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Entraide et Tradition

Déclaration du Cardinal Müller

publié dans nouvelles de chrétienté le 9 mai 2020


Une interview-choc du cardinal Müller qui, à partir de la situation en Italie (laquelle vaut largement pour nous aussi) répond aux questions de Riccardo Cascioli, et dont un prêtre de mes lecteurs vient juste de m’envoyer sa traduction: « L’Église ne dépend pas de l’État, elle doit défendre sa liberté et son indépendance ».

« Aucun évêque n’a le droit d’interdire la messe avec le peuple. »

Cardinal Gerhard L. Müller

Traduction abbé C.L.

« L’Église ne dépend pas de l’État, elle doit défendre sa liberté et son indépendance ». « Suspendre les messes est une abdication de son devoir propre, qui est de lire aussi les souffrances de cette période à la lumière de la foi, du mystère de la mort et de la résurrection de Jésus ». « Jésus s’est fait chair, nous croyons à la résurrection de la chair : c’est pourquoi la présence corporelle est indispensable ». « L’Eucharistie est la seule véritable forme de culte de Dieu, elle est la raison d’être de toute autre forme liturgique. Il est scandaleux qu’il y ait des évêques qui disent que l’Eucharistie est surestimée ». Voici les réflexions du Cardinal Gerhard L. Müller, ancien Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans cet entretien avec Riccardo Cascioli.

« Ce virus a été une tragédie pour beaucoup de gens. C’est précisément pour cette raison que l’Église a le devoir d’offrir une vision de la souffrance et de l’existence humaine dans la perspective de la vie éternelle, à la lumière de la foi. La suspension des messes avec le peuple est une abdication de son devoir propre, c’est la réduction de l’Église à la dépendance de l’État. C’est inacceptable ». Le Cardinal Gerhard Müller, ex-Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, que nous joignons par téléphone, est très clair dans son jugement sur ce qui se passe en Italie et dans de nombreux autres pays.


Éminence, pour de nombreux fidèles, la souffrance de la maladie s’est ajoutée à la souffrance de l’interdiction d’assister à la messe, voire au refus des funérailles ; et surtout à la justification de tout cela par la hiérarchie ecclésiastique.

C’est une chose très grave, c’est la pensée laïque qui est entrée dans l’Église. C’est une chose de prendre des mesures de précaution pour minimiser les risques de contagion, c’en est une autre d’interdire la liturgie. L’Église n’est pas un client de l’État, et aucun évêque n’a le droit d’interdire l’Eucharistie de cette manière. Nous avons même vu des prêtres être punis par leur propre évêque pour avoir célébré la messe avec quelques personnes, tout cela signifie se concevoir comme des fonctionnaires de l’État. Mais notre pasteur suprême est Jésus-Christ, et non Giuseppe Conte [le premier ministre italien]. L’État a sa tâche, mais l’Église a la sienne.

Pour beaucoup de gens, il semble difficile de concilier le devoir envers l’État et la nécessité d’un culte public de Dieu.

Il faut aussi prier publiquement car nous savons que tout dépend de Dieu. Dieu est la cause universelle, puis il y a la cause secondaire qui passe par notre liberté. Dans ce qui se passe, nous, créatures finies, ne savons pas combien dépend de la causalité de Dieu et combien de la nôtre : c’est le point de la prière. Nous devons prier Dieu de surmonter les défis de notre vie personnelle et sociale, mais sans oublier la dimension transcendante, la vision de la vie éternelle et l’union intime avec Dieu et Jésus-Christ même dans notre souffrance. Nous sommes appelés à prendre notre croix sur nos épaules tous les jours, mais nous devons aussi expliquer aux fidèles leur souffrance avec les catégories de l’Évangile. L’interdiction de participer à la liturgie va dans le sens inverse. Prendre certaines mesures extérieures est la tâche de l’État ; notre tâche est de défendre la liberté et l’indépendance de l’Église ; et la supériorité de l’Église dans la dimension spirituelle. Nous ne sommes pas une agence subordonnée à l’État.

