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Entraide et Tradition

L’hymne de Matines du dimanche matin : »Primo die » ( 3ème étude)

publié dans couvent saint-paul le 27 octobre 2018


L’hymne

de Martines

du dimanche matin

 « Primo die, quo Trinitas beata mundum condidit »

récitée à Matines à partir du Ier octobre.

Après avoir commenté l’hymne de Matines du dimanche matin : « Nocte surgentes vigilemus omnes », commentons maintenant l’hymne : « Primo die, quo Trinitas beata mundum condidit »que l’on récite à partir du 1 er octobre.

1-« Primo die, quo Trinitas beata mundum condidit »

« En ce jour primordial, celui où la Bienheureuse Trinité créa le monde »

Insistons tout d’abord sur ce « primo die ». Il ne faut certainement pas traduire « primo die » par « le premier jour » puisque la création, par Dieu, prit au total  six jours. Le récit de la Genèse décrit parfaitement cette œuvre créatrice, en six jours ; d’abord ce fut la création de la lumière et des ténèbres. Et Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres nuit. « Et il y un soir et il y eut un matin », ce fut le premier jour ». En latin, nous avons : « appellavitque lucem diem et tenebras noctem factumque est vespere et mane dies unus », « un jour » parmi les six autres. Puis ce fut la création du « firmament » et des « eaux ». « Et Dieu vit que cela était bon » « ce fut le second jour ». Puis ce fut la création de la mer et de la terre : « Et Dieu appela le sec Terre et il appela Mer l’Amat des eaux. Et Dieu vit que cela était bon ».  Puis il fit germer les herbes  sur la terre,  les plantes sur les arbres, tout cela portant sa « semence », « Et il y eut un soir et il y eut un matin et Dieu vit que cela était bon. Ce fut le troisième jour. » Puis ce fut la création de la lune et les étoiles. Ce fut le quatrième jour. Puis le cinquième jour, Dieu créa « les animaux aquatiques », les « volatiles ». Dieu les bénit et leur dit de se multiplier et dans les mers et sur la terre. Puis ce fut les animaux sur la terre et enfin, comme roi de cette création, Dieu créa l’homme à « son image et ressemblance ». « Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds, multipliez et soumettez…. » « Il y eut un soir et il y eut un matin ; ce fut le sixième jour » « Ainsi furent achevé le ciel et la terre…Et Dieu bénit le septième jour et le sanctifia parce qu’en ce jour-là, il s’était reposé de toute l’œuvre qu’il avait créée en la faisant » (Gen 1 1 31). Ainsi il ne faut pas traduire ici dans notre hymne « Primo dies » par le premier jour, mais bien « en ces jours primordiales de cette œuvre créatrice » par la Trinité Sainte, en ces jours importants. J’inclinerai volontiers par « en ces jours mémorables ». C’est le sens que l’on donne aussi à « primus », « le plus considérable », « le plus puissant », « le plus mémorable ».

Ce qui m’incline à cette traduction : « en ces jours mémorables », c’est que cette locution « Primo die » ne concerne pas uniquement l’œuvre de la Création, elle concerne également la Résurrection du Créateur,  l’œuvre de la Rédemption et du salut apporté par la mort du Christ. Voilà les trois grandes œuvres du Christ, de la Trinité qui sont, dans cette strophe de notre hymne, «évoquées ».  On comprend qu’il faille traduire, je le mettrai au pluriel « En ces jours primordiaux » « en ces jours mémoriaux », celui où « la bienheureuse Trinité créa le monde, où le Créateur Ressuscita, et abat la mort et nous délivre ». Ne sont-ce pas là œuvres fameuses, mémorables.

Cette strophe est d’une richesse merveilleuse ! C’est un résumé de notre foi, de nos principaux mystères : la Création, la Résurrection, la Rédemption. La liturgie est bien un lieu théologique de notre foi.

Disons tout d’abord quelques mots de la création. C’est l’œuvre libre  de la toute-puissance de Dieu.

« quo Trinitas beata mundum condidit »

« jour où la Bienheureuse Trinité créa le monde ».

