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Débat : un islam laïc est-il possible ?

publié dans flash infos le 21 janvier 2011


Débat : un islam laïc est-il possible ?

Fabrice Madouas le jeudi, 20/01/2011
dans Dossier d’actualité de « Valeurs actuelles » a organisé un
dialogue courtois mais sans faux-fuyants entre Xavier Lemoine, maire UMP de Montfermeil, et Abdelhak Eddouk, aumônier musulman.

La présence d’une communauté musulmane en France est considérée par 42 % des Français comme “une menace”. Comment expliquez-vous ce chiffre ?

Abdelhak Eddouk Ce sondage mesure un sentiment, une opinion que nul ne peut ignorer : le chiffre est important et le mot est fort. Mais il faut distinguer le sentiment et la réalité. Un autre sondage soulignait récemment que les Français étaient le peuple le plus pessimiste au monde alors que la France, malgré la crise, reste un pays riche – preuve qu’une opinion ne se fonde pas toujours sur une réalité tangible et qu’elle peut évoluer. Je ne conteste pas la légitimité de cette enquête, j’essaie d’en comprendre les résultats. J’y vois deux explications.

L’une est liée à l’actualité. De quoi entend-on parler depuis un an ? Du débat sur l’identité nationale, de la loi sur le voile intégral, de la polygamie, du terrorisme à l’étranger. Les médias n’évoquent l’islam qu’à travers des situations problématiques ou dramatiques. Or beaucoup de gens ne connaissent pas l’islam, sinon par ce qu’en dit la télévision…

Je ne m’étonne pas qu’ils soient inquiets ! La seconde explication, c’est qu’on ne présente souvent l’islam qu’à travers les thèses d’une minorité radicale, qui ne représente pas du tout la communauté musulmane. Pourquoi leur donner une telle importance, alors que la quasitotalité des musulmans de France est hostile à ces interprétations radicales ? Ils sont les premiers à en souffrir !

Xavier Lemoine Ce sondage mesure en effet un sentiment, ce qui est évidemment subjectif. Mais il ne s’agit pas seulement d’un instantané : les enquêtes d’opinion dont nous disposons montrent que ce sentiment de menace augmente depuis plusieurs années. Est-ce à cause des événements dramatiques qui se déroulent en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Egypte ? Pas seulement. Il y a aussi ce que nous vivons ici, dans nos quartiers, nos écoles, nos entreprises, nos hôpitaux, nos services publics.

Je vis en Seine-Saint-Denis depuis vingt-cinq ans. Je vois des époux qui refusent que leur femme soit examinée par un médecin homme, des enfants qui contestent certains enseignements, des as sociations qui réclament des horaires différents pour les hommes et les femmes à la piscine… Sans parler des tenues vestimentaires (gandoura, voile intégral) qui se multiplient dans la rue : certains musulmans ont choisi de se distinguer ostensiblement des autres Français, certains quartiers ont fait quasiment sécession.

Ces musulmans de stricte observance (appelons-les les fondamentalistes) représentent-ils l’en semble de leur communauté ? J’admets que l’on puisse répondre “non” – si l’on accepte aussi de reconnaître que leurs revendications font partie de l’islam. Entre leur comportement et celui de musulmans moins “stricts”, il n’y a pas une différence de nature mais une différence de degré. Or, je constate que les fondamentalistes gagnent du terrain. De plus en plus de musulmans adoptent leurs comportements, sou vent pour avoir la paix.

Un seul exemple : en tant qu’élu, j’organise souvent des excursions à Paris pour des femmes musulmanes. Dès qu’on sort de Montfermeil, la moitié – pas toutes – retirent leur foulard. Elles le remettent dès leur retour dans la cité. Pas par conviction mais « pour qu’on ne vienne pas [les] insulter ou qu’on ne vienne pas faire du prosélytisme à la maison ». Voilà ce qu’elles me disent. Les plus radicaux prennent en main cette majorité trop silencieuse, ils influencent ceux qui trouvaient des vertus au modèle occidental (même s’ils sont choqués par la pornographie et l’avortement). C’est ce que je n’accepte pas.

