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Entraide et Tradition

De l’amour de Dieu. « Allez enseigner toutes les Nations »…

publié dans regards sur le monde le 6 novembre 2018


De l’amour de Dieu

Que Dieu doit être aimé.

Selon Grignon de Montfort

Saint Thomas ;

 Saint Bernard

 

L’œuvre salvifique de Dieu étant ce qu’elle est, nous devons y répondre par le plus grand des amours.

C’est ce que nous enseignent les saints.

Et plus particulièrement saint Grignon de Montfort et saint Bernard, ainsi que saint Thomas.

Nous allons méditer leurs pensées sur leurs textes

Section 1-Saint Grignon de Montfort

Et tout d’abord sur le texte de saint Grignon de Montfort, son chapitre 13 de son livre « l’amour de la Sagesse éternelle » intitulé :

« Abrégé des douleurs inexplicables que la Sagesse incarnée a voulu souffrir pour notre amour ».

[1. La raison la plus puissante d’aimer la Sagesse]

154. Entre toutes les raisons qui nous peuvent exciter à aimer Jésus-Christ, la Sagesse incarnée, la plus puissante à mon avis [ce] sont les douleurs qu’il a voulu souffrir pour nous témoigner son amour.

« Il y a, dit saint Bernard, un motif qui l’emporte par- dessus tous, que me pique plus sensiblement et me presse d’aimer Jésus-Christ, c’est, ô bon Jésus, le calice d’amertume que vous avez bu pour nous, et l’œuvre de notre rédemption qui vous rend aimable à nos cœurs; car ce souverain bienfait et ce témoignage incomparable de votre amour acquiert aisément le nôtre: il nous attire plus doucement, il nous demande plus justement, il nous presse plus étroitement et il nous touche plus puissamment: Hoc est quod nostram devotionem et blandius allicit et justius exigit etarctius stringit et afficit vehementius. » Et la raison qu’il en donne en peu de mots: « Multum quippe laboravit sustinens: parce que ce cher Sauveur a beaucoup travaillé et beaucoup souffert pour venir à bout de nous racheter. Oh! combien de peines et d’angoisses il a essuyées! »

[2. Les circonstances de la Passion de la Sagesse]

155. Mais ce qui nous fera voir clairement cet amour infini de la Sagesse pour nous, [ce] sont les circonstances qui se rencontrent en ses souffrances, dont [a] la première est l’excellence de sa personne qui, étant infinie, élève infiniment tout ce qu’elle a souffert en sa passion. Si Dieu eût envoyé un séraphin ou un ange du dernier ordre pour se faire homme et mourir pour nous, c’eût été, sans doute, une chose très admirable et digne de nos reconnaissances éternelles; mais le Créateur du ciel et de la terre, le Fils unique de Dieu, la Sagesse éternelle, étant venue elle-même donner sa vie, auprès de laquelle les vies de tous les anges et de tous les hommes et de toutes les créatures ensemble sont infiniment moins considérables que la vie d’un seul moucheron comparé à celle de tous les monarques du monde, quel excès de charité nous fait-il voir en ce mystère, et quel doit être notre étonnement et notre reconnaissance!

Ainsi, pour Saint Grignon de Montfort, c’est la qualité de la victime, Dieu lui-même, qui manifeste l’immensité de l’amour divin pour nous et notre rachat. Saint Bernard, lui aussi, pour nous parler de l’amour divin en ce mystère de la Rédemption, nous demande de nous arrêter quelques instants sur la « qualité de Dieu » : « Qui est Dieu ? »

156. [b] La seconde circonstance est la qualité des personnes pour lesquelles il souffre. Ce sont des hommes, de viles créatures et ses ennemis, dont il n’avait rien à craindre ni rien à espérer. Il s’est trouvé quelquefois des amis qui sont morts pour leurs amis; mais trouvera-t-on jamais autre que le Fils de Dieu qui soit mort pour son ennemi? Commendat charitatem suam [Deus] in nobis; quoniam cum adhuc peccatores essemus secundum tempus Christus pro nobis mortuus est. [Rm 5,8-9]. Jésus-Christ a fait paraître l’amour qu’il nous porte en mourant pour nous, lors même qui nous étions encore pécheurs et par conséquent ses ennemis.

C’est également la pensée de saint Bernard. Il demande de mesurer qui nous sommes face à Dieu.

157. [c] La troisième circonstance, c’est la multitude, la grièveté et la durée de ses souffrances. La multitude de ses douleurs est si grande qu’il est appelé: vir dolorum, l’homme de toutes les douleurs, dans lequel, depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête, il n’y a pas une partie sans blessure: a planta pedis usque ad verticem, non est in eo sanitas. [Is 1,6] Ce cher ami de nos âmes a souffert en toutes choses: dans l’extérieur et dans l’intérieur, dans le corps et dans l’âme.

Là, sur ce sujet, Saint Grignon de Montfort s’inspire manifestement de la pensée de saint Thomas. En effet saint Thomas fait la description des souffrances du Christ dans la question 46 de la III.

158. Il a souffert en ses biens, car sans parler de la pauvreté de sa naissance, de sa fuite et de sa demeure en Egypte et de toute sa vie, il fut en sa Passion dépouillé de ses habits par les soldats qui les partagèrent entre eux, et puis attaché tout nu au gibet, sans qu’on lui laissât un pauvre haillon pour le couvrir.

159. En son honneur et en sa réputation, pour avoir été chargé d’opprobres, et appelé blasphémateur, séditieux, ivrogne, gourmand et endiablé. En [sa] sagesse, parce qu’il fut tenu pour [un] ivrogne et un imposteur et traité comme un fol et un insensé. En sa puissance: réputé comme un enchanteur et un magicien, qui faisait de faux miracles par l’intelligence qu’il avait avec le diable. En ses disciples dont l’un le vendit et le trahit, le premier d’entre eux le renia, et les autres l’abandonnèrent.

160. Il souffrit de toutes sortes de personnes: des rois, des gouverneurs, des juges, des courtisans, des soldats, des pontifes, des prêtres, des ecclésiastiques et des séculiers, des Juifs et des Gentils, des hommes et des femmes, et généralement de tous; sa sainte Mère même lui fut un terrible surcroît d’afflictions, la voyant présente à sa mort, noyée dans un océan de tristesses au pied de la croix.

161. Notre cher Sauveur a de plus enduré en tous les membres de son corps: sa tête fut couronnée d’épines, ses cheveux et sa barbe arrachés, ses joues souffletées, son visage couvert de crachats, son col et ses bras étreints de cordes, ses épaules accablées et écorchées par le poids de la croix, ses pieds et ses mains percés de clous, son côté et son coeur ouverts d’une lance, et tout son corps déchiré sans pitié de plus de cinq mille coups de fouets, en sorte qu’on lui voyait les os à demi décharnés. Tous ses sens furent encore noyés en cette mer de douleurs: ses yeux, en voyant les grimaces et les moqueries de ses ennemis et les larmes de la désolation de ses amis; ses oreilles, en entendant les injures, les faux témoignages, les calomnies et les horribles blasphèmes que ces bouches maudites vomissaient contre lui; son odorat, par l’infection des crachats qu’on lui vomit au visage; son goût, par une très ardente soif en laquelle on ne lui donna que du fiel et du vinaigre; et les sens du toucher, par les excessives douleurs que lui firent les fouets, les épines et les clous.

162. Sa très sainte âme fut très grièvement tourmentée des péchés de tous les hommes, comme [d’]autant d’outrages faits à son Père qu’il aimait infiniment, et comme la source de la damnation de tant d’âmes qui, malgré sa mort et Passion, seraient damnées; et elle avait compassion, non seulement de tous les hommes en général, mais de chacun en particulier, qu’elle connaissait distinctement. Ce qui augmenta tous ses tourments, ce fut leur durée, qui commença depuis le premier instant de sa conception et dura jusqu’à sa mort; parce que, par la lumière infinie de sa sagesse, il voyait distinctement et avait toujours présents tous les maux qu’il devait endurer. Ajoutons à tous ses tourments le plus cruel et le plus épouvantable de tous, qui fut son abandon sur la croix, lorsqu’il s’écria: « Deus [meus], Deus meus, ut quid dereliquisti me: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous quitté, pourquoi m’avez-vous abandonné? »

[3. L’affection extrême de la Sagesse dans ses douleurs]

163. De tout ceci il faut inférer, avec saint Thomas et les saints Pères, que notre bon Jésus a plus souffert que tous les martyrs ensemble, tant ceux qui seront jusqu’à la fin du monde que ceux qui ont été. Si donc la moindre douleur du Fils de Dieu est plus estimable et nous doit toucher plus sensiblement que si tous les anges et les hommes étaient morts et anéantis pour nous, quelle doit être notre douleur, notre reconnaissance et notre amour pour lui, puisqu’il a souffert pour nous tout ce qu’on peut souffrir, et avec une affection extrême, sans y être obligé! Proposito sibi gaudio sustinuit crucem. Heb.12. Ayant devant soi la joie, il a porté la croix. C’est-à-dire, selon les saints Pères, Jésus-Christ, la Sagesse éternelle, pouvant demeurer là-haut au ciel, dans sa gloire, infiniment éloigné de nos misères, il a mieux aimé, en notre considération, descendre en terre, se faire homme et être crucifié. Après s’être fait homme, elle pouvait communiquer à son corps la même joie, la même immortalité et la même béatitude dont il jouit maintenant; mais elle ne le voulut pas, afin de pouvoir souffrir.

