signée par le pape Paul VI, le 3 avril 1969. Cette Constitution publie deux documents, l’un qui s’appelle « Institutio generalis missale Romanum » qui est un document doctrinal expliquant la réforme liturgique et l’autre, le rite proprement dit du Novus Ordo Missae.  Cette Constitution rend « obligatoire », à partir du 30 novembre 1969, du moins dans ses traductions officielles en langue vernaculaire, l’usage du nouveau rite, dit de Paul VI. Dans la pensée des « réformateurs », sinon dans le texte officiel de la Constitution, la messe « ancienne » a vécu…

Ce furent immédiatement les disputes. En effet cette réforme liturgique, en raison principalement de la définition qui y était donnée de la messe, pose immédiatement, à beaucoup, de vrais problèmes de conscience.

L’article 7 de l’Institutio Generalis

L’article 7 de l’Institutio Generalis, qui est, comme je viens de vous le dire, un texte de présentation et d’explication doctrinale de la réforme liturgique, affirme en effet que :

« La Cène du Seigneur, appelée aussi la messe, est la sainte assemblée ou le rassemblement du peuple de Dieu qui se réunit sous la présidence du prêtre afin de célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi à ce rassemblement local de l’Eglise s’applique éminemment la promesse du Christ : là, où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, là je suis au milieu d’eux ».

Il s’agit bien d’une définition énonçant ce qu’est la messe, en son essence : la Messe « est » ici, une assemblée, là,  une présidence, plus loin, un mémorial. Cette définition est celle que professent les protestants sur la Cène ou l’Assemblée eucharistique. Ce n’est plus l’expression de la foi catholique. La messe est le Sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ, le sacrifice du Calvaire, sacrifice propitiatoire offert sur nos Autels par mode sacramentel, par Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, Souverain Prêtre, utilisant les mains des prêtres, sacerdoce ministériel, le prêtre agissant « in persona Christi », les fidèles s’unissant à cette offrande sublime, pour l’honneur et la gloire de Dieu et la rémission des péchés.

Cet article 7 est un vrai drame.

L’inquiétude est grande et immédiate

Des critiques de la Constitution Missale Romanum, de ses textes : l’Institutio Generalis Misale romanum, ainsi que du Novus Ordo Missae lui-même sont entreprises et publiées immédiatement. Elles sont synthétisés dans un fameux document appelé Bref examen Critique qui fut présenté, le 21 Octobre 1969 par le Cardinal Ottaviaani au Souverain Pontife Paul VI accompagné d’une lettre personnelle signée de deux cardinaux, les  cardinaux Ottaviani et Bacci. Le cardinal Ottaviani, pro-préfet du Saint-Office et Bacci, préfet de la Congrégation du Clergé. Là, ils affirment :

« Le Novus Ordo Missae s’éloigne d’une manière impressionnante dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXII session du Concile de Trente, lequel en fixant définitivement les « canons » du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait atteindre à l’intégrité du Mystère ».

C’est pourquoi ils supplient instamment le saint Père, au nom du peuple fidèle, de bien vouloir « abroger » la nouvelle loi, et « de ne pas vouloir que soit enlevée, à la catholicité, la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond missel romain de Saint Pie V…si profondément vénéré et aimé du monde catholique tout entier ».

L’article 7 de l’Institutio  Generalis fut, de fait, immédiatement modifié… Mais comme le fit remarquer, en France, le professeur Louis Salleron, le rite nouveau, dit de Paul VI, tout inspiré de la première rédaction de l’article 7, ne connut aucune modification. C’est cet article 7, première formule, qui reste toujours au cœur de la réforme liturgique…Un vrai drame !

Une résistance s’annonce ! Nullement fondée sur un « attachement sentimental » au rite passé, comme le dira plus tard le pape Paul VI, mais bien sur des raisons doctrinales graves.

La réaction de Mgr de Catro Mayer, évêque de Campos au Brésil.

« Notre résistance a pour motif la doctrine, la foi catholique » affirme Mgr de Castro Mayer, dès 1969. Le 12 septembre 1969, déjà, le premier de tous, il écrit au Souverain Pontife son désir de garder l’ancienne messe. Il lui en donne les raisons : « Le Novus Ordo Missae non seulement n’inspire pas la ferveur, mais encore exténue la foi dans les vérités centrales de la vie catholique, telle la présence réelle de Jésus dans le Très Saint Sacrement, la réalité du sacrifice propitiatoire, le sacerdoce hiérarchique »

Je ne vois rien ici de « sentimental », mais bien l’exposé de raisons théologiques. Elles seront reprises et développées de part et d’autre de l’Atlantique, sur l’Ancien et le Nouveau Continent

Cette résistance, ce non possumus -, « ce refus des dociles » à la foi, comme l’écrira un jour, l’abbé Dulac, est aussi celle de Mgr Lefebvre.

Mgr Lefebvre, fondateur de la Fraternité Sacerdotale saint Pie X

Le 2 juin 1971, au séminaire d’Ecône, il s’exprime devant le corps professoral et les séminaristes et dit sa résolution de garder la « messe de toujours ». Il affirme : « La conception de cette réforme, la manière dont elle a été publiée, avec des éditions successives indûment modifiées, la façon dont elle a été rendue obligatoire, parfois tyranniquement comme ce fut le cas pour l’Italie, la modification de la définition de la messe de l’article 7 sans aucune conséquence pour le Rite lui-même, sont autant de faits sans précédent dans la Tradition de l’Eglise Romaine agissant toujours « cum consilio et sapientia »…Tous ces faits nous permettent de mettre en doute la validité de cette législation et, ainsi, de nous conformer au Canon 23 : « Dans le doute on n’admet pas la révocation d’une loi mais la loi récente doit être ramenée à la précédente et on doit, autant que faire ce peut, les concilier. Ce qui demeure un devoir et un droit absolu, c’est la sauvegarde de la foi. Et la sainte Messe en est l’expression la plus vivante et la source divine, d’où son importance primordiale ».

Je ne vois, là aussi, rien de sentimental.

C’est que la foi est en cause. Le dogme catholique. Non que la réforme liturgique nie à proprement parler tel ou tel dogme, mais elle va les exprimer d’une manière équivoque. La perspective œcuménique, qui fut l’un des grands principes de l’aggionamento conciliaire oblige.

Il rappellera alors   les principes immuables de la foi catholique sur ce qui constituent essentiellement notre Messe » :
– « A la Messe, on offre, disait-il, à Dieu un vrai et authentique sacrifice : In missa offertur Deo verum et proprium Sacrificium ». C’est une proposition de foi divine, catholique, définie. Il parlait ce jour-là, le 2 juin 1971, avec une réelle autorité, une force qui me frappa…Je fus un de ses auditeurs

– « Pour tout sacrifice est requis un Prêtre, une Victime, une Action sacerdotale par laquelle la Victime est offerte. A la messe, comme à la Croix c’est la même Victime, c’est le même prêtre principal. C’est donc le même acte, c’est le même sacrifice. Seul le mode change. Ici, il est sacramentel ; là il fut sanglant. Et la Victime ou l’hostie, c’est NSJC présent réellement, substantiellement sous les espèces du pain et du vin. Cette présence réelle  ne peut être expliquée que par « transsubstantiation », i.e. par la conversion de la  substance du pain au Corps du Christ, et du vin en son Sang.

Voilà des vérités certaines, divines, catholiques, définies.
Trois réalités sont donc essentielles, résumait-il, à la réalité du sacrifice de la Messe :

-le Prêtre, les prêtres et seulement eux sont les ministres ayant le caractère sacerdotal

-la Présence réelle et substantielle de la Victime qui est le Christ, présent par Transsubstantiation.

l’Actions sacerdotale de l’oblation sacrificielle qui se réalise essentiellement dans la Consécration, dans la double consécration du pain et du vin.

Ce sont les idées qu’exprimait Mgr Castro Mayer

« Or on doit malheureusement affirmer, expliquait-il, que toute la Réforme liturgique, directement ou indirectement, porte atteinte à ces trois vérités essentielles à la foi catholique ».

Le jugement du cardinal Fernando Antonelli

Il est bon ici de se souvenir du témoignage du cardinal fernando Antonelli. Il fut membre du Consilium qui exista jusqu’à la publication du Novus Ordo Missae. Il fut présidé par le cardinal Lercaro, son secrétaire fut Mgr Bugnini

Comme membre de ce Consilium, le cardinal nota au jour le jour, ses impressions. Le Père Nicolas Gampietro, capucin, a réuni dans un livre tous ses écrits.
Son jugement est terrible.
Le 28 juillet 1968, il notait : « ce dont souffre le plus vivement tout le Consilium, c’est le manque de théologiens. On dirait qu’ils ont été exclus. Et c’est là un aspect dangereux (….) Ce qui est triste pourtant (…) c’est une donnée de fond, une attitude mentale, une position préétablie, à savoir que beaucoup de ceux  qui ont influé la réforme (…) et d’autres, n’ont aucun amour, aucune vénération pour ce qui a été transmis. Ils n’ont au départ, aucune estime pour tout ce qui existe actuellement. Un esprit négatif, injuste et nuisible. Hélas, le Pape Paul VI lui-même, est un peu de ce côté. Ils ont peut-être les meilleures intentions mais avec cet esprit, ils sont poussés à démolir plus qu’à restaurer ».
Déjà le 20 juin 1964, il écrivait: « Il y a un esprit de critique et d’intolérance à l’égard du Saint-Siège qui ne peut conduire à de bons résultats ». Quel témoignage !

Il dira de cette réforme  qu’elle est une « étude rationnelle de la liturgie et aucun souci de la vraie piété. Je crains qu’un jour, on ne doive dire de toute cette réforme ce qui a été dit de la réforme des hymnes au temps d’Urbain VIII : acceptit latinitas recessit pietas ; et ici accepit liturgia rececit devotio. J’aimerais me tromper ».

On comprend alors son jugement sur Mgr Bugnini :

« A propos du Père Bugnini, j’aurais beaucoup à dire sur cet homme. Je dois ajouter qu’il a toujours été soutenu par Paul VI. Je ne voudrais pas me tromper mais la lacune la plus notable chez le Père Bunigni c’est le manque de formation et de sensibilité théologiques. Manque et lacune grave parce que dans la liturgie, chaque mot chaque geste traduisent une idée théologique. J’ai l’impression qu’on a fait beaucoup de concession en matière de sacrements surtout à l’esprit protestant »

A cette lumière on comprend la justesse de la conclusion du Bref Examen critique : « Il est évident que le Nouvel Ordo Missae renonce en fait à être l’expression de la doctrine que le Concile de Trente a définie comme étant de foi divine catholique. Et cependant la conscience catholique demeure à jamais liée à cette doctrine. Il en résulte que la promulgation du Nouvel Ordo Missae met chaque catholique dans la tragique nécessité de choisir ».

« Nécessité de choisir »…Ce fut le cas.

« Car il est dans le trésor de la révélation, disait Dom Guéranger, des points essentiels, dont tout chrétien, par le fait même de son titre de chrétien, a la connaissance nécessaire et la garde obligé…Les vrais fidèles sont les hommes qui puisent dans leur baptême ( en période d’hérésie) l’inspiration d’une ligne de conduite ; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la soumission aux pouvoirs établis, attendent, pour courir à l’ennemi ou s’opposer à ses entreprises, un programme qui n’est pas nécessaire et qu’on ne doit point leur donner » (Cité dans « La messe catholique » ed Clovis p 240)

Je ne peux que vous encourager à lire et relire le Bref examen Critique. Vous y trouverez les raisons de votre résistance.

Malgré ces raisons graves, exposées dans le Bref Examen Critique sur la Nouvelle Messe, malgré la lettre du Cardinal Ottaviani et du Cardinal Bacci…la réforme liturgique de la messe est imposée, appliquée urbi et orbi avec une énergie implacable. Pour la France, ce fut en novembre 1969. « Par son ordonnance du 12 novembre, l’épiscopat français instituait qu’à partir du Ier janvier 1970, la seule messe licite serait celle du rite nouveau en français ».

Mais la doctrine est la doctrine.

