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Entraide et Tradition

Un peu d’histoire

publié dans la doctrine catholique le 19 avril 2017


Historique de ND des sept douleurs

 

On trouve les premières traces de la dévotion aux douleurs de la Vierge, à la fin du XI° siècle, particulièrement dans les écrits de saint Pierre Damien (+1072), de saint Anselme (+ 1109), d’Eadmer de Cantorbéry (+ 1124), de saint Bernard (+ 1153) et de moines bénédictins et cisterciens qui méditent le passage de l’Evangile qui montre Marie et Jean au pied de la Croix.[1]

Saint Anselme[2] écrit : Votre peine, Vierge sacrée, a été la plus grande qu’une pure créature ait jamais endurée ; car toutes les cruautés que nous lisons que l’on a fait subir aux martyrs, ont été légères et comme rien en comparaison de votre douleur. Elle a été si grande et si immense, qu’elle a crucifié toutes vos entrailles et a pénétré jusque dans les plus secrets replis de votre cœur. Pour moi, ma très pieuse Maîtresse, je suis persuadé que vous n’auriez jamais pu en souffrir la violence sans mourir, si l’esprit de vie de votre aimable Fils, pour lequel vous souffriez de si grands tourments, ne vous avait soutenue et fortifiée par sa puissance infinie.

La Compassion de la Vierge au pied de la Croix alimenta la piété des fidèles jusqu’au XV° siècle et l’on connaît bien des morceaux composés sur ce thème, qui n’ont rien perdu de leur fraîcheur, quoique la plupart soient bien oubliés, puisque la dévotion privée ne s’alimente plus de prières latines. Jacopone de Todi nous a laissé le chef d’œuvre du genre dans le Stabat Mater, poème de l’amour qui souffre sans désespérer, du contrit qui s’attache au Christ et à Marie, et qui goûte la joie surnaturelle retrouvée par son union aux douleurs du Fils et de la Mère. La messe de Notre-Dame des douleurs comprend ce poème de compassion.

Les XIII° et XIV° siècles ne contemplent que la douleur de Marie au pied de la Croix, comme en témoignent les écrits franciscains[3] de saint Bonaventure ou de saint Bernardin de Sienne (1380-1444), et les écrits dominicains de Jean Tauler (1294-1361)du bienheureux Henri Suso (1295-1366) ou de saint Antonin (1389-1459) ; c’est encore l’objet unique de l’office de la Compassion de la bienheureuse Vierge Marie instituée par le concile de Cologne (1423), comme de celui que les Annonciades4 célébraient, au début du XV° siècle, le lundi de la semaine de la Passion. A cette époque, le culte de Marie sous le titre de Mater Dolorosa prend une extension considérable, singulièrement dans les Flandres où abondent les livres liturgiques, les monuments d’art religieux et les opuscules de piété.

Il faut attendre le XIV° siècle pour que l’on parle communément des sept douleurs (sept glaives) de la Vierge : la prophétie du vieillard Siméon, le massacre des Innocents et la fuite en Egypte, la perte de Jésus au Temple de Jérusalem, l’arrestation et les jugements du Christ, la mise en croix et la mort du Christ, la déposition de la croix et la mise au tombeau.

Au cours des temps, comme elle l’avait déjà fait pour ses joies, la piété populaire étendit la compassion de la Vierge à toute sa vie, mais il est assez difficile d’en suivre l’évolution. Peut-être a-t-on commencé à opposer aux cinq joies de la Vierge ses cinq douleurs : la prophétie de Siméon, la perte de Notre-Seigneur à Jérusalem, l’arrestation, la Passion et la mort du Christ. Rapidement, le nombre augmenta : on a des séries de dix, de quinze, voire de cent cinquante[5]. Le nombre sept allait bientôt l’emporter, sans doute en rapport avec la célébration des sept joies de la Mère de Dieu que les fondateurs de l’Ordre des Servites[6] célébraient chaque samedi et que saint Louis d’Anjou, franciscain et archevêque de Toulouse[7] (+ 1297) offrait après les Complies. Signalons quelques schémas.

Les sept heures sont une méditation des peines de la Vierge pendant la Passion : à matines, l’arrestation et les moqueries ; à prime, la comparution devant Pilate ; à tierce, la condamnation ; à sexte, la mise en croix ; à none, la mort ; à vêpres, la descente de croix ; à complies, la mise au tombeau.