164. Rupert ajoute que le Père éternel proposa à son Fils, au moment de son incarnation, le choix de sauver le monde par les plaisirs ou par les afflictions, par les honneurs ou par les mépris, par les richesses ou par la pauvreté, par la vie ou par la mort; en sorte qu’il eût pu, s’il eût voulu, avec la joie, les délices, les plaisirs et les honneurs et les richesses, glorieux et triomphant, racheter les hommes et les mener avec soi en paradis. Mais il choisit plutôt les maux et la croix, pour rendre à Dieu son Père plus de gloire et aux hommes un témoignage d’un plus grand amour.

165. Bien plus, il nous a tant aimés, qu’au lieu d’abréger ses peines, il désirait de les prolonger et d’en endurer encore mille fois davantage; c’est pourquoi, sur la croix, lorsqu’il était foulé d’opprobres et abîmé dans la souffrance, comme s’il ne souffrait pas assez, il s’écria: « Sitio: J’ai soif. » Et de quoi avait-il soif? « Sitis haec », dit saint Laurent Justinien, « de ardore dilectionis, de amoris fonte, de latitudine nascitur et charitatis: sitiebat nos et

dare se nobis desiderabat: Cette soif provenait de l’ardeur de son amour, de la fontaine et de l’abondance de sa charité. Il avait soif de nous, et de se donner à nous et de souffrir pour nous. »

[4. Conclusion]

166. Après cela, n’avons-nous pas raison de nous écrier avec saint François de Paule: « O charité! ô Dieu charité! Oh! que la charité que vous nous avez montrée, en souffrant et mourant, est excessive! » ou, avec sainte Marie-Madeleine de Pazzi embrassant un crucifix: « O amour! ô amour! combien peu êtes-vous connu! » ou, avec saint François d’Assise se traînant dans la boue au milieu des rues: « Oh! Jésus, mon amour crucifié, n’est point connu! Jésus, mon amour, n’est point aimé! » En effet, la sainte Eglise fait dire avec vérité tous les jours: « Mundus eum non cognovit: Le monde ne connaît point Jésus-Christ, la Sagesse incarnée; et, à parler sainement, connaître ce que Notre-Seigneur a enduré pour nous et ne point l’aimer ardemment, comme le monde fait, est une chose moralement impossible.

C’est bien aussi la pensée de saint Thomas dans la question 46 de la III pars toute consacrée

Section 2- Saint Thomas

ARTICLE 3: Cette manière de délivrer les hommes était-elle la plus appropriée?

Objections:

1. La nature, dans son activité, imite les oeuvres divines, car elle est mue et réglée par Dieu. Mais la nature n’emploie pas deux moyens là où elle peut agir par un seul. Puisque Dieu aurait pu délivrer l’homme par sa seule volonté, il ne semble pas normal d’y ajouter la passion du Christ pour le même but.

2. Ce qui se fait selon la nature se fait mieux que par la violence, parce que, dit Aristote,  » la violence est une brisure ou une chute de ce qui est conforme à la nature ». Mais la passion du Christ entraîne sa mort violente. Donc le Christ aurait délivré l’homme de façon plus appropriée par une mort naturelle que par la souffrance.

3. Il semble tout à fait approprié que celui qui retient un butin par la violence et l’injustice en soit dépouillé par une puissance supérieure. Car, selon Isaïe (52, 3): « Vous avez été vendus pour rien, vous serez rachetés sans argent. » Mais le démon n’avait aucun droit sur l’homme, il l’avait trompé par le mensonge et le maintenait en esclavage par une sorte de violence. Il semble donc qu’il aurait été tout à fait approprié, pour le Christ, de dépouiller le diable par sa seule puissance, et sans endurer la passion.

Cependant: S. Augustin écrit: « Pour guérir notre misère, il n’y avait pas de moyen plus adapté  » que la passion du Christ.

Conclusion:

Un moyen est d’autant plus adapté à une fin qu’il procure à cette fin un plus grand nombre d’avantages. Or, du fait que l’homme a été délivré par la passion du Christ, celle-ci, outre la libération du péché, lui a procuré beaucoup d’avantages pour son salut.

1° Par elle, l’homme connaît combien Dieu l’aime et par là il est provoqué à l’aimer, et c’est en cet amour que consiste la perfection du salut de l’homme. Aussi S. Paul dit-il (Rm 5, 8): « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. »

2° Par la passion, le Christ nous a donné l’exemple de l’obéissance, de l’humilité, de la constance, de la justice et des autres vertus nécessaires au salut de l’homme. Comme dit S. Pierre (1 P 2, 21): « Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un modèle afin que nous suivions ses traces. »

3° Le Christ, par sa passion, n’a pas seulement délivré l’homme du péché; il lui a en outre mérité la grâce de la justification et la gloire de la béatitude, comme nous le dirons plus loin.

4° Du fait de la Passion, l’homme comprend qu’il est obligé de se garder pur de tout péché lorsqu’il pense qu’il a été racheté du péché par le sang du Christ, selon S. Paul (1 Co 6, 20): « Vous avez été rachetés assez cher ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps. »

5° La Passion a conféré à l’homme une plus haute dignité: vaincu et trompé par le diable, l’homme devait le vaincre à son tour, ayant mérité la mort, il devait aussi, en mourant, la dominer elle-même, et S. Paul nous dit (1 Co 15, 57): « Rendons grâce à Dieu qui nous a donné la victoire par Jésus Christ. »

Et pour toutes ces raisons, il valait mieux que nous soyons délivrés par la passion du Christ plutôt que par la seule volonté de Dieu.

Solutions:

1. La nature elle-même, pour mieux accomplir son oeuvre, utilise parfois plusieurs moyens, par exemple elle nous donne deux yeux pour voir. Et on pourrait citer d’autres exemples.

2. S. Jean Chrysostome répond ainsi à cette objection: « Le Christ est venu afin de consommer non sa propre mort, puisqu’il est la vie, mais celle des hommes. Il ne déposa pas son corps par une mort qui aurait été naturelle, mais il accepte celle que lui infligeaient les hommes. Si son corps avait été malade, et que le Verbe s’en soit séparé à la vue de tous, il n’aurait pas été convenable que celui qui avait guéri le corps des autres ait son corps épuisé par la maladie. Mais s’il était mort sans aucune maladie, et qu’il ait caché son corps quelque part pour se montrer ensuite, on ne l’aurait pas cru lorsqu’il aurait affirmé qu’il était ressuscité. Comment la victoire du Christ sur la mort aurait-elle éclaté, si en supportant la mort devant tous, il n’avait pas prouvé qu’elle était anéantie par l’incorruption de son corps?  »

3. Le diable avait attaqué l’homme injustement; cependant il était juste que l’homme, en raison de son péché, soit abandonné par Dieu à la servitude du diable. C’est pourquoi il convenait que l’homme soit libéré en justice, grâce à la satisfaction payée pour lui par le Christ dans sa passion.

Il convenait aussi, pour vaincre l’orgueil du diable  » qui fuit la justice et recherche la puissance », que le Christ  » vainque le démon et libère l’homme, non par la seule puissance de la divinité, mais aussi par la justice et l’humilité de sa passion », remarque S. Augustin.

Section 3- La pensée de saint Bernard de Clervaux

Approchons nous maintenant de la pensée de saint Bernard de Clairvaux dans son traité merveilleux : “de l’amour de Dieu”

« Chapitre 1 : Pourquoi et comment on doit aimer Dieu ?

1- Tu me demandes de te dire pourquoi il faut aimer Dieu et comment?

Je te réponds: la raison d’aimer Dieu, c’est Dieu lui-même ! La mesure de cet amour, c’est de l’aimer sans mesure.

Est-ce que cela ne suffit pas ? Si, bien sûr, mais seulement pour un sage. Or, je parle aussi pour des ignorants (Romains 1, 14). D’ailleurs, si cela suffit pour un sage, je dois aussi penser aux autres. Alors, c’est avec plaisir que je dirai pour eux la même chose, plus longuement, mais pas plus profondément.

