Le District de France: Trente ans déjà
publié dans nouvelles de chrétienté le 5 janvier 2017
SOURCE – Abbé Christian Bouchacourt, fsspx – Fideliter – Propos recueillis par l’abbé Philippe Toulza – novembre-décembre 2016
Voici donc quarante années que le district existe. Quelle est votre première réflexion à cette occasion?
C’est d’abord l’action de grâces, tout d’abord pour l’impulsion donnée par notre fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, au moment de l’été « chaud », en 1976, et la messe de Lille… tout est parti de là. Nous remercions le bon Dieu pour la Fraternité qui n’a cessé de se consolider par la suite, dans un monde qui se déchristianisait et qui apostasie. Nous remercions également le Ciel pour toutes les bénédictions qu’il a versées sur nous pendant ces quatre décennies.
Rien n’aurait été possible sans ces anciens, prêtres amis, fidèles, associations de laïcs. En particulier, il ne faut pas oublier ces prêtres qui, dans toutes les régions de France, ont énormément souffert, pendant le concile Vatican II, et ensuite des ravages du modernisme. Ici et là, prêtres et fidèles ont d’abord maintenu la Tradition localement. Puis la Fraternité est arrivée, elle a trouvé grâce à eux un terrain favorable, ils l’ont soutenue. De nombreuses vocations sont venues de ces familles.
Quels progrès majeurs peut-on retenir de ces quarante années d’apostolat ?
Je dirai : la pénétration en France du catholicisme traditionnel par capillarité. En effet, le tissu chrétien s’était déchiré avec le concile. Par le biais de la Tradition, il se reconstitue doucement.
Ce qui est très beau, ce sont d’abord les familles. Les parents accueillent généreusement les enfants que le bon Dieu leur envoie, font de gros sacrifices pour l’éducation de leurs enfants. Peu à peu des foyers authentiquement catholiques se recréent, d’où sortent d’autres foyers, ainsi que des vocations religieuses et sacerdotales. Les parents reprennent le combat de ceux qui les ont précédés.
Les écoles ont également beaucoup fait progresser la reconquête : écoles de la Fraternité Saint-Pie X, cours des dominicaines enseignantes, etc., qui sont indispensables pour retisser la chrétienté, pour reconstituer, de concert avec les parents, une petite élite catholique qui se met à rayonner dans la société, dans les métiers (artisans, ouvriers, professions diverses). Monsieur Adrien Bourdoise, fondateur du séminaire de Saint-Nicolas-du- Chardonnet à Paris, disait que les écoles sont le « noviciat du christianisme ».
C’est cela, la reconstitution par capillarité. Ces petites lumières brillent dans l’obscurité, ravivent l’espérance. Bien entendu, le district a connu l’épreuve, d’autant plus que l’Église subit une tempête sans précédent, et comme nous sommes dans l’Église, nous sommes aussi dans la tempête. Parmi les épreuves, il y a par exemple la douleur de voir le départ de certains confrères. Sur une ligne de crête, certains glissent à droite, d’autres à gauche. Et nous avons une pensée et une prière pour tous les membres de la Fraternité qui sont décédés.
L’histoire de la Fraternité est un chapelet d’épreuves, il en est évidemment de même pour le district de France. Mais notre communauté est toujours sortie renforcée de ces peines.
Quelle est la mission propre à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ?
Bien avant le début de la crise dans l’Église, Mgr Marcel Lefebvre avait souhaité fonder une oeuvre pour la formation et la sanctification des prêtres. Cependant, après le concile Vatican II, lorsque la messe et le sacerdoce ont été mis en péril, il a été conduit à fonder cette oeuvre, afin de maintenir le sacerdoce et la messe traditionnels.
On peut dire donc que c’est à l’occasion de la crise que la Fraternité est née, mais pas d’abord afin de s’opposer à cette crise. Sa fin première est la sanctification du sacerdoce. Toutefois, parce que cette sanctification est empêchée par les méfaits postconciliaires, et à cause des mauvaises nouveautés, la résistance au modernisme s’est trouvée au coeur de la Fraternité et y demeure encore aujourd’hui.
Les séminaires dans les diocèses se vident. On voit ainsi que le concile a atteint l’Église au plus profond. Mais dans nos maisons de formation, les vocations continuent d’entrer. C’est un « miracle » de la grâce que ces jeunes quittent un monde comme le nôtre pour se donner ainsi à Dieu. Il faut rendre grâces pour cela. De la sanctification des prêtres découle la qualité des âmes qui viennent à eux, et la valeur de notre pays.
