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Entraide et Tradition

Interview a Anca Maria Cernea

publié dans nouvelles de chrétienté le 11 novembre 2015


Synode: interview à Anca Maria Cernea, auditrice roumaine au Synode sur la Famille

 

Dans quel état d’esprit avez-vous abordé ce Synode ? Qu’en attendiez-vous par rapport aux besoins des familles qui vous entourent ou que vous rencontrez dans votre profession ?

J’avais suivi le déroulement du Synode 2014, sans y assister, mais au vu des textes publiés et du document élaboré sur lequel nous allions devoir travailler cette année, l’Instrumentum Laboris, qui est extrêmement confus et compliqué, et qui contenait même des erreurs graves, je suis arrivée à Rome inquiète de ce qui allait advenir.

J’attendais que le Synode délivre un message clair en réaffirmant la doctrine de l’Eglise, mais ce n’était pas évident.

Cette année, vous faisiez partie des auditeurs. Pouvez-vous nous dire en quoi consistait votre rôle ?

L’assemblée du Synode est composée des Pères Synodaux, d’experts et d’auditeurs. Nous étions 51 auditeurs et auditrices, répartis dans les 13 « cercles mineurs » chargés d’étudier le document de travail, l’Instrumentum Laboris. Personnellement, je faisais partie d’un cercle anglophone. Nous ne votions pas, mais on nous permettait d’intervenir dans les discussions des cercles, et nous avions droit également à trois minutes d’intervention lors de l’assemblée plénière du 16 octobre.

Pouvez-vous nous dire comment vous avez perçu l’atmosphère des travaux ? Et quelques mots de l’organisation générale ?

L’atmosphère n’était pas paisible, loin de là, mais c’était un climat tendu. Une tension sur les débats de fond, mais aussi du fait du manque de transparence qui l’a caractérisé. Dans les premiers jours, il y a eu à plusieurs reprises des réactions sur les procédures qui n’étaient pas bien définies, notamment par rapport à la nomination des 10 rapporteurs officiels chargés d’élaborer le document final, et au doute sur le fait que ce document final serait publié ou non.   Au sein des groupes de travail, j’ai été pour ma part surprise et choquée de constater que le rapport de la première semaine ne reflétait pas fidèlement nos discussions, alors qu’il était censé les récapituler, mais exprimait plutôt un avis personnel du rapporteur. Je dirais que cette manière unilatérale de présenter les débats s’est manifestée de manière encore plus frappante dans le rapport de la troisième partie.

Même si les discussions étaient difficiles, peut-être plus que dans d’autres cercles, la plupart du temps les différents arguments qu’on avançait étaient pris en compte et il y a eu beaucoup de petites victoires partielles pour ceux qui défendaient l’enseignement traditionnel de l’Eglise.

Concernant la répartition de notre étude sur les trois semaines, il faut dire que le volume de travail était énorme et que la deuxième moitié du document, la plus importante qui contenait les points les plus délicats, n’a été abordée qu’en quelques jours lors de la troisième semaine. D’autre part, le planning très chargé des journées ne permettait pas toujours d’avoir suffisamment de recul, surtout en fin d’après-midi où il n’était pas rare que soient abordés les sujets essentiels.

Je me rappelle d’une après-midi en particulier où deux cardinaux de notre groupe qui avaient été absents jusqu’alors – car ils faisaient partie du groupe de 10 chargé de rédiger le projet de relation finale – sont arrivés juste à temps pour traiter un point auquel eux, ainsi que d’autres Pères Synodaux des pays occidentaux, paraissaient attacher beaucoup d’importance : le paragraphe sur les homosexuels et, en général, la manière dont le document devait  parler de l’homosexualité. C’est à ce moment-là que j’ai pu constater que toute discussion  était inutile, car la plupart de ces Pères, qui dominaient le débat dans notre groupe, paraissaient avoir déjà établi leur position et n’étaient pas intéressés à prêter l’oreille à d’autres arguments. Ils paraissaient avoir déjà décidé qu’il fallait absolument mentionner les homosexuels dans le document du Synode sur la famille, et le faire de façon positive, en disant seulement que ceux-ci ne devaient pas.  « être discriminés ». Lorsque j’ai insisté pour qu’on rappelle aussi le contexte, le paragraphe du Catéchisme de l’Église Catholique qui dit que les actes homosexuels sont des péchés, ils ont fini par m’imposer le silence – même si dans les autres discussions, ils m’avaient permis et m’avaient même encouragée à m’exprimer.

