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Entraide et Tradition

Critique du Nouvel « Ordo Missae ». Premier article

publié dans nouvelles de chrétienté le 19 novembre 2017


 

 

(Source  lettre  de » Paix liturgique »616 publiée le 17 octobre 2017)
Paix liturgique annonce la publication d’une critique de la réforme liturgique de Paul VI en trois articles. Sont parus déjà les deux premiers articles. Nous les publions volontiers. Les critiques sont parfaitement justes et s’inspirent heureusement du « Bref Examen critique ».

 

 

:Élaborée dans le contexte théologique et des mentalités religieuses de la fin des années soixante, la réforme liturgique de Paul VI, n’a pas rempli, loin s’en faut, ses optimistes promesses. Mais si beaucoup conviennent aujourd’hui qu’elle a largement échoué, peu imaginent possible d’en dresser un bilan réaliste. Nous avons, pour notre part, ponctuellement procédé à l’analyse critique de certains des rituels de cette réforme : celui du baptême (voir notre lettre 413), celui de la confirmation (voir notre lettre 471), et celui des funérailles (voir notre lettre 443).

Nous voudrions appliquer ici notre examen au cœur de la réforme, à la messe promulguée par la constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969. Bien d’autres l’ont fait avant nous, à commencer par les cardinaux Ottaviani et Bacci dans leur Bref examen critique du nouvel Ordo Missæ, en 1969 (nouvelle édition, Renaissance catholique, 2004), mais contribuer à une réactualisation de ces analyses alors que cette réforme va bientôt avoir un demi-siècle nous a paru opportun.

Nous y consacrerons une série de trois lettres, considérant tant l’aspect rituel, ou pour mieux dire a-rituel du nouveau missel – c’est l’objet de cette première lettre –, que son contenu proprement dit. Car l’examen du nouveau missel fait en premier lieu apparaître un aspect cérémoniel tout à fait étonnant : en comparaison de celle qui l’a précédée et des autres liturgies catholiques (les liturgies orientales, la liturgie ambrosienne, etc.), la messe romaine nouvelle n’est plus véritablement un rite. Elle est comme une forme sans forme.

L’ensemble rituel du catholicisme s’était organisé au cours l’Antiquité chrétienne à partir de l’ordre du Christ : « Faites ceci en mémoire de moi ! » et des cérémonies de fraction du pain des communautés apostoliques. Entre le VIe et le XIIe siècle, les ordines romani témoignent du développement considérable du monde cérémonial au cours de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge, parallèle à celui du riche trésor de la catéchèse patristique des mêmes époques. Transmis par le Moyen Âge monastique et les cathédrales, cet héritage fut précieusement recueilli par la Rome de la Contre-Réforme. Ayant une conscience aigüe du fait que la liturgie, et très spécialement la liturgie romaine, véhicule une traduction concrète du dogme dans le domaine des sacrements et de la prière (lex orandi, lex credendi), une des spécificités de l’époque tridentine fut, dans le domaine du culte, la clarification et la canonisation de l’Ordo, soit, de l’ordonnancement des cérémonies.

Au XXe siècle, un double mouvement de « retour aux sources » – c’est-à-dire d’une récupération supposée des formes liturgiques antiques par-delà les « ajouts » et « surcharges » postérieurs – et d’autre part d’adaptation aux temps présents s’en est pris au « fixisme » des règles liturgique, en même temps, d’ailleurs, qu’était attaqué le « fixisme » des formulations dogmatiques. Le soin méticuleux avec lequel les livres liturgiques traditionnels ordonnaient la liturgie dans leurs rubriques (indications concernant l’ordonnancement de la cérémonie imprimées en lettres rouges, rubræ) parut dès lors totalement désuet. L’explosion eut lieu en quelques années seulement. Dès les premières étapes de la réforme conciliaire de la messe, la créativité déborda : celle du sommet (la Commission pour l’Application de la constitution sur la liturgie) était surmultipliée par celle de la base comme l’illustraient parfaitement les fameux « nouveaux prêtres » de Michel de Saint-Pierre. Les modifications continues qui s’étagèrent de 1964 (instruction Inter oecumenici) à 1968 – pensons aux « rubriques de 1965 » tout de suite dépassées par celles de 1967 (instruction Tres abhinc annos) – donnèrent l’impression qu’en matière liturgique toutes les normes étaient évolutives. Sur quoi vint le missel de 1969, qui pulvérisa littéralement l’univers rituel ancien.