A. Eddouk Un mot sur la situation internationale : les plus hauts dignitaires musulmans, en Égypte et dans le Maghreb, ont condamné les violences dont les chrétiens ont été victimes.

X. Lemoine Assez timidement, quand même.

A. Eddouk Non, je peux vous envoyer toutes leurs déclarations… Au niveau national aussi, le CFCM (le Conseil français du culte musulman) a condamné ces attentats dans un communiqué. Et c’est dans une manifestation contre les violences qu’ont subies les chrétiens d’Irak que je vous ai rencontré, M. Lemoine. Je suis heureux que vous établissiez une distinction nette entre la majorité des musulmans – trop silencieuse selon moi aussi – et une minorité parfois agressive, en effet. Si nous partageons l’un et l’autre cette analyse, nous pourrons trouver des solutions ensemble. Certains essaient de justifier leurs comportements en interprétant quel ques versets coraniques qu’ils auront choisis… Il faut faire le ménage dans la façon de lire le texte.

Selon le même sondage, 68 % des Français jugent que les musulmans sont mal intégrés. Qu’en dites-vous ?

A. Eddouk “68% des Français”… Mais il y a sans doute, parmi ces Français, beaucoup de musulmans. Beaucoup disent : “Oui, c’est vrai, nous ne sommes pas intégrés !” Et ils le regrettent bien ! Les jeunes, surtout, ne comprennent pas : “Nous sommes français, nés en France. Nous sommes allés à l’école de la République. Nous sommes installés… Que veut-on de plus ? Qu’attend-on de nous ?” Il est important d’aller discuter avec eux avant de les juger. Mon expérience ne contredit pas la vôtre, M. Lemoine, elle la complète. L’intégration, en somme, est un concept flou : chacun en a sa définition…

X. Lemoine Comment expliquezvous, alors, que les pouvoirs publics, que les entreprises soient de plus en plus souvent confrontés à des revendications spécifiques de la communauté musulmane ?

A. Eddouk Personne ne peut admettre qu’un homme agresse un médecin qui veut aider sa femme à accoucher. Mais cet homme se comporte-t-il en musulman ? Non, car l’islam dit clairement que la vie est plus importante que tout. Et personne n’a le droit de se faire justice. Il a donc commis un acte légalement répréhensible et inacceptable aux yeux de l’islam. Quant aux femmes obligées de porter un foulard alors qu’elles ne le veulent pas, là non plus, ce n’est pas normal. C’est bien souligné dans le Coran : « Nulle contrainte en matière de religion. »

X. Lemoine Vous soulevez, M. Eddouk, une difficulté capitale : il existe une multitude de lectures du Coran, une multitude d’interprétations de la Sunna, qui sont les deux sources du droit en islam…

A. Eddouk Je n’ai pas dit cela : il y a certaines lectures, pas une multitude. Il y a une lecture normalisée, standardisée, admise par la majorité, et d’autres, qui sont celles d’une minorité.

X. Lemoine Mais cette minorité était inexistante il y a vingt ans. Or, elle ne cesse de gagner en influence. En France, mais aussi en Europe : on le voit en Grande-Bretagne, où les choses sont beaucoup plus avancées qu’ici. Et cette minorité est devenue si puissante dans certains pays qu’elle menace leur stabilité. Je pense notamment au Pakistan…

La question est donc posée de ces diverses lectures. Il n’y a pas de hiérarchie cléricale dans l’islam, pas de magistère authentique unique. Et cela change tout ! Vous m’avez cité un verset. Soit, je vous crédite de la confiance que vous méritez, mais votre parole ne peut pas engager un autre musulman. Vous savez bien qu’un autre pourra se référer à d’autres versets, à d’autres sourates qui diront exactement le contraire de ce que vous affirmez et qui pourront justifier d’autres comportements. Et chacun peut, en conscience, s’affirmer bon musulman.