Beaucoup, même parmi les prêtres et les évêques, se rendent compte qu’il y a un grand risque de mal comprendre le sens même de la liturgie dans cette prolifération de messes à la télévision et en streaming.

Ces formes ne peuvent pas être considérés comme un substitut à la messe. Bien sûr, si vous êtes en prison ou dans un camp de concentration ou dans d’autres circonstances exceptionnelles, vous pouvez participer spirituellement à l’Eucharistie, mais ce n’est pas une situation normale. Dieu nous a créés corps et âme. Dieu a accompagné son peuple à travers l’histoire, il l’a libéré de l’esclavage de l’Égypte ; en réalité, il n’a pas fait une libération virtuelle. Jésus, fils de Dieu, s’est fait chair, nous croyons en la résurrection de la chair. C’est pourquoi la présence corporelle est absolument nécessaire pour nous. Pour nous, pas pour Dieu. Dieu n’a pas besoin des sacrements, c’est nous qui en avons besoin. Dieu a institué les sacrements pour nous. Le mariage ne fonctionne pas seulement spirituellement, il faut aussi une union du corps et de l’âme. Nous ne sommes pas des idéalistes platoniciens, nous ne pouvons pas assister à la messe depuis chez nous, sauf dans des situations particulières. Non, il faut aller à l’église, se réunir avec d’autres, communiquer la Parole de Dieu. Même tout le vocabulaire de l’Église indique cette nécessité : la Sainte Communion ; la communion est de convoquer ; l’Église est le peuple de Dieu convoqué. Le psaume dit : « Qu’il est bon et beau que les frères vivent ensemble.

Il y a des théologiens et des évêques selon lesquels il y a une surestimation de l’Eucharistie, que la Messe dominicale n’est pas nécessaire.

Il y a aussi un évêque comme Victor Fernandez, qui se vante d’être ghost writer du pape François, qui prétend que le devoir d’aller à la messe le dimanche est un commandement introduit par l’Église. C’est un autre exemple de formation théologique désastreuse. Le troisième commandement a son fondement dans la loi divine : il oblige les Juifs à sanctifier le jour du Seigneur. Pour nous, chrétiens, c’est le jour de la Résurrection. C’est aussi le commandement de Jésus : « Faites ceci en mémoire de moi ». Et Saint Paul dit : « Chaque fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez de cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 26). C’est la représentation réelle et sacramentelle de la mort salvatrice de Jésus et de sa résurrection. À la messe, nous participons au mystère pascal. Le Concile Vatican II l’a précisé dans Sacrosanctum Concilium et Lumen Gentium (n° 11). Pourtant, certains évêques disent que certains fidèles sont trop attachés à l’Eucharistie. C’est absurde. L’Eucharistie est le seul véritable culte de Dieu par Jésus-Christ. Ce n’est pas une des nombreuses formes de la liturgie, mais toutes les formes de la liturgie ont dans l’Eucharistie la raison de leur existence. Tout reçoit la force et la consistance de l’Eucharistie.

Voyez-vous aussi la manifestation claire d’une atteinte à l’Eucharistie, le cœur de l’Église ?

Oui, il suffit de penser à ceux qui, avant et pendant le Synode sur l’Amazonie, ont dit avec force que les peuples indigènes avaient un besoin absolu de l’Eucharistie et que, pour cette raison, il était nécessaire d’ordonner des prêtres des hommes mariés. Or, ces mêmes personnes soutiennent sans vergogne le contraire, à savoir que nous n’avons pas besoin de l’Eucharistie. Ils raisonnent comme les protestants, en ignorant que depuis le début de la Réforme protestante, c’est précisément l’Eucharistie qui est le point central de la controverse. Et maintenant, il y a des évêques qui se disent catholiques et qui ne comprennent pas la valeur centrale de l’Eucharistie. C’est un vrai scandale : ce sont les vrais rigides, les vrais clercs, pas ceux qui prennent au sérieux la parole de Jésus et la doctrine de l’Église. C’est une véritable perversion de la pensée. Mais ce catholicisme « moderne » est une idéologie autodestructrice. Il y a un besoin, surtout en Italie, d’évêques de la stature de Saint Charles Borromée, et ceux de la Curie devraient prendre exemple sur le Cardinal Robert Bellarmin.