I – Un univers rituel pulvérisé

Passer d’un missel à l’autre produit, du point de vue des règles à suivre, une impression saisissante : on change de monde. Au lieu de gestes et d’attitudes du corps strictement déterminés par un usage immémorial, les nouvelles rubriques ne sont que des indications – souvent de simples propositions – assez générales. Au point que l’apprentissage de la messe, qui prend une grande place concrète dans la formation des prêtres célébrant la liturgie traditionnelle, n’existe plus, dans les séminaires actuels où s’enseigne la messe de Paul VI. Car il va du rite comme du sens rendu par les traductions des textes : une certaine liberté personnelle est considérée comme légitime et l’indétermination qui en résulte sans grande importance, voire souhaitable, pour mieux « coller à la vie ».

Prenons seulement l’exemple du début de la célébration de la messe :
a) Les gestes
– Dans le missel traditionnel : « Le prêtre monte au milieu de l’autel, où il dépose le calice vers le côté de l’Évangile, extrait le corporal de la bourse, qu’il étend au milieu de l’autel, y place le calice couvert du voile, tandis qu’il met la bourse du côté gauche, etc. […] Il redescend sur le pavé, se tourne vers l’autel ou il reste debout au milieu, les mains jointes devant la poitrine, les doigts joints et étendus, le pouce droit croisé sur le pouce gauche (ce qu’il doit toujours faire quand il joint les mains, sauf après la consécration), tête nue, ayant fait d’abord vers la croix ou l’autel une inclination profonde ou une génuflexion si le Très Saint Sacrement est dans le tabernacle, il commence debout la messe. Etc. […] Lorsqu’il dit Aufer a nobis, le célébrant mains jointes monte à l’autel, etc. […] Incliné au milieu de l’autel, les mains jointes posées sur l’autel de telle sorte que les petits doigt en touchent le devant, cependant que les annulaires sont posés sur la table (chose qu’il faudra toujours observer lorsque les mains jointes sont posées sur l’autel), etc. […] Lorsqu’il dit « les corps dont les reliques sont ici », il baise l’autel au milieu, les mains étendues posées à égale distance de chaque côté, etc. […] À la messe solennelle, il met trois fois de l’encens dans l’encensoir, en disant en même temps : Ab illo benedicaris, « Sois bénis par celui », etc.
– Dans le nouveau missel : « Le prêtre monte à l’autel et le vénère par un baiser. Ensuite, s’il le juge bon, il l’encense en en faisant le tour. […] Puis, tourné vers le peuple et les mains étendues, le prêtre le salue avec une des formules proposées ».
b) Les paroles
– Dans le missel traditionnel : « Ayant fait la révérence due, il se signe du signe de la croix sur le front et la poitrine, et sauf si une rubrique particulière en décide autrement, il dit à haute voix : In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen. Ensuite, les mains jointes devant la poitrine, il commence l’antienne :Introibo ad altare Dei. Les ministres répondent : Ad Deum qui lætificat juventutem meam. Ensuite, alternativement avec les ministres il dit : etc. (ps 42) […] En montant à l’autel, il dit à voix basse : Aufer a nobis… « Ôtez de nous, nos fautes, nous vous en prions, Seigneur, afin que nous puissions pénétrer jusqu’au Saint des Saints avec une âme pure. Par le Christ notre Seigneur. Amen ». Ensuite les mains jointes sur l’autel, incliné, il dit : Oramus te, Domine, « Nous te prions, Seigneur, par les mérites de tes saints (il baise l’autel au milieu) dont les reliques sont ici, etc.  » […] À la messe solennelle, lorsque ce n’est pas une messe des défunts, le célébrant, avant de commencer l’antienne d’Introït, bénit l’encens en disant : Ab illo benedicaris, etc. »
– Dans le nouveau missel : [Après que le prêtre ait baisé l’autel et l’ait encensé, s’il le juge bon], « le chant d’entrée achevé, le prêtre et les fidèles, debout, se signent, tandis que le prêtre dit : « Au nom du Père et du Fils, et du Saint Esprit. Amen. » Puis, les mains étendues, le prêtre salue le peuple en utilisant, par exemple, l’une des trois formules suivante : « La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père, etc. » […] Le prêtre ou un ministre capable peut librement faire une introduction à la messe du jour. Puis le prêtre invite les fidèles à la pénitence, en disant, par exemple : « Préparons-nous à la célébration de l’Eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs » » Suivent quatre possibilités :
1. « Je confesse à Dieu tout-puissant, etc. »
2. « Seigneur, accorde-nous ton pardon, etc. »
3. « Seigneur Jésus envoyé par le Père, etc. », avec deux variantes : « Seigneur Jésus-Christ, venu réconcilier tous les hommes, etc. » ; « Seigneur Jésus, par ton mystère pascal, etc. »
4. L’aspersion d’eau bénite : « Mes frères, demandons au Seigneur de bénir cette eau, etc. »

