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DES HOMMES ET DES DIEUX

DES HOMMES ET DES DIEUX

publié dans flash infos le 27 septembre 2010


DES HOMMES ET DES DIEUX
Un formidable “état de grâce”

 

Un formidable état de grâce avait plané sur les “peoples” du Festival de Cannes, pendant la projection du film consacré au témoignage (martyrion) des moines de Tibhirine : Des hommes et des dieux. Le titre peut paraître ambigu, si la grâce ne l’est pas. Elle avait déjà saisi d’une énorme émotion, pendant tout le tournage, les acteurs et le réalisateur du film, Xavier Beauvois : “Sur ce tournage, j’ai passé les deux plus beaux mois de ma vie. Dans un perpétuel état de grâce. Tout était simple, limpide, facile, évident, étrange et beau. Oui, l’esprit de Tibhirine a soufflé sur nous. Il existe. J’espère qu’il touchera le Festival et fera du bien à tous.” Le vœu de Xavier Beauvois a été entendu par le demi-million de spectateurs qui sont restés sans voix devant le film, dès sa première semaine d’exploitation, comme il le sera par tous les autres dans les semaines qui viennent, quelles que soient leurs convictions et leurs pratiques religieuses, car l’Esprit souffle où il veut, et il n’est question ici que de liberté intérieure face au totalitarisme: la liberté de la Foi.

Qui a enlevé, assassiné, décapité en 1996 ces sept moines cisterciens vénérés dans les montagnes du Sud d’Alger par tout leur entourage musulman ? Les terroristes islamiques du GIA, qui l’ont revendiqué ? Les services secrets du gouvernement totalitaire de M. Bouteflika, qui les manipulaient ? Personne ne peut trancher aujourd’hui, et Beauvois a raison de ne pas s’y aventurer.
La seule responsabilité morale assurée – au plan historique – est celle du gouvernement français qui abandonne ce beau pays aux égorgeurs du FLN, et le livre d’un coup à ces fanatiques, sans transition, garantie ni contrepartie aucune, avec des dizaines de milliers de nos compatriotes, et des centaines de milliers de musulmans harkis, pieds et poings liés, le 18 mars 1962…
Trente-quatre ans plus tard, les moines de Tibhirine ont répondu de leur manière à ce mystère d’iniquité. Ils se savaient menacés de mort. On leur a demandé de partir – “la valise ou le cercueil” – comme aux Français d’Algérie. Ils ont voulu rester. Témoigner d’une présence. Maintenir le flambeau de la charité chrétienne dans le déchaînement des haines et des violences fratricides. Continuer simplement d’être eux-mêmes, sans provocation, à travers le service des pauvres et le chant des offices du jour et de la nuit, le chant de l’amour chrétien. Pour l’amour de Dieu, des vertus supérieures de leur Ordre, et de leurs frères musulmans d’Algérie.
Les moines de Tibhirine n’ont pas trahi leur vocation, dissimulé leur uniforme ni renoncé à leur vœux pour se porter au bout du seul œcuménisme qui compte, et y laisser leur vie : celui du témoignage chrétien. Si Cannes a retenu son souffle, en les voyant revivre à l’écran, comme des milliers de spectateurs le font aujourd’hui dans nos salles de cinéma, c’est qu’aucune âme n’est jamais morte au seul message du Christ, et que sa grâce encore peut pénétrer partout.
Les martyrs et les saints ne sortent pas des nuages. Ils sont de chair et d’os, comme nous, et ce n’est pas dans les livres, les discours ou les rêves qu’ils se sont montrés plus courageux que nous face aux ennemis de la foi, qui sont aussi les ennemis de toute authentique liberté. C’est dans leur quotidien. A Tibhirine, c’était dans la Règle du grand saint Benoît, le lever de nuit, le silence, le travail, la prière, toute cette gymnastique de la chapelle des moines, que la tête impose aux membres pour sa propre libération.
“Il y a un témoignage, un martyrion, qu’en tant que chrétiens et en tant que moines, vous êtes certainement appelés à donner : c’est celui d’une générosité soutenue dans l’observance de votre vie de prière, de charité et de communauté. L’héroïsme, lorsqu’il est exigé de nous, ne consiste pas à faire des actes extraordinai­res mais à continuer de faire les choses ordinaires, même lorsque les circonstances ont changé radicalement et comportent la possibilité de conséquences tragiques.”
Cette déclaration du Père Armand Veilleux, Procureur général de l’Ordre des Cisterciens en visite à Tibhirine quelques mois avant l’assassinat des frères, donne une clé du succès du film très au-delà du cercle des catholiques pratiquants. Tout homme fidèle à son idéal, sa générosité, sa parole, ses règles de vie, face aux pressions sournoises et parfois aux terrifiantes menaces du monde, qu’il le sache ou non, fait retour à sa Divinité. Il entre de plain-pied dans la communion des saints. Le premier pas pour les rejoindre consiste à les admirer. Merci à Xavier Beauvois de nous avoir ouvert de façon si simple et si humaine cette porte lumineuse sur l’Eternité.
@Emmanuel Barbier / Sedcontra.fr, sept. 2010

Le Frère Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, avait laissé à sa famille en 1994, dès avant le drame, ce testament spirituel :

« S’il m’arrivait un jour – et çà pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.
Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat.
« Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui-là qui me frapperait aveuglément. J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint.
« Je ne saurais souhaiter une telle mort. Il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut-être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam.
« Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église, précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans.
« Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui Ses enfants de l’islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le Don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
« Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis!
« Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « A-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen ! Inch’Allah. »

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