Elle trouva, grâce à Dieu, des défenseurs zélés. L’histoire gardera les noms ; entre autres, du Père Calmel O.P., de M l’abbé Dulac, de Dom Guillou OSB, du Père Guérard des Lauriers O.P., de M l’abbé Coache, du Père Barbara, du Père André…du Père Berto, de l’abbé de Nantes, les plus connus, sans, bien sûr, oublier les deux évêques « héroïques », Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer. Nous sommes leurs héritiers. Du côté des laïcs, il faut nommer Jean Madiran, les Charlier, Luce Quenette, Louis saleron….et la foule des Associations Saint Pie V » ou Saint Pie X » qui, sur le terrain s’organisaient pour garder ce trésor de l’Eglise, son joyau : la messe tridentine.

La déclaration du Père Calmel, dans Itinéraires, fit sensation : « Je m’en tiens à la messe traditionnelle, celle qui fut codifiée mais non fabriquée par Saint Pie V, au XVI siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l’Ordo Missae » de Paul VI…C’est le droit de tout prêtre de refuser de porter le masque de cette révolution liturgique. Et j’estime de mon devoir de prêtre de refuser de célébrer la messe dans un rite équivoque….Ce rite favorise la confusion entre la messe catholique et la Cène protestante… »

La résistance en Europe

En Europe, la « lutte » tourne vite autour de Mgr Lefebvre. Pourquoi ? Parce qu’il crée, au même moment, la même année, son séminaire à Fribourg puis à Ecône et sa Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (Ier novembre 1970). Il se donne pour but de former des prêtres pour la célébration de la messe de « toujours », comme il aimait à le dire. Il nous formait en ce sens.

Là, se trouve l’obstacle, le vrai, à la réforme liturgique. Il faut sans retard l’éliminer. Le conflit éclate très vite. Le séminaire d’Ecône est déclaré « séminaire sauvage ». C’est Mgr Etchegaray, alors archevêque de Marseille, qui le déclare. Il donne le ton. Une inimitié existait déjà depuis longtemps entre Mgr Lefebvre et la majorité de l’épiscopat français. On peut la faire remontait à 1956, alors qu’il venait au secours de jean Ousset qui craignait que son œuvre, la Cité Catholique soit condamné par l’épiscopat. Pour sa défense, il préfaçait son livre majeur, Pour qu’Il règne retardant d’autant sa « mise en garde ». L’épiscopat ne le lui pardonnera pas ! Ni non plus son attitude au Concile du Vatican II, toujours en opposition avec l’épiscopat, président du Coetus Internationalsis Patrum.

C’est ainsi qu’à la demande de l’Eglise de France, Rome décide une visite canonique

Elle a lieu en novembre 1974. La deuxième semaine de novembre. Mgr Onclin, Mgr Deschamps, légats pontificaux, réalisent cette visite. En quelques jours, ils questionnent le corps professoral, conversent avec quelque séminaristes, n’assistent pas à la messe de communauté, enfin s’entretiennent avec Mgr Lefebvre. Avec lui, ils expriment des propos théologiques qui scandalisent le prélat, sur le sacerdoce, sur le célibat, sur le Mystère de la Résurrection, sur la Vierge Marie. Eux, légats du Pape ! Mgr Lefebvre est comme tout ému. Et c’est dans ces sentiments qu’il écrit sa fameuse « Déclaration du 21 novembre1974 »

Là, il dit son opposition à toutes les réformes conciliaires, la réforme liturgique en particulier, toutes inspirées d’esprit protestant, d’esprit moderniste. Mgr Lefebvre ne changera jamais cette déclaration, malgré toutes les pressions et elles furent nombreuses et pressentes : « Nous adhérons de tout notre cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maitresse de sagesse et de vérité…Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Romme de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le Concile Vatican II et après le Concile dans toutes les réformes qui en sont issues… La seule attitude de fidélité à l’Eglise et à la doctrine catholique, pour notre salut, est le refus catholique d’acceptation de la réforme. C’est pourquoi, sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment nous poursuivons notre œuvre de formation sacerdotale sous l’étoile du magistère de toujours, persuadé que nous ne pouvons rendre un service plus grand à la Sainte Eglise catholique, au Souverain Pontife et aux générations futures ».

Convoqué à Romme devant un vrai tribunal (Les cardinaux Taberra, Wright, Garonne) il doit s’en expliquer. Il est traité de « fou »…pas moins. Il ne bronche pas. Il contrattaque même.

S’en est trop ! Il faut sa disparition. La chose sera menée rondement. Tout sera accompli le 6 mai 1975. Le séminaire d’Ecône est déclaré fermé, la FSSPX supprimé par décision d’une commission cardinalice qui agit par mandat exprès de Paul VI. « C’est avec l’entière approbation de sa Sainteté que nous vous faisons part des décisions suivantes :

-Une lettre sera envoyée à Mgr Mamie, l’évêque de Fribourg,  lui reconnaissant le droit de retirer l’approbation donnée par son prédécesseur à la Fraternité et à ses statuts. C’est chose faite par lettre de son Eminence le Cardinal Tabera, Préfet de la Sainte Congrégation pour les religieux ;

-une fois supprimée la FSSPX n’ayant plus d’appui juridique, ses fondations et notamment le séminaire d’Ecône perdent du même coup le droit à l’existence.

-Il est évident qu’ « aucun appui ne pourra être donné à Mgr Lefebvre tant que les idées contenues dans le manifeste du 21 novembre 1974 resteront la loi de son action. »

Contre cette décision, Mgr Lefebvre dépose, le 21 mai 1975, un recours dans les mains du cardinal Staffa, préfet de la Signature Apostolique. En vain. Le cardinal Villot, alors Secrétaire d’Etat, intervient personnellement pour faire retirer le recours.

Interdiction des ordinations de 1976

Cela ne suffisait pas. Il fallait interdire les ordinations qui, seules, permettaient de « pérenniser » la messe dite de saint Pie V.
Le cardinal Villot écrit aux conférences épiscopales – l’œuvre avait déjà une dimension internationale – afin de les inviter « à ne pas accorder d’incardination dans leur diocèse aux prêtres qui déclareraient s’engager au service de la Fraternité ». Mgr Lefebvre ne recevant plus de « démissoriales », ne pouvant plus incardiner lui-même dans la FSSPX qui n’existait plus, devait cesser toute ordination. Elles devaient pourtant avoir lieu à Ecône, le 29 juin 1976. Les ordinants étaient cette année particulièrement nombreux…

Les pressions alors se multiplient. On parle de sanctions canoniques en cas d’ordinations par le prélat. C’est Mgr Baggio qui reçoit l ‘ordre de l’en prévenir. C’est une « prémonition ». On le supplie de se soumettre, d’accepter les décisions prises en son encontre et de manifester sa docilité au Concile et à ses réformes.

Intervention de Mgr Bennelli, substitut de la Secrétairerie d’Etat.

Mgr Bennelli, le 21 avril 1976 le lui notifie par lettre clairement : il doit se soumettre, accepter le Concile et la messe nouvelle et la faire adopter dans toutes les maisons qui dépendent de lui.

(« Vous vous souvenez certainement, en effet, de la démarche, comme la plus propre pour parvenir à cet heureux résultat. Après avoir réfléchi seul ; devant Dieu vous écrivez au Saint Père pour lui dire votre acceptation du Concile de Vatican II et de tous ses documents, affirmer votre plein attachement à la personne de sa sainteté Paul VI et à la totalité de son enseignement, en vous engageant, comme preuve concrète de votre soumission au successeur de Pierre, à adopter et à faire adopter dans les maisons qui dépendent de vous, le missel qu’il a lui-même promulgué en vertu de sa suprême autorité apostolique »)

L’acceptation du missel nouveau est l’ordre conciliaire, la volonté du Pape. C’est clair.  

Le Consistoire du 24 mai 1976

Le Pape lui-même entre en lice, lors du Consistoire du 24 mai 1976.  Une partie notable de son allocution aux cardinaux est consacrée à Mg Lefebvre et à « l’affaire ». Il lui demande publiquement, solennellement, soumission, obéissance à la réforme liturgique « qui engage le Concile », qui engage surtout « l’autorité pontificale elle-même ». « C’est au nom de la Tradition que nous demandons à tous nos fils, à toutes les communautés catholiques de célébrer dans la dignité et la ferveur la liturgie rénovée ». Paul VI invoque, là, pour la première fois, explicitement, contre la messe traditionnelle », « l’obéissance » à son autorité suprême. La nouvelle messe est obligatoire. La messe traditionnelle, elle, interdite. Voilà un engagement formel et clair du Saint Père, lui-même en faveur de la nouvelle messe. Elle seule doit être célébrée. Elle seule est la loi. La loi nouvelle est en faveur exclusive de la nouvelle messe.

(« C’est donc avec une profonde amertume, mais aussi avec une paternelle espérance que nous nous adressons une fois de plus à ce confrère (Mgr Lefebvre), à ses collaborateurs et à ceux qui se sont laissés entrainer par eux…Nous comprenons leur attachement sentimental à des formes de culte et de discipline auxquelles ils étaient habitués, qui pendant longtemps ont été pour eux un soutien spirituel et dans lesquelles ils avaient trouvé une nourriture spirituelle. Mais nous avons le ferme espoir qu’ils sauront réfléchir avec sérénité sans parti pris, et qu’ils voudront admettre qu’ils peuvent trouver aujourd’hui le soutien et la nourriture auxquels ils aspirent dans les formes renouvelées que le Concile Vatican II et nous-même avons décrétées comme nécessaires pour le bien de l’Eglise, pour son progrès dans le monde contemporain, pour son unité ».)

Le Vatican,-  le pape, son entourage -, veut l’instauration dans l’Eglise de la nouvelle Messe, celle de Paul VI, à l’exclusion de toute autre. Le Pape le dit clairement. Rome rejette de son sein la « coutume immémoriale » qu’est la messe de saint Pie V. Elle n’en veut plus. Elle n’est plus agréée. La Rome moderniste s’élève contre l’être historique de la Rome éternelle

Chose étonnante. Chose stupéfiante. Sans doute. Mais c’est ainsi et encore une fois, c’est dit clairement. Les formes canoniques n’ont peut-être pas été respectées. C’est la thèse brillante d’un abbé Dulac. Peu importe. Les « intentions pontificales » ne peuvent pas être exprimées d’une manière plus claire. La messe traditionnelle a vécu. Elle n’est plus…Et cela, déjà,  depuis le 7 mars 1965 et la fameuse messe du Pape célébrée à Omnissanctti, à Rome.

Intervention ultime du Rd Père Dhanis

Pour le bien faire comprendre à Mgr Lefebvre, on lui envoie même, in extremis, à quelques jours des ordinations, alors que les ordinants sont en retraite à Flavigny, un émissaire particulier, le RP Dhanis, Recteur magnifique de la Grégorienne, à Rome, pour qu’il veuille bien, enfin, concélébrer avec lui dans le nouveau rite…montrant ainsi ses bonnes et nouvelles  dispositions . Dans ces conditions, alors, tout serait aplani entre Rome et la FSSPX

Mais Mgr Lefebvre avait déjà dit sa messe.

Le 29 juin 1976, les ordinations sacerdotales eurent lieu, comme de coutume devant une grande foule.
C’est dire la force de notre évêque.

Dans son homélie, une homélie pathétique, Mgr Lefebvre fait allusion à ces différentes pressions et expose, lui aussi, clairement le problème en question : la messe.

L’homélie du prélat : le 29 juin 1976.

Il conclut son homélie en disant : « Ainsi donc, il est clair, il est net que c’est sur le problème de la messe que se joue tout le drame entre Écône et Rome. »

 « Regagner du terrain », même minime, sur la messe, c’est nécessairement ébranler l’œuvre conciliaire. Il ne faut jamais perdre cela de vue… aujourd’hui, plus que jamais.

La suspense « a divinis »

Les ordinations ont lieu. Treize « nouveaux » prêtres sont donnés à l’Église. Le Vatican sanctionne Mgr Lefebvre. Il sera déclaré « suspens a divinis ». Notification lui en est faite, le 22 juillet 1976.

