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Entraide et Tradition

« La chose » liturgique en danger

publié dans nouvelles de chrétienté le 11 mars 2017


Rome : Commission liturgique néo-bugninienne

(Source: Riposte-Catholique)

Le blogue espagnol de Francisco José Fernández de La Cigoña vient de révéler la composition d’une mystérieuse Commission dont nous avions parlé, le 30 janvier, créée par le Pape François, au sein de la Congrégation pour le Culte divin, dans le but de réviser l’instruction Liturgiam authenticam sur les traductions des textes liturgiques, et qui s’inspirera spécialement de la charte libérale de l’inculturation liturgique, l’Instruction Varietates legitimae, du 25 janvier 1994.

Il faut savoir que Liturgiam authenticam, parue le 28 mars 2001, sous le pontificat de Jean-Paul II, est un texte fondamental de “restauration” : « La traduction des textes de la liturgie romaine ne sont pas une œuvre de créativité. […] Il est nécessaire que le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses » (n. 20). Pour les cardinaux ratzinguériens qui se sont succédé à la Congrégation, Medina, Arinze, Cañizares, Sarah, la rectification des traductions liturgiques idéologiques était la première étape pour une remise en ordre de la liturgie dévastée, voire pour une « réforme de la réforme ».

Le dernier d’entre eux, le cardinal Sarah, avait été nommé par le pape François en 2014, ce qui avait à l’époque beaucoup surpris. En réalité, il l’avait été sur l’insistance du cardinal Cañizares, auquel le Pape ne pouvait refuser cette consolation. Mais Sarah a été immédiatement ligoté : au secrétaire de la Congrégation, Mgr Roche, un bugniniste modéré en apparence, fut adjoint un sous-secrétaire, un pur bugniniste, le P. Maggioni, après le licenciement sans préavis de Mgr Anthony Ward et de Mgr Juan Miguel Ferrer, le 5 novembre 2014 (avertis par Roche à 8 h 30 du matin, ils quittaient leur bureau à midi). Ensuite, les cardinaux et évêques membres de la Congrégation (qui votent dans les assemblées plénières) furent complètement renouvelés, le 28 octobre 2016 (cardinaux Burke et Pell, exclus, cardinal Ravasi, Mgr Piero Marini, nommés, etc.) C’est par une Lettre pontificale que le Pape lui a appris la constitution de ce nouveau Consilium, constitution dont il n’avait été nullement informé au préalable. Contre tous les usages, il n’était pas nommé président de la Commission, dont il n’était pas même membre.

Cette nouvelle Commission, clairement destinée à le court-circuiter est composée, selon notre confrère espagnol, de : Mgr Arthur Roche, secrétaire de la CCD, président ; le Père Corrado Maggioni, sous-secrétaire de la CCD, vice-président ; Mgr Dominic Jala (salésien), archevêque de Shillong (Inde) ; Mgr Mark Benedict Coleridge, archevêque de Brisbane (Australie) ; Mgr Piero Marini, président du Comité pour les Congrès eucharistiques internationaux, ancien secrétaire de Mgr Bugnini, ancien cérémoniaire pontifical ; Mgr Bernard-Nicolas Jean-Marie Aubertin, archevêque de Tours (France) ; Mgr Julian López Martin, évêque de León ; Mgr Arthur Joseph Serratelli, évêque de Paterson (États-Unis) ; Mgr Friedhelm Hofmann, évêque de Wurzburg (Allemagne) ; Mgr Jean-Pierre Kwambamba Masi, évêque auxiliaire de Kinshasa (Congo démocratique) ; Mgr John Bosco Chang Shin-Ho, évêque auxiliaire de Daegu (Corée) ; Mgr Domenico Sorrentino, évêque d’Assise (Italie) ; le Père Jérémy Driscoll, professeur à l’Université Saint-Anselme de Rome, bénédictin de l’abbaye de Mount Angel (Oregon, États-Unis) ; le Père Matias Augé : clarétain espagnol, professeur honoraire de l’Institut Pontifical Liturgique ; Mgr Giacomo Incitti, professeur de droit canonique à l’université urbanienne ; le Père Mario Lessi-Ariosto, jésuite italien ; le Père Christoph Ohly, prêtre diocésain du diocèse de Cologne, professeur de théologie à Trèves ; Mme Valeria Trapani, professeur à la Faculté de théologie de Palerme, membre de la Commission liturgique du diocèse de Palerme Et… Giovanni Maria Vian, directeur de L’Osservatore Romano, dont tout le monde ignorait qu’il avait la moindre compétence liturgique. Il est vrai, qu’en revanche, Vian a de solides compétences idéologiques.