Dieu créa « ex nihilo », « de rien », à partir d’aucune matière préexistence. L’Ecriture Sainte ne cesse d’affirmer cette  Création par Dieu. Citons tout d’abord saint Jean, son merveilleux Prologue. Après que Jean considéra le Verbe dans le sein du Père, partageant avec lui sa nature divine « gaudens natura divina », (belle expression du Père Boyer dans son œuvre sur la Création. p. 33)) il montre sa divinité  par sa puissance, disant : « Omnia per ipsum facta sunt et sine ipso factum est nihil quod factum est »  (Jn 1 3) (Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout par lui a été fait et sans lui n’a été fait rien de ce qui existe ». Ainsi tout a été fait par le Verbe. C’est l’affirmation de la Création. Et de fait, tout n’a pu devenir que par création, et cela par le Verbe.

Saint Paul, dans son Epître aux Hébreux affirme sans aucune restriction, que le Christ a  tout, « omnia », créé, et qu’il porte toute chose par la puissance de sa parole. (Hb 1 2-3) « portans omnia verbo virtutis suae ». Dans son épître aux Colossiens, il affirme également : « car c’est en Lui que toutes choses ont été créées, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles, Trônes, Dominations, Principautés, Puissance ; tout a été créé par lui et pour lui. Il est, lui, avant toutes choses et toutes choses subsistent en lui » (Col 1 16-17). Et dans l’épître aux Romain il dit de Dieu le Père : « Ex ipso et per ipsum et in ipso sunt omnia »  (Rm 11 36). Et du Père et du Fils, saint Paul dit dans son épitre aux Corinthiens : « Pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes » (1 Cor 8 6).

Cette foi en l’œuvre créatrice de Dieu était solidement ancrée en l’âme des  fidèles. Les premiers fidèles de Jérusalem priaient ainsi « Les frères élevèrent tous ensemble la voix vers Dieu en disant : Maître souverain, c’est vous qui avait fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment » (Act 4 24). Et saint Paul, de nouveau, s’adressait aux Athéniens ; « Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qu’il renferme,  étant le Seigneur du Ciel et de la Terre, n’habite point dans des temples faits de mains d’hommes ; il n’est pas servi par des mains humaines, comme s’il avait besoin de quelque chose, lui qui donne à tous la vie, le souffle et toutes choses ».

Tout cet enseignement est repris, en synthèse, par le Magistère de l’Eglise. Retenons particulièrement l’enseignement d’Innocent III dans sa lettre à l’archevêque de Tarragone, dans la profession de foi prescrite aux Vaudois : « Nous croyons de tout cœur et déclarons de bouche que le Père et le Fils et le saint Esprit, un seul Dieu, dont nous parlons, a créé, a formé, gouverne et ordonne toutes les choses corporelles et spirituelles, visibles et invisibles. Nous croyons que …Dieu…a créé toutes choses de rien. »

C’est bien ce qu’enseigne notre première strophe : « « quo Trinitas beata mundum condidit », « jour où la Bienheureuse Trinité créa le monde ».

Et de cette création confessée, œuvre de la Trinité, le moine dans sa stalle, grâce à cette strophe,  peut élever son âme et son cœur vers ce Dieu, créateur du ciel et de la terre et l’adorer, le glorifier et l’aimer. Il répare dans son silence l’impiété du siècle qui aujourd’hui plus que hier, retient la vérité captive dans son cœur. Je pense à l’Epître aux Romains terriblement évocatrice : «  En effet, la colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute impiété et tout injustice des hommes, qui, par leur injustice, retiennent la vérité captive ; car ce qui se peut connaître de Dieu, est manifeste parmi eux : Dieu le leur a manifesté. En effet ses perfections invisibles, son éternelle puissance et sa divinité sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres. Ils sont donc inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils sont devenus vains dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence s’est enveloppé de ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous ; et ils ont échangé la majesté du Dieu incorruptible pour des images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles. Aussi Dieu les a-t-il livrés, au milieu des convoitises de leurs cœurs, à l’impureté, en sorte qu’ils déshonorent entre eux leurs propres corps, eux qui ont échangé le Dieu véritable pour le mensonge, et qui ont adoré et servi la créature de préférence au Créateur, (lequel est béni éternellement. Amen !) (Rom 1 18-25)

 