Mais, puisque, en cette affaire d’« aggiornamento conciliaire », la doctrine catholique est en jeu, notre prélat reste ferme. Il précisera, dans un communiqué de presse, sa position suite à la sanction canonique qui le touche :

« Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un différend entre Mgr Lefebvre et le Pape Paul VI. Il s’agit, par contre, de l’incompatibilité radicale entre l’Église catholique et l’Église conciliaire, la messe de Paul VI représentant le symbole et le programme de l’Église conciliaire. » (décembre 1976)

Et Monseigneur ne nous donnera jamais d’autre ordre que de rester fidèles à la « messe de toujours ». Ce fut, en quelque sorte, son testament déclaré oralement lors de la cérémonie organisée, à la Porte de Versailles, à Paris en 1978, à l’occasion de son jubilé sacerdotal.

La lettre du 17 juillet 1976

Mgr Lefebvre écrit sa résolution au Souverain Pontife, dans une lettre fameuse du 17 juillet 1976 : redonnez-nous la messe en lui rendant toute sa valeur dogmatique. Ce faisant vous restaurerez le sacerdoce catholique…et le Règne social de NSJC

« Très Saint Père,

Daignez manifester votre volonté de voir s’étendre le Règne de Notre Seigneur Jésus-Christ en ce monde, en rendant à la liturgie toute sa valeur dogmatique et son expression hiérarchique selon le rite latin romain consacré par tant de siècles d’usage…, 

Jean Madiran, de son côté, lançait en 1972 un appel identique au Souverain Pontife. Il faut noter la date : » Très Saint Père rendez-nous l’Ecriture, le catéchisme et la Messe… »

Car « rien n’est plus nécessaire, nous disait Mgr Lefebvre, à la survie de l’Église catholique que le saint Sacrifice de la Messe ; la mettre dans l’ombre équivaut à ébranler les fondements de l’Église. Toute la vie chrétienne, religieuse, sacerdotale est fondée sur la croix, sur le saint sacrifice de la croix renouvelé sur l’autel ». (La « Messe de Luther », dans La raison de notre combat : la Messe Catholique. p. 187)

Il y avait, en ce temps, une belle amitié entre le clergé et le laïcat fidèle, amitié qu’il faut toujours chercher à maintenir.

La lettre Quattuor abhinc annos

Alors le « combat » catholique s’organise. Les messes de Saint Pie V sont dites, se multiplient. Des communautés se créent, rayonnent. Les familles s’organisent. Les écoles se fondent. Le catéchisme est enseigné. La doctrine se diffuse.

La messe de Lille, célébrée par Mgr Lefebvre, tout nouvellement « suspens », fin juillet 1976, a un grand retentissement national et même international. La « Tradition » se fait ainsi mieux connaître.

Mgr Lefebvre multiplie, en France, à l’étranger, les conférences, les manifestations liturgiques. Il explique les raisons de son refus de la nouvelle liturgie, de la liberté religieuse, de l’œcuménisme, de la collégialité. Des livres sont publiés. La revue Itinéraires, sous la direction de Jean Madiran, avec ses nombreux collaborateurs tant clercs que laïcs, éclaire la situation. Nouvelles de chrétienté, tout en suivant l’actualité religieuse, apporte les commentaires liturgiques savants d’un moine bénédictin, jadis, de l’abbaye de la Source, à Paris : Dom Guillou.

La Tradition catholique vit, s’active toujours davantage. L’époque est enthousiasmante. Tout le monde met du cœur à l’ouvrage.

Pour sauver la messe, que de sacrifices sont acceptés !

L’inquiétude de Rome

L’autorité romaine s’inquiète. Elle prend acte de toutes ces actions.

Et en 1980, elle lance une enquête auprès des « évêques de l’Église universelle » pour connaître avec précision « l’étendue de la résistance à l’instauration de rite nouveau ».

En évitant systématiquement d’interroger les personnalités et les groupes bien connus qui militent publiquement pour le maintien du rite traditionnel, les évêques répondent à l’administration vaticane qu’ils ne rencontrent ni ne connaissent de problèmes. Les paisibles fidèles et les dirigeants circonspects de Una Voce France sont eux-mêmes éconduits. Ils le racontent dans leurs bulletins. L’histoire garde leur témoignage.

Toutefois, on ne peut cacher éternellement la vérité. L’occupation de Saint Nicolas du Chardonnet par M. l’abbé Coache, aidé par Mgr Ducaud-Bourget, le Père Serralda… est dans la mémoire de tous. Même à l’étranger, on parle de cette église. Elle est comme un « phare », une « lumière », dira Mgr Lefebvre.

La lettre de l’indult du 3 octobre 1984

Aussi, de guerre lasse, le 3 octobre 1984, dans une lettre intitulée Quattuor abhinc annos, en raison des premiers mots de cette « lettre circulaire », la Congrégation pour le culte divin accorde finalement un « indult » en faveur de la « messe traditionnelle ».

Son analyse

C’est un premier recul, une première hésitation des autorités ecclésiastiques, une première « variation ». Voilà quinze ans, déjà, que le combat dure…

Dans cette lettre, il est dit :

« Le Souverain Pontife [c’était Jean-Paul II] lui-même désireux d’aller au-devant de ces groupes [de résistance], concède aux évêques diocésains la faculté d’user d’un indult par lequel les prêtres et les fidèles qui seront indiqués explicitement dans une démarche à adresser à leurs évêques pourront célébrer la messe en utilisant le missel romain selon l’édition typique de 1962. »

Cet indult est capital.

Il faut le garder en mémoire et ne jamais oublier qu’il sera, pendant longtemps, trop longtemps, jusqu’en 2001– et sera-t-il même un jour totalement effacé de la tête de certains ? – au cœur et de la pratique de l’Église, disons de sa stratégie avec les « groupes » désirant garder l’usage de la « messe traditionnelle », et de sa législation concernant son octroi. Ce ne sera jamais qu’une concession.

Quoi qu’il en soit, il est le résultat de la résistance catholique. Il fallut batailler pour en bénéficier. C’est une loi. Une loi de vie.

Rome « concède » l’usage de la messe traditionnelle. C’est le premier retour de la messe de Saint Pie V dans l’Église. La messe traditionnelle n’est plus tout à fait interdite, il y a un progrès, ou plutôt un léger moindre mal. Comme l’écrit, immédiatement, Jean Madiran, dans Itinéraires de décembre 1984 (n° 288) : « On avait voulu la supprimer, on y avait échoué ».

Toutefois, s’il y a progrès, léger moindre mal, la situation n’est nullement satisfaisante. Car cette messe demeure dans l’Église « une messe suspecte, soumise à autorisation préalable » (Itinéraires, déc. 1984, n° 288). Ce qui est un scandale énorme et insensé… La messe dite de Saint Pie V est tout de même une « coutume immémoriale » dans l’Église. Comment peut-elle être l’objet de conditions préalables ? C’est un irrespect profond à l’être historique de l’Église.

Les conditions d’obtention de l’indult

En effet, des conditions strictes sont exigées pour son octroi et doivent être respectées et par l’évêque qui concède l’indult et par les fidèles qui en font la demande.

Ces célébrations ne pourront jamais se dérouler dans les églises paroissiales, sauf cas extraordinaires, mais toujours dans des églises ou oratoires nommément désignés par l’évêque. Il ne doit pas y avoir de mélange des rites et des textes de l’un à l’autre missel. C’est normal.

Mais surtout, et c’est la condition majeure, il faut qu’il soit bien établi et sans ambiguïté et même publiquement (« sine ambiguitate etiam publice ») que le prêtre et les fidèles qui en font la demande n’ont aucun lien, aucun rapport, aucune connivence, « nullam partem », avec ceux qui « doutent » de la messe de Paul VI, très exactement avec ceux qui « mettent en doute la légitimité et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le Pontife romain Paul VI ».

Commentaire de Jean Madiran

Jean Madiran fit de cet indult de succulents commentaires. Il fit remarquer, entre autres, le caractère particulièrement offensant de ce « nullam partem ». Pour un acte que l’on présentait comme une « main tendue », c’était une réussite !

Tout son commentaire fut légèrement ironique : l’expression d’une souffrance ! Il eut un retentissement important auprès des fidèles.

Un recul pratique, nullement doctrinal

Ajoutons que le Vatican concède l’usage de la messe traditionnelle, mais sans reconnaître, pour autant, les « déficiences doctrinales du nouveau rite ». On le présente toujours comme « légitime » et de « recta doctrina ». Ne bénéficieront pas de cet indult ceux qui doutent « de la légitimité et de la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le Pontife romain Paul VI. » C’est-à-dire nous, bien sûr ! Ce qui fait dire à Jean Madiran cette remarque de bon sens : « les seuls admis à demander l’autorisation sont ceux qui n’ont aucun motif de le faire : en tout cas aucun motif religieux. »

Ainsi, recule-t-on sur le plan pratique, nullement sur le plan doctrinal. On « libéralise » la législation, mais on ne « change » pas sur l’aspect doctrinal. Ce n’est toujours pas en raison des « déficiences doctrinales du nouveau rite » que l’on revient à la messe de toujours. C’est la pression des fidèles qui fait modifier la « pratique », nullement les considérations doctrinales. Et encore cherche-t-on à minimiser cette pression puisqu’on présente cette concession « comme signe de la sollicitude du Pape, le Père commun entourant ses fils »… à l’exclusion toutefois, nous l’avons dit, mais il faut le répéter, tant le combat fut rude, et parfois odieux, de ceux qui s’y opposent encore pour des raisons théologiques.

Une stratégie

Il y a dans ce texte, de plus, toute une « stratégie » une « politique », peut-être une « ruse ». Une « ruse » pour diviser : on n’accordera l’indult qu’à ceux qui n’entretiendront pas de rapport avec ceux qui continuent de critiquer la réforme liturgique, donc avec Mgr Lefebvre et toutes les communautés amies.

Ce texte concède d’une certaine manière l’usage de la messe traditionnelle tout en cherchant, peut-être, à diviser le camp de la « Tradition ». Il faut chercher à arracher le plus de monde possible de l’influence de ce prélat, Mgr Lefebvre. Il faut l’isoler. Pour ce faire, une solution est proposée : donner la possibilité de la messe de toujours en restreignant au maximum les conditions d’obtention, à ceux-là seulement qui s’éloigneront de Mgr Lefebvre, qui le quitteront et qui reconnaîtront « la légitimité et la rectitude de la réforme ». Rome donne d’une main pour reprendre de l’autre. La finalité de cette législation n’est ni noble ni belle. Il serait heureux d’oublier ce texte un jour, une bonne fois pour toutes…Cela sera fait avec Benoît XVI dans son MP Summorum Pontificum.

Mais… la messe revenait

Quoi qu’il en soit, Jean Madiran avait raison d’intituler son article dans Itinéraires de décembre 1984 (n° 288) : « La messe a survécu. La messe revient »

L’attitude des évêques : réticence

Il faut ajouter que cet indult ne fut concédé par les évêques aux fidèles le leur demandant qu’avec beaucoup de difficultés, en France principalement. Et c’est ainsi que la remarque de Jean Madiran, dans son commentaire, est de la plus haute importance :

« Ceux qui reçoivent l’autorisation de concéder l’indult sont ceux qui n’ont aucune intention de la donner…. Ils ont, par la parole, par l’exemple, par toutes sortes de mesures et sanctions administratives, montré qu’ils tenaient la messe nouvelle de Bugnini et de Paul VI en beaucoup plus haute estime. Ils n’ont aucune envie de se déjuger et d’autoriser une messe qu’ils déclarent dépassée, désuète, périmée. Obstacle à l’évangélisation et masquant ce qu’ils nomment “l’esprit de l’Évangile”».

Mais la messe revenait… Il fallait s’en réjouir.

Et de fait, c’est le temps où les monastères de Fontgombault, de Randol et d’autres communautés reprennent la messe de Saint Pie V, qu’ils avaient abandonnée par obéissance. Le nombre de célébrations des messes traditionnelles ne cesse de croître.