Il faudrait aussi que l’on puisse examiner sereinement si les ressorts fondamentaux de l’islam sont compatibles avec le droit positif français tel que la religion chrétienne l’a inspiré. Et l’on verra qu’il y a d’importantes diffé rences sur bien des points. Les représentations de Dieu ne sont pas les mêmes dans la Bible et dans le Coran. Il en découle deux anthropologies, deux modes de vie, deux organisations sociales. La Bible dit que l’homme a été créé à l’image de Dieu, ce qui permet aux chrétiens de conclure à la dignité inaliénable de la personne humaine, notion étroitement liée à celle de sa liberté. Le Dieu du Coran, en revanche, n’a pas fait alliance avec l’humanité : le musulman n’a que les droits que Dieu veut bien lui consentir. Sa dignité lui vient non pas de sa nature mais de sa soumission à la volonté de Dieu et de son appartenance à la Oumma, la communauté des musulmans, qui codifie l’intégralité de sa vie. Ce qui pose la question de la laïcité et de la liberté religieuse…

Je ne porte aucun jugement de valeur, je constate seulement que les logiciels, si j’ose dire, sont différents et qu’il peut y avoir, en raison de ces différences “radicales”, des conflits entre le droit positif en Occident et la façon de vivre des musulmans. Il suffit de rappeler que la plupart des pays musulmans n’ont pas ratifié la Déclaration universelle des droits de l’homme mais ont préféré rédiger la leur, dans le respect du corpus théologique du Coran et de la Sunna.

A. Eddouk Je propose de limiter ce débat à la situation française. Il y a suffisamment de questions à régler ici. Ce qui compte, c’est comment les citoyens français de confession musulmane peuvent pratiquer leur culte en France. Et je crois qu’il n’est pas judicieux de confronter l’islam à la religion chrétienne. Notre objectif n’est pas de les opposer mais de voir comment les Français dans leur diversité de croyances et-ou non-croyance peuvent vivre dans la paix et le bon voisinage. C’est l’esprit même de la laïcité. Les opposer nourrit les radicaux de tout bord. Soyons donc vigilants !

X. Lemoine La loi sur le blasphème au Pakistan, quand même… Et les lois récemment votées en Algérie, si proche de nous ! Osons regarder ce que l’histoire a produit ailleurs pour en tirer les leçons. C’est notre responsabilité d’hommes publics.

A. Eddouk Je dis seulement que les musulmans français ne sont pas responsables de ce qui se passe à l’étranger. L’islam, en France, n’est plus une religion de passage. C’est une religion nationale, une grande partie des musulmans de France sont des citoyens français.

X. Lemoine C’est vrai, mais ce n’est pas toujours le cas des imams, loin de là ! C’est un sujet très important !

A. Eddouk Je suis d’accord avec vous sur ce point. Mais j’en reviens au fond de notre débat. Je maintiens que l’immense majorité des musulmans a une lecture paisible du Coran et de la Sunna. Des minorités agissantes, il y en a, oui, comme dans toutes les religions : ce n’est pas un phénomène islamo-islamique ! Mais, c’est vrai, les musulmans de France ont un problème d’organisation, de “référent”. Qui va-t-on voir quand une question se pose ? Le premier musulman barbu qui sort de la mosquée ? La première femme voilée qui va passer ? C’est ce qui se passe aujourd’hui…

Nicolas Sarkozy a créé le Conseil français du culte musulman (CFCM), mais il est miné par ses dissensions. Quelles en sont les raisons ? Des rivalités entre les fédérations musulmanes, liées à des pays étrangers ?

A. Eddouk La création du CFCM était nécessaire. Son but, c’est précisément de s’occuper de la gestion du culte et de faire l’interface entre la communauté musulmane et les autorités. Il y a des divisions internes, mais les controverses ne portent pas sur les questions théologiques. Il faut bien sûr reconnaître les quelques avancées, mais le point faible du CFCM, c’est qu’il n’arrive pas à être une structure à laquelle les musulmans pourraient s’adresser pour obtenir une réponse sur un point de doctrine ou sur l’organisation du culte. Pour cela, il me semble qu’il faut refonrefonder cette structure : elle ne doit plus représenter seulement des fédérations, mais surtout la base, l’ensemble des musulmans.