Je crois qu’il faut dire qu’il y a deux raisons d’aimer Dieu pour lui-même: – d’abord rien n’est plus juste. – ensuite rien ne peut être aussi avantageux pour nous.

C’est cela qui vient à l’esprit quand on pose la question :  » Pourquoi aimer Dieu ? « 

Cette question peut vouloir dire deux choses : – Est-ce qu’il faut aimer Dieu parce qu’il le mérite, ou parce que nous y gagnons quelque chose ? Je ne ferai qu’une seule réponse à ces deux questions : en effet, je ne vois pas d’autre bonne raison d’aimer Dieu que Dieu lui-même.

Voyons, tout d’abord, pourquoi Dieu est digne d’être aimé.

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Commentaire :

Saint Bernard se pose la question du pourquoi et du comment aimer Dieu :

« Tu me demandes de te dire pourquoi il faut aimer Dieu et comment »?

Sa réponse est claire :

1- Sur le « pourquoi » : « la raison d’aimer Dieu, c’est Dieu lui-même » ! Il précise un peu sa réponse, il la subdivise même :

– parce qu’il a mérité notre amour.

– parce qu’il n’y a rien de plus profitable pour notre âme

a-Parce qu’il a mérité notre amour :

Toute notre étude sur le salut, sur le plan divin, sur le « mystère de la piété, sur la rédemption opérée par le Christ en sa passion, – ce qui est la raison du sacerdoce – en est la preuve ; là, sur la Croix, il a vraiment mérité notre amour. En conséquence aimer Dieu est une affaire d’abord de justice. La définition de la justice est de rendre à chacun son dû. A Dieu est du notre amour parce qu’il l’a largement mérité en sa Passion douloureuse. Ce serait une injustice que de ne pas l’aimer de retour…après tout ce qu’il a fait pour notre salut. Plus je médite l’amour de Dieu…plus je comprends que je dois l’aimer. Je ne peux pas ne pas l’aimer. Oui ! Vraiment aimer Dieu : il n’y a rien ne soit plus juste. Saint Bernard développera cette idée des chapitres 1à 6.

Ainsi la première des vertus du prêtre, que le prêtre doit cultiver, c’est la charité pour Dieu, pour NSJC.

b-Parce qu’il n’y a rien de plus profitable pour notre âme.

Il faut aimer Dieu pour l’avantage que nous retirons de cet amour. Dieu étant ce qu’il est, rien ne peut être plus avantageux, plus profitable à mon âme. Il développera cette idée dans son chapitre 7, Il est le bien suprême qui comblera mon âme de joie.

On retrouve bien sa réponse essentielle à la question posée : « pourquoi il faut aimer Dieu », il dit bien : « Je te réponds: la raison d’aimer Dieu, c’est Dieu lui-même » !

Dieu est tel qu’il est juste d’être aimé et que cela ne peut pas ne pas être profitable à mon âme.

2- Quant au « comment », en latin au « modus », il faut retenir cette très belle réponse : « La mesure de cet amour, c’est de l’aimer sans mesure ». Ce sera l’objet de son chapitre 6. « Modus, sine modo diligeri ». Voilà l’amour du prêtre. S’il n’est pas cela, il est rien.

Saint Bernard va donc commencer par traiter du mérite de Dieu d’être aimé : « Commençons par traiter de son mérite ».

Voici son exposé. C’est le chapitre 1 :

« Voici pourquoi Dieu est digne de recevoir beaucoup d’amour de nous: il s’est donné à nous, même quand nous n’étions pas dignes de lui (Galates 1, 4). Est-ce qu’il pouvait nous donner quelque chose de meilleur que lui-même ! Nous cherchons les raisons d’aimer Dieu et nous nous demandons: pourquoi Dieu a-t-il droit à notre amour ? C’est, tout d’abord, parce que « Dieu nous a aimés le premier » (1 Jean 4, 9). Vraiment il mérite que nous l’aimions en retour. C’est clair, surtout si nous nous posons ces trois questions : -Celui qui nous aime, qui est-il ? -Ceux que Dieu aime, qui sont-ils ? – Quelle est la mesure de son amour ?

Celui qui nous aime, qui est-il ? : C’est celui que tout être humain reconnaît en disant : « Tu es mon Dieu parce que tu n’as pas besoin de mes biens » (Psaume 15, 2). Oui, l’amour que le Dieu Très-Haut nous porte est un amour vrai. En effet, il ne cherche pas son intérêt (1 Corinthiens 13, 4-5). Et pour qui Dieu est-il si généreux ? L’apôtre Paul le dit: « Quand nous étions les ennemis de Dieu, il nous a réconciliés avec lui » (Romains 5, 10). Donc, Dieu a aimé ses ennemis d’un amour gratuit.

Enfin, quelle est la mesure de cet amour ?

L’apôtre Jean nous le dit: « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jean 3, 16). L’apôtre Paul écrit aussi : « Même son Fils, Dieu ne l’a pas gardé pour lui, mais il l’a donné pour nous tous » (Romains 8, 32). Et le Fils dit en parlant de lui-même: « Si quelqu’un donne sa vie pour ses amis, c’est la plus grande preuve d’amour » (Jean 15, 13). Voilà ce que le Dieu juste a fait pour des pécheurs! (Romains 5, 6-7) Voilà ce que le Tout-Puissant a fait pour nous qui sommes si faibles…

Commentaire :

Comme vous le voyez, en lisant ce passage du chapitre 1, Saint Bernard consacre son chapitre 1 à répondre à la question : pourquoi aimer Dieu ? Il va répondre parce qu’il l’a mérité. C’est donc simple justice que de l’aimer en retour.

Oui, Notre Dieu a mérité notre amour. Et comment saint Bernard le démontre-t-il ? Il le démontre en méditant le mystère de l’Incarnation Rédemptrice. Il cite d’abord l’épître de saint Paul aux Galates : « que la paix et la grâce vous soient données de la part de Dieu le Père et de notre Seigneur Jésus-Christ, qui s’est donné lui-même pour nos péchés ».

Saint Paul, ici, fait nette allusion au mystère de l’Incarnation Rédemptrice.

Et saint Bernard insiste sur cette idée de l’Incarnation Rédemptrice. Il nous fait remarquer, citant saint Jean, que c’est « Dieu (qui) nous a aimés le premier » (1 Jean 4, 9). Aussi Dieu a-t-il le droit d’être aimé en retour.

La phrase latine est très forte : « Dignus plane qui redametur ». En français, c’est traduit platement : « Vraiment il mérite que nous l’aimions en retour ». Le « plane » latin est mal rendu. « Plane » veut dire nettement, franchement, sans détour, sans ambiguïté, clairement, entièrement.

Dieu nous aimé le premier. « Prior dilexit nos ». On retrouve ici l’affirmation de saint Jean dans son évangile : Jn 3 16 : « c’est d’un tel amour que Dieu nous a aimé qu’il a envoyé son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». L’amour de Dieu est la cause première de l’Incarnation Rédemptrice : « c’est d’un tel amour que Dieu nous a aimé qu’Il a donné son Fils unique ». Mais il faut dire également qu’elle la cause finale de l’Incarnation Rédemptrice : « …afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ». L’Incarnation rédemptrice est vraiment la manifestation de la charité de Dieu. Saint Bernard, du reste, à la fin de son chapitre 7 reprendra merveilleusement l’idée.

« Prior dilexit nos » : il est donc digne d’être aimé en retour : « Dignus plane qui redametur ».

Surtout si l’on comprend bien

-qui est celui qui aime : l’être transcendant, majestueux et tout puissant. Le créateur de toutes choses.

-qui sont ceux qu’Il aime : des « ennemis, des coupables, des pécheurs ». Saint Paul y insiste : « Lorsque nous étions encore ses ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu » (Rm 5 10)

-et combien il les aime : « Quelle est la mesure de son amour ? », un amour immense jusqu’à donner sa vie pour ceux qu’il aime. : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner vie pour ceux que l’on aime ».

Saint Bernard en tire une première conclusion, une première qualité de cet amour divin : il est miséricordieux et gratuit : « Delexit ergo Deus et gratis et inimicos ». Dieu a donc aimé ses ennemis et les a aimés gratuitement.

Enfin quelle est la mesure de cet amour divin ? Pour en comprendre l’immensité, il cite Jn 3 16. C’est un des plus beaux textes en effet qui permet de comprendre l’immensité de cet amour divin. Cet amour se mesure au don fait : rien d’autre que le Fils de Dieu, le Monogène, le « trésor » de Dieu, « Celui en qui il a mis toutes ses complaisances. Il ne peut faire de don plus grandiose, plus parfait. Or l’amour se mesure au don. Ergo. L’amour de Dieu est immense. (cf la parabole des vignerons homicides)

Il cite également saint Paul : Rm 8 32 : « Il n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré à la mort pour nous ».