II – La multiplication des libres choix

On voit ainsi les options s’emboîter et les choix se multiplier. Ce que confirme la suite de la célébration :
a) Lors de la liturgie de la parole, à la fin de la première lecture, on peut, « si cela est opportun », observer un moment de silence. La seconde lecture n’est pas obligatoire. Le chant d’acclamation de l’Évangile est habituellement l’Alleluia. On peut ou non encenser et porter des cierges pour l’Évangile.
b) La profession de foi se fait par le symbole de Nicée-Constantinople ou par celui des Apôtres.
c) La prière universelle comporte dix introductions possibles, qui n’excluent pas l’usage d’autres formules, et de neuf prières de conclusion, mais on peut aussi s’inspirer de la prière universelle du Vendredi Saint ou encore d’autres prières.
d) L’apport des oblats à l’autel (et d’autres dons destinés à subvenir aux besoins de l’Église et de pauvres) peut s’organiser librement. Le prêtre dit à voix haute ou basse les paroles de présentation : « Tu es béni, Dieu de l’univers, etc. », auxquelles le peuple peut répondre par une acclamation : « Beni soit Dieu, maintenant et toujours ».
e) Alors que la tendance de la liturgie romaine – et même des autres rites – avait été, depuis l’Antiquité, au resserrement des textes constituant le cœur de la messe, assurément pour des raisons de maintien de l’orthodoxie, les nouvelles préfaces sont difficiles à dénombrer : quarante-six pour le temporal, dix pour le sanctoral, treize pour les communs des saints, seize pour les défunts, les messes de mariages, profession religieuse, les messes votives.
f) Surtout, alors que la prière eucharistique qu’introduisaient les préfaces était (et avait sans doute toujours été) unique, les prières eucharistiques sont désormais officiellement au nombre de onze :
quatre principales ; deux pour la réconciliation ; trois pour les messes d’enfants ; une pour les rassemblements ; et une pour des circonstances particulières, en fonction desquelles peuvent être choisies quatre préfaces – 1. L’Église en marche vers l’unité ; 2. Dieu guide son Église sur la voie du salut ; 3. Jésus chemin vers le Père ; 4. Jésus modèle de charité – auxquelles correspondent quatre prières d’intercession (l’équivalent du Te igitur du canon romain) placées dans la seconde partie de la prière, après la consécration, comme dans les prières eucharistiques II, III, IV. Mais il en existe d’autres, car certaines conférences épiscopales, notamment à l’occasion d’évènements particuliers, ont demandé l’approbation de prières eucharistiques spécifiques.
g) La consécration est suivie de trois acclamations au choix.
h) L’introduction au Pater connaît deux variantes, mais on peut en prendre d’autres. La paix et la charité mutuelles se manifestent selon les coutumes locales. Deux prières au choix, pour le prêtre, suivent l’Agnus Dei.
i) La bénédiction du peuple peut être aussi donnée selon un mode solennel avec vingt-six introductions tripartites possibles ponctuées chacune par trois Amen.

La confusion des langues

L’explosion rituelle est rendue plus sensible encore par la disparition du latin. L’évaluation du nombre des traductions en langues et dialectes dans lesquelles se célèbre aujourd’hui la liturgie, dite encore curieusement liturgie latine, est de 350 à 400 (la Congrégation pour le Culte divin ne parvient pas à en donner un décompte exact). Ces traductions ont été réalisées sous l’impulsion des conférences épiscopales nationales et approuvées par la Congrégation pour le Culte divin. En fait, une instruction du 25 janvier 1969 ouvrait les portes à une très grande liberté, notamment en ce qui concerne les réalités « qui choquent le sens chrétien actuel », l’actualisation du contenu des oraisons, avec une invitation à opérer de nouvelles créations. Un certain mouvement de restauration s’est appliqué depuis à tenter la rectification de traductions insuffisamment conformes aux éditions latines (instruction Liturgiam authenticam, du 28 mars 2001), mais avec des résultats que l’on peut dire insignifiants hormis, peut-être, dans le monde anglophone.

