Le Synode sur la famille: Jugement de Giuseppe Rusconi
publié dans regards sur le monde le 2 novembre 2015
Synode :
les modernistes tentent d’obtenir par les médias
ce qu’ils n’ont pas eu dans le texte
Giuseppe Rusconi est un vaticaniste de talent, suisse de langue italienne. Il fait partie de ceux qui voient dans le Synode une défaite des modernistes et parallèlement une victoire relative des conservateurs (ce qui le classe en opposition sur ce point avec Roberto de Mattei). Son article a été traduit par Benoît-et-moi. Si certains paragraphes de la Relatio finale sont ambigus, comme cela a déjà été analysé, ils peuvent néanmoins être interprétés selon une herméneutique de continuité avec le Magistère antérieur. Mais les modernistes répandent dans la presse une interprétation de rupture (ce qui nous rappelle le Concile des médias dénoncé par Benoît XVI, par opposition au Concile des textes). Extraits :
« Un bilan du second Synode sur la famille, où la majorité «conservatrice» ne s’est pas laissée intimider par une campagne médiatique d’une violence inouïe. Une Relatio finale équilibrée, approfondie, mais qui sur les divorcés remariés – dans le souci de ne pas porter atteinte à l’unité de l’Eglise – contient quelques commentaires qui peuvent sembler ambigus. Les «progressistes» déconfits essaient de renverser le résultat, imposant leur fausse lecture et provoquant déjà une grande confusion dans les paroisses.
[…] La Relation finale (sévèrement critiquée dans sa première version remise aux Pères, le jeudi soir, puis profondément modifiée) a été approuvée dans tous ses points à la majorité des deux tiers nécessaire, et elle a été remise, comme élément pour « un document sur la famille » au pape François. Lequel, dans son discours de clôture prononcé dans la Salle – certainement peu enthousiasmé par le document qui lui a été présenté – a choisi de fustiger durement ces Pères (nombreux, en fait la majorité) qui avaient montré avec courage qu’il ne partageaient pas certains de ses projets pour une église «rénovée».
En fait, parcourant avec une honnêteté journalistique la Relation finale, on pourrait adapter aux « progressistes » – qui avaient abordé le début du Synode avec leur intrépidité habituelle, sûrs de leur évidente supériorité intellectuelle et morale – l’adage “[come i pifferi di montagna], andarono per suonare e furono suonati” (comme les joueurs de fifres, ils sont partis en claironnant, et ils sont rentrés sonnés), le tout se terminant en une retraite désastreuse des fifres, tambours, trompettiste, gazetiers, capitaines, fantassins et cavaliers avec leurs pauvres bourrins. Au point que samedi après-midi, dans le bureau de presse du Vatican, un progressiste au cuir tanné, et certes pas de seconde main, se lamentait inconsolable: «un échec, un échec … A quoi ont servi ces deux ans d’effort … Mais qu’ont fait les Pères synodaux pendant trois semaines? On n’a rien obtenu, rien!»
LES THURIFÉRAIRES À L’ŒUVRE
Et pourtant, immédiatement, d’autres « progressistes » médiatiques, souvent de seconde main, eux, imposaient leur lecture du document. Qui sont ces « autres »? Ils font partie d’une catégorie numériquement non négligeable dans le journalisme italien, celle qui est plus précisément définie comme les « thuriféraires ». Le thuriféraire (du latin tus, turis – encens et fero, fers, tuli, latum, ferre – porter) est celui qui inonde le Pays du parfum d’encens du pouvoir. […]
Eh bien … quelle lecture ont donné les nombreux thuriféraires nichés dans les rédactions (y compris catholiques) de la presse papier, en ligne, à la radio et à la télévision? Quelques exemples à travers les titres imposés aux lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, Internet: « L’hostie aux divorcés passe à un vote du rejet », « Document final approuvé: le oui aux divorcés passe pour une voix », « Synode, la communion pour les divorcée remarié passe pour deux voix seulement »; « Synode, oui pour les divorcé par une voix », « Communion pour divorcée: le oui du Synode, pour un vote »… Notons tout de suite la désinvolture de l’utilisation du mot « divorcés », souvent sans la précision essentielle « remariés ». Mais avant tout, il faut souligner la fausseté de la nouvelle, comme nous allons le voir bientôt.
Dans les commentaires, en général de satisfaction autocomplaisante, beaucoup de dérision et d’acidité envers les « conservateurs », déclarés vaincus. Là aussi, d’authentiques délires.
Quelques exemples: « Au Synode, marionnettistes et marionnettes médiatiques appliquent cette technique militaire méprisable et impitoyable ». Laquelle? « La guérilla », autrement dit « le recours au terrorisme, disséminant des bombes, des embuscades et des pièges sur le chemin de l’ennemi promis au triomphe. Et ils le font en usurpant le nom de Dieu, comme en Afghanistan, en Irak et en Syrie ».
Vous pensez que c’est tout? Pas du tout, en voilà encore une autre: « Une fois de plus, athées dévots, theocons, soi-disant traditionalistes, réactionnaires, christianistes sans Christ, ultraconservateur et autres commensaux, tous avaient compté sans l’hôte » (on croit comprendre que l’hôte/épouvantail, c’est François). Et puis, parmi les thuriféraires, il y a ceux qui verraient bien le cardinal Sarah derrière les barreaux, en pyjama rayé: (à propos du Synode, des couples homosexuels et de l’Eglise) « Dans le meilleur des cas, il n’y a pas eu la volonté d’aborder la question, au pire, on a entendu dans la Salle du Synode des discours qui auraient eu des conséquences pénales dans certaines démocraties occidentales ».