Il cite encore le témoignage du Fils de Dieu lui-même : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ».

C’est ainsi que saint Bernard prouve que Dieu a mérité notre amour. Tels sont les mérites que le « juste » s’est acquis auprès de coupables ; tel est l’amour du Très Haut pour d’infimes créatures, du Tout Puissant pour notre extrême faiblesse.

La conclusion s’impose absolument : « Il est donc digne d’être aimé en retour ». Oui ! « Dieu mérite notre amour ».

C’est la conclusion non seulement de saint Bernard, mais de tous les saints, de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ».

C’est le langage de la foi. C’est la conclusion de la foi.

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Mais comment répondre aux infidèles à qui le langage de la foi ne dit rien ?

Saint Bernard répond à cette objection dans son chapitre 2, le chapitre suivant.

Chapitre 2

Il va utiliser le langage de la raison, le langage philosophique et va démontrer que même ceux qui n’ont pas la lumière de la foi, doivent aimer Dieu. Ils le doivent en raison « des immenses bienfaits de Dieu »

Pourquoi ceux-là doivent-ils aussi aimer Dieu ? Il répond : en raison des bienfaits de Dieu, en invoquant le nombre infini de ses bienfaits. Qui n’aimerait pas Dieu en raison de ses bienfaits ferait preuve d’ingratitude. Et pour reconnaître ces bienfaits divins, il suffit de la connaissance. Saint Bernard va énumérer les bienfaits du corps : – les aliments qui nous maintiennent dans l’être ; – la lumière qui nous permet de voir ; – l’air qui nous permet de respirer. Tout cela est bienfait de Dieu : Nul autre que Dieu ne nous les dispense. Dès lors, à ce seul titre, Dieu a droit à notre amour.

Mais Saint Bernard s’élève plus haut. Ces bienfaits qui viennent d’être énumérés (pain, soleil, air), même s’ils sont très nécessaires, ne sont pas les plus excellents, « parce qu’ils relèvent du corps ». D’autres relèvent de l’âme. Ils sont spirituels. Saint Bernard va énumérer ces bienfaits spirituels qui relèvent tout autant de Dieu :

* Notre dignité humaine en tant qu’être spirituel, intelligent et libre ;

* La connaissance ;

* La vertu (le texte sous vos yeux parle de « force pour faire le bien)

Saint Bernard explicite :

-Notre dignité humaine qui vient de notre âme spirituelle qui nous donne le libre arbitre et la puissance de commander toutes choses

-La connaissance qui vient aussi de notre âme spirituelle qui possède la faculté (l’intelligence), le pouvoir de discerner, ne serait-ce que cette dignité humaine. Ce pouvoir, cette faculté a son origine en Dieu et nullement en soi. « Pouvoir qui ne peut avoir son origine en lui-même »

-Enfin, la vertu : « j’appelle vertu cette force qui pousse l’homme à chercher celui dont il tient son être et à s’attacher à Lui lorsqu’il l’a trouvé ».

Ce sont là les trois bienfaits spirituels de l’homme : dignité humaine, science, vertu, et ces bienfaits spirituels font la grandeur de l’homme.

Et ces trois biens sont relatifs l’un à l’autre. C’est l’objet de l’important §3 :

« La dignité ne sert à rien sans la science et celle-ci sans la vertu (i.e. qui rapporte tout au Créateur) va jusqu’à devenir néfaste » (par l’orgueil qu’elle peut engendrer)

Saint Bernard, vous dis-je, développe longuement ces idées dans son chapitre 2. Il reconnaît cependant à la fin de ce chapitre qu’il s’est un peu égaré par rapport à son sujet de l’amour de Dieu. Il revient vite à son sujet à la fin du Chapitre en utilisant seulement la conclusion de sa démonstration. Aussi peut-on faire abstraction ici de cette démonstration pour cueillir seulement la conclusion. (Mais tout ce développement est fort intéressant. C’est à lire)

La sagesse est donc dans la confession et des bienfaits et du bienfaiteur : « Nous ne revendiquons, Seigneur, rien de notre science, rien de notre dignité. Nous attribuons tout à votre nom, de qui tout provient » (p. 34)

La conclusion est nette : « ceux-là même qui ignorent le Christ sont suffisamment avertis qu’ils doivent aimer Dieu pour lui-même…en raison qu’ils ont reçu de lui les biens du corps et de l’âme ».

Et de fait, tous les biens et du corps et de l’âme ont pour seul auteur, le Dieu de toute bonté. Il résume sa pensée en disant:

« Je résume ce que j’ai dit jusqu’ici. Tout ce qui est nécessaire au corps durant notre vie, tout ce qui nous permet d’exister, de voir, de respirer, c’est Dieu qui nous le donne. Quel incroyant ignore cela ? Ce Dieu donne la nourriture à tous les êtres vivants (Psaume 135, 25). « Il fait lever son soleil sur les bons et les méchants. Il fait tomber la pluie sur les justes et les injustes » (Matthieu 5, 45). Dans le livre de la Genèse, Dieu dit: « Faisons l’être humain à notre image et à notre ressemblance » (Gn 1, 26). C’est donc le Créateur qui fait briller en nous la dignité humaine. Celui qui ne respecte pas Dieu, est-ce qu’il peut douter de tout cela ? C’est bien Dieu qui donne la connaissance à l’être humain (Psaume 93, 10) Enfin, c’est le Seigneur, le Dieu-Fort lui-même, et personne d’autre, qui donne la force de faire le bien. Et si nous ne l’avons pas, nous pouvons espérer la recevoir de lui ».

La conclusion est ici encore claire : « Par conséquent, Dieu est digne d’être aimé pour lui-même et par tous, même par celui qui n’a pas la foi. En effet, celui qui ne connaît pas le Christ se connaît lui-même. Donc, l’incroyant n’a pas d’excuses (Romains 3, 2), s’il n’aime pas le Seigneur son Dieu de tout son cœur, de toutes ses forces et par toute sa vie (Marc 12, 30). Voici ce qu’il entend au fond de lui-même tu dois aimer de tout ton être le Dieu qui t’a tout donné. Et son intelligence lui dit que cela est juste ».

Cependant au cœur du paganisme, à un cœur même bien né, avec sa seule raison, cette « redamatio » ne sera jamais totale, absolue car l’homme, livré à ses seules forces, a du mal à tout rapporter, de ces biens , à Dieu seul.

Et c’est alors que nous allons trouver un merveilleux développement sur l’amour dont est capable, par contre, celui qui vit de la foi. C’est le chapitre 3.

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Chapitre 2 : Combien Dieu doit être aimé des hommes tant à cause des biens du corps que de ceux de l’âme. De quelle façon discerner ces biens, et comment les posséder sans faire tort au donateur.

§ 2 : A mon avis, ceux qui comprennent clairement ce qu’on vient de dire, comprennent clairement aussi pourquoi il faut aimer Dieu. Je veux dire: ils comprennent pourquoi Dieu mérite notre amour.

Pour ceux qui ne croient pas en lui, cela reste caché. Mais Dieu peut montrer facilement à ces gens-là qu’ils ne savent pas reconnaître sa bonté. Qu’ils regardent donc les bonnes choses que Dieu nous donne toutes celles que nos sens saisissent et qui nous sont utiles. Oui, qui nous donne les aliments pour nous nourrir, la lumière pour voir, l’air pour respirer ? Est-ce que ce n’est pas Dieu ? Ce serait stupide de vouloir écrire toutes les bonnes choses que Dieu nous donne. Il y en a trop! Cela suffit de donner en exemple la nourriture, le soleil, l’air. Parmi les dons de Dieu, ce ne sont pas les plus grands. Mais j’en parle parce qu’ils sont les plus nécessaires pour notre corps.

Mais il y a des biens encore meilleurs. Ceux-là, il faut les chercher dans la meilleure partie de nous-mêmes, c’est–à-dire dans notre âme. Voici ces biens : la dignité, la connaissance et la force de faire le bien. – J’appelle « dignité » dans l’être humain la possibilité de choisir librement. C’est cela qui nous place au-dessus de tous les autres êtres vivants et nous en fait les maîtres (voir Genèse 1, 26). La « connaissance », elle, nous permet de reconnaître notre dignité, et de savoir que nous l’avons reçue de Dieu. Enfin, « la force de faire le bien » nous aide à chercher Dieu avec ardeur. Quand nous avons trouvé Dieu, elle nous aide à nous attacher solidement à lui.

§-3 Chacun de ces trois biens a deux aspects:

§-4 Donc, tu dois savoir deux choses : – d’abord, tu dois connaître ce que tu es – ensuite, tu dois reconnaître que cela ne vient pas de toi. Sinon, tu risques de ne pas reconnaître les dons de Dieu ou de te vanter pour rien…

§-5 ….