« Vel quo resurgens conditor

« Où le Créateur ressuscite

Là, notre moine, avec l’Eglise,  confesse la réalité de la Résurrection de NSJC. Avec quelle sobriété ! Il affirme la réalité historique de cette Résurrection. NSJC lui-même, en  avait donné l’assurance de sa proche bouche. « Je quitte mon âme pour la reprendre de nouveau. J’ai le pouvoir de la quitter et j’ai le pouvoir de la reprendre » (Jn 10 17). Il y a ceci de particulier dans la Résurrection de Jésus-Christ, c’est qu’il est le premier de tous qui ait participé à ce bienfait divin. Voilà pourquoi la sainte Ecriture l’appelle « le premier né d’entre les morts et le premier né des morts » Et saint Paul nous dit de Lui : « Le Christ est ressuscité d’entre les morts comme les prémices de ceux qui dorment. Car si la mort est venue par un homme, c’est aussi par un homme qu’arrive la résurrection. Et de même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront en Jésus-Christ, mais chacun dans son rang. Jésus-Christ d’abord comme les prémices, puis ceux qui sont  à Jésus-Christ » (I Cor 15 20 et suiv.).Tout cela remémoré, peut soutenir l’espérance de notre contemplatif. Car, en  vrai disciple de saint Thomas d’Aquin, il confesse la réalité historique de la Résurrection du Christ. Saint Thomas affirme en effet que les preuves apportées par le Christ ont suffisamment manifesté la réalité de sa Résurrection. Il faut se souvenir des témoignages et des anges aux femmes, au sépulcre (cf Mt 28 1-8 ; Mc 16 1_8 ; Lc 24 1-13) et des Ecritures. Jésus a largement utilisé le témoignage des Ecritures, ne serait-ce qu’avec les disciples d’Emmaüs qu’il s’apprête à dépasser sur le chemin d’Emmaüs. Voyez le merveilleux récit de saint Luc 24 25-44. Les preuves ont suffisamment marquées, nous dit saint Thomas,  que sa résurrection était réelle et glorieuse. Qu’elle soit réelle, Jésus le montra, en ce qui concerne son corps, sous trois aspects. Il montre en effet que c’était un corps réel et résistant et non un corps imaginaire ou éthéré comme l’air. C’est pourquoi il donna son corps à toucher en disant : «  touchez et voyez ; un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai » ; que c’était un corps humain : le Christ présenta à ses disciples son visage véritable, qu’ils pouvaient voir de leurs yeux ; que c’était le même corps individuel qu’il avait auparavant ; car il fit constater les cicatrices de ses blessures ; aussi leur dit-il « voyez mes mains et mes pieds, c’est bien moi » (lc 24 38). Que sa résurrection soit réelle, il le montre d’autre part, en ce qui concerne l’âme qu’il a de nouveau unie à son corps, par une action de chacun des trois vies ; la vie végétative, en mangeant et en buvant avec eux (Lc 24 30-43 ; la vie sensitive, en répondant aux questions de ses disciples et en saluant ceux qui étaient présents ; la vie intellectuelle, en conversant avec ses disciples et en expliquant les Ecritures. Et pour que rien ne manque à cette manifestation, il révéla aussi qu’il possédait la nature divine en faisant un miracle, celui de la pêche miraculeuse (Jn 21 1-24) et plus tard en montant au ciel sous leurs yeux. Quant à la gloire de sa résurrection, le Christ la montre à ses disciples en entrant auprès d’eux, « portes closes ». Ainsi son corps tout en étant de même  nature avait, comme le dit Saint Grégoire « une autre gloire ». De même c’était une propriété de la gloire, dit saint Thomas, de disparaître subitement à leur yeux.

Fort de cette résurrection, nos moines peuvent chercher à vivre comme le Christ : « pro Deo ». C’est toute leur raison d’être.

« Nos, morte victa, liberat »

« (Le Christ par sa ressuscité), abat la mort et nous délivre »

C’est maintenant l’effet de la Résurrection qui est ici évoqué par l’hymne. Cette œuvre est décrite comme une victoire sur la mort: « victa morte ».  Le Christ, par sa Résurrection  « abat » la mort, et donne la vie ».  C’est une merveilleuse définition de cette Résurrection rédemptrice : œuvre de vie, le Christ ayant terrassé la mort par sa propre résurrection.