Les séminaires, dans la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, ne dépendent pas du supérieur du district où ils se trouvent. Ils sont internationaux et dépendent de la Maison Générale. Cependant, beaucoup de séminaristes, dans notre séminaire de Flavigny-sur-Ozerain, sont français. Pour un supérieur de district de France, Flavigny est comme « la prunelle de ses yeux ». C’était pareil en Argentine, où j’ai été supérieur de district auparavant : il y avait un séminaire près de Buenos Aires, et comme supérieur de district je m’y intéressais beaucoup, pour les mêmes raisons. Un séminaire, c’est, pour un district, le signe de l’espérance.
Au sein de la Fraternité, ce district a-t-il une physionomie particulière ?
Aucun district ne ressemble tout à fait à un autre. Clovis a été baptisé par saint Rémi. La France a une physionomie et une mission particulières dans l’Église : elle est comme sa « fille aînée ». Alors bien sûr le district a aussi une physionomie particulière. On peut déjà remarquer que la résistance aux réformes est partie de la France. Du reste, notre fondateur était français. Parmi les premiers prêtres de la Fraternité, beaucoup sont français. Et c’est en France que la réaction contre Vatican II a été la plus vive et la plus forte.
C’est un fait que, à l’étranger, en Amérique du Sud par exemple, on regarde la vie de la Tradition en France, on s’intéresse à ce qui s’y passe et à ce qui en sort.
Pourriez-vous nous présenter le district en quelques mots ?
C’est comme un magnifique navire, qui va au grand large, à la conquête des âmes, pour les donner à Dieu. D’ardents soldats travaillent sur le pont. Il compte environ 160 prêtres, un peu plus de 30 frères. Nos frères sont les auxiliaires des prêtres et travaillent avec une générosité admirable. Le district est aussi riche d’une quinzaine d’oblates qui aident nos prêtres dans la discrétion. Et puis voici la cohorte des membres du Tiers-Ordre, qui sont environ 600. Ces fidèles vivent dans le monde mais prient pour nos prêtres, offrent leur vie, leurs devoirs d’État pour la sanctification de leurs pasteurs. Ils participent aux biens spirituels de notre famille.
Les premières associées du district, ce sont les Soeurs de la Fraternité qui sont attachées à nos prieurés, à nos écoles, à nos maisons en général. Cette congrégation représente une magnifique aide pour nos prêtres. Elles sont un peu l’âme de nos établissements, elles prient pour nous, participent à notre apostolat, nous soulagent des tâches matérielles aussi.
Parmi les communautés religieuses distinctes de la Fraternité proprement dites mais qui sont nos amies, je veux citer en particulier les communautés contemplatives ou semi-contemplatives. Elles ont un rôle capital mais caché. Monseigneur Lefebvre, partout où il a été évêque « ordinaire », a voulu des communautés contemplatives pour attirer les grâces sur son diocèse. Au risque d’en oublier, je citerais les carmélites, les clarisses, les dominicaines contemplatives, les bénédictines, et aussi le Trévoux.
Et je ne parle pas des autres communautés : communautés religieuses féminines actives (dominicaines enseignantes, Soeurs de Saint-Jean-Baptiste dites « du Rafflay », religieuses de Mérigny) et les communautés masculines qui marchent dans le même sens que nous, à Morgon, Bellaigue, Mérigny, Caussade, et celles que, peut-être, hélas j’oublie.
Il y a aussi les oeuvres pour les fidèles ?
Effectivement, il ne faut pas oublier les multiples oeuvres apostoliques qui se développent dans le district (Croisade Eucharistique, scouts, MJCF, confréries, conférence de Saint-Vincent-de-Paul, Milice de Marie, Milice de l’Immaculée…)
On peut mentionner aussi les grands rendez-vous annuels de notre district. Ils sont des occasions d’apostolat, mais manifestent aussi la vitalité du tissu qui se reconstruit ainsi peu à peu. Citons le pèlerinage de Chartres à Paris, qui est vraiment un pèlerinage de sacrifice et, par ce biais-là, le Ciel a accordé de nombreuses grâces à notre district. Le pèlerinage de Lourdes est l’occasion d’une grande ferveur, et la sainte Vierge voit y affluer nos malades, nos familles, et guérit les plaies de nos âmes. L’Université d’été forme de son côté les intelligences et fortifie les volontés pour former des âmes apostoliques et reconquérir le terrain.
C’est finalement tout une petite chrétienté qui se reconstruit.
Cette reconstruction est aussi matérielle ?
Grâce à la générosité des catholiques de Tradition, la Fraternité a eu les moyens de s’étendre et de multiplier les acquisitions. On compte aujourd’hui en France 36 prieurés, 34 écoles, 13 aumôneries de maisons religieuses, 5 maisons de retraites spirituelles, un institut universitaire et une maison pour nos anciens, le Brémien- Notre-Dame.
Dans le passé, les églises et les paroisses furent construites grâce à la générosité des catholiques. Il en est de même aujourd’hui. Tout s’est édifié grâce à la Providence, et à la générosité des fidèles. Leur charité est parfois anonyme.