Et sous ce rapport, « l’indult » était une bonne chose…

C’était le témoignage donné par le Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, M. l’abbé Schmidberger. …

1986 La commission des neuf Cardinaux

La division, peut-être espérée, n’eut pas lieu. Tous les traditionalistes, leurs responsables, restent unis. Nul ne cède au « chantage ». Tous continuent de dire ou d’assister à la messe de « toujours », « refusant » la nouvelle messe pour son aspect « équivoque » et « dangereux pour la foi catholique et sa pureté ». Nul ne succombe à la tentation, à la difficulté présente. La déclaration de Père Calmel est toujours de rigueur : « J’estime de mon devoir de prêtre de refuser de célébrer la messe dans un rite équivoque ».

La résistance « légitime » continue, au contraire, de plus belle.

Rome, de nouveau, ne peut pas ne pas s’en préoccuper. La présence des communautés fidèles à la messe de « toujours » est voyante maintenant dans les diocèses…

Nous sommes en 1986.

Le Pape Jean-Paul II nomme, alors, à cette date, une commission de neuf cardinaux. Il leur pose la question de « l’abrogation » ou non de la Bulle Quo Primum Tempore de Saint Pie V, autrement dit, de la messe traditionnelle. « Cette Bulle a-t-elle été oui ou non abrogée » par la constitution de Paul VI : Missale Romanum ?

Cette question est importante entre toutes !

Huit cardinaux sur neuf répondent : « non » ! La Bulle Quo Primum Tempore n’a pas été abrogée par le Pape Paul VI dans sa Constitution Missale Romanum. Elle est toujours en vigueur. En conséquence, il est toujours licite – ou il devrait l’être – de célébrer la messe publiée par ce document romain de Saint Pie V.

La réponse, on le voit, était d’importance.

Et, de fait, la Bulle Quo Primum tempore est un des aspects importants, sans être le seul, dans cette affaire de la « bataille de la messe ».

La Bulle Quo Primum Tempore

Peu connue des fidèles pendant des siècles – et pour cause : elle n’était guère éditée que dans les missels d’autel en latin – elle devient soudainement très connue, populaire. Elle est sur toutes les bouches des traditionalistes. Sa traduction se trouvait affichée sur les murs des plus humbles chapelles aménagées par les traditionalistes. Tous en connaissent la conclusion :

« En conséquence, qu’il ne soit permis à personne absolument, d’enfreindre (…) le texte présent de Notre permission, statut, ordonnance, commandement, précepte, concession, indult, déclaration, volonté, décret et défense. Si quelqu’un entreprenait un attentat de cette sorte, qu’il sache qu’il encourra l’indignation du Dieu tout puissant et des bienheureux apôtres Pierre et Paul. »

L’étude de ce texte, son analyse juridique, réalisée par l’abbé Dulac, autour des années 1969-1970, est publiée dans les revues de l’époque : Itinéraires, Courrier de Rome. Ce qui en facilite et la connaissance et la diffusion. On se transmet ces études. Mgr Lefebvre demande « qu’elles soient dans les mains de tous les prêtres et séminaristes ».

Oui ! L’abbé Dulac démontrait, à l’époque, avec des arguments particulièrement convaincants que Paul VI n’avait pas abrogé la Bulle Quo Primum Tempore.

Et même qu’il n’avait pas voulu rendre obligatoire son missel d’une obligation vraiment juridique. » (Itinéraires, septembre-octobre 1970, p. 86)

Je vous fais grâce de sa démonstration. Vous pourrez la trouver dans la revue Itinéraire

Et la conclusion tombait, souveraine :

« À nos yeux, il n’y a même pas de doute, Paul VI n’a certainement pas voulu rendre obligatoire son missel d’une obligation vraiment juridique. » (Itinéraires, septembre-octobre 1970, p. 85-86)

À l’évidence, la messe dite de Saint Pie V pouvait encore être dite. Elle n’était, du moins, nullement interdite.

Au-delà de la coutume multiséculaire, non expressément abolie par Paul VI donnant à cette messe tridentine « un droit certain de citoyenneté », la Bulle Quo Primum Tempore donnait également au prêtre catholique un « privilège » d’user de cette messe sans crainte d’encourir la moindre sanction. Et cela « à perpétuité ».

Nul doute que toutes ces études et publications donnaient les arguments pour une réaction courageuse à l’aggiornamento liturgique.

Et de fait, toutes ces études suscitèrent une réaction et donnèrent l’assurance et la légitimité de cette réaction.

Et voilà que seize ans plus tard, une « commission de neuf cardinaux » donnait au Souverain Pontife, même réponse…

Toutefois, à l’époque, malheureusement, malgré le sérieux des études de l’abbé Dulac, vrai canoniste, nul de la hiérarchie n’en tenait compte, n’en voulait tenir compte. Tous se souvenaient de la décision du Pape Paul VI prononcée au Consistoire de mai 1976 en faveur de la messe nouvelle, exclusivement cela leur suffisait qu’il y ait ou non abrogation formelle.

Et même plus : nos évêques appliquaient la lettre Quattuor abhinc annos, avec beaucoup de résistance et donnaient, somme toute, peu de permissions pour la messe ancienne. Le refus de la demande d’une messe saint Pie V à Carpentras en est un bon exemple. « Il y a « Le Barroux », tout proche, ça suffit bien ! » fit répondre l’évêque d’Avignon.

Il faut comprendre que l’affirmation, et sa connaissance,  par huit cardinaux sur neuf, de la non abrogation de la Bulle Quo Primum Tempore aurait pu avoir une grande importance. Du moins, elle aurait été de nature à réjouir le cœur des traditionalistes, toujours à la peine dans leur défense de la messe de « toujours », voire à fortifier quelques autorités favorables… mais hésitantes et timides.

Il eût été normal que cette nouvelle soit connue, divulguée, exprimée, même en 1986.

Malheureusement, il n’en fut rien. Elle est restée inconnue jusqu’en 1995…

Révélation de l’existence de cette commission et de sa sentence

C’est grâce à un numéro de la revue La Nef de juillet 1995, par un petit entrefilet de cette revue, que l’on eut une première connaissance de l’existence de cette commission de cardinaux et de sa réponse au Pape.

En mai 2000, on en apprendra davantage grâce à la diffusion d’un petit opuscule blanc réalisé par le C.I.E.L. – Centre International d’Études Liturgiques – qui publiait l’ensemble des interventions du Cardinal Stickler sur le problème de la messe : ses homélies, ses conférences, ses déclarations.

Là, on apprend que le Cardinal Stickler passe l’Atlantique, donne une conférence, le 20 mai 1995, aux USA, à Fort Lee, dans le New Jersey. Il y est invité par l’association Christi fideles. Sa conférence est intitulée : « Les bienfaits de la messe tridentine ».

Tout un programme. Et quelle audace !

Nous aurons l’occasion, dans ce récit, d’y revenir.

À l’issue de cette conférence, le Cardinal accepte de répondre à certaines questions. Ces réponses sont publiées aux Amériques dans la revue The latin Mass, en l’été 1995.

Le témoignage du Cardinal Stickler

On lui pose la question : « Le Pape Paul VI a-t-il véritablement interdit l’ancienne messe ? »

Le Cardinal répond : « En 1986, le Pape Jean-Paul II a posé à une commission de neuf cardinaux, deux questions. Premièrement, la célébration ordinaire de la messe tridentine aujourd’hui a-t-elle été juridiquement interdite par le Pape Paul VI ou toute autre autorité compétente ? »

« La réponse donnée par huit (des neuf) cardinaux en 1986 fut que, non, la messe de Saint Pie V n’a jamais été interdite. J’étais moi-même l’un de ces cardinaux. Un seul était contre. Tous les autres étaient pour une libre autorisation, pour que tous puissent choisir l’ancienne messe. Je pense que le Pape a accepté cette réponse ».

Ces déclarations cardinalices sur la messe, connues très tard, trop tard, sont totalement nouvelles par rapport à la position du Vatican en 1976 : à celles exprimées au Consistoire par Paul VI, le 24 mai 1976. Elles sont nouvelles et permettent, en particulier, de mesurer l’évolution de la pensée de la hiérarchie, disons de certains, en cette affaire.

Hier, la messe de toujours était absolument interdite.

Aujourd’hui, cette commission, dix ans après, reconnaît même qu’un évêque ne pourrait pas interdire à un prêtre de la célébrer, la Bulle Quo Primum Tempore n’ayant pas été abrogée. Et donc l’indult propre donné à chaque prêtre  dans la Bulle Quo Primum….court toujours. C’était la deuxième question posée aux neuf cardinaux.

Le témoignage d’Éric de Saventhem

Mais le témoignage d’un seul ne vaut, fut-il cardinalice !

Eh bien ! Ces affirmations du Cardinal Stickler sont confirmées par Éric de Saventhem, aujourd’hui décédé, jadis président émérite d’Una Voce International.

En effet, la revue La Nef publie en 1998 un livre intitulé Enquête sur la messe traditionnelle. Le livre sort de presse en juin. En annexe de ce livre, fort intéressant, Christophe Geffroy, le directeur de la revue, publie la correspondance échangée entre Mgr Re, alors substitut de la Secrétairerie d’État pour les affaires générales, aujourd’hui Préfet de la Congrégation des évêques et Éric de Saventhem. Cette correspondance date de l’année 1994.

Dans la lettre datée du 27 mai 1994, Éric de Saventhem écrit à Mgr Re :

« À notre vue, cette double exigence se trouve parfaitement respectée dans la formule proposée en 1986 par les huit membres de la Commission cardinalice constituée ad hoc pour examiner les résultats de l’indult de 1984, à savoir : « Que pour chaque messe célébrée en langue latine, avec ou sans fidèles présents, le célébrant ait le droit de choisir librement entre le missel de Paul VI et celui de Jean XXIII ».

C’est bien la confirmation de l’existence de cette commission cardinalice créée ad hoc en 1986 par le Pape Jean-Paul II dont nous parlait le Cardinal Stickler.

Ce témoignage est d’autant plus intéressant qu’il révèle également les propositions faites par ces cardinaux au Souverain Pontife. Éric de Saventhem va même jusqu’à donner, ici, le résumé d’une des propositions faites au Pape.

Mieux encore, à la page 391 du livre, nous avons même l’ensemble des propositions faites, du moins leur résumé.

Voici ces propositions telles que les a résumées Éric de Saventhem qui est un auteur fiable, et telles qu’elles sont publiées dans le livre :

« Les normes de 1986 : en été 1986, une commission de huit cardinaux de Curie fut constituée ad hoc pour contrôler si l’indult de 1984 était susceptible de fonctionner. Elle trouva qu’en pratique, il s’était montré « peu secourable » et présenta des recommandations détaillées pour une nouvelle réglementation pour toute l’Église. La teneur de ces recommandations peut se résumer de la façon suivante :

1- Dans les offices du rite romain, l’honneur qui lui est dû (debita honor) doit être accordé à la langue latine. Les évêques doivent donc prendre soin que les dimanches et jours fériés soit célébrée au moins une messe en langue latine dans chaque localité importante de leur diocèse. Cependant les lectures pourront être dites en vernaculaire.

2- Pour leurs messes privées tous les prêtres peuvent, en tout temps, employer la langue latine.

3- Pour chaque messe célébrée en langue latine, avec ou sans fidèles présents, le célébrant a le droit de choisir librement entre le missel de Paul VI (1970) et celui de Jean XXIII (1962).

4- Si le célébrant choisit le missel de Paul VI, il doit s’en tenir aux rubriques du dit missel.

5- Si le célébrant choisit le missel de Jean XXIII, il est tenu d’employer les rubriques du dit missel, mais il peut : – employer soit la langue latine, soit la langue vulgaire pour les lectures et – puiser dans les Préfaces et les prières du Propre de la messe supplémentaires, contenues dans le missel de Paul VI et introduire des « preces universales » (intercessions)

6- Le calendrier liturgique pour les fêtes sera celui du missel choisi par le célébrant ».

La messe tridentine n’est plus interdite comme en 1976. Elle n’est plus seulement concédée comme en 1984. Elle est déclarée à égalité de droit avec la nouvelle messe : « Pour chaque messe célébrée en langue latine avec ou sans fidèles présents, le célébrant a le droit de choisir entre le missel de Paul VI (1970) et celui de Jean XXIII (1962) ».