C’est  reprendre tout simplement l‘enseignement de Saint Paul dans sa première épitre aux Corinthiens  qui se moque de la mort : « La mort a été engloutie pour la victoire. »   » O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ?… ». Mais reprenons l’argumentation puissante de saint Paul pour nous fortifier dans l’espérance: « Or, si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu’il n’y a point de résurrection des morts ? S’il n’y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, vaine aussi est votre foi.  Il se trouve même que nous sommes de faux témoins à l’égard de Dieu, puisque nous avons témoigné contre lui qu’il a ressuscité le Christ, tandis qu’il ne l’aurait pas ressuscité, s’il est vrai que les morts ne ressuscitent pas.

Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés, et par conséquent aussi, ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si nous n’avons d’espérance dans le Christ que pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes.

Mais maintenant le Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui se sont endormis. Car, puisque par un homme est venue la mort, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous seront vivifiés dans le Christ, mais chacun en son rang : comme prémices le Christ, ensuite ceux qui appartiennent au Christ, lors de son avènement. Et puis ce sera la fin, quand il remettra le royaume à Dieu et au Père, après avoir anéanti toute principauté, toute puissance et toute force. Car il faut qu’il règne :  » jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. « 

Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort, car Dieu  » a tout mis sous ses pieds.  » Mais lorsque l’Ecriture dit que tout lui a été soumis, il est évident que celui-là est excepté, qui lui a soumis toutes choses. Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même fera hommage à celui qui lui aura soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous… Si les morts ne ressuscitent pas,  » mangeons et buvons, car demain nous mourrons. « 

…Semé dans la corruption, le corps ressuscite, incorruptible ; semé dans l’ignominie, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps animal, il ressuscite corps spirituel.

…Et de même que nous avons porté l’image du terrestre, nous porterons aussi l’image du céleste.

Voici un mystère que je vous révèle : Nous ne nous endormirons pas tous, mais tous nous serons changés, en un instant, en un clin d’œil, au son de la dernière trompette, car la trompette retentira et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés. Car il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité.

Lorsque ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors s’accomplira la parole qui est écrite :  » La mort a été engloutie pour la victoire. »   » O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ?…. Grâces soient rendues à Dieu, qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ ! (1 Cor 15 12 57).

C’est à lire à genou.

On comprend que l’Eglise puisse nous faire lire dans la Préface de la messe des défunts  du missel latin et grégorien : « In quo nobis spes beatae resurrectionis effulsit, ut quos contristat certa moriendi conditio. Tuis enim fidelibus, Domine, vita mutatur, non tollitur, et dissoluta terrestris hujus incolatus domo, aeterna in caelis habitatio comparatur », « en qui, par le Christ, en sa Résurrection, « a brillé pour nous l’espérance de la bienheureuse résurrection, – c’est la vie – afin que ceux qu’attriste leur condition mortelle  – c’est la mort en Adam – trouvent la consolation dans l’assurance de l’immortalité future. – c’est la vie en le nouvel Adam -. A vos fidèles, Seigneur la vie n’est pas enlevé mais changée et si la maison de leur séjour terrestre se détruit, – par la mort – une demeure éternelle leur est préparée dans les cieux – la vie éternelle –  ». Quelle consolation pour l’âme.

L’enseignement de saint Paul est ainsi parfaitement repris dans la liturgie des défunts.

Pulsis procul torporibus, surgamus omnes ocius, et nocte quaeramus Deum, propheta sicut praecipit.

Chassons au loin notre sommeil, levons nous tous allégrement, et dans la nuit cherchons Dieu, selon l’ordre du prophète.

Cette strophe exprime à la fois l’énergie de l’action du lever matinal ou nocturne : « Pulsis procul torporibus », «  Chassons au loin notre sommeil » mais aussi la raison de cette veille : « nocte quaeramus Deum », « dans la nuit cherchons Dieu ».