§-6 « Voici ce que je voulais montrer : même ceux qui ne connaissent pas le Christ ont en eux la loi naturelle. Elle leur fait comprendre qu’ils ont reçu de Dieu beaucoup de biens pour leur corps et pour leur âme. Ils peuvent donc savoir qu’ils doivent aimer Dieu, simplement parce qu’il est Dieu.

Je résume ce que j’ai dit jusqu’ici. Tout ce qui est nécessaire au corps durant notre vie, tout ce qui nous permet d’exister, de voir, de respirer, c’est Dieu qui nous le donne. Quel incroyant ignore cela ? Ce Dieu donne la nourriture à tous les êtres vivants (Psaume 135, 25). « Il fait lever son soleil sur les bons et les méchants. Il fait tomber la pluie sur les justes et les injustes » (Matthieu 5, 45). Dans le livre de la Genèse, Dieu dit: « Faisons l’être humain à notre image et à notre ressemblance » (Gn 1, 26). C’est donc le Créateur qui fait briller en nous la dignité humaine. Celui qui ne respecte pas Dieu, est-ce qu’il peut douter de tout cela ? C’est bien Dieu qui donne la connaissance à l’être humain (Psaume 93, 10) Enfin, c’est le Seigneur, le Dieu-Fort lui-même, et personne d’autre, qui donne la force de faire le bien. Et si nous ne l’avons pas, nous pouvons espérer la recevoir de lui. Par conséquent, Dieu est digne d’être aimé pour lui-même et par tous, même par celui qui n’a pas la foi. En effet, celui qui ne connaît pas le Christ se connaît lui-même. Donc, l’incroyant n’a pas d’excuses (Romains 3, 2), s’il n’aime pas le Seigneur son Dieu de tout son cœur, de toutes ses forces et par toute sa vie (Marc 12, 30). Voici ce qu’il entend au fond de lui-même tu dois aimer de tout ton être le Dieu qui t’a tout donné. Et son intelligence lui dit que cela est juste. Mais il est difficile, même impossible, avec sa seule liberté, d’utiliser les biens reçus de Dieu pour faire uniquement ce que Dieu veut. Chacun a toujours envie de détourner ces biens pour faire sa volonté égoïste. Oui, il est très difficile pour l’être humain de ne pas garder ces biens comme s’ils lui appartenaient. Les Livres Saints nous disent : « Tous cherchent leurs intérêts à eux » (Philippiens 2, 21). Et aussi : « L’intelligence et les pensées du cœur de l’être humain se tournent vers le mal » (Genèse 8, 21).

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Chapitre 3 : Ceux qui ont la foi ont beaucoup plus de raisons d’aimer Dieu que les infidèles

Mais ceux qui ont la foi savent combien ils ont besoin de Jésus, et de Jésus cloué sur la croix (1 Corinthiens 2, 2). Ils admirent cet amour qui dépasse tout ce qu’on peut connaître (Éphésiens 3, 19), et ils s’attachent à lui passionnément. Et, en même temps, ils ont honte de ne pas donner au moins le peu qu’ils sont, en échange de cet amour et de cette immense bonté. Ils comprennent combien Dieu les aime et, donc, il est facile pour eux d’aimer davantage. Celui qui reçoit moins, aime moins (Luc 7, 47). Ceux qui n’ont pas cette foi ne ressentent pas aussi fort que l’Église la brûlure de cet amour qui lui fait dire : »Je suis blessée par l’amour. » Et encore : « Rendez-moi la force avec des fleurs. Guérissez-moi avec des fruits. Je suis malade d’amour » (Cantique 2, 5). L’Eglise voit le Roi Salomon : il porte la couronne que sa mère lui a posée sur la tête (Cantique 3, 11). Elle voit le Fils Unique du Père qui porte sa croix (Jean 19,17), elle voit qu’on frappe le Seigneur Dieu (1 Corinthiens 2, 8). Elle voit celui qui donne vie et gloire, attaché à la croix par des clous. On lui perce le côté avec une lance (Jean 19, 34), on l’insulte et on se moque de lui (Lamentations 3, 30). Enfin, sa vie très précieuse (Jérémie 12, 7), le Christ la donne pour ses amis (Jean 15, 13). L’Église voit tout cela et elle sent l’amour transpercer son cœur comme une épée (Luc 2, 35). Et elle dit: « Rendez-moi la force avec des fleurs. Guérissez-moi avec des fruits. Je suis malade d’amour » (Cantique 2, 5). L’Église est l’épouse du Christ, elle est conduite dans le jardin de celui qu’elle aime (voir Cantique 6, 10), et elle cueille les beaux fruits de l’arbre de vie (Genèse 2, 22). Ces fruits ont le goût du Pain descendu du ciel (Jean 6, 41) et la couleur du sang du Christ. L’Église voit ensuite la mort frappée à mort. Elle voit le Christ remonter du monde des morts sur la terre, et de la terre dans le ciel, suivi de tous les prisonniers (Éphésiens 4, 8). Ainsi, au nom de Jésus, tous ceux qui sont dans le ciel, sur la terre et chez les morts, tomberont à genoux (Philippiens 2, 10). Puis l’Église se tourne vers la terre… L’Église dit au Christ: Comme tu es beau, toi que j’aime Tu es magnifique ! Notre lit est couvert de fleurs » (Cantique 1, 15)… Le Christ se réjouit de respirer le doux parfum de ces fleurs… Il vient volontiers dans le cœur qui médite avec attention sur sa Passion pleine d’amour et sur la gloire de sa Résurrection. Là, il demeure avec joie. Les souvenirs de la Passion sont comme une bonne récolte, un fruit cueilli après tant d’années mauvaises, où le péché donnait la mort .. (Romains 5, 21). Ce fruit est apparu quand le moment décidé par Dieu est arrivé. Mais la lumière de la Résurrection, ce sont les fleurs nouvelles qui suivent le temps de la Passion. Sous l’effet du don de Dieu, elles fleurissent comme les fleurs d’une belle saison qui revient. L’Église dit : « La mauvaise saison est passée, les pluies sont finies, elles ont disparu. Sur notre terre, les fleurs paraissent » (Cantique 2, 11-12). Cela veut dire : avec le Christ réveillé de la mort, la belle saison est revenue. C’est pourquoi il dit: « Voici ! Je fais un monde nouveau » (Apocalypse 21, 5). Son corps a été semé dans la mort (1 Corinthiens 15, 42), il a refleuri quand il s’est réveillé de la mort. Son parfum se répand dans notre vallée. Tout redevient vert, tout se réchauffe, tout ce qui était mort est de nouveau vivant. La nouveauté de ces fleurs et de ces fruits, la beauté de ce champ au parfum agréable, tout cela fait la joie du Père : oui, il la trouve en son Fils qui fait un monde nouveau… L’Église est tellement proche du Christ qu’elle cueille les fruits et les fleurs, chaque fois qu’elle le veut. Avec ces fleurs et ces fruits, elle peut décorer l’endroit le plus secret de son cœur. Et quand l’Epoux vient lui rendre visite, le cœur de l’épouse répand un parfum agréable. Donc, si nous voulons que le Christ habite dans nos cœurs (Éph 3, 17), nous devons les rendre forts dans la foi, en réfléchissant à toutes les preuves de son amour. Les voici : il est mort par amour pour nous, et il s’est réveillé de la mort avec puissance. Le roi David dit cela dans un psaume « J’ai entendu deux choses : la puissance appartient à Dieu; à toi aussi, Seigneur, appartient l’amour » (Psaume 61, 12-13). Et, comme dit un autre psaume, ces « preuves sont très vraies » (Psaume 92, 5). En effet, le Christ est mort pour nos péchés et il s’est réveillé de la mort pour nous rendre justes (Romains 4, 25). Il est monté aux cieux pour nous protéger. Il nous a envoyé l’Esprit Saint pour nous consoler (Jean 16, 7), et il reviendra nous prendre avec lui. Ainsi, la mort du Christ prouve son amour pour nous, et son réveil de la mort prouve sa puissance. Et tout ce qu’il a fait pour nous sauver nous prouve non seulement son amour, mais aussi sa puissance. En attendant le Christ, l’épouse demande à être entourée et soutenue par ces fleurs et ces fruits. A mon avis, elle sent que la force de son amour peut facilement devenir tiède et faible. C’est pourquoi elle a besoin de ces fleurs et de ces fruits pour avoir la force d’attendre le moment où l’Epoux viendra la prendre chez lui. Alors, dans le secret, il lui donnera les signes de son amour qu’elle a si longtemps attendus. Et elle pourra dire : « Sa main gauche est sous ma tête, et sa main droite me serre contre lui » (Cantique 2, 6).