Alors qu’en 1976, le Pape Paul VI disait : « C’est au nom de la Tradition que nous demandons à tous nos fils, à toutes les communautés catholiques de célébrer dans la dignité et la ferveur, la liturgie réformée »

L’attitude du Pape

Le Pape Jean Paul II n’osa pas légiférer dans le sens suggéré par la commission cardinalice. Et rien ne fut fait en raison de la pression des épiscopats.

Le témoignage du Cardinal Stickler est formel :

« Je pense, dit-il, toujours dans l’interview de Latin Mass, que le Pape a accepté cette réponse. Pourtant, là encore, lorsque certaines conférences épiscopales se sont rendues compte du danger (?) que représentait cette autorisation, leurs représentants sont venus voir le Pape et lui ont dit : « il ne faut absolument pas que cela soit autorisé parce que cela sera l’occasion, et même la cause de controverses entre les fidèles ». Aussi le Pape s’est-il abstenu de signer cette autorisation s’inclinant, je pense, devant cet argument. Et pourtant, pour ce qui est de la commission, j’en parle par expérience personnelle, la réponse de la grande majorité a été positive ».

Nous en restions donc, en 1986, toujours à la législation de l’indult Quattuor abhinc annos de 1984. C’est le statu quo.

Rien ne changeait sur le terrain, dans les faits. Mais, tout de même, quelle évolution dans les esprits de la hiérarchie romaine, du moins de certains qui prenaient enfin en compte :

– la détermination des catholiques de la « Tradition »,

– leur nombre, non négligeable,

– l’anomalie de l’interdiction de la messe traditionnelle dans l’Église puisqu’il s’agissait d’une « coutume immémoriale ».

Le temps n’était peut-être plus très éloigné où certains du collège cardinalice prendraient aussi en compte les raisons théologiques… ou du moins y porteraient quelques attentions

La messe romaine revenait. Incontestablement. A petit pas.

1988 L’année des sacres

1986… Nous ne sommes plus très loin des sacres de juillet 1988 : une année charnière dans cette bataille de la messe.

Mgr Lefebvre prend de l’âge.

Il se pose le problème de sa succession, et à travers lui, de la pérennité, non pas d’abord de son œuvre sacerdotale, mais de la pérennité du sacerdoce et du sacrifice de la messe, tant combattue par ceux-là même qui devraient la défendre.

L’annonce des sacres

Qu’arrivera-t-il, lui parti ?

Il n’envisageait pas cette éventualité des Sacres. Dans son livre : « Lettre aux catholiques perplexes », il l’écrit formellement. Mais la situation de la crise de l’Eglise s’aggravant, la réunion d’Assise en octobre 1986 le montrant à l’évidence, il parle, dans une homélie, à Écône, le 29 juin 1987, de l’« éventualité » des Sacres. Là, pour la première fois, en public, Mgr Lefebvre annonce qu’il envisage, comme nécessaire au maintien du sacerdoce catholique et de la Tradition, de procéder prochainement à des ordinations épiscopales et de s’instituer des auxiliaires avec la seule mission d’assurer les ordinations et les confirmations sans pour autant exercer une quelconque juridiction pour éviter tout schisme. Ces « évêques » auraient une fonction de suppléance et nullement de substitution.

Cette annonce provoque, à Rome, une vive émotion. Le Cardinal Ratzinger invite immédiatement Mgr Lefebvre à le rencontrer.

Rencontre romaine

Cette rencontre a lieu le 14 juillet 1987, à peine 15 jours après l’homélie du 29 juin. À Rome, on sait aussi se presser…même dans le temps des vacances…à Rome

C’est avec égard et déférence, cette fois, que Mgr Lefebvre est reçu au siège de l’ex Saint-Office. Nous sommes loin de l’atmosphère de 1974… L’enjeu était différent. La situation nouvelle. Les Sacres étaient à craindre. Rome voulait éviter le « pire ».

À l’issue de l’entretien, un communiqué est signé où les deux parties reconnaissent que « les entretiens se sont déroulés dans une atmosphère de dialogue ouvert et sincère ».

La réaction de Rome : la lettre du Cardinal Ratzinger du 28 juillet 1987

Le 28 juillet, le Cardinal Ratzinger écrit à Mgr Lefebvre une lettre qui contient « des offres généreuses auxquelles on ne s’attendait plus », dit Mgr Lefebvre.

En effet sans plus parler d’obtenir de lui une signature préalable de reconnaissance de ses torts et erreurs, comme on voulait l’y astreindre précédemment (cf. la lettre du Cardinal Ratzinger en 1983), Rome offre à la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X la possibilité d’utiliser sans entrave le rite de la messe tridentine, les livres liturgiques de Jean XXIII, i.e. d’avant le Concile.

Rome lui offre également la possibilité dans les cinq séminaires de la Fraternité de former les candidats au sacerdoce selon le « charisme » propre à la Fraternité. Ce mot fait sourire Mgr Lefebvre. Son seul charisme est sa fidélité à l’Église. Il nous formait dans cet esprit. Puis le Cardinal parle de l’envoi d’un « visiteur apostolique », ce que Mgr Lefebvre souhaitait depuis longtemps.

Mais le Cardinal précise, en même temps, les pouvoirs du visiteur. Ils étaient très étendus, étonnamment étendus, abusivement étendus.

« (…) Le Cardinal visiteur se portera garant de l’orthodoxie de l’enseignement dans vos séminaires, de l’esprit ecclésial et de l’unité avec le Saint Siège. Au cours de cette période – précédant l’approbation de la structure juridique définitive de la Fraternité – le Cardinal visiteur décidera également de l’admission des séminaristes au sacerdoce en tenant compte de l’avis des supérieurs compétents ».

Rome donne d’une main ce qu’elle reprend de l’autre. Elle donne ou promet l’usage de la messe Saint Pie V, mais elle se réserve le choix des candidats… Rien n’est simple dans un cœur « inquiet ».

Réponse de Mgr Lefebvre : le 1er octobre

Le 1er octobre, Mgr Lefebvre répond à la lettre du Cardinal et donne son accord pour la visite, voit quelques indices qui permettent d’espérer arriver à une solution. Nous ne sommes pourtant pas très éloignés de la journée d’Assise de 1986 et tout proches de la réunion pan-chrétienne qui doit se tenir à Rome, le 28 octobre, où l’on fêtera « la naissance de l’esprit d’Assise » – ces circonstances sont à prendre en compte pour les successeurs de Mgr Lefebvre…- mais il affirme ne pouvoir se départir de son autorité vis-à-vis des séminaristes, « ce qui serait contraire, écrit-il, au droit que vous avez l’intention de nous accorder » (Cf. Fideliter, n° hors série, juin 1988).

La visite canonique

Cette visite canonique a lieu en France et en Suisse. Elle se déroule fin novembre et début décembre. Le Cardinal Gagnon, assisté de Mgr Perl, visite séminaires, écoles, prieurés, œuvres amis. Cette visite se passe bien. Elle se termine le 8 décembre. Le Cardinal assiste en « habit de chœur » à la messe solennelle célébrée par Mgr Lefebvre, pourtant toujours « suspens »… Au cours de la messe, vingt-sept séminaristes prononcent leur premier engagement au sein de la Fraternité Saint Pie X qui n’aurait plus d’existence légale depuis 1976…

À l’issue de la cérémonie, le Cardinal signe le livre d’or du séminaire et écrit : « Que la Vierge immaculée écoute nos prières ferventes pour que l’œuvre de formation merveilleusement accomplie en cette maison, trouve tout son rayonnement pour la vie de l’Église ».

C’est notre plus cher désir.

Il doit déposer sur le bureau du Pape son rapport, « qui sera positif », dit-il, le 5 janvier 1988.

Mgr Lefebvre n’en connaîtra jamais le contenu.

Nouvelle rencontre : avril 1988

C’est alors que Mgr Lefebvre est invité par lettre par le Cardinal Ratzinger et le Cardinal Gagnon à une nouvelle rencontre à Rome. Nous sommes le 18 mars :

« Le Cardinal Gagnon et moi-même désirons vous proposer qu’une rencontre ait lieu entre deux experts (un théologien et un canoniste) désignés par le Saint Siège et deux experts (également un théologien et un canoniste) de la Fraternité désignés par vous-même. »

Il est précisé que cette rencontre se fait avec l’aval de Jean-Paul II :

« Je voudrais vous confirmer, Monsieur le Cardinal, ma volonté que de tels efforts soient poursuivis. »

C’est une lettre du Pape au Cardinal Ratzinger du 8 avril 1988.

Mgr Lefebvre accepte.

Ces entretiens demandés ont lieu sous forme de colloques, les 13, 14 et 15 avril à Albano, en Italie.

Mgr Tissier de Mallerais, alors simple prêtre, assisté de M. l’abbé Laroche représentent la Fraternité. Le RP Duroux et le RP Bertone, futur cardinal, représentent le Saint Siège.

Le protocole d’accord du 5 mai, son analyse

Un « protocole d’accord » est rédigé. Il est signé le 5 mai 1988, d’abord par le Cardinal Ratzinger, à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, puis par Mgr Lefebvre au séminaire d’Albano, entouré du secrétaire du Cardinal, porteur du pli et de MM. les abbés Tissier de Mallerais, Laroche, Emmanuel du Chalard.

Il reconnaît de nouveau l’existence de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X : elle serait érigée en une société de vie apostolique, déclarée de droit pontifical, « bénéficiant d’une certaine exemption ». Ce qui est essentiel pour Mgr Lefebvre.

Il n’est plus demandé de reconnaître, ce qui en 1984 était encore indispensable, « la pleine légitimité et rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le Pontife romain, Paul VI ». Ce sujet, du moins, n’était plus formellement évoqué.

De plus Rome reconnaît que :

« Certains points enseignés par le Concile de Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie ou du droit » pouvaient « nous paraître difficilement conciliables avec la Tradition ».

C’est le paragraphe 3 du chapitre 1 du « protocole d’accord ». Lorsque Mgr Lefebvre le présentait à ses prêtres, il insistait sans cesse sur ce paragraphe 3.

C’était nouveau.

C’était permettre la discussion. La fameuse « déclaration du 21 novembre 1974 » pouvait être légitime. Du moins, Rome ne refusait pas d’entendre une « disputatio » sur ce sujet. Hier, cette « déclaration » avait été raison d’une « exclusion ». Le Vatican acceptait aujourd’hui que l’on puisse « critiquer » certains documents du Concile, la liturgie en particulier, comme pouvant être difficilement conciliables en tout avec la Tradition. Le Vatican, certes, ne prenait pas la chose à son compte. Du moins, il en acceptait l’augure, disons l’hypothèse. Il ne serait plus scandaleux d’oser porter quelques critiques sur ce Concile « a-typique » de l’Église, « Concile dit pastoral », du moins sur certains de ces textes, sur la réforme liturgique issue du Concile Vatican II et sur le Droit canon. Cette éventualité n’est plus refusée. Elle fait partie des choses soutenables… Elle fait partie du « paysage ».

Il était seulement demandé une « ouverture » d’esprit et d’éviter toute « polémique ».

Hier, il n’était pas question d’élever la moindre critique doctrinale sur la réforme liturgique. Elle engageait l’autorité du magistère. Aujourd’hui, même s’il faut éviter la « polémique », une critique positive peut être soutenue, est soutenable. Et de fait, le Cardinal Ratzinger, le Cardinal Stickler ne se gêneront pas sur ce sujet. Nous le verrons.

Les choses changeaient du côté de Rome.

Malgré les points intéressants, l’accord ne fut pas conclu en raison de l’attitude de Rome : son refus de donner, avec certitude, une date pour le sacre, pourtant accepté, du moins dans le principe – il y avait toutes les chances que la date du 15 août soit indéfiniment retardée, reculée sine die. Mgr Lefebvre le craignait. Ce fut une question de confiance, et parce que Rome reparlait subrepticement de reconnaissance d’erreurs…

En conséquence, Mgr Lefebvre retire sa signature du protocole dès le lendemain..

Les réactions romaines. Le Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta

C’est l’échec. Dans une conférence de presse, le 15 juin, Mgr Lefebvre explique son geste.