[…] Conseil du Synode: douze des quinze membres sont élus par le Synode, les trois autres par le Pape. Le vote, qui a eu lieu le 22 Octobre, a montré la confirmation de la force des « conservateurs »:en tête l’archevêque de Philadelphie Chaput, puis les cardinaux Sarah, Pell, Napier (trois des signataires de la fameuse lettre, qui ont fait l’objet d’attaques frénétiques des thuriféraires … un véritable boomerang pour les aspirants ‘killers‘ médiatiques), le cardinal candien Ouellet (autre « conservateur »), l’africain du Gabon Madega Lebouakehan. Les autre, « centristes » ou « progressistes » plus ou moins modérés sont les cardinaux Rodriguez Maradiaga, Tagle, Gracias, Schönborn, Nichols, et l’Archevêque italien Bruno Forte, qui a profité ‘?) de la descente sur le terrain des deux candidats « conservateurs » italiens, les cardinaux Caffara et Scola.
[…] Relation finale: si on lit attentivement le texte approuvé, on remarque d’abord son ample souffle: la famille est considérée dans toute la complexité que l’on constate quotidiennement dans notre société, dans ses aspects positifs et dans les problèmes de toutes sortes auxquels elle est confrontée. Il est répété partout que la famille est formée par un homme et une femme ouverts à la vie. Les nombreuses familles qui vivent, luttent et souffrent de difficultés, grandes et petites, en essayant de rester fidèle à la doctrine catholique, sont mises en évidence.
L’idéologie du ‘gender’, qui « vide le fondement anthropologique de la famille » est critiquée; au paragraphe 58 (approuvé par 247 voix contre 14), l’objection de conscience des éducateurs est légitimée « contre des projets de formation qui ont un contenu contraires à la vision humaine et chrétienne »; le paragraphe 76 (approuvé par 221 voix contre 37) réclame une attention pour les familles dans lesquelles « vivent des personnes homosexuelles « , et refuse une analogie même lointaine entre les unions homosexuelles et « le plan de Dieu pour le mariage et la famille »; et il considère « inacceptable » que les Eglises locales « subissent des pressions à ce sujet » et que « les organismes internationaux conditionnent l’aide financière aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le ‘mariage’ entre personnes de même sexe ». Et au paragraphe 64 (approuvé par 247 voix contre 11), à propos de l’avortement, on note un fort rappel aux opérateurs sanitaires, leur rappelant « l’obligation morale de l’objection de conscience ». […]
Spectaculaire, ensuite, ce qui s’est produit dans le paragraphe 86 de la Relation finale 2015, qui énonce:
Le parcours d’accompagnement et de discernement oriente ces fidèles (NdR: les « divorcés remariés ») vers la prise de conscience de leur situation devant Dieu. L’entretien avec le prêtre, au for interne (NdR: lire « en confession »), concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus pleine à la vie de l’Église et sur les mesures qui peuvent la favoriser et la faire grandir. Étant donné que dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité, ce discernement ne pourra jamais faire abstraction des exigences de vérité et de charité de l’Evangile proposées par l’Eglise. (…).
Une question: regardez bien… voyez-vous dans le texte une mention quelconque de l’admission des divorcés remariés à la Communion ? Et pourtant le paragraphe 86 s’inspire d’un passage de la relation du cercle mineur de langue allemande sur la troisième partie de l’Instrumentum Laboris: « Ce chemin de réflexion et de pénitence, dans l’examen objectif du dialogue avec le confesseur, peut contribuer, dans le for interne, à prendre conscience et à clarifier dans quelle mesure l’accès aux sacrements est possible. (…)« . On ne peut pas ne pas remarquer que toute référence à l’accès aux sacrements a disparu du texte synodal. Pourquoi? Non seulement elle n’aurait jamais obtenu la majorité qualifiée, mais même pas celle absolue.
[…] Mais le terme discernement et l’expression for interne ont sans doute offert la possibilité aux « progressistes » de forcer la main, avec l’aide de nombreux thuriféraires médiatiques. Si bien que le Général des Jésuites, le père Adolfo Nicolas, annonçait déjà lundi 26 au Corriere della Sera, à propos de la Relation finale: « C’est un document qui laisse les mains libres à François. Le Pape peut faire ce qu’il considère bon, opportun ou nécessaire. Dans l’esprit de tous, dans la commission il y avait l’idée de préparer un document laissant les portes ouvertes: afin que le Pape puisse entrer ou sortir, faire comme il le pense ».
En attendant, un grave dégât, les thuriféraires l’ont déjà provoqué avec les contre-vérités répandues pour le bien de la « Cause »: dans plusieurs paroisses les curés ne savent pas comment répondre à ceux qui, dans une situation canoniquement irrégulière, demandent de pouvoir recevoir la Communion. S’ils répondaient que cela n’est pas possible, ils risqueraient certes d’être immédiatement catalogués parmi les « durs de cœur », les « anti-François ». C’est une situation objectivement de grande confusion, qui crée d’ailleurs de fortes réactions négatives chez de nombreux catholiques pratiquants qui se sont jusqu’ici toujours efforcés de se conformer, même avec mille difficultés, à la doctrine catholique en vigueur. […] »