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Commentaire du chapitre 3

Saint Bernard va réfléchir sur les raisons qui obligent le fidèle à aimer Dieu et plus particulièrement le prêtre qui doit vivre ce plan divin de salut, s’identifier à lui. Nous l’avons dit.

Le fidèle, l’homme de foi cumule les raisons d’aimer Dieu.

Il y a la raison qu’il tire du seul fait que Dieu est créateur et pourvoyeur de tout bien.

Il y a une autre raison : l’amour de Dieu manifesté dans la Rédemption. Il débute par cette raison surnaturelle : « Admirant et adorant en (Jésus) Lui, la suréminente charité de la science, ils (les fidèles) sont confus de ne pas offrir au moins en retour d’un si grand amour et tant de bonté, le peu qu’ils ont » (p37) Il affirme la « redamatio » de la vie chrétienne : « Mieux on comprend qu’on est aimé et plus il est facile d’aimer » (p 37)

Saint Bernard parle ici des « aiguillons d’amour », de la « morsure » de cet amour (p 37). Le païen, le juif, l’infidèle ne connaissent pas cela, ni « aiguillon », ni « morsure ». En effet « les aiguillons d’amour » se tirent de la contemplation de l’amour de Dieu. Et quel amour ! C’est ce qu’il exprime dans : « (L’Eglise) elle voit le Fils unique du Père portant sa croix…. »(p37) Elle voit tout cela et le glaive de l’amour lui transperce le cœur si profondément qu’elle s’écrie…je meurs d’amour » (p 37)

Elle médite sur les fruits de la passion : « Elle voit enfin morte la mort, l’auteur de la mort traîné derrière le char du triomphateur. Elle voit la captivité captive ; elle s’aperçoit que la terre, qui sous l’antique malédiction ne produisait plus que ronces et chardons, refleurit sous l’effet d’une nouvelle bénédiction qui la rajeunit » cf p 39.

Cela me fait penser au livre d’Osée : Os 2 16 ou Os 14 2-9

Ou à l’Apoc 21 5.

« L’époux céleste accourt avec empressement et réside avec délice en un lieu où la grâce de sa Passion et la gloire de sa Résurrection sont l’objet d’une constante méditation » (p38)

Ou encore : « Si nous désirons que le Christ se fasse souvent notre hôte, nous devons conserver dans notre cœur les témoignages fidèles de sa mort miséricordieux et de sa glorieuse résurrection »

Ou encore : « la mémoire de la (passion) sert de consolation à la génération qui poursuit ici bas son pèlerinage (p. 41)

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Commentaire du chapitre 4.

Saint Bernard se pose alors la question : « Quels sont ceux qui trouvent consolation dans le souvenir de Dieu » ?, dans le souvenir de sa Passion ?

Ce ne sont pas ceux qui mettent leur consolation dans les richesses de ce monde ; ceux-ci, vous dis-je, ont déjà leur récompense.

Mais ce sont ceux qui « ne s’attachent pas aux choses présentes » mais qui n’ont que pensée pour les « choses futures », qui sont ravis par la « mémoire » des biens éternels. Ce sont ceux qui « cherchent le Seigneur et qui, dédaignant leur propre intérêt, veulent voir la face de Dieu de Jacob ». Ce sont ceux encore qui « aspirent à la présence de Dieu ». Ce sont ceux qui mettent leur espérance en Dieu. Ainsi ceux-là et ceux-là seuls trouvent consolation « dans le souvenir de cette charité sans pareille par laquelle l’Epoux a donné sa vie pour ses amis » (p 44).

Ils trouvent consolation, appuie et repos « dans cette dilection merveilleuse toujours remémorée et toujours mémorable » en attendant que s’achèvent les temps de l’iniquité qui précèdent pour elles et pour elles seules le temps de la présence qui est le temps de la joie que leur donnera la présence de la majesté divine, de la « vision déifique » ; c’est le temps de « l’inestimable félicité de la présence divine ».

Et dans « ces temps de l’iniquité » ou de l’absence de Dieu, « il est convenable que ces esprits spirituels consacrent leur attention à la mémoire de la Passion » afin de les empêcher de se soumettre aux désirs de la chair » (p 45)

NB : C’est déjà un point profitable pour l’âme, un fruit de l’amour de Dieu.

Très beau : « Quel peut-être l’effet d’une attention tournée vers une miséricorde si grande et si imméritée, d’une bonté inespérée, d’une douceur invincible et inattendue. Quel est, dis-je, l’effet de cette contemplation attentive, sinon d’arracher l’âme à tout amour pervers, de la ravir merveilleusement, de se l’attacher avec violence et de lui inspirer le mépris de tout ce qui ne peut être désiré qu’au détriment de ces biens supérieurs »

Vraiment cet amour est profitable.

Et la conséquence de cette contemplation, de cette attention à un si grand amour c’est que l’âme trouve qu’elle aime bien peu en comparaison : « A se voir tant aimée, elle croit aimer bien peu, même si elle est toutes donnée à l’amour »

Et puis nous arrivons au chapitre 5, un chapitre conclusif

Chapitre 5 : L’AMOUR EST UNE DETTE

Si tu réfléchis à tout ce que je viens de dire, tu comprendras bien, je crois, pourquoi on doit aimer Dieu, pourquoi Dieu mérite d’être aimé. Celui qui n’a pas la foi n’a pas le Fils ( Jean 5, 12). Donc il ne possède pas non plus le Père, ni le Saint-Esprit. En effet, « celui qui ne respecte pas le Fils, ne respecte pas le Père qui l’a envoyé »… (Jean 5, 23). Et il ne respecte pas non plus le Saint-Esprit envoyé par le Fils Jn 15, 26). Ce n’est pas étonnant. Celui qui n’a pas la foi connaît Dieu moins bien que nous, et il montre moins d’amour. Pourtant, il sait fort bien ceci : Dieu lui a donné tout ce qu’il est et tout ce qu’il possède, et il doit se donner tout entier à Dieu.

Mais moi, j’ai la foi. Qu’est-ce que je dois donc faire ? Dieu m’a donné la vie gratuitement. Il me donne généreusement tout ce qui m’est nécessaire. Quand je suis dans la peine, il me console avec bonté. Il prend soin de moi et me guide attentivement. De plus, dans le Christ qui est le Sauveur, Dieu m’a totalement libéré. Il garde ma vie pour toujours et la remplit de bienfaits et de gloire. On lit dans les Livres Saints : « Dieu nous a totalement libérés » … (Psaume 129, 7). Et encore: « Le Christ est entré une fois pour toutes dans le Lieu saint, près de Dieu. Ainsi, il nous a libérés pour toujours » (Hébreux 9, 12). Et, au sujet de notre vie avec Dieu, on lit: « Il n’abandonnera pas ses amis, il les gardera pour toujours » (Psaume 36, 28). Au sujet des bienfaits qu’il nous donne, on lit encore . « Vous pouvez tendre le bord de votre vêtement, et on versera dedans beaucoup de grains. Les grains seront bien secoués, serrés, ils déborderont ! » (Luc 6, 38). Les Livres Saints disent aussi « Il y a des choses que les yeux ne voient pas. Les oreilles ne les entendent pas. Le cœur humain n’y a jamais pensé. Eh bien, ces choses-là, Dieu les a préparées pour ceux qui ont de l’amour pour lui » (Ésaïe 64, 4 ; 1 Corinthiens 2, 9).