Les libéraux sont fortement représentés dans le Consilium, fait remarquer Francisco José Fernández de La Cigoña (Marini, Coleridge, Serratelli, Sorrentino, López Martin, un « intégriste Paul VI »). Mgr Roche, libéral en son fond, mais très diplomate, avait adressé à la Conférence des évêques canadiens, en septembre 2014, une lettre qui le caractérise, où il distinguait dans les traductions une « équivalence dynamique ou fonctionnelle » avant Liturgiam authenticam, et une « équivalence formelle » après. Avant, la créativité dynamique, après, la formalité rigide…

Concrètement, pour l’aire allemande, c’est le blocage complet depuis 2013 : les évêques ont rejeté le travail de la Commission Ecclesia Celebrans, que Benoît XVI avait suscité au sein de la Congrégation, en déclarant s’opposer « à un langage liturgique qui ne serait pas le langage du peuple ». Ils ont décidé d’entamer leur propre travail qu’ils comptent bien imposer à Rome. L’un des différends porte sur la traduction du pro multis (« pour beaucoup ») de la consécration, les évêques voulant für allé (« pour tous »), et non für viele, exigé par la Congrégation. Depuis le départ en 2014 du cardinal Joachim Meisner, archevêque de Cologne, ami de Benoît XVI, les libéraux font la loi au sein de Conférence épiscopale, dominée par son président, le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich, avec Stephan Ackermann, évêque de Trèves, Heiner Koch, évêque de Berlin, puissamment aidés à Rome par le cardinal Walter Kasper.

C’est aussi la traduction de pro multis que les Italiens font valoir pour justifier leur propre opposition, mais avec d’autres motifs de blocage : ils veulent notamment la reconduction des nombreuses options qui truffent leur Missel. Il faut dire que le monde des liturgistes italiens est fort bien organisé en un efficace groupe de pression, autour notamment de l’Association des Professeurs de Liturgie, qui enseignent à l’Université Saint-Anselme, aux instituts de liturgie de Padoue, Palerme, Bologne, Milan, et dans les séminaires diocésains. Le Bureau liturgique national de la Conférence des évêques italiens est entre leurs mains, ainsi que les revues liturgiques qui comptent, La Rivista di pastorale liturgicaLa Rivista liturgica.

En revanche, pour l’aire anglo-saxonne, en raison de l’implication des cardinaux Arinze et Pell, le travail de rectification des traductions avait heureusement abouti, grâce au comité Vox Clara, présidé par George Pell, qui avait été constitué au sein de la Congrégation pour faire contrepoids à la très libérale Commission ICEL (International Commission on English in the Liturgy), organisme de coordination entre les conférences épiscopales anglophones. Mais depuis que la nouvelle traduction est mise en application, des critiques continuelles (la traduction anglaise serait rejetée par la moitié des fidèles et 71 % des prêtres à cause de son style « trop formel » et « pompeux ») visent à le remettre en cause. La nouvelle Commission entendra certainement ces plaintes.

En Espagne, liturgiquement paisible et conciliairement alignée, la nouvelle édition du Missel romain a été révisée sous la surveillance de López Martin et est entrée en vigueur le premier dimanche de Carême.

Pour l’aire française, le projet de traduction de la Congrégation du cardinal Sarah, a été approuvé par environ les trois quarts des évêques français (alors que Liturgiam authenticam n’exige que les deux tiers des voix) lors de leur Assemblée plénière de mars 2016, et on laissait entendre que le nouveau Missel pourrait entrer en vigueur au Carême ou à l’Avent 2017. Sauf que le vote était assorti d’une condition résolutoire qui a provoqué, jusqu’à présent, le blocage : les évêques français approuvaient, « laissant à la Commission épiscopale francophone pour les traductions liturgiques le soin d’apporter les dernières mises au point du texte ». Or les mises au point que voulait faire la Conférence étaient loin d’être mineures. Elles concernaient notamment la traduction du Confiteor : le cardinal Sarah voulait « C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute », au lieu de « Oui, j’ai vraiment péché » ; dans le « Credo », il demandait « consubstantiel », au lieu de : « de même nature » ; dans l’Orate fratres il tenait à traduire « Priez mes frères pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréable à Dieu le Père tout-puissant ℞ Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice pour la louange et la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute sa sainte Église », au lieu de « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église ℞ Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Les Français demandaient que l’ancienne traduction « large » puisse toujours être utilisée ad libitum. Ce que la Congrégation a, jusqu’à présent, refusé.

Au Canada, en Belgique et en Suisse, les évêques n’ont même pris la peine de voter, faisant savoir a priori leur opposition aux rectifications demandées par le cardinal Sarah.

Il est cependant un point que la nouvelle Commission pourrait faire rectifier opportunément, mais gageons qu’elle s’en gardera bien : les pays africains francophones disposent uniquement de l’édition du Missel réalisé par la France et dépendent totalement de l’approbation de la France. On ne leur demande pas même de voter, à l’exception des évêques d’Afrique du Nord, qui font partie de la Commission épiscopale francophone pour les traductions liturgiques, la CEFTL, avec les évêques de Belgique, du Canada, de France, de Suisse, les évêques de Luxembourg et de Monaco, mais dont sont exclus l’Afrique francophone et Haïti. Étrange situation néocoloniale appliquée à des épiscopats jugés sans doute trop conservateurs…

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