Mais tout d’abord insistons quelques instants sur l’énergique action du lever monacal. C’est le sens du verbe « pulso, pulsare ». Il exprime une action  énergique, voire même brutale. Il se traduit par « frapper », « battre », voire « choquer » « heurter ». Il pourra se traduire, selon le contexte par « repousser, écarter, même chasser ». C’est le sens qui est utilisé dans notre traduction : « Chassons au loin notre sommeil ». Mais encore une fois, c’est une action qui doit être brutale. Il faut se réveiller de son sommeil.  De là vient le sens du mot « pultatio » qui se traduit : «  choc, heurt, coup (à la porte) ». Tout cela fait comprendre l’énergie que doit mettre le moine au lever du matin : «  Chassons notre sommeil ». Le mot « pocul » intensifie encore l’action : « procul » : « au loin ». Energie qui est encore accentuée par la suite du verset : « Surgamus omnes ocius », « levons nous tous allégrement ». « Ocius », l’adverbe, veut dire « plus promptement, plus vite, voire, plus tôt ». Ce n’est pas tant l’« allégresse » qui est ici sous-entendue, que la promptitude. Du reste, le verbe « surgere »  a bien ce sens : «  se lever pour combattre ». C’est le verbe utilisé par l’Ange à Joseph, lui commandant de partir en Egypte pour fuir promptement, en pleine  nuit,  la colère d’Hérode, joué par les Mages : « Surge et accipe puerum et matrem eius et fuge (Matt 2 13). C’est encore le verbe utilisé dans le Cantique des Cantiques pour exprimer l’appel de l’Epoux à sa bien-aimée: « Surge,  propera, amica mea…et veni ». « Mon bien aimé  a pris la parole, il m’a dit : Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ». Vous croyez que ce chant d’amour se fait dans la mollesse ! C’est le chant du Dieu d’amour à son moine. Il doit y répondre avec promptitude et énergie.

Et l’on comprend qu’il en soit ainsi car cet appel est un appel de Dieu, exactement à « chercher Dieu » : « et in nocte quaeramus Deum » selon l’ordre du prophète.

Cette « recherche de Dieu » est la grande sagesse de la règle de saint Benoît, des bénédictins. Dom Delatte, dans son commentaire de la Règle de saint Benoit ne craint pas d’écrire : « La pensée maitresse de saint Benoit est que nous devons chercher Dieu. Il n’y a vraiment devant Dieu que deux situations légitimes : jouir de lui lorsque nous le posséderons, le chercher aussi longtemps que nous ne le possédons pas pleinement » (Commentaire de la règle p. 318) et le moyen de le chercher, nous dit encore Dom Delatte c’est de s’adonner à la « lectio divina ». Par elle, « nous nous rendons familières les choses de Dieu et nous nous habituons à regarder l’invisible. Ce n’est ni de la spéculation, abstraite et froide, ni de la simple curiosité humaine, ni une lecture superficielle : c’est une recherche sérieuse, approfondie, persévérante de la Vérité même. On peut dire que de cette étude Dieu seul est l’objet, l’inspirateur et même l’agent principal : car elle se fait non seulement sous son regard, mais dans sa lumière et dans un contact très intime avec lui. Elle est de la prière et de la tendresse…. » (Id p. 349). S’il en ainsi de cette « recherche de Dieu » par la lectio divina, on comprend que Dom Delatte puisse écrire plusieurs pages plus loin : « cette recherche de Dieu se traduira surtout par un grand zèle de l’office divin, «  si sollicitus est ad Opus Dei ». C’est là que le novice est assuré de trouver le Seigneur, de lui parler, de se mettre à l’unisson avec Lui ».

Nostras preces ut audias, suamque destram porrigat, et expiatos sordibus reddat polorum sedibus.

Qu’Il entende nos prières, qu’il tende une main secourable et que, lavés de nos souillures, il nous rende aux trônes célestes

Cette strophe est une supplique ardente : que Dieu écoute, entende nos prières, qu’il nous tende sa main toute puissante. C’est le sens très fréquent de la « main de Dieu ». Il exerce sa puissance par sa main « droite ». On trouve très souvent cette expression, « destra » dans les psaumes. Mais aussi, par ce mot, l’Ecriture Sainte veut signifier sa bonté, sa tendresse. Qu’il nous lave de nos misères…Toutes  ces suppliques ont un seul but : «  qu’il nous rende aux trônes célestes ». « Reddat polorum sedibus » que nous avons perdu par nos péchés, d’abord par le péché originel et nos péchés personnels. L’expression « reddat polorum sedibus » est assez originale. « Reddere ». Le premier sens de « reddere » est « rendre, remettre une chose perdue ». C’est ainsi qu’en Adam nous avons perdu la cité sainte. Souvenez-vous des paroles de Dieu après qu’Adam et Eve eurent enfreint l’ordre divin : « « Et Dieu le (Adam) fit sortir du jardin d’Eden, pour qu’il cultivât la terre d’où il avait été pris. Et il chassa l’homme et il mit à l’orient du jardin d’Edem les chérubins et la flamme de l’épée tournoyante pour garder le chemin de l’arbre de vie » (Gen 4 23 24)