Les sept glaives s’étendent à toute la vie de la Vierge : le premier glaive est la prophétie de Siméon à qui la métaphore est empruntée (Vois, cet enfant est fait pour la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en but à la contradiction, et toi-même, un glaive te transpercera l’âme, afin que se révèlent les pensées de bien des cœurs) ; le second glaive est le massacre des Innocents ; le troisième, la perte de Jésus à Jérusalem ; le quatrième, l’arrestation et les jugements du Christ ; le cinquième, la mise en croix entre deux larrons et la mort ; le sixième, la déposition de croix ; le septième, la mise au tombeau.

Les sept tristesses de la Vierge forment une série un peu différente : la prophétie de Siméon, la fuite en Egypte, la perte de Jésus au Temple, son arrestation et sa condamnation, sa mise en croix et sa mort, sa descente de croix, enfin la tristesse de la Vierge restant sur la terre après l’Ascension.

Le chiffre de sept, si aimé des symbolistes chrétiens, imposait un choix parmi les épisodes de la vie de la Vierge et l’on s’explique assez les fluctuations des auteurs ; la série suivante finit par l’emporter : la prophétie de Siméon, la fuite en Egypte, la perte de Jésus à Jérusalem, la rencontre de Jésus sur le chemin du Calvaire, le crucifiement, la descente de croix, la mise au tombeau.

Ces sept douleurs furent pour la première fois exprimées d’une façon formelle, par Jean de Coudenberghe, doyen de Saint-Gilles d’Abbenbroeck, curé de Saint-Pierre-Saint-Paul de Reimerswal, et de Saint-Sauveur de Bruges : pendant la guerre civile qui suivit la mort de Marie d’Autriche, duchesse de Bourgogne[8], il fit placer dans ses églises une image de la Vierge avec une inscription mentionnant ses sept douleurs, pour qu’on la vénérât en lui demandant la cessation des fléaux. Là, en 1492, il se forma une confrérie de Notre-Dame des Sept Douleurs, favorisée par le duc de Bourgogne, Philippe le Beau[9],

dont le confesseur, le dominicain Michel François de Lille, avait composé un ouvrage sur les douleurs de Marie (1495) ; cette confrérie qui célébrait la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs le dimanche dans l’octave de l’Ascension, fut approuvée par le pape Alexandre VI Borgia (1495). C’est encore à cette confrérie, dans un livre de miracles (1510), que l’on doit la première représentation de la Vierge avec les sept glaives. En action de grâce pour les miracles on établit une fête à Delft (1° octobre) et à Bruges (13 novembre) où Marguerite d’Autriche[10] fonda un couvent en l’honneur de Notre-Dame des sept douleurs.

Les artistes devaient bientôt choisir et traiter avec prédilection le plus douloureux épisode de la vie de la Vierge, quand le corps de son fils, détaché de la croix, est déposé sur ses genoux. Les Pieta, et les Mater Dolorosa abondent et si certains artistes modernes ont eu plus de virtuosité, ils n’ont jamais atteint à ce degré d’émotion ; assez souvent, avec une audace que les Primitifs peuvent seuls se permettre, les sculpteurs ont ramené le corps du Christ aux proportions de celui d’un enfant, pour montrer que, de la Crèche au Crucifiement, nous célébrons un profond et même mystère. A la Vierge, soutenue par saint Jean, personnage central des mises au tombeau monumentales, les artistes ont su donner une expression de douleur calme, bien loin du conventionnel.

La dévotion ne fit que croître. Saint Ignace de Loyola avait un culte particulier à l’image connue sous le nom de Notre-Dame du Cœur ; de 1603 à 1881, sans compter les traités, les panégyrique et les méditations, les Jésuites ne publièrent pas moins de quatre-vingt-douze ouvrages sur cette dévotion aux douleurs de Marie. En 1617, Antoinette d’Orléans[11], aidée par le P. Joseph, fonda les Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire (les Filles du Calvaire).