Le 30 juin, il se donne, comme annoncé, des successeurs dans l’épiscopat.

C’est immédiatement la division. Ce qui avait pu être évité très heureusement en 1984, la division, se réalise en 1988.

Certains prêtres et séminaristes de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X quittent Mgr Lefebvre et, avec le soutien « discret » de Dom Gérard Calvet, réalisent les uns la Fraternité Saint Pierre, les autres la Fraternité Saint Vincent Ferrier.

D’autres, existant déjà, profitant des circonstances et des largesses romaines, se font reconnaître officiellement, canoniquement. Qui, dans l’ordre bénédictin, Dom Gérard Calvet. Qui, dans les diocèses, l’Institut du Christ Roi, M. l’abbé Wach, l’Institut de Marie Reine, le RP Wladimir.

À toutes ces communautés reconnues officiellement et qui finiront par s’appeler les « communautés Ecclesia Dei », des premiers mots du Motu Proprio de Jean-Paul II de 1988, est octroyé par Rome le plus large usage de la messe de Saint Pie V.

Sans considérer les autres objets de ce document, disons que c’est encore une « nouvelle variation romaine » sur la messe. Les nécessités font loi. Parfois.

Cet usage de la messe de Saint Pie V, octroyé nouvellement par Rome, est considéré par tous « comme un élément constitutif de leur société sacerdotale ». Du moins le croient-ils.

Le plus convaincu sur ce sujet sera le RP de Blignières. Il ne cessera de le dire, de l’écrire dans sa revue Sedes sapientiae et particulièrement dans son numéro 68.

Mais Rome gardera toujours sur ce sujet un silence courtois.

Quoi qu’il en soit, demain nous le dira, on est loin de ce fameux consistoire du 24 mai 1976 où Paul VI demandait à tous de « célébrer dans la dignité et la ferveur la liturgie réformée » (Itinéraires, décembre 1976, p. 110).

La messe dite de Saint Pie V et son usage large ne semblaient plus être pour le Vatican, suite au sacre du 30 juin 1988, un problème majeur. Encore que… A Rome, tous les cardinaux ne partageaient pas cette « politique »…

Le Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta du 2 juillet 1988 ; son analyse

Le Souverain Pontife régnant, Jean-Paul II, l’exprime de fait clairement, le 2 juillet 1988, dans sa lettre apostolique intitulée Ecclesia Dei Adflicta. Il le demande en effet à la Commission Pontificale qu’il institue dans le but d’assurer bon accueil à ceux qui quitteront Mgr Lefebvre, « tout en voulant garder leur tradition spirituelle et liturgique » (EDA 6a). Le Pape précise même : « on devra respecter le désir spirituel de tous ceux qui se sentent liés à la Tradition liturgique latine en faisant une application large et généreuse des directives données, en leur temps, par le Siège Apostolique pour l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962 ». (EDA 6c).

Alors, forts de cette « volonté généreuse » et de cette « généreuse paternité », ceux qui veulent rester fidèles à la messe dite de Saint Pie V, tout en n’acceptant pas les Sacres par crainte du schisme, accourent à Rome.

Ils reçoivent de fait bon accueil.

C’est le témoignage de Dom Gérard, le témoignage du RP de Blignières, témoignages exprimés dans le livre de La Nef : Enquête sur la messe traditionnelle.

M. l’abbé Bisig, supérieur de la Fraternité Saint Pierre, en rend témoignage, lui aussi : « Nous n’oublierons jamais la joie profonde de ces journées romaines lorsque nous avons pu célébrer la sainte messe selon le missel de 1962 sur le tombeau de Saint Pierre, après avoir été complètement réconciliés avec l’Église ». (Enquête sur la messe traditionnelle, p. 95)

Tous, dans leur joie, ne prêtent guère d’attention à la note 9 du paragraphe 6, petit c de ce texte Ecclesia Dei Adflicta.

Certes, le Pape demande que l’on fasse « une application large et généreuse des directives données, en leur temps, par le Siège Apostolique pour l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962 ».

Mais quelle est donc la directive romaine en matière liturgique « pour l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962 » ? Il n’y en a qu’une, à l’époque : c’est la lettre Quattuor abhinc annos.

Et de fait, c’est à ce texte que renvoie le Motu Proprio. Certes, le Pape demande que ce texte de 1984 soit appliqué, enfin, avec largesse et générosité. Mais il est également demandé, pour pouvoir bénéficier de ce rite romain de 1962, de reconnaître en même temps « la légitimité et la rectitude doctrinale » du rite nouveau, issu du Concile Vatican II.

Les autorités romaines, pour l’heure, n’insistent pas sur la question. Elles n’y font allusion que par une simple petite note, la note 9 du texte. Il fallait attirer sur-le-champ, loin de Mgr Lefebvre, le plus de prêtres possible, comme en 1984. Aussi n’était-ce pas l’heure des précisions, mais de la générosité !

Tout le monde est dans la joie. Tous signent le Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta. Ils disaient même signer le protocole du 5 mai refusé finalement par Mgr Lefebvre… Mais Rome ne leur donne pas d’évêque, ce qui était prévu dans le protocole, et Rome garde la majorité dans la commission Ecclesia Dei Adflicta, ce que refusait Mgr Lefebvre. Le Vatican garde la haute main sur la tendance « traditionaliste ». Son pouvoir est sans partage. Et la lettre Quattuor Abhinc Annos est citée dans le texte… ce qui permettait d’assurer l’avenir et d’attendre des jours meilleurs… sans crainte. Ces jours viendraient inéluctablement.

L’essentiel était sauf. Ses « enfants » étaient dans la joie. Certains pensaient même avoir réussi, là où Mgr Lefebvre avait échoué…

Les générosités romaines

Rome donnait, donnait toujours plus, toujours davantage. Il fallait attirer le plus grand nombre loin de Mgr Lefebvre, cet « évêque de fer qui troublait la paix ecclésiale ».

À la Fraternité Saint Pierre, les autorités romaines donnaient ses séminaires, un en Allemagne, un autre aux USA.

On les visite dans leur pèlerinage à Chartres. C’est le Cardinal Mayer, très souriant, qui les accueille à la Cathédrale. On leur adresse mille télégrammes du Pape. On facilite leurs implantations dans des diocèses américains. C’est toujours le Cardinal qui intervient. Et quelle lettre n’adresse-t-il pas ?

À la Fraternité Saint Vincent Ferrier, les mêmes autorités concèdent une reconnaissance de droit pontifical. Elle existait à peine. Les portes des archives vaticanes sont ouvertes.

On entoure M. l’abbé Wach et son institut de toutes les grandeurs cardinalices. Le Cardinal Stickler s’y prête volontiers.

À dom Gérard et à son monastère, on donne tous les honneurs, la mitre, la crosse, le titre d’abbé, l’abbatiale. On vient de Rome consacrer le tout.

Tout cela faisait beaucoup, était beau… trop beau, peut-être !

Des nuages, cependant, s’annoncent à l’horizon. Les mêmes épiscopats qui avaient fait pression hier à Rome, en 1986 contre les normes cardinalices et qui avaient retenu la main du Pape pour qu’il ne signe pas le document proposé par la « commission des neuf cardinaux », ne se prêtent pas facilement à pareille « politique ». Ils font des réticences. Beaucoup même refusent d’ouvrir les paroisses à cette messe de toujours en latin. Ils craignent et même ne veulent pas de « bi-ritualisme », refusant la messe ancienne. L’évêque de Vendée le déclare publiquement… au nom de tous.

Cela était gênant. Vraiment. Cela assombrissait les cœurs. Mais Rome était présent et semblait soutenir franchement la restauration de la messe tridentine.

1988-1998 Les communautés Ecclesia Dei Adflicta et le soutien de cardinaux

D’autant que certains cardinaux s’exprimaient vraiment nouvellement, mais énergiquement en faveur de l’ancienne messe.

Et c’est le Cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi qui s’exprime.

Et c’est le Cardinal Stickler, qui fut responsable de la Bibliothèque Vaticane.

Et le Cardinal Mayer aussi, Président de la Commission Ecclesia Dei Adflicta.

Ces personnalités donnaient un véritable appui.

Prise de position du Cardinal Ratzinger.

 

Le cardinal Ratzinger donne la préface du livre de Mgr Gamber publié en français par Dom Gérard : « la réforme liturgique en question ». Or c’est une critique très forte de la Réforme liturgique de Paul VI (voir mon site TEM)

Il écrira par exemple  « Au lieu du renouvellement de l’Église et de la vie ecclésiale, nous assistons à un démantèlement des valeurs de la foi et de la piété qui nous avaient été transmises et, en lieu et place d’un renouvellement fécond de la liturgie, à une destruction des formes de la messe qui s’étaient organiquement développées au cours des siècles. » (p. 15)

« S’y ajoute, sous le signe d’un œcuménisme mal compris, un effrayant rapprochement avec les conceptions du protestantisme. » (p. 15)

« La rupture avec la tradition est désormais consommée. » (p. 14)

Malgré cette critique en forme, et ce ne sont là que quelques extraits, le Cardinal Ratzinger ne craint pas de préfacer le livre et d’en recommander la lecture, d’en louer l’auteur.

Le Cardinal, dans la préface, critique lui-même cette réforme liturgique par son caractère « « artificiel » et « fabriqué » :

Quelque chose changerait-il dans la pensée des dicastères romains ?

Les membres de la Fraternité Saint Pierre ont-ils eu raison de faire confiance à Rome ? Je me posais sincèrement la question. On pouvait sincèrement et raisonnablement se poser la question.

Il faudrait aussi citer le livre du cardinal : Le sel de la terre, 1994 aux éditions Flammarion/Cerf, avec Peter Seewald.

Ce dernier lui pose la question de la reviviscence de l’ancien rite : « Est-il possible, pour lutter contre cette manie de tout niveler et de ce désenchantement de remettre en vigueur l’ancien rite ? »

Le Cardinal lui répond :

« Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit aujourd’hui ?… Malheureusement, la tolérance envers des fantaisies aventureuses est chez nous presque illimitée, mais elle est pratiquement inexistante envers l’ancienne liturgie. On est sûrement ainsi sur le mauvais chemin. » (p. 172-173)

Ce sont, là, paroles du Préfet de la Congrégation de la foi. Ce sont, là, paroles d’un homme de gouvernement et d’un homme « libre ». Il n’a tout de même pas prononcé ces paroles sous la menace de la crainte, mais en mesurant les conséquences de son discours.

C’est nouveau.

Rome prend de plus en plus de distance par rapport au Consistoire de 1976 du Pape Paul VI – et pourtant ses cendres fument encore…, par rapport à « la loi de l’indult de 1984 », non seulement en raison de la pression des traditionalistes mais aussi et surtout – c’est plus sûr – en raison des méfaits évidents de la liturgie réformée et de sa pratique dans les paroisses : « une désolation » écrivait Mgr Gamber, homme éminent de science liturgique, directeur de l’Institut liturgique de Ratisbonne jusqu’à sa mort, le 2 juin 1989.

Rome s’ouvre à cette réalité, du moins certains. Le Cardinal tient des paroles de bon sens. Il affirme qu’il serait très raisonnable de redonner « le droit, à ceux, du moins qui le désirent, de conserver l’ancien rite ». Ce langage était nouveau. Il devait soutenir l’espoir de nos « amis », justifiait, peut-être même, leur attitude pratique : la confiance aux autorités romaines, d’autant que le Cardinal Ratzinger ne craignait pas de renouveler de telles affirmations.

