Saint Maximilien Kolbe
publié dans nouvelles de chrétienté le 30 juillet 2016
La mort héroïque de saint Maximilien Kolbe
Très chers Chevaliers de l’Immaculée!
– Vous étiez prisonnier au camp de concentration d’Auschwitz pendant cinq ans. Vous avez connu personnellement St. Maximilien Maria Kolbe là-bas. Quelle fut l’importance pour vous et les autres prisonniers de la présence de ce moine parmi vous ?
Tous les prisonniers envoyés à Auschwitz étaient accueillis par les mêmes mots : « vous n’êtes pas à un sanatorium mais à un camp de concentration allemand duquel il n’y a aucune autre sortie que par la cheminée. Les Juifs peuvent vivre pendant deux semaines, les prêtres survivent un mois et le reste vit trois mois. Ceux à qui ça ne plait pas peuvent tout de suite aller au grillage ». Cela voulait dire qu’ils pouvaient être tués car ils faisaient passer un courant à haute-tension sans arrêt dans les grillages qui entouraient le camp. Ces mots dès le départ enlevaient aux prisonniers tout espoir. J’ai reçu une grâce incroyable à Auschwitz, car je séjournais dans un bloc avec le Père Maximilien et je me tenais avec lui en rang au moment de la sélection pour la mort. Je fus témoin oculaire de son sacrifice héroïque qui m’a redonné l’espoir et aussi aux autres prisonniers.
– Quelles furent les circonstances de cet événement, du plus haut intérêt, qui pousse les gens à poser la question : pourquoi a-t-il fait cela, et au nom de quelles valeurs ?
Il y a 63 ans, le mardi 29 juillet 1941, à environ 1h de l’après-midi, juste après l’appel de la mi-journée, les sirènes se mirent à hurler. Plus de 100 décibels traversèrent le camp. Les prisonniers accomplissaient leurs tâches à la sueur de leur front. Les hurlements de sirène signifiaient une alerte, et l’alerte voulait dire qu’un prisonnier manquait à l’appel. Les SS firent immédiatement cesser le travail et commencèrent à escorter les prisonniers du camp vers l’appel pour vérifier le nombre de prisonniers. Pour nous qui travaillions sur la construction d’une usine à caoutchouc aux alentours, cela voulait dire une marche de sept kilomètres vers le camp. On nous poussa à aller plus vite.
L’appel mit en évidence une chose tragique : il manquait un prisonnier à l’appel, dans notre Bloc 14a. Quand je dis « dans notre bloc », je veux dire celui du Père Maximilien, Franciszek Gajowniczek, d’autres et le mien. C’était un message terrifiant. Tous les autres prisonniers furent relâchés et furent autorisés à se rendre à leurs blocs. On nous annonça la punition : rester au garde-à-vous sans couvre-chef, jour et nuit, sans manger. La nuit, il faisait très froid. Quand les SS avait une relève de la garde, nous nous regroupions telles des abeilles, ceux qui se tenaient au-dehors réchauffaient ceux qui se trouvaient au milieu et alors nous changions de position.
De nombreuses personnes âgées ne purent résister à la corvée de rester debout nuit et jour dans le froid. Nous espérions au moins qu’un petit peu de soleil nous réchaufferait. Le matin, l’officier allemand nous cria : « parce qu’un prisonnier s’est échappé et que vous ne l’en avez pas empêché ou arrêté, dix d’entre vous vont mourir de faim afin que les autres se souviennent que même les plus petites tentatives d’évasion ne seront pas tolérées. » La sélection débuta.
– Que se passe-t-il chez un homme quand il sait que c’est peut-être le dernier moment de sa vie? Quels sentiments accompagnaient les prisonniers qui purent entendre la sentence qui les condamnait à la mort?