La fête de la Compassion, de Notre-Dame des Douleurs ou de Notre-Dame de Pitié, ou encore de la Transfixion[12] de Notre-Dame, est instituée au concile de Cologne (1423) contre les Hussites[13] qui désolent les églises et détruisent les saintes images et fixée au vendredi après le dimanche de la Passion : afin d’honorer l’angoisse et la douleur qu’éprouva Marie lorsque, les bras étendus sur l’autel de la Croix, notre Rédempteur Jésus-Christ s’immola pour nous et recommanda cette Mère bénie à saint Jean (…) surtout afin que soit réprimée la perfidie des impies hérétiques Hussites. Cette fête est célébrée pour la première fois à Bruges en 1494, puis ailleurs ; elle entre en France par Paris, Angers et Poitiers. et Benoît XIII l’étendit à toute l’Eglise latine (22 avril 1727) elle a été inscrite au martyrologe par Sixte IV (1471-1484).

Après avoir été fixée à des dates différentes (on l’a connue en France au 17 mars, au lundi de la Passion et à la veille des Rameaux), elle est définitivement marquée au vendredi de la première semaine de la Passion, avec le titre des Sept Douleurs. Benoît XIII l’étend à toute l’Eglise latine (22 avril 1727).

La fête de Notre-Dame des douleurs qui a subsisté dans la liturgie postérieure à Vatican II, vient des Servites qui l’obtinrent de Clément IX. Depuis 1668 l’Ordre des Servites commémorait les Sept Douleurs au troisième dimanche de septembre, ce qu’Innocent XI leur confirma comme un privilège propre. Adoptée par le Saint-Empire (1672) elle fut enrichie d’indulgences pour les fidèles par Clément XI (1704). Rendu à la liberté, Pie VII étendit cette fête à l’Eglise universelle (18 septembre 1814) ; lors de la réforme du bréviaire Pie X la fixa au jour octave de la Nativité de Notre-Dame, le 15 septembre (1908). Dans le calendrier festif de Paul VI, la première fête, celle du vendredi après le dimanche de la Passion, la plus ancienne, disparut, mais l’on conserva la seconde, celle du 15 septembre[14].

D’aucuns auraient bien voulu profiter des bouleversements que nous savons pour rejeter la Mater Dolorosa, sous prétexte que saint Ambroise affirme : Je lis qu’elle se tenait debout, je ne lis pas qu’elle pleurât. L’objection n’est pas nouvelle et Benoît XIV y répondait déjà, au milieu du XVIII° siècle : Plusieurs autres écrivains ne craignent point de la dépeindre arrosée de pleurs. Les larmes et les sanglots ne sont point toujours l’indice d’un courage abattu. Les larmes de Jésus sur Jérusalem, devant le tombeau de Lazare ou à l’Agonie, seraient-elles le signe de la faiblesse du Rédempteur ? Au siècle précédent, le franciscain Ambroise Saxius soulignait : Qu’on admette le premiers mouvements de la nature, quelques gémissements modérés et quelques larmes : l’amour ne souffre aucune atteinte, et la magnanimité conserve toute son énergie ; saint Antonin avait dit qu’elle se tenait debout, pleurant sans doute et noyée dans la douleur, mais calme, modeste, pleine d’un réserve virginale.

[1] Ce passage de l’évangile de saint Jean (XIX 25-27) a été retenu pour la messe mais l’on peut aujourd’hui le remplacer par la prophétie du vieillard Siméon : « Syméon les bénit, puis il dit à Marie, sa mère : Vois, ton fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division. – Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. – Ainsi seront dévoilées les pensées secrètes d’un grand nombre. » (évangile selon saint Luc II 33-35)

[2] Saint Anselme : De l’exercice de la Vierge, I 5.

[3] Les Franciscains de Terre Sainte font faire de nuit, aux pèlerins de Jérusalem, une rapide excursion (la maison de Pilate, la pierre où Marie s’évanouit, le Calvaire et le Sépulcre) qui est à la base du Chemin de Croix (voir au Vendredi Saint).

[4] Ordre fondé à Bourges par sainte Jeanne de France au début du XV° siècle : voir au 4 février.

[5] Le bienheureux Alain de La Roche (+ 1475) à qui est due en grande partie la dévotion du Rosaire, n’en compte en effet pas moins de cent cinquante.

[6] Les saints fondateurs de l’Ordre des Servites : voir au 17 février.

[7] Saint Louis d’Anjou : voir au 19 août.

[8] Fille unique de Charles le Téméraire et d’Isabelle de Bourbon, née à Bruxelles en 1457, morte à Bruges en 1482, d’une chute de cheval. En 1477, pour conserver l’héritage de son père, menacé par Louis XI qui encourageait la révolte de ses sujets, elle épousa l’archiduc Maximilien d’Autriche (fils de l’empereur Frédéric III). Les Etats de Bourgogne passèrent ainsi à la Maison d’Autriche. Du mariage de Marie de Bourgogne et de Maximlien de Habsbourg (devenu empereur en 1493) naquit Philippe le Beau qui épousa Jeanne la Folle, fille de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle la Catholique, d’où naquit Charles Quint (1500-1558).