Il faudrait encore citer son livre Ma vie, Souvenirs (Fayard, octobre 1998)

Nous sommes cette fois en 1997-1998. Il ne craint pas de critiquer cette suppression du rite tridentin aux pages 132-133 du livre,

Prise de position du Cardinal STICKLER

Le Cardinal Ratzinger n’est pas le seul à s’exprimer de la sorte. Le Cardinal Stickler lui prête main-forte, dans de nombreuses conférences et discours, homélies qui furent publiées par le CIEL. Lui aussi défend la messe tridentine. Elle doit être remise en honneur dans l’Eglise. Vous pourrez retrouver tous ses textes dans mon site ITEM. Il se fait le défenseur du Canon Romain :  « De l’ancienne liturgie, le canon est le centre de la messe, comprise comme un sacrifice. Selon l’attestation du Concile de Trente, le canon se réfère lui-même à la tradition des apôtres ; il a été substantiellement complété au temps de Grégoire le Grand en l’an 600. L’Église romaine n’avait jamais eu d’autres canons. » (p. 19)

Il se fait le défenseur du mysterium fidei, dans la formule de la consécration du vin :

Il se fait, alors le pourfendeur du Canon n° 2 – dit de Saint Hippolyte : parce « qu’il ne mentionne par le caractère sacrificiel de la messe » (p. 19-20)

Il exprime ses craintes sur la « protestantisation » de la nouvelle liturgie :

Enfin, il conclut ses interventions par ces mots : « Pour résumer nos réflexions, nous pouvons dire que les bienfaits théologiques de la messe tridentine correspondent aux déficiences théologiques de la messe de Vatican II » (p. 22)… alors que Paul VI, en 1976, disait que cette réforme engageait son autorité pontificale….

Les divisions romaines : correspondances entre Mgr Re et Éric de Saventhem

a) Lettre d’Éric de Saventhem d’octobre 1993

A la lettre de M de Saventhem, publié dans le livre de la NEF : « Enquéte sur la messe traditionnelle », où l’auteur demande la libre droit pour la messe tridentine, Mgr Giovanni Battista Re, substitut à la 1ère première section des affaires générales de la Secrétairerie d’État, lui répond au nom du Pape, le 17 janvier 1994, précisant la pensée du Vatican :

« Monsieur le Président,

« Comme suite à notre correspondance de l’été 1993 vous m’avez fait parvenir l’exposé des requêtes que vous souhaitiez présenter au Saint Père. Conformément à ses instructions votre mémoire a été attentivement examiné et je suis en mesure de vous répondre.

« Par le Motu Proprio « Ecclesia Dei », l’usage du missel romain approuvé en 1962 a été concédé à certaines conditions. Les diverses dispositions prises depuis 1984 avaient pour but de faciliter la vie ecclésiale d’un certain nombre de fidèles sans pérenniser pour autant les formes liturgiques antérieures. La loi générale demeure l’usage du rite rénové depuis le Concile, alors que l’usage du rite antérieur relève actuellement de privilèges qui doivent garder le caractère d’exception… Le premier devoir de tous les fidèles est d’accueillir et d’approfondir les richesses de sens que comporte la liturgie en vigueur dans un esprit de foi et d’obéissance au Magistère en évitant toute tension dommageable à la Communion ecclésiale. Le Saint Père forme le vœu que votre association contribue à ce dessein.

Veuillez croire…

+ G.B. Re, Substitut »

La réponse est claire : approfondissez les richesses de la liturgie actuelle et laissez donc tomber votre requête en faveur de la messe ancienne. Elle est dommageable à la communion ecclésiale et elle risque d’être la manifestation d’un manque de foi et d’obéissance dues au Magistère et de toute façon : la loi générale demeure l’usage du rite rénové depuis le Concile. L’indult de 1984 a été accordé pour favoriser l’unité ecclésiale et nullement pour pérenniser dans l’Église la messe ancienne.

Nous sommes – de nouveau – ici, avec Mgr Re, très proches de l’esprit du Consistoire de 1976.

Quelles différences dans les prises de position de la hiérarchie ! C’est la cacophonie dans l’Eglise…

Il ne faut donc pas s’étonner de l’« ostracisme » de certains épiscopats en l’affaire liturgique. Ils pouvaient se sentir appuyés, lors de leur visite « ad limina » par certains, par Mgr Re, en particulier, par la Secrétairerie d’État.

Réponse d’Éric de Saventhem

La réponse d’Éric de Saventhem est cinglante, mais juste. Elle est même un joyau qu’il faut admirer. Il relève la formule « sans pérenniser pour autant les formes liturgiques antérieures » ainsi que l’expression finale : « les richesses de sens ».

« Monseigneur,

(…)

« Même ecclésiologiquement, cette clause paraît indéfendable. La « liturgie classique » du rite romain de la messe est déjà douée de pérennité intrinsèque en tant que monument incomparable de la foi. Son usage universel et multi-séculaire bien avant la Constitution apostolique « Quo Primum » lui confère en outre la pérennité canonique de la « consuetudo immemorabilis ». Par conséquent, la « pérennisation » dont parle votre lettre n’est aujourd’hui ni à octroyer ni à ôter à la liturgie classique – elle est simplement à reconnaître et à faire respecter dans les dispositions réglant son emploi à côté des rites réformés.

(…)

« Permettez-moi, Excellence, de formuler une ultime demande de clarification, relative au dernier alinéa de votre lettre. Qu’entendez-vous par « les richesses de sens » que comporte, d’après vous, la liturgie en vigueur ? Au sein de notre mouvement, beaucoup se sont livrés à la recherche de telles richesses, au rythme de la promulgation successive des livres liturgiques réformés. Ils ont fait état des résultats de leurs travaux dans un nombre impressionnant de livres, de monographies, d’études et commentaires, dont nul ne peut contester le sérieux. S’ils ont pu noter une augmentation quantitative – oraisons, lectures, préfaces et même prières eucharistiques – des textes désormais mis à la disposition de ceux qui organisent les célébrations, ils ont en même temps dû constater une baisse généralisée dans leur contenu théologique, menant à la « banalisation » de nos fonctions liturgiques au détriment de leur sacralité et donc de leur identité catholique. Parallèlement, il y a eu un rapprochement continu aux services religieux de diverses communautés non-catholiques.

« En d’autres mots : la liturgie catholique romaine a dû payer les frais de « l’option œcuménique » ! Et au lieu d’un enrichissement de la tradition liturgique de l’Église catholique, on a vu le gaspillage de son patrimoine le plus précieux. N’est-il pas du « premier devoir » de tout catholique fidèle d’œuvrer à la sauvegarde de cet unique trésor, instrument principal de l’évangélisation, confié à l’Église par Notre Seigneur pour le salut de toutes les âmes ?

« Je me remets à l’indulgence de Votre Excellence vu la longueur de cette lettre. Bien que nous espérons recevoir des réponses détaillées par écrit, ma femme et moi restons à votre entière disposition pour un nouvel entretien à Rome où ces réponses pourraient être données verbalement.

En attendant vos consignes, je vous prie, Monseigneur Excellentissime, d’agréer l’assurance de nos sentiments tout reconnaissants et dévoués en Notre Seigneur.

Éric de Saventhem. »

Retenons ces dernières phrases. Elles sont très belles, il est vrai. Elles expriment tout le problème dont nous souffrons dans l’Église.

Elles expriment la raison de la « bataille de la messe ».

« Il est du premier devoir de tout catholique fidèle d’œuvrer à la sauvegarde de cet unique trésor – (la messe traditionnelle) – instrument principal de l’évangélisation, confié à l’Eglise par NSJC pour le salut de toutes les âmes »

Il ne recevra plus de réponse de Mgr Ré…

1998 Le pèlerinage à Rome des communautés Ecclesia Dei

Nous arrivons enfin en 1998. C’est le 10e anniversaire du Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta. Les communautés Ecclesia Dei Adflicta vont à Rome, en octobre 1998.

Nous allons de nouveau entendre un langage différent de celui de Mgr Ré !

La réception par le Cardinal Ratzinger, le 24 octobre 1998

Ils vont dire au Pape leur action de grâces et tout également leur peine devant l’ostracisme de certains épiscopats. Ils sont reçus, le matin, par le Cardinal Ratzinger, à l’hôtel « Ergife ». À 11h00 le silence s’impose. Le Cardinal parle devant 1500 fidèles.

L’auditoire est attentif.

Le Cardinal attaque « bille en tête ».

Il va faire remarquer que jamais dans son histoire, l’Église n’a « aboli » un rite catholique. Il invoque le témoignage du Cardinal Newman. C’est prudent !

« Il est bon de rappeler ici ce qu’a constaté le Cardinal Newman qui disait que l’Église dans toute son histoire, n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’Esprit de l’Église. Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui exprime la vraie foi, n’est jamais une compilation faite selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies dont on pourrait disposer de manière positive et arbitraire – aujourd’hui comme ça et demain autrement…. De tels rites peuvent mourir, si le sujet qui les a portés historiquement disparaît ou si ce sujet s’est inséré dans un autre cadre de vie. L’autorité de l’Église peut définir et limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses – mais jamais elle ne les défend purement et simplement ! »

« Ainsi le Concile a ordonné une réforme des livres liturgiques, mais il n’a pas interdit les livres antérieurs. »

Mais qu’a donc fait le Pape Paul VI ! Qu’a fait l’ensemble de la hiérarchie pendant des années et des années ! Quel est l’enseignement de Mgr Re disant que l’indulte de 1984 n’a pas pour objet de pérenniser le culte de saint Puie V ?

S’il est vrai que canoniquement la Bulle Quo Primum Tempore ne fut jamais « abolie », « abrogée », tout a été fait, organisé, tout a été prévu pour qu’on puisse croire le contraire… pour que l’on puisse dire que la messe dite de Pie V était « interdite »… Ce fut la raison de la « protestation »… toujours actuelle des traditionalistes.

Le témoignage de Monsieur et Madame de Saventhem

Durant 20 ans, ce fut la thèse officielle : le Pape veut que l’on célèbre la nouvelle messe, la messe ancienne est interdite. On se souvient du témoignage d’Éric de Saventhem venant, avec sa femme, au Vatican. Nous sommes en 1974.

Il est reçu par Mgr Benelli.

À la fin de l’entretien Madame de Saventhem regarde le prélat et lui pose une question de confiance – c’est très féminin : « En un seul mot, répondez-moi franchement Monseigneur : la messe ancienne est-elle interdite ? A-t-elle été interdite ? »

Le prélat de garder quelques instants le silence et de lui répondre : « – Le Pape Paul VI veut que l’on dise la nouvelle messe ». – Merci, Monseigneur, j’ai tout compris. » Et sur ces mots, ils se séparèrent.

Le témoignage du Cardinal Stickler quant à la réponse de Mgrr Benneli

C’est aussi le témoignage du Cardinal Stickler. Il le dit formellement lors de son interview à Latin mass, en juillet 1995 aux USA.

Le Pape Jean-Paul II a demandé explicitement à Benelli (sic) :

« Paul VI a-t-il interdit l’ancienne messe ? » Benelli n’a jamais répondu ni oui, ni non. Pourquoi ? Il ne pouvait pas dire « oui », il l’a interdite » parce que Paul VI ne pouvait interdire une messe qui, depuis son origine, a été valide et qui a été la messe de milliers de saints et fidèles. Pour lui, la difficulté tenait à ce qu’il ne pouvait l’interdire mais, en même temps, il voulait que la nouvelle messe fût célébrée, qu’elle fût acceptée. Et, ainsi tout ce qu’il a pu dire, c’est : « je veux que la nouvelle messe soit dite ». (p.27 du C.I.E.L).

Pourtant, comme le faisait remarquer Jean Madiran: «  aucun pontife ne peut valablement frapper d’interdiction le rite millénaire de l’Église catholique ».(Itinéraires.

« L’autorité de l’Église peut définir et limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses, mais jamais elle ne les défend purement et simplement » comme le dira également Cardinal Ratzinger, in La Nef, n° 89, décembre 1998, p. 19)

Voilà ce qu’on commençait à entendre. Nouvellement. Voilà ce que l’on n’entendait plus depuis et pendant 30 ans des autorités de l’Église. Voilà ce que de nouveau on entendait – et cela dans la bouche d’un cardinal, de plusieurs cardinaux.

La nouveauté est grande !

Avec le Cardinal Ratzinger, avec le Cardinal Stickler, le droit de la messe traditionnelle est de nouveau affirmé, son existence légitime, de nouveau reconnue : le Cardinal le dit aujourd’hui – comme Jean Madiran le disait hier : « Aucun pontife ne peut valablement frapper d’interdiction le rite millénaire de l’Église catholique. »

La célébration de la messe traditionnelle et l’unité des diocèses

Mais plus encore, dans cette conférence de Rome, le 24 octobre, le Cardinal Ratzinger affirme, contre l’opinion des épiscopats, qu’il est tout à fait faux de penser que la célébration de la messe dite de Saint Pie V, dans les diocèses, soit cause d’une division.