Et au sujet de la gloire que nous allons recevoir, on lit: « Nous attendons comme Sauveur, le Seigneur, le Christ Jésus. C’est lui qui changera notre faible corps pour le rendre semblable à son corps glorieux » (Philippiens 3, 20-21). Et encore : « On ne peut comparer les souffrances d’aujourd’hui avec la gloire que Dieu nous montrera clairement plus tard » (Rra 8, 18). Et aussi : « Oui, nos souffrances actuelles sont légères et durent peu de temps. Mais elles nous préparent une gloire extraordinaire. Cette gloire durera toujours et elle est beaucoup plus grande que nos souffrances. C’est pourquoi nous ne regardons pas vers les choses qu’on voit, mais vers les choses qu’on ne voit pas » (2 Corinthiens 4, 17-18). Que rendrai-je au Seigneur pour tout cela ? (Psaume 115,12). Je dois me donner tout entier à Dieu, parce qu’il m’a donné tout ce que je suis. Et je dois l’aimer de tout mon être. Cela est juste et raisonnable. La foi me fait comprendre ceci plus j’estime Dieu au-dessus de moi, plus je dois l’aimer. En effet, ce que je suis, il me l’a donné. Mais de plus, il s’est donné lui-même à moi. Nous avons reçu le commandement d’aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre cœur, de toutes nos forces et par toute notre vie (Deut. 6, 5). Cela veut dire : avec tout ce que nous sommes, avec tout ce que nous savons, avec tout ce que nous pouvons faire. Ce commandement, nous l’avons reçu quand le « temps de la foi » n’était pas encore venu. Dieu n’était pas encore venu parmi nous comme un homme, il n’était pas mort sur la croix, il n’était pas sorti de la tombe, il n’était pas retourné près du Père. Ainsi, Dieu est juste en réclamant notre reconnaissance pour les dons qu’il nous a faits… Et si je dois me donner tout entier à Dieu parce qu’il m’a créé, ma dette est beaucoup plus grande parce qu’il m’a recréé d’une façon plus merveilleuse encore. Oui, pour Dieu, cela a été moins facile de me recréer que de me créer. Pour me créer, et pour créer tout ce qui existe, les Livres Saints disent : « Dieu a dit une seule parole, et tout a été fait » (Psaume 148, 5). Mais celui qui m’a créé par une seule parole a dû faire beaucoup plus pour me recréer. Il a dû faire des choses merveilleuses. Il a dû supporter des choses dures, et non seulement dures, mais des souffrances qui ne sont pas dignes de Dieu. « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a donnés ? » (Psaume 115, 12). Au début, quand Dieu m’a créé, il m’a donné la vie à moi-même. Puis, quand Dieu m’a recréé, il s’est donné lui-même à moi. Et en se donnant lui-même, il m’a rendu la vie. C’est donc une double dette que j’ai envers lui. Ainsi, il m’a donné une première fois à moi-même, puis il m’a rendu une seconde fois à moi-même. Mais que rendrai-je à Dieu qui se donne à moi ? Même si je pouvais me donner mille fois, est-ce que je suis quelque chose, moi, à côté de Dieu ?

Commentaire :

C’est un chapitre de conclusion. Saint Bernard résume les raisons d’aimer Dieu, non seulement pour les fidèles, mais aussi pour l’infidèle, celui qui est sans la lumière de la foi.

« Celui qui fait toutes ces réflexions voit clairement, je crois, pourquoi l’on doit aimer Dieu i.e. quel amour Dieu mérite » (p 47)

L’infidèle « sait bien qu’il se doit tout entier à ce Dieu qu’il reconnaît pour l’auteur de tout son être » (p 47)

Le fidèle, lui, à plus forte raison et redevable de cet amour.

« A plus forte raison » : i.e. sous une double considération, à savoir :

* de Dieu, auteur de l’être ;

* de Dieu, rédempteur.

« Je suis redevable de cet amour comme celui qui gratuitement m’a donné la vie, qui s’en st fait le généreux ordonnateur, le doux consolateur et le guide attentif »

En outre

« Je vois en lui mon Sauveur, celui qui pour l’éternité à la bonté de conserver ma vie, de l’accomplir et de l’introduire dans la gloire ».

N’oubliez pas la méditation des fruits de la Passion du Christ. Le péché satisfait et expié par le Christ a pour effet de nous ouvrir les portes du Ciel.

Saint Bernard termine ce chapitre dans l’acclamation, dans une belle prière d’action de grâce, de reconnaissance et d’amour.

C’est une page très enflammée, très belle. Il résume les motifs de notre amour pour Dieu :

-parce que Dieu est l’auteur de notre être ;

-parce que Dieu est notre Sauveur et quel Sauveur ! Nous devons l’aimer. Si nous sommes justes, il n’y a pas de choix.

« La raison et l’équité naturelle veulent que je me donne tout entier à celui dont je tiens tout ce que je suis et m’enjoignent de l’aimer de tout mon être » (p 48)

La première raison d’aimer Dieu : c’est qu’il est mon créateur. Dieu mérite mon amour en raison de ce qu’il est Créateur. Et saint Bernard nous dit que cette raison seule est impérative et suffit pour justifier le commandement d’amer de tout son cœur. Car c’est avant même la Rédemption que Dieu a donné à l’homme ce précepte : « Car enfin le temps de la foi n’était pas encore venu, Dieu ne s’était pas encore manifesté dans la chair, n’était pas mort sur la croix, sorti du tombeau, retourné auprès de son Père ; il n’avait pas encore donné toutes les marques du très grand amour dont nous avons parlé longuement tout à l’heure, et déjà l’homme avait reçu le commandement d’aimer le Seigneur, son Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ces forces » (Deut 6 5) (p 48)

C’est là une simple justice. Dieu n’est pas injuste, ne demande pas trop en demandant cela : « Dieu ne se montrait pas injuste… »(p 48)

Mais il y a, vous vous en doutez, une autre raison, pour Saint Bernard, d’aimer Dieu, une raison plus sublime encore, plus déterminante, c’est celle du don de la grâce. « Mais la foi m’enseigne que je dois l’aimer d’autant plus…que je sais qu’il m’a donné non seulement mon être, mais par surcroît le sien propre »

Saint Bernard développe magnifiquement la deuxième raison d’aimer Dieu : en raison de la rédemption, en raison de la grâce. : « Et Dieu a ajouté immensément à ses bienfaits envers nous lorsqu’il sauva les hommes (et les bêtes) par la surabondance de sa grâce »

Merveilleuse conclusion. A lire et méditer.

« Et si je dois me donner tout entier à Dieu parce qu’il m’a créé, ma dette est beaucoup plus grande parce qu’il m’a recréé d’une façon plus merveilleuse encore. Oui, pour Dieu, cela a été moins facile de me recréer que de me créer. Pour me créer, et pour créer tout ce qui existe, les Livres Saints disent : « Dieu a dit une seule parole, et tout a été fait » (Psaume 148, 5). Mais celui qui m’a créé par une seule parole a dû faire beaucoup plus pour me recréer. Il a dû faire des choses merveilleuses. Il a dû supporter des choses dures, et non seulement dures, mais des souffrances qui ne sont pas dignes de Dieu. « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a donnés ? » (Psaume 115, 12). Au début, quand Dieu m’a créé, il m’a donné la vie à moi-même. Puis, quand Dieu m’a recréé, il s’est donné lui-même à moi. Et en se donnant lui-même, il m’a rendu la vie. C’est donc une double dette que j’ai envers lui. Ainsi, il m’a donné une première fois à moi-même, puis il m’a rendu une seconde fois à moi-même. Mais que rendrai-je à Dieu qui se donne à moi ? Même si je pouvais me donner mille fois, est-ce que je suis quelque chose, moi, à côté de Dieu ? »

A la fin du chapitre 7, saint Bernard ajoute un complément très important à la raison d’aimer Dieu. Il revient en effet sur la raison surnaturelle d’aimer Dieu. C’est très fort. C’est une très belle conclusion de la première partie de son traité. Il dit : « la raison pour laquelle on aime Dieu, c’est Dieu lui-même. J’ai dit vrai. Car il est la cause efficiente et finale de cet amour » (p 58)

Il explique cette dernière phrase.

Il est la cause efficiente de cet amour en ce sens que « c’est lui qui en fournit l’occasion et qui en suscite le mouvement » i.e. parce qu’il manifeste son amour dans sa Passion. C’est le très beau § 22 de la page 58

Il est la cause finale de cet amour, en ce sens qu’il en accomplit le désir » i.e. le désir de l’amour c’est l’union et cette union sera définitivement accomplie dans l’éternité. Il sera possédé inaltérablement, indéfectiblement.

Il est la cause efficiente de cet amour, en ce sens qu’ « il a fait qu’on l’aime ou plutôt il s’est fait tel que l’on doit l’aimer ; en ce sens aussi qu’il nous inspire l’espérance d’aimer un jour d’un amour plus heureux, puisque sinon nous aimerions en vain.

Vraiment Dieu est cause efficiente et finale de notre amour : « son amour pour nous prépare et récompense notre amour pour lui »

« Il nous prévient par sa bonté, se fait aimer en retour par sa justice et rien n’est plus doux que de l’attendre »

« Il s’est donné pour mériter notre amour, il se réserve pour être notre récompense »

Voici encore une belle phrase : « Il y a ceci d’admirable que nul ne peut le chercher qui ne l’ait trouvé d’abord. Il veut qu’on le trouve afin qu’on le cherche (en ce sens qu’Il est si bon qu’on ne peut pas ne pas le chercher toujours davantage) et qu’on le cherche afin de le trouver (en ce sens que la fin de la quête, de la recherche c’est lui-même, possédé dans l’éternité, qu’on le trouve à jamais)

Le chapitre 6 est un bref résumé de ce qui précède. Il est intéressant de le lire.

Chapitre 6 : Bref résumé de qui précède.