Monsieur l’abbé, voici deux ans et demi que vous avez la charge de ce district. Que vous inspire ce premier recul ?
Le supérieur de district est comme le curé de ses prêtres. Son premier devoir est donc de s’occuper d’eux. De la qualité des prêtres dépend la sainteté des fidèles qui leur sont confiés. Tel est mon souci.
Je dois rendre hommage à la générosité des confrères, qui se donnent sans compter au service des âmes. Ils sillonnent la France pour étendre le règne de Jésus-Christ.
Le district, ce sont des prêtres, des frères, des oblates, et les ouailles qui fréquentent nos centres de messe. La plupart sont des Français.
César observait que les Gaulois passaient leur temps à se battre entre eux. Deux mille ans plus tard, le peuple est resté le même de ce côté-là. Le Français est resté gaulois : exigeant, râleur, aimant la guerre.
Parfois, dans notre pays si comblé de Dieu pourtant, tout a tendance à partir dans tous les sens. Mgr Richard Williamson a résumé cela d’une formule bien à lui : les Français sont « insupportables mais indispensables » !
Un peuple aussi talentueux et lutteur, c’est une richesse mais cela peut donner des sueurs froides à un supérieur, qui doit canaliser toutes ces énergies au service de Notre-Seigneur.
Si l’on étend son regard à l’Église de France en général, peut-on dégager un constat pour le présent et des perspectives pour le futur ?
L’Église de France est objectivement en faillite. Des paroisses ferment ou sont réunies. Des églises tombent en ruines, certaines sont détruites, d’autres transformées en résidences. Des couvents aussi sont mis en vente.
Un certain vide se fait. L’islam en profite, s’éveille, comble le vide. Mais ce qui fait le lit de l’islam, c’est la tiédeur des chrétiens, la démission des catholiques, l’immoralité qui se répand partout, l’apostasie de la société. Comme signe de cette apostasie, je remarque les lois mortifères adoptées par l’État : avortement, divorce, mariage contre nature…
Ce qui est dramatique, c’est que les autorités de l’Église restent muettes. C’est un désert d’élites. Les chefs n’émergent plus.
Dans ce contexte, le rôle de la Fraternité est d’être comme le grain de sénevé de l’Évangile. Nos maisons doivent être de petits grains de sénevé qui vivent de la messe (elle est éminemment apostolique) et tâchent de reconstruire ce qui a été détruit ; des pôles de résistance, mais aussi de reconquête. Il faut espérer que, grâce à cette lente reconquête, le bon Dieu suscite un jour, du sein de nos fidèles, des âmes capables de redresser la situation : prêtres, religieux, chefs catholiques.
Un petit mot à propos des élections présidentielles qui approchent ?
Comme chaque fois, les candidats sont nombreux pour le poste. Mais, quel que soit son «bord politique», un candidat qui n’a pas l’intention d’abroger les lois iniques de l’avortement, de l’union contre nature, etc., est condamné à l’échec. Car ces lois attirent la malédiction sur notre pays. Il faut espérer qu’un jour un homme d’État prendra cette route-là. Ce n’est pas impossible, même si c’est humainement difficile.
Il faut espérer qu’un jour l’autorité sera rétablie en France. Mais une restauration de l’autorité politique sera illusoire si elle n’est pas accompagnée par l’Église régénérée, et celle-ci ne pourra être régénérée que par la Tradition. La langue de bois des politiques trouve un écho dans la langue de buis de nos évêques. Ces derniers sont devenus inaudibles. Quelle responsabilité !
Pourriez-nous nous parler de l’avenir et donner quelques recommandations ?
La tentation est aujourd’hui de se décourager : « à quoi bon ? », «tout est fichu ! » Cette tentation est notre pire ennemi. Ne baissons pas les bras. Avec l’aide de Dieu, tout est possible, nous pourrions dire aussi « Yes, we can », « Oui, nous pouvons », cette fois pour le bien.
Notre patron, notre Père qui est au Ciel, est tout-puissant. Il veille sur ses enfants. Si nous faisons notre travail, il se servira de nous pour étendre son royaume.
Je demande aux fidèles d’être unis derrière leurs prêtres, de les soutenir. Qu’ils se forment, également. Fideliter et les éditions Clovis sont un instrument privilégié pour y parvenir. Il importe également de faire connaître les « fenêtres » de notre société que sont Dici et la Porte Latine.
Quand se terminera la crise qui secoue l’Église ? Nous ne le savons pas, mais qu’importe ? Travaillons, soyons sur le pont, les pieds sur terre et la tête au Ciel. Prions, faisons prier les enfants pour les vocations. Notre petite armée alors remportera la victoire, avec la grâce de Dieu et l’aide de Notre-Dame.
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Abbé Christian Bouchacourt, Supérieur du District de France de la FSSPX