Mais comme le Christ par sa passion sainte a effacé le péché originel, les portes du Ciel nous sont de nouveau ouvertes. Il est légitime de demander non pas notre dû, mais ce bien qui fut jadis le nôtre : qu’Il nous remette sur les trônes célestes « polorum sedibus »,  ou mieux : « qu’il nous rende aux trônes du Ciel» car « sedibus » est un datif et non un accusatif. C’est donc une meilleure traduction de la pensée de l’auteur de l’hymne : « qu’il nous rende aux trônes du ciel, où hier, nous étions…

« Ut quique sacratissimo hujus dei tempore horis quietis psallimus, donis beatis muneret »

« Qu’il comble de ses meilleurs dons nous tous qui chantons ses louanges à ce moment sacré du jour, pendant les heures de silence »

Pendant ce moment sacré du jour qu’est la nuit – n’oublions pas que les moines chantent les Matines à l’heure due, au cours de la nuit  – c’est pourquoi l’auteur de l’hymne ajoute tout naturellement « pendant ce temps de silence » par excellence « tempore horis quietis », oui ! Pendant ce temps, les moins chantent les louanges du Seigneur. Ils accomplissent joliment la finalité de l’existence : la louange de Dieu, le service divin. Saint Ignace, en effet, résume cette vérité en disant, dans ses Exercices : « l’homme a été créé pour louer, honorer et servir Dieu, et par ce moyen sauver son âme ». C’est ce que font les moines et les prêtres au nom de l’Eglise. Ils assurent au nom du peuple la louange divine. Ils chantent avec dévotion, la gloire de Dieu. C’est-à-dire Ils « vouent à Dieu leur propre personne en un assujettissement total ». (Saint Thomas) Ils se livrent promptement à ce qui concerne le service de Dieu. La dévotion est donc un acte de la volonté par lequel on fait offrande de soi-même à Dieu pour le servir, Lui qui est la fin dernière de tout ce que nous faisons » (Saint Thomas. III 82 1). S’il en est ainsi on comprend l’énergie dont ils doivent faire preuve au bon matin. On le comprend d’autant mieux que l’adoration a pour principe la grandeur de Dieu, sa majesté et le respect qui lui est dû.

Et si le moine chante ainsi dévotement la louange de Dieu et l’adore respectueusement, en raison de sa grandeur et majesté, ce n’est pas sans en espérer quelques récompenses, bien qu’il faille, dira sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, « n’en attendre aucune » – l’amour n’est pas servile – il en espère de grands biens : le ciel. Plus haut il disait « reddat polorum sedibus », « qu’il nous rende aux trônes célestes ». Ici l’auteur de l’hymne dit différemment mais dans un sens identique : « donis beatis muneret », « Qu’il (nous) comble de ses meilleurs dons,  nous tous qui chantons ses louanges ».  Saint Ignace pareillement fera prier son retraitant en lui faisant remarquer que par sa louange, il obtiendra le ciel, mieux il sauvera son âme, la vie chrétienne étant un véritable combat.

« Jam nunc, paterna claritas Te postulamus affatim : absint face libidinis, et omnis actus noxium »

« Oui, déjà clarté paternelle, nous vous implorons instamment : éteignez les feux du désir, avec toute action mauvaise »