Les conférences épiscopales ont ainsi pris des libertés assez conséquentes, la plus célèbre étant la traduction du pro multis (sang versé « pour beaucoup ») de la consécration du Précieux Sang, traduit par for allper tuttifür alle, « pour tous », ou encore celle du consubstantialem du Credo en « de même nature ». Libertés qui servaient en un certain nombre de cas des visées d’inculturation de la liturgie (instruction Varietates legitimæ, 25 janvier 1994). Ainsi, en Chine, querelle des rites chinois obligeant, on célébra dès le 15 février 1972, les anciens rites d’inspiration confucéenne en l’honneur des ancêtres défunts. En Zambie, on supprima le mélange d’eau et de vin, sous prétexte qu’il n’avait pas de fondement biblique alors que cet usage avait déjà été, du temps de l’hérésie monophysite, condamné par le concile de Florence, l’eau symbolisant l’humanité du Christ. Le rite zaïrois, adaptation congolaise du rite romain, promu par le cardinal Joseph Malula, archevêque de Kinshasa, fut approuvé en 1988, avec invocation des ancêtres, préparation pénitentielle reportées avant l’offertoire, dialogues divers entre prêtre et peuple, gestes et mouvements rythmés.

On peut certes dénoncer ce qu’on appelle « abus » de célébrants qui n’en font qu’à leur guise, mais c’est intrinsèquement que la nouvelle liturgie est ouverte à la créativité.Lorsque le missel nouveau porte que le prêtre salue en disant « par exemple » telle formule au choix, ou qu’on lui propose comme « exemple » une monition à faire, il est invité par le livre lui-même à la création personnelle. L’insertion par chaque ministre de monitions et de commentaires personnels, que rien n’interdit et même que ce mode cultuel nouveau appelle, devient de fait naturelle. La langue vernaculaire conduit par ailleurs l’acteur liturgique à une « interprétation » personnelle du texte qu’il prononce, le tout avec les meilleures intentions pastorales du monde. Les tentatives de restauration que l’on a connues à partir de 1985, outre qu’elles ont été ou sont très aléatoires, se heurtent radicalement à ce caractère fluide et « vivant » de la messe nouvelle.

La messe nouvelle, lex orandi ?

Le fameux adage : lex orandi, lex credendi, « la loi de la prière règle la loi de la foi », s’explique par le fait que tous les éléments de la discipline universelle de l’Église romaine sont, pour ce qu’ils contiennent en matière de foi et de morale, une des expressions du magistère ordinaire et universel : l’Église de Pierre ne peut pas induire en erreur ses fidèles dans la manière selon laquelle elle leur ordonne de prier. Cette expression de la foi une nécessite tout naturellement une certaine canonisation (1), des moyens qui la véhiculent.

Certes, l’explosion rituelle de la réforme est seconde par rapport à la modification du contenu même du message, sujet que l’on étudiera dans deux prochaines lettres. Mais, dans un contexte général – celui de mai 68 – de relativisation de la règle dogmatique, cet abandon par l’Église latine de son univers rituel traditionnel a beaucoup contribué à affaiblir le caractère du culte comme véhicule de la profession de foi romaine. Cette subjectivité nouvelle, manifestée par celle du rite, n’est pas sans poser des problèmes du point de vue de la rigueur de la valeur doctrinale des cérémonies nouvelles.
Qu’il nous soit permis de faire l’hypothèse suivante : au caractère « pastoral », c’est-à-dire non proprement dogmatique (infaillible), du concile Vatican II, correspond le caractère « pastoral » de la nouvelle liturgie qui en est issue, dans la mesure où celle-ci ne prétend pas véhiculer par la prière une règle suprême de la foi. Tout simplement parce qu’elle ne cherche pas à être, au sens le plus fort du terme, une loi de prière, une lex orandi.


(1) Au sens de codification.

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