Je préférerais m’épargner le souvenir des détails de ce moment terrible. Je dirai en gros à quoi ressemblait cette sélection. Le groupe entier se rendit au départ de la première ligne. Au-devant, deux pas devant nous, un capitaine allemand se tenait debout. Il vous regardait dans les yeux tel un vautour. Il mesurait chacun d’entre nous et ensuite levait sa main et disait, « Du! », ce qui veut dire « Toi ». Ce “Du!” voulait dire la mort par la faim, et il continuait ainsi. Les SS sortaient alors des rangs le pauvre prisonnier, notaient son numéro et le mettaient à part sous surveillance.
“Du!” semblait comme un marteau battant une commode vide. Tout le monde avait peur à chaque fois que le doigt bougeait. La colonne sous surveillance bougea de quelques pas en avant, afin que l’espace entre les rangs pût être inspecté et avec le rang suivant se formèrent des couloirs d’une largeur de trois ou quatre mètres. Le SS marchait dans ce couloir et disait encore: “Du! Du”. Nos cœurs faisaient un bruit sourd. Avec ce bruit dans nos têtes, le sang montait à nos tempes et c’était comme si ce sang allait jaillir de nos nez, de nos oreilles et de nos yeux. C’était dramatique.
– Comment se comporta St. Maximilien pendant cette sélection?
Le Père Maximilien et moi-même étions dans la septième rangée. Il se tenait à ma gauche, deux ou trois amis peut-être nous séparaient de lui. Quand les rangées devant nous diminuèrent, une peur de plus en plus grande nous saisit. Je dois dire : peu importe la détermination ou la frayeur d’un homme ; aucune philosophie ne lui est alors utile. Heureux celui qui croit, qui est capable de se reposer sur quelqu’un, de demander à quelqu’un la miséricorde. J’ai prié la Mère de Dieu. Je dois l’avouer avec honnêteté : je n’avais alors jamais prié ni avant ni après avec tant de zèle.
Bien qu’on pouvait entendre encore « Du ! », la prière en moi me changea suffisamment pour que je me calme. Les gens ayant la foi n’étaient pas aussi effrayés. Ils étaient prêts à accepter en paix leur destin, presque en héros. C’était formidable. Les SS passèrent à côté de moi, me balayant des yeux et puis passèrent à côté du Père Maximilien. Franciszek Gajowniczek leur plut ; il se tenait à la fin de la rangée, et était un sergent de 41 ans de l’armée polonaise. Quand l’allemand dit « Du ! » et le montra du doigt, le pauvre homme s’exclama : « Jésus ! Marie ! Ma femme, mes enfants ! » Bien sûr, les SS ne prêtaient pas attention aux paroles des prisonniers et écrivaient juste leur numéro. Gajowniczek jura plus tard que s’il avait péri dans le bunker de la faim, il n’aurait pas su qu’une telle plainte, une telle supplique était venue de sa bouche.
– La sélection terminée, est-ce que les prisonniers restants ressentaient du soulagement que la grande peur soit finie ?
La sélection prit fin, dix prisonniers ayant été choisis. C’était leur ultime appel. Quant à nous, nous pensions que ce cauchemar debout allait prendre fin : nous avions mal à la tête, nous voulions manger, nos jambes étaient enflées. Soudain, une agitation débuta dans ma rangée. Nous nous tenions à intervalle de la longueur de nos sabots quand tout à coup quelqu’un commença à avancer entre les prisonniers. C’était le Père Maximilien.
Il avançait à petits pas, car personne ne pouvait faire de grands pas avec des sabots, car il fallait retrousser ses orteils pour empêcher les sabots de tomber. Il se dirigeait tout droit vers le groupe de SS, qui se tenait près de la première rangée de prisonniers. Tout le monde tremblait, car il s’agissait de la transgression d’une des règles les plus importantes, ce qui voulait dire un châtiment brutal à la clé. La sortie de la rangée voulait dire la mort. Les nouveaux prisonniers qui arrivaient dans le camp, ne sachant rien de cette interdiction étaient battus jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus travailler. Cela équivalait à aller au bunker de la faim.