Un autre point difficile était celui de la langue : les niveaux de langue étaient inégaux, et certains participants perdaient de temps à autre le fil de la discussion, ne pouvant alors intervenir comme ils l’auraient souhaité. Ce problème est en cause également dans le dénouement du Synode, car, alors que les discussions s’étaient déroulées pendant trois semaines en groupes linguistiques, le rapport final n’a été remis aux Pères Synodaux qu’en italien, langue que ne maîtrisaient qu’un quart d’entre eux, 3 des 13 cercles mineurs. Dans un délai très court, du soir du jeudi 22 octobre jusqu’à 13h le lendemain, il leur fallait, pour pouvoir proposer d’éventuels amendements, étudier un texte complexe dans une langue inconnue de la majorité : c’est pratiquement impossible ! On peut se demander dans quelle mesure le manque de transparence et les délais si limités ne faisaient pas partie d’une stratégie prédéfinie…

Vous aviez donc 3 minutes pour vous exprimer en séance plénière le 16 octobre. Votre intervention a été publiée. C’est un appel très fort que vous avez lancé à l’adresse du pape et des pères Synodaux. Pourquoi ce cri d’alarme ? 

Il m’a semblé urgent de faire entendre l’appel des catholiques qui ne correspond pas au langage idéologique de l’Instrumentum laboris. Dès les premiers jours, j’ai retrouvé dans ce document de travail un langage qui m’était familier, ayant vécu dans un pays sous régime communiste, régime dont ma famille a durement souffert.

J’ai attiré l’attention dans mon groupe de travail sur ces termes, porteurs de concepts idéologiques qui n’ont rien à voir avec le langage de l’Évangile, mais proviennent de l’idéologie, notamment du marxisme.

L’Instrumentum laboris n’identifie pas les véritables causes du mal qui affecte la famille aujourd’hui. Au-delà des facteurs économiques et sociaux, il faut voir avant tout que la première cause de la révolution sexuelle et culturelle est idéologique. C’est toujours du marxisme qu’il s’agit surtout, mais du marxisme culturel, qui s’inscrit dans la continuité du marxisme classique.  Tandis que ce dernier se proposait de redessiner la société par le biais de la spoliation violente de la propriété, la Révolution va plus loin de nos jours, prétendant redéfinir la famille, l’identité sexuelle et la nature humaine. C’est une stratégie d’érosion morale. Or, il appartient aux pasteurs de correspondre à leur mission de sauver les âmes en reconnaissant les erreurs et les dénonçant, non pas en les intégrant au discours de l’Eglise. Il s’agit d’une bataille spirituelle. La tâche de l’Eglise est d’identifier l’ennemi et d’indiquer la façon dont il faut le combattre dans cette bataille.

D’ailleurs il y a eu plusieurs interventions dont celle de Mgr Fülöp KOCSIS, archevêque Métropolitain d’Hajdúdorog pour les catholiques de rite byzantin, président du Conseil de l’Eglise Hongroise, qui a bien souligné qu’il s’agissait d’un combat spirituel. Les défis d’aujourd’hui pour les familles catholiques sont les mêmes qu’hier, que ceux auxquels a été confrontée l’Eglise au cours des siècles. Cette idéologie se qualifie elle-même de progressiste, mais elle n’est rien d’autre qu’une forme contemporaine du vieux gnosticisme, de la révolte contre Dieu et contre l’ordre de Sa création, la vieille proposition du serpent, pour que l’homme prenne le contrôle, qu’il prenne la place de Dieu. Notre église a été opprimée par l’occupation soviétique, mais aucun de nos douze évêques n’a trahi la communion avec le Saint-Père. Nos évêques ont demandé à la communauté de ne pas suivre le monde. C’est ce que, à notre tour, nous demandons à Rome aujourd’hui. Voilà notre cri d’alarme. Si l’Eglise catholique cède à l’esprit du monde, il va être très difficile pour tous les autres chrétiens d’y résister.

Le Synode s’achève. Après ces trois semaines de travaux que vous avez vécues en interne de façon très intensive, quelle issue percevez-vous ?

Sur le long terme, nous avons l’espérance. Nous savons que l’Eglise a les promesses du Christ et que les portes de l’Enfer ne prévaudront pas.  Mais même si l’on sait qu’elles ne prévaudront pas, cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent lui faire beaucoup de mal. C’est pour cela qu’il faut agir et ne pas compter uniquement sur un miracle, sur l’assistance de l’Esprit-Saint certes, mais aussi sur nos prières et nos actions pour la sauvegarde de la foi.

A court terme, en effet, la bataille semble très difficile. Même s’il y a eu une majorité claire des Père Synodaux qui ont défendu la doctrine normale de l’Eglise, et qui ont réussi à faire supprimer ce qu’il y avait de vraiment inacceptable dans l’Instrumentum laboris, le document final du Synode risque d’être extrêmement confus et je pense que de cette confusion ne peut sortir aucun message clair. Il sera facile de l’utiliser comme on le souhaite, surtout pour ceux qui ont des plans prémédités. Dans tout cela, il faut garder la tête froide et ne pas se bercer d’illusions. (Marie Perrin)

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