D’abord reconnais ceci : Dieu mérite notre amour sans mesure. Je résume donc ce que j’ai déjà dit : c’est lui qui nous a aimés le premier (1 Jean 4, 10). Lui qui est si grand, il nous a aimés d’un amour très grand, tout à fait gratuit, nous qui sommes si petits ! Et il nous a aimés tels que nous sommes. C’est pourquoi je me souviens d’avoir dit au début: la mesure pour aimer Dieu, c’est de l’aimer sans mesure. Or, l’amour qui tend vers Dieu tend vers celui qui est immense et sans limite. Alors, je vous le demande, est-ce que notre amour pour lui peut avoir une mesure et une limite ? Non ! Il faut encore dire ceci : notre amour pour Dieu n’est pas gratuit, nous payons une dette. Dieu est immense, et il nous aime. Dieu a la vie pour toujours, et il nous aime. Dieu est l’amour qui dépasse tout ce qu’on peut connaître (Éphésiens 3, 19), et il nous aime. La grandeur de Dieu est sans limite (Psaume 144, 3), sa sagesse est sans mesure (Psaume 146, 5), sa paix dépasse tout ce que nous pouvons comprendre (Philippiens 4, 7). Et nous, est-ce que nous allons mesurer notre amour pour Dieu ? « Seigneur, je t’aimerai. Tu es ma force, je m’appuie sur toi. C’est toi qui me protèges et me délivres » (Psaume 17, 2-3), toi qui es pour moi tout ce que je peux désirer, tout ce que je peux aimer. Toi, mon Dieu, toi, mon secours, je t’aimerai selon le don que tu m’as fait et selon ma mesure. Ma mesure ne peut atteindre ce que tu mérites, mais du moins je ferai tout ce que je peux. Non, je ne suis pas capable de t’aimer comme je le dois, je ne peux dépasser mes limites. Plus tard, quand tu voudras bien me donner davantage, je t’aimerai davantage, mais jamais je ne t’aimerai comme tu le mérites. Tu vois combien je suis imparfait. Pourtant, tu inscris dans le livre de la vie » (Psaume 138, 16) ceux qui font ce qu’ils peuvent, même s’ils ne peuvent pas faire tout ce qu’ils doivent. On voit donc clairement, je crois, comment il faut aimer Dieu, et pourquoi il mérite notre amour. Oui, je dis bien : pourquoi il mérite notre amour. Mais qui peut dire jusqu’à quel point il faut l’aimer

Commentaire.

Comme vous le voyez ce chapitre se termine par une très belle prière que l’on ne peut pas ignorer : « Je t’aimerai, Seigneur, toi qui est ma force, mon appui, mon refuge, mon libérateur, et tout ce qui peut se dire de désirable et d’adorable. Mon Dieu, mon secours, je t’aimerai pour tes dons, et à ma mesure, qui sera certes bien au-dessous de la juste mesure, mais non pas inférieure à mon pouvoir d’aimer. Car bien que je ne puisse donner autant que je dois, je ne saurais aller au-delà de mon pouvoir. Sans doute serais-je capable d’aimer davantage lorsque tu daigneras m’apporter plus d’amour, et pourtant je ne t’aimerai jamais à proportion de ce que tu mérites. Tes yeux ont vu mon imperfection, mais dans ton livre seront inscrits ceux qui font tout ce qu’ils peuvent, même s’ils ne peuvent faire tout ce qu’ils doivent ».

Voilà enfin le chapitre 7 qui contient les considérations sur le profit pour l’âme de son amour de Dieu.

Chapitre 7 : On ne peut aimer Dieu sans profit et le cœur humain ne saurait se rassasier des biens temporels.

Un très beau passage de ce chapitre :

Voyons maintenant ce que nous gagnons en aimant Dieu… Quand on aime Dieu, on reçoit de lui une récompense. Mais nous ne devons pas l’aimer pour recevoir cette récompense. En effet, l’amour vrai reçoit toujours quelque chose en échange. Pourtant, il ne veut rien gagner, parce qu’il « ne cherche pas ses intérêts » (1 Corinthiens 13, 5). C’est un mouvement du cœur, ce n’est pas un contrat. L’amour ne s’achète pas et il n’achète rien. L’amour est spontané, et nous fait agir spontanément. L’amour vrai trouve toute sa joie en lui-même. La récompense de l’amour, c’est la chose qu’on aime… L’amour vrai ne cherche pas de récompense, mais il en mérite une. Bien sûr, on promet une récompense à quelqu’un qui n’aime pas encore vraiment. On doit cette récompense à celui qui aime, et on la donne à celui qui est fidèle dans l’amour… Si quelqu’un aime Dieu, il cherchera, comme seule récompense, le Dieu qu’il aime. S’il cherche autre chose que Dieu, il n’aime pas vraiment Dieu, c’est sûr. »

Commentaire :

Saint Bernard, il vous en souvient, nous a dit dans son chapitre 1 qu’il allait aimer Dieu pour deux raisons majeurs :

-en raison des mérites divins ;

-en raison des avantages que l’âme fidèle peut en retirer.

Dans les 6 premiers chapitre, il a expliqué la Première raison de l’amour divin : en raison des mérites de Dieu.

Maintenant il commence à expliquer qu’il faut aimer Dieu en raisons des avantages pour l’âme fidèle. « Ayant parlé du mérite de Dieu, non pas certes d’une manière digne de Lui, mais dans la mesure où il m’a donné d’en savoir quelque chose, il me reste maintenant à traiter de la récompense promise à l’amour » (p 52)

Il est intéressant de remarquer le rapport entre « avantage » et « récompense ». et « profit », « profitable ». « L’avantage » pour notre âme, « sa récompense », son « profit » sera de posséder Dieu éternellement ; cela est promis à celui qui aime.

Saint Bernard développe « le profit » de l’amour dans son chapitre 7.

« Nous n’aimons pas Dieu sans récompense, bien qu’il faille l’aimer sans espérer en obtenir aucune » (p 52). Dieu est aimé pour lui-même. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus donne la même raison. « La véritable charité ne saurait rester sans salaire et cependant elle n’est pas mercenaire puisqu’elle ne cherche pas son propre intérêt » (1 Cor 13 5). « C’est un mouvement du cœur, non pas un contrat ». Même si c’est justice que d’aimer Dieu, ce n’est pas au titre d’un pacte qu’on aime Dieu et en reçoit une récompense. C’est qu’il y a dans la charité vraie, une spontanéité, un désintéressement, une promptitude. « On ne l’acquiert pas et elle-même ne produit pas son bénéfice en vertu de quelque pacte. Elle nous meut spontanément et nous rend spontanés. L’amour véritable trouve satisfaction en lui-même. Il a sa récompense qui n’est autre que l’objet aimé…L’amour vrai ne réclame pas sa récompense. Il la mérite. La récompense est proposée à qui n’aime pas encore ; elle est due à qui aime et accordée à qui persévère ».

Explication de cette phrase : « La récompense est proposée à qui n’aime pas encore » i.e pour provoquer l’amour. En effet dit Saint Bernard : « lorsque nous voulons obtenir l’acquiescement d’autrui, au sujet de choses toutes quotidiennes, nous usons de promesses ou de cadeaux pour décider ceux qui résistent. Mais l’âme qui aime, dit Saint Bernard, n’est pas ébranlée par la récompense, mais ne désire que l’être aimé : « Une âme qui aime Dieu ne voudra d’autre prix de son amour que Dieu lui-même. Si elle réclamait une autre récompense, elle montrerait que ce qu’elle aime n’est pas Dieu, mais cette récompense » (p 53)

Saint Bernard fait ensuite, dans le § 18-19 20, une belle analyse psychologique de l’âme à la recherche de biens temporels. Il montre la vanité de cette recherche. Les biens de la terre ne peuvent apaiser l’infinité des désirs de l’âme. Il en conclut que seul Dieu peut satisfaire les désirs infinis de l’âme. « L’argent n’apaise pas même la faim de l’esprit que le vent ne comble la faim du corps. Si l’on voyait un homme affamé ouvrir la bouche au vent et aspirer l’air à pleines gorges dans l’espoir de calmer sa faim, on le tiendrait pour un fou. Mais ce n’est pas une moindre folie de croire que les choses corporelles peuvent nourrir un esprit doué de raison, alors qu’elles ne font que l’enfler. Qu’y a-t-il en effet de commun entre les corps et l’esprit ? Ni les corps ne peuvent se repaître des choses spirituelles ni l’esprit se satisfaire des corps ». Et Saint Bernard de conclure que seul Dieu peut satisfaire et apaiser l’âme. Il cite les psaumes 111 (p. 50)

Et le spectacles de ces deux sortes d’âmes, l’une à la recherche des biens temporels, toujours insatisfaite, toujours à la recherche de quelque chose de plus, de plus beau… et l’autre à la recherche de Dieu seul, toujours apaisée parce que possédant d’un coup le bien infini qu’est Dieu, me fait déjà comprendre combien il est préférable d’aimer Dieu plus que le monde.

 

 

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