C’est une très belle définition de Dieu : « paterna claritas », « clarté paternelle ». Il y a le mot « paterna » qui nous fait penser à la « paternité », à la prière enseignée par le Christ à ses Disciples : « lorsque vous priez Dieu, priez ainsi : « Notre Père qui êtes aux Cieux ». « Dieu est Père » Il est donc « clément ».On peut donc lui présenter toutes les suppliques, toutes les prières. Il les écoutera comme un père écoute les demandes de son enfant….avec la même patience, la même bonté, la même attention. Ce « paterna claritas, me fait penser aussi  à ces très belles pages de Péguy où il supplie Dieu et l’implore instamment,  se mettant derrière cette belle prière du « Notre Père ». Que craindre alors ? Dieu se sent lui-même « agressé » par cette prière, nous dit Péguy. Il est la propre victime de cette prière : une victime d’amour et de miséricorde. Il s’agit, je crois, de la pièce du « Mystère des saints innocents » de Péguy. Péguy fait confesser à Mme Gervaise, – citons un tout petit passage car sa méditation sur le Pater Noster est très longue, elle en vaut la lecture, tant elle est belle :

« Madame Gervaise

Je suis leur père, dit Dieu. Notre Père, qui ètes aux deux. Mon fils le leur assez dit, que je suis leur père.

Je suis leur juge. Mon fils le leur a dit. Je suis aussi leur père.

Je suis surtout leur père.

Enfin je suis leur père. Celui qui est père est surtout père. Notre Père qui êtes aux cieux. Celui qui a été une fois père ne peut plus être que père.

Ils sont les frères de mon fils ; ils sont mes enfants ; je suis leur père.

Notre Père qui êtes aux deux, mon fils leur a enseigné cette prière. Vous prierez donc ainsi.

Notre Père qui êtes aux deux, il a bien su ce qu’il faisait ce jour-là, mon fils qui les aimait tant. Qui a vécu parmi eux, qui était un comme eux.

Qui allait comme eux, qui parlait comme eux, qui vivait comme eux.

Qui souffrait. Qui souffrit comme eux, qui mourut comme eux.

Et qui les aime tant les ayant connus. Qui a rapporté dans le ciel un certain

Goût de l’homme un certain goût de la terre ».

S’il en est ainsi, je comprends que le moine, dans cette strophe, puisse le supplier par ces paroles instantes, sur d’être exaucé: « éteignez les feux du désir, avec toute action mauvaise » « absint face libidinis, et omnis actus noxium ».

 « Ne faeda sit, vel lubrica compago nostri corporis, ob cuius ignes ignibus avernus urat acrius »

« Que notre corps, dans sa conduite, n’ait rien d’impur ou de risqué : pour de tels feux, les feux d’enfer brulent plus durement encore »

Comme cette hymne est complète dans son enseignement !  Voilà maintenant que notre auteur, après avoir invoqué la bénignité de Dieu, sa suavité, sa paternité pour nous mettre dans le bien et la bonté de l’agir moral, invoque maintenant, en des termes particulièrement sévères,  le feu de l’enfer plus dur même, oh combien !  que le feu des passions. Cet aspect terrifiant de l’enfer a pour but – là encore – de nous maintenir dans le bien, de nous fortifier dans le combat nécessaire à mener. C’est le sens de cette strophe. N’oublions jamais que NSJC, infiniment bon, nous a enseigné cette réalité du feu de l’enfer. C’est une vérité évangélique : « Allez, maudits au feu éternel ». Cette strophe est très réaliste. Elle nous fait comprendre que le fruit des péchés d’impureté n’est rien d’autre que l’enfer. Saint Paul n’a-t-il pas dit lui aussi : « stipendia peccati mors ». Et ce feu est terrible : il brule plus durement encore que le feu des passions !

« Mundi redemptor, quaesumus, tu probra nostra diluas ; nobisque largus commoda vitae perennis conferas »

« Sauveur du monde, par pitié, effacez toutes nos souillures et nous accordez largement les biens de l’éternelle vie »

C’est une très belle supplique adressée, cette fois, au « Sauveur du monde ». Cette supplique est parfaitement en situation dans le contexte de cette hymne. De plus il est légitime de demander « les biens de l’éternelle vie » à Celui qui est l’auteur de la Vie éternelle. « Celui qui croit en moi a la vie éternelle ». « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie », la Vie éternelle.

« Praesta, Pater piisime, Patrique compar Unice,  cum Spiritu Paraclito, Regans per omne saeculum ». Amen.

« Exaucez-nous, Père très bon et vous, l’unique égal au P-re, avec l’esprit Saint, règnat dans tous les siècles » Amen

Et l’auteur termine en  demandant que sa prière soit exaucée de la divine et très pieuse Trinité.

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