Ces derniers mois, nous avons entendu les responsables de l’épiscopat dire souvent que le premier devoir est de préserver la santé.

C’est une Église bourgeoise et sécularisée, et non une Église qui vit selon la Parole de Jésus-Christ. Jésus a dit « cherchez d’abord le Royaume de Dieu ». Que vaut la vie, tous les biens du monde, y compris la santé, si vous perdez ensuite votre âme ?
Cette crise a montré que beaucoup de nos pasteurs pensent comme le monde, ils se conçoivent davantage comme les fonctionnaires d’un système social religieux que comme les pasteurs d’une Église en communion intime avec Dieu et avec les hommes. Nous devons toujours conjuguer la foi et la raison. Nous ne sommes évidemment pas fidéistes, nous ne sommes pas comme ces sectes chrétiennes qui disent que nous n’avons pas besoin de médicaments, que nous nous confions uniquement à Dieu. Au contraire, se confier à Dieu ne contredit pas l’appréciation de toutes les possibilités offertes par la médecine moderne. Mais la médecine moderne ne remplace pas la prière : ce sont deux dimensions qui ne doivent pas être séparées mais superposées.

Pour justifier la suspension des messes avec les gens, certains disent que si nous infectons les autres, alors nous sommes responsables de leur mort éventuelle.

Même les médecins courent ce risque ; il existe un risque dans toute activité humaine. Il est certain que nous devons veiller à ne pas mettre en danger la vie et la santé des autres, mais ce n’est pas la valeur suprême. Malheureusement, cette situation nous a montré que de nombreux prêtres et évêques de bonne qualité n’ont pas la base théologique nécessaire pour réfléchir à cette situation et offrir un jugement conforme à l’Évangile et à la doctrine de l’Église.

C’est peut-être aussi la raison pour laquelle tant d’évêques ont snobé la demande de consécration des fidèles au Coeur Immaculé de Marie. Ce qui, dans le cas de l’Italie, est devenu un recours ‘de confiance’, et a finalement ce qui a été fait de manière négligente est une escroquerie.

Il y a une sous-estimation de l’aspect surnaturel. Nous sommes plongés dans la conception naturaliste qui vient du Siècle des Lumières. On ne peut pas expliquer l’Église, la Grâce, les sacrements dans la dimension naturelle. Le cœur de notre religion chrétienne est le Dieu transcendant qui devient immanence dans nos vies, il est le Christ, véritable homme et véritable Dieu par l’Incarnation.

Il semble presque que nous nous soyons résignés à poursuivre un monde qui ne raisonne que dans la dimension naturelle, et nous appelons cela du réalisme.

C’est l’idéologie du pragmatisme. Aujourd’hui, par exemple, l’idée prévaut dans l’Église qu’il faut des évêques qui ne sont que des pasteurs, c’est-à-dire des pragmatiques. Mais l’évêque est ministre de la Parole, il doit réfléchir à la Parole. Saint Paul et Saint Pierre n’avaient pas la tête vide, les pères de l’Eglise n’étaient pas seulement pragmatiques, ils réfléchissaient à la foi chrétienne et à ses implications. Un bon enseignant de la foi doit être capable d’expliquer une situation comme celle que nous vivons actuellement en partant de la foi, dans son sens surnaturel, et non avec le naturalisme. Une fois de plus, les deux dimensions doivent être maintenues ensemble : nous ne pouvons pas réduire l’existence humaine à la simple nature, et en même temps ne pas penser – comme le soutiennent les marxistes – que le christianisme n’a à voir qu’avec l’au-delà. En Jésus-Christ, nous avons l’unité entre l’au-delà et l’immanence de la vie. Un bon chrétien doit savoir être un excellent médecin et scientifique, mais cela ne contredit pas la confiance en Dieu. Il y a une intégration entre la foi et la raison, entre la confiance en Dieu et la compétence dans les sciences naturelles.

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