[9]Fils de Marie de Bourgogne et de Maximilien de Habsbourg, archiduc d’Autriche et roi de Castille, né en 1478, mort en 1506. Il épousa Jeanne la Folle dont lui naquit le futur Charles Quint.

[10] Fille de Marie de Bourgogne et de Maximilien de Habsbourg, née en 1480, morte en 1530. D’abord fiancée à Louis XI, elle épousa Jean (fils de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle la Catholique) qui mourut aussitôt (1493) ; elle se maria avec Philippe II le Beau, duc de Savoie (1501) qui mourut trois ans plus tard et à qui elle fit élever un magnifique mausolée à Broue. Son père lui donna le gouvernement des Pays-Bas (1506) où elle fit merveille.

[11] Antoinette d’Orléans, fille de Léonor d’Orléans, duc de Longueville, et de Marie de Bourbon, duchesse d’Estouville, née au château de Trie en 1572, morte à Poitiers en 1618. Veuve de Charles de Gondi, marquis de Belle-Isle (1596), elle entre au monastère des Feuillantines de Toulouse où elle reçoit l’habit de novice (1599) et fait profession (1601) sous le nom de Sœur Antoinette de Sainte-Scholastique ; elle est élue prieure (1604). Henri IV l’en tire (bref du pape de1605) pour entreprendre la réforme de l’ordre de Fontevraud et être coadjutrice de l’abbesse de Fontevraud, Éléonore de Bourbon, sa tante, avec future succession. Elle y entre à Fontevraud mais ne veut prendre que la charge de grande-vicaire. Une bulle lui commande d’accepter et d’exercer la coadjuterie du gouvernement et de l’administration de l’Ordre avec future succession à la charge et à la dignité d’abbesse (1607). Après la mort de l’abbesse (1611) elle refuse de lui succéder et se retire au prieuré de Lencloître, tout en conservant la coadjuterie de Fontevraud. Le pape PauI V l’autorise à se séparer de Fontevraud (1617) et à fonder à Poitiers une nouvelle congrégation, nommée du Calvaire, ordre de Saint-Benoît, où elle entre (1617) et où elle meurt (25 avril 1618). Elle est inhumée aux Feuillantines de Toulouse ; en 1792, sa dépouille est transportée à l’église Saint-Nicolas puis, en 1818, chez les Bénédictines du Saint-Sacrement d’où elle est déposée au Calvaire de Machecoul.

[12] Transfixion : du latin transfigere qui signifie transpercer. En français, cela signifie traverser d’un seul coup.

[13] Les Hussites, disciples de l’hérétique Jean Hus qui fut brûlé au concile de Constance (6 juillet 1415), se divisaient en deux groupes principaux : les calixtins ou utraquistes qui réclamaient la communion sous les deux espèces, et les taborites qui rejetaient la doctrine du Purgatoire et le culte des saints. Jean Hus professait que l’Eglise est un corps mystique dont Jésus-Christ est le chef et dont les justes et les prédestinés sont les membres exclusifs. Les pécheurs et les réprouvés n’en font point partie. Les justes ne peuvent être séparés de l’Église et l’excommunication ne prévaut pas contre eux. Enfin, quand il n’y aurait ni pape ni évêques, l’Eglise n’en subsisterait pas moins par ses élus. Ces prémisses posées, Hus en venait au problème de l’autorité civile et ecclésiastique que le péché mortel annule. Quand, par le péché, cette autorité est perdue, la révolte des fidèles est licite. Car, en réalité, seul le Christ a le droit de lier ou de délier ; seul il a le pouvoir d’absoudre, la responsabilité de l’autorité ecclésiastique se limitant à entériner le pardon. L’Écriture enfin est l’unique règle de foi et de conduite. Tout ce qui n’est pas strictement dans l’Ecriture est condamnable et ne mérite ni respect ni obéissance.

[14] A Paris, c’est la fête de la confrérie Notre-Dame de la Compassion, érigée par Léon XIII, le 23 août 1897, pour la conversion de l’Angleterre, dans l’église Saint-Sulpice.

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