Nous étions certains qu’ils tueraient le Père Maximilien avant qu’il parvienne jusqu’au bout. Mais quelque chose d’extraordinaire se produisit qui ne fut jamais observé dans l’histoire des sept cents camps de concentration du Troisième Reich. Il n’est jamais arrivé qu’un prisonnier de camp puisse quitter la rangée sans être puni. C’était quelque chose de si inimaginable pour les SS qu’ils restèrent interloqués. Ils se regardèrent les uns les autres sans savoir ce qu’il se passait.
– Que se passa-t-il ensuite ?
Le Père Maximilien marchait dans ses sabots et son uniforme rayé de prisonnier avec son bol sur le côté. Il ne marchait pas comme un mendiant, ni comme un héros. Il marchait comme un homme conscient de sa grande mission. Il se tenait calmement face aux officiers. Le commandant du camp retrouva finalement ses esprits. Furieux, il demande à son adjoint « Was will dieses Polnische Schwein?” (« Que veut ce porc de Polonais? »). Ils commencèrent à chercher le traducteur, mais il se trouva que le traducteur n’était pas nécessaire. Le Père Maximilien répondit calmement : « Ich will sterben für ihn » (« Je veux mourir a sa place »), montrant de sa main Gajowniczek qui se tenait à côté.
Les Allemands restèrent abasourdis, la bouche ouverte d’étonnement. Pour eux, les représentants de l’impiété du monde, il était incompréhensible que quelqu’un souhaite mourir pour un autre homme. Ils regardèrent le Père Maximilien d’un regard interrogateur : est-ce qu’il est devenu fou ? Peut-être n’avons-nous pas compris ce qu’il a dit ?
Finalement, la deuxième question arriva : « Wer bist du? » (« Qui es-tu ? »). Le Père Maximilien répondit : « Ich bin ein Polnischer Katolischer Priester » (« Je suis un prêtre catholique polonais »). Ici, le prisonnier confessa qu’il était polonais, donc qu’il venait de la nation qu’ils détestaient. De plus, il admettait qu’il était un homme du clergé. Pour les SS, le prêtre était une douleur de la conscience. Il est intéressant de noter que, dans ce dialogue, le Père Maximilien n’utilisa pas une seule fois le mot « s’il vous plait ». En parlant comme il l’avait fait, il avait brisé le pouvoir que les allemands avaient usurpé de droit de vie ou de mort et il les forçait à parler autrement. Il se comportait comme un diplomate expérimenté. Seulement, au lieu d’une queue de pie, d’une écharpe ou de décorations, il se présentait lui-même dans un costume de prison rayé, un bol et des sabots. Le silence mortifère régnait et chaque seconde semblait durer des siècles.
Finalement, quelque chose arriva, que ni les Allemands ni les prisonniers n’ont compris jusqu’à ce jour. Le capitaine SS se tourna vers le Père Maximilien et s’adressa à lui avec le « Sie » (« vous ») de politesse et lui demanda : « Warum wollen Sie für ihn sterben ? » (« Pourquoi voulez-vous mourir à sa place ? »)
Toutes les normes établies des SS s’effondraient. Un moment auparavant, il l’avait appelé le « porc de Polonais » et maintenant il se tournait vers lui et le vouvoyait. Les SS et les officiers ordinaires qui se tenaient près de lui n’étaient pas sûrs d’avoir bien entendu. Une seule fois, dans l’histoire des camps de concentration, un officier de haut-rang, auteur de meurtres de milliers de personnes, s’est ainsi adressé à un prisonnier de cette manière.
Le Père Maximilien répondit : « Er hat eine Frau und Kinder » (« Il a une femme et des enfants »). Ce qui est le résumé de tout le catéchisme. Il montrait à tous ce que la paternité et la famille voulaient dire. Il avait deux doctorats soutenus à Rome « summa cum laude » (la meilleure note possible), et était éditeur, missionnaire, enseignant académique de deux universités à Cracovie et Nagasaki. Il pensait que sa vie valait moins que la vie d’un père de famille ! Quelle formidable leçon de catéchisme !