Que non pas, dit le Cardinal !

Elle serait au contraire, dit-il, « un don destiné à construire le Corps du Christ dont nous sommes tous les serviteurs ». (La Nef, n° 89, décembre 1998, p. 21)

Le cardinal ne renonce pas à la nouvelle liturgie. Il ne la refuse pas.

Mais il affirme, ici, la légitimité de l’ancienne liturgie. Hier elle était interdite, aujourd’hui elle est dite « légitime »… Elle devrait donc être reconnue, sans limite, sans restriction…

Voilà la sentence du cardinal au 24 octobre 1998.

Les choses bougent – indiscutablement. Elles évoluent… avec le temps… le 25 décembre 2001 n’est plus très éloigné… C’est la date de la Lettre du Souverain Pontife à Mgr Rangel.

La législation Medina : « le cardinal dit le droit »

Mais tous les cardinaux ne partageaient pas encore cette opinion « ratzegerienne »

Les prêtres de la  Fraternité Saint Pierre sont divisés sur le « problème liturgique». M. l’abbé Bisig refuse la Nouvelle messe. Le RP de Blignières aussi. Ce dernier, au nom de tous, fit un bel exposé dans Sedes Sapientiae (n° 68) sur la nécessité de rester attaché exclusivement au rite dit de Saint Pie V. Ce rite avait été donné, aux différents instituts, par Rome, comme un droit. Il était, disait-il, « statutaire ». Rome ne pouvait pas ne pas le respecter – devait respecter sa parole – son engagement. Il oubliait seulement la note 9 du Motu Proprio Ecclesia Dei. Il oubliait la position de Mgr Re exprimant vraisemblablement la position de la Secrétairerie d’État que suivait, pratiquement, le Pape. Il oubliait que la loi de l’Eglise, en matière liturgique, était le nouveau rite…

La crise de la Fraternité Saint Pierre éclata très vite et fut publique, à Perpignan. Les prêtres de la FSP ne voulaient pas assister à la messe chrismale, l’un oui, l’autre non ! L’évêque interroge Rome. Ce qui obligea Rome à intervenir.

« Le Cardinal Medina dit le droit »

À cette occasion, Rome fut amenée à préciser sa législation et à préciser le sens du Motu Proprio Ecclesia Dei. L’interprétation de Mgr Re prévalut – celle qu’il donna à Éric de Saventhem dans sa réponse de 94 : « Par le Motu Proprio « Ecclesia Dei » l’usage du missel romain approuvé en 1962 a été concédé à certaines conditions. Les diverses dispositions prises depuis 1984 avaient pour but de faciliter la vie ecclésiale d’un certain nombre de fidèles, sans pérenniser pour autant les formes liturgiques antérieures ».

« La loi générale demeure l’usage du rite rénové depuis le Concile alors que l’usage du rite antérieur relève actuellement de privilèges qui doivent garder le caractère d’exception. ». Que vaut la loi propre d’un Institut devant la loi générale de l’Eglise !

Voilà ce qui fut répété – iterum et iterum – par le Cardinal Medina dans le douloureux règlement du conflit interne de la Fraternité Saint Pierre.

C’est le sens de sa lettre du 3 juillet 1999.

C’est le sens des précisions qu’il fut amené à donner le 18 octobre 1999.

C’est le sens de sa réponse au Cardinal Bonicelli.

Tous ces documents donnent la pensée du législateur de l’époque, la pensée de Rome ! La pensée de la Secrétairerie d’État ! De Mgr Re. Était-ce celle du Cardinal Ratzinger ? Loin de là !

Tous ces documents nous ramènent à la situation, sinon de 1976, du moins à la situation organisée pour l’indult de 84 par la lettre Quattuor abhinc annos :

– Le missel romain approuvé et promulgué sous l’autorité du Pape Paul VI par la constitution apostolique Missale Romanum du 3 avril est l’unique forme actuellement en vigueur de la célébration du saint sacrifice de la messe dans le rite romain.

Toutefois, pour prendre en compte les « oppositions toujours actuelles » et respecter « l’attachement sentimental » de certains à la liturgie « anté-conciliaire », le Pape, dans sa bonté de Père a concédé « l’usage de la forme du rite romain qui a précédé la rénovation liturgique post-conciliaire » par indult spécial. Un indult est simplement concédé.

Comment comprendre cet indult ? Nullement comme un droit constituant « à parité deux formes du rite romain ».

Il n’existe donc pas à parité deux formes du rite romain.

On ne doit donc pas parler de deux rites ou de « bi-ritualisme ». Les communautés Ecclesia Dei ne sont donc pas constituées en « Église rituelle ».

L’indult de 1984 sauvegarde seulement la « sensibilité liturgique » des prêtres et des fidèles habitués à la manière ancienne de célébrer et ne les constitue nullement en une Église rituelle.

Que les Évêques – seuls habilités à concéder cet indult – soient toutefois « patients, attentifs, bienveillants à cette sensibilité des fidèles ». C’est le vœu exprimé par le Saint-Siège – particulièrement exprimé par le Pape dans le Motu Proprio Ecclesia Dei du 3 juillet 1988 et lors de la réception, dix ans plus tard, des « traditionalistes », le 26 octobre 1998.

Ces derniers toutefois pour pouvoir bénéficier de cet indult- renouvelé en 1988 – « doivent accepter sincèrement la doctrine du Concile Vatican II ainsi que la légitimité et la cohérence avec la foi orthodoxe des textes liturgiques promulgués dans le cadre de la rénovation liturgique », nous dit de nouveau le Cardinal Medina.

 « Que cette bienveillance enfin des Évêques se manifeste, poursuit le cardinal, par l’attribution, dans certaines églises, d’horaires pour la célébration de la liturgie ancienne, soit par la désignation d’une église dans laquelle le curé ou un chapelain s’occupera de ces fidèles ».

C’est le strict rappel des conditions d’attribution de l’indult de 1984… Ce fut le cas en France, à Paris, de l’église Saint Eugène-Sainte Cécile.

Le Cardinal Medina ajoute, me semble-t-il, une autre possibilité : celle de l’érection de « paroisse personnelle ».

Enfin, il est bien clair que l’usage de cet indult ne leur donne aucun droit de dire la messe ancienne dans les Églises paroissiales habituées au rite nouveau. Là, « dans ces conditions, ils doivent utiliser les livres actuels, en observant avec soin les prescriptions du rite romain actuel ».

Telle est, dit le Cardinal, en conclusion, la juste interprétation du Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta.

Toute cette réponse nous éloigne réellement du Cardinal Ratzinger et de sa pensée exprimée  le 24 décembre 1998.

C’est bien, en effet, l’instauration du « bi-ritualisme » – à part égale – que demandait le Cardinal Ratzinger, le 24 octobre 1998.

Dans le gouvernement actuel de l’Église, les influences jouent dans un sens comme dans l’autre…

Cette législation « Medina » fut donnée en réponse à une lettre du Cardinal Bonicelli. Ce dernier écrivait le 12 avril 1999 à la Congrégation du Culte Divin et posait la « question relative à la liberté de se servir du missel romain promulgué par Saint Pie V… pour tout prêtre qui le désire. »

Le Cardinal Medina, alors, lui répond, sur lettre protocolée n° 947/991/I – les affirmations suivantes :

« (…) Voici donc les réponses aux questions de votre Excellence :

– Tout prêtre peut-il se servir du missel tridentin sans aucune permission étant donné que Saint Pie V en assure la faculté « in perpetuo » ?

Réponse : non, puisque le missel romain dit de Saint Pie V ne doit plus être considéré en vigueur…

– « Qu’est-ce que je peux répondre sur la base du droit ? »

Réponse : aux données exposées ci-dessus, il faut ajouter la concession bienveillante de l’indult pour l’utilisation du précédent missel romain dans les termes et selon les modalités indiquées dans le Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta. Si, dans votre diocèse, il y avait un groupe de personnes qui désirait célébrer dans le rite en vigueur jusqu’au renouvellement post-conciliaire, Votre Excellence peut donner l’autorisation selon les facultés concédées par l’indult de cette congrégation du 3 octobre 1984. On peut penser à plusieurs possibilités :

a) signaler une messe dans une église ou oratoire à une heure fixée, le dimanche ou un jour férial, sans préjudice pour les fidèles qui suivent l’actuel missel romain.

b) assigner aux fidèles attachés au système précédent, une église ou une chapelle, soit de façon exclusive, soit partielle.

c) si le groupe était important, on pourrait aussi établir pour eux un aumônier, ou même une paroisse personnelle, comme il arrive dans quelques diocèses des États Unis d’Amérique ou au Canada.

Voilà ce que je peux, après avoir pris conseil, répondre à votre Excellence Révérendissime.

Signé : Georges A. Card. Medina Estavez, Préfet ; Mario Marini, secrétaire.

Nul doute qu’en 1999-2000, l’Église de Rome est toujours attachée à la législation de 1984, à l’indult de 1984.

Elle le dit clairement.

Une évolution cependant.

Cette  législation « Médina » n’exprime pas la pensée de tous… De celle du Cardinal Ratzinger, du Cardinal Stickler en particulier.

Le Cardinal Ratzinger n’est pas opposé au « bi-ritualisme » de droit, bien au contraire : ce fut sa thèse exprimée devant les gens d’Ecclesia Dei.

Le Cardinal Stickler, lui aussi, critique très sérieusement la nouvelle messe… jette même le doute, sinon sur la validité, du moins sur sa parfaite et totale « cohérence » avec la foi orthodoxe. Il parle même « de déficiences théologiques de la messe issue de Vatican II ».

Il fut même un des cardinaux – un des neuf – qui demandèrent au Souverain Pontife que tout célébrant ait le droit de choisir librement entre le missel de Paul VI (1970) et celui de Jean XXIII. C’était bien aussi la thèse du « bi-ritualisme ».

La pensée d’Éric de Saventhem

Éric de Saventhem le demandait également très fortement dans sa réponse à Mgr Re le 27 septembre 1994 : il disait même parler au nom de nombreux catholiques d’Amérique et d’Europe.

« Il y a beaucoup de catholiques fidèles, Monseigneur, qui estiment que « ces normes (de 86 – la 3ème en particulier) traçaient, en leur temps, une voie sûre pour établir la paix des fidèles ».

« Il y a même ceux, nombreux, qui croient que si ces normes avaient été adoptées en 1987, la rupture tragique de 1988 aurait pu être évitée. Aujourd’hui encore, leur mise en vigueur paraît indispensable comme un premier pas pour en surmonter progressivement les conséquences affligeantes. Bien sûr, dans le climat âpre de 1987, les propositions élaborées par la commission cardinalice (celle dont parle le Cardinal Stickler également) devaient susciter pas mal d’opposition, de sorte que le Saint Père trouva inopportun d’y donner suite.

« Mais depuis lors et grâce au Motu Proprio Ecclesia Dei Adflicta, un vent légèrement plus doux a commencé à souffler. Regardant ces propositions en rétrospective, l’on conviendrait donc plus facilement qu’elles étaient pleines de sagesse et éminemment prévoyantes ».

« N’est-il pas temps, Monseigneur, qu’elles soient désormais réévaluées sans préjugés au plus haut niveau et ce à la lumière des principes énoncés dans ledit Motu Proprio ? J’ose espérer que votre Excellence veuille bien se faire l’avocat résolu, auprès du Souverain Pontife, d’une telle réévaluation. Veuillez… »

On ne peut s’exprimer plus clairement en faveur du « bi-ritualisme » !

On aura remarqué le souhait d’Éric de Saventhem : « J’ose espérer que votre Excellence veuille bien se faire l’avocat résolu, auprès du Souverain Pontife, d’une telle réévaluation ».

Et de fait Rome va se poser le problème de cette « réévaluation ».
L’Esprit Saint veille sur son Eglise.

Abbé paul Aulagnier

Revue-Item.com

 

 

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