– Comment l’officier réagit-il aux paroles du Père Maximilien ?
Tout le monde attendait de voir ce qui allait se passer ensuite. Le SS se savait le maître de la vie et de la mort. Il pouvait donner l’ordre de le battre très violemment pour avoir enfreint la règle strictement observée concernant le fait de sortir du rang. Et plus important encore, comment est-ce qu’un prisonnier osait prêcher la morale ?! L’officier pouvait faire condamner les deux à la mort par la faim. Après quelques secondes, le SS dit : « Gut » (« Bon »). Il était d’accord avec le Père Maximilien et admettait qu’il avait raison. Cela voulait dire que le bien avait gagné contre le mal, le mal absolu.
Il n’y a pas de plus grand mal que, par haine, de condamner un homme à périr de faim. Mais il n’y a pas non plus de plus grand bien que de donner sa propre vie pour un autre homme. Le bien absolu gagne. Je voudrais insister sur les réponses du Père Maximilien : on le questionne à trois reprises et par trois fois il répond avec concision et brièveté, usant de quatre mots. Le chiffre quatre dans la Bible signifie symboliquement l’homme tout entier.
– Quelle importance pour vous et les autres prisonniers restants d’avoir été témoins de tout ceci ?
Les Allemands laissèrent Gajowniczek retourner dans le rang et le Père Maximilien prendre sa place. Les condamnés devaient retirer leurs sabots parce qu’ils ne leur étaient plus d’aucune utilité. La porte du bunker de la faim était ouverte seulement pour en sortir les cadavres. Le Père Maximilien entra en dernier avec son binôme et il l’aida même à marcher. C’était comme ses propres obsèques avant sa mort. Devant le bloc, on leur dit de retirer leurs uniformes rayés et on jeta les prisonniers dans une cellule de huit mètres carrés. La lumière du jour filtrait à travers les trois barreaux de la fenêtre sur le sol froid, dur et humide et les murs noirs.
Un autre miracle arriva là-bas. Le Père Maximilien, bien qu’il respirait à l’aide d’un seul poumon, survécut aux autres prisonniers. Il demeura vivant dans la chambre de la mort pendant 386 heures. Tous les médecins reconnaîtront que c’est incroyable. Après cette agonie horrible, le bourreau dans un uniforme médical lui donna une injection mortelle. Mais il ne succomba pas non plus… Il durent le finir avec une deuxième injection. Il mourut la veille de l’Assomption de la Sainte Vierge Marie, Son Commandant-en-Chef. Il voulait travailler et mourir pour Marie l’Immaculée toute sa vie. Ce fut sa plus grande joie.
– En référence à la première question, pouvez-vous s’il vous plaît développer : qu’est-ce que cette attitude extraordinaire du Père Maximilien (être délivré de la mort par la faim) signifia pour vous ?
Le sacrifice du Père Maximilien inspira de nombreux travaux. Il renforça l’activité du groupe de résistance du camp, l’organisation souterraine des prisonniers et cela divisa le temps entre « l’avant » et « l’après » du sacrifice du Père Maximilien. De nombreux prisonniers ont survécu à leur passage au camp, grâce à l’existence et aux opérations de cette organisation. Quelques-uns d’entre nous reçurent de l’aide, deux sur cent. J’ai reçu cette grâce, vu que je suis l’un de ces deux. Franciszek Gajowniczek fut non seulement secouru mais vécut encore 54 ans.
Notre saint compagnon-prisonnier secourut, par-dessus tout, l’humanité en nous. Il était un guide spirituel dans le bunker de la faim, donna du soutien, dirigea les prières, pardonna les péchés et mena les mourants vers l’autre monde avec le signe de la Croix. Il renforça la foi et l’espoir en nous qui avons survécu à la sélection. Au milieu de cette destruction, cette terreur et le mal, il redonna l’espoir.