X. Lemoine Le CFCM ne fonctionnera pas mieux tant qu’on n’aura pas résolu trois problèmes : la tutelle qu’exercent les pays étrangers sur les fédérations ; le contrôle des taxes perçues sur l’abattage rituel de la viande (les sommes sont considérables) ; et je crois, quand même, qu’il y a des divergences doctrinales importantes. Je suis allé au salon de l’Union des organisations islamiques de France, au Bourget, qui attire des dizaines de milliers de musulmans. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre… Ne me dites pas que ce n’est pas l’islam. Si cette vision de l’islam devait s’imposer en France, moi je dis : non !

A. Eddouk La structuration de la communauté musulmane de France est récente : il faut nous laisser le temps d’y parvenir ! L’Église catholique ne s’est pas faite en un seul jour, et la création du Consistoire israélite date de Napoléon Ier ! Le temps est un facteur indispensable.

X. Lemoine La difficulté, c’est qu’il n’y a pas, dans l’islam, d’intercesseur entre Dieu et l’homme. Le fidèle est en prise directe avec Dieu, dans un rapport de soumission. L’islam ignorant la notion même de médiation, il est très difficile de mettre en place une instance représentative auprès des pouvoirs publics et dont l’autorité serait reconnue par tous les musulmans.

A. Eddouk Attention aux amalgames ! Le lien spirituel est en effet fondamental, il est entre l’homme et son Créateur. Mais rien n’empêche que les musulmans puissent s’organiser pour avoir une même parole et régler les problèmes qui se posent. Permettezmoi d’ajouter ceci : si vous essayez, à chaque fois, d’analyser l’islam à travers le prisme chrétien, vous n’arriverez pas à le considérer en tant que religion ayant ses spécificités théologiques et spirituelles. Vos remarques sur les agissements de certains, je les partage. Ce que je vous demande, c’est tout simplement de vous joindre à ma proposition : chercher les points communs qui vont nous aider à mieux vivre notre présence ensemble au sein de la République.

La question que vous abordez l’un et l’autre est celle de la laïcité. Pensezvous possible la mise en place d’un islam “laïcisé”, compatible, en somme, avec les lois de la République française ?

X. Lemoine C’est la vraie question. La notion de laïcité est au coeur de la civilisation occidentale, l’idée ayant ensuite été reprise par la République. Ce n’est pas le cas dans l’islam, qui ignore la distinction des pouvoirs temporel et spirituel. La question politique et la question spirituelle sont imbriquées. Est-il possible, dans ces conditions, de concevoir une organisation qui ne se fonde pas seulement sur les textes religieux et autorise, dès lors, la reconnaissance de la liberté religieuse et l’égalité homme-femme ?

A. Eddouk Si l’on part du postulat que c’est impossible, il est inutile de débattre. Si le but est, en revanche, de trouver des solutions ensemble, je suis sûr que nous y parviendrons.

X. Lemoine Je suis bien dans l’idée d’arriver à construire quelque chose ensemble, mais le plus grand respect qu’on puisse témoigner à son interlocuteur, c’est d’aborder avec lui les sujets les plus sensibles. La charité et la vérité exigent d’évoquer les questions qui fâchent, et qu’on laisse trop souvent sous le tapis. Ne nous contentons pas de faux-semblants, nous ne rendrions service à personne.

A. Eddouk Vous avez raison : mieux vaut que les points de litige soient trailibrement son culte). Il est vrai que certaines exigences de laïcité vont à l’encontre de notre spiritualité. À nous de voir comment nous pouvons nous adapter à cette situation.

Quant à l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que la liberté religieuse, l’islam les garantit. Mais beaucoup d’ambiguïtés persistent dans le comportement et le discours de certains musulmans. Je suis d’accord, il faut aborder ces deux sujets d’une manière sereine pour lever tous les malentendus.

Approuvez-vous la loi contre le voile intégral ?

A. Eddouk Il y a eu un débat et, dans le temps du débat, tout le monde a le droit de s’exprimer. Ma position est celle du CFCM : cette pratique est minoritaire, elle ne représente pas l’islam, elle ne valait pas la peine qu’on y consacre une loi qui stigmatise les musulmans. Maintenant, ce texte existe : à ceux qui doivent l’appliquer de l’appliquer. Faisons quand même attention : on fait une loi très spécifique, sur un comportement minoritaire au sein d’une minorité… Cela blesse les musulmans.

X. Lemoine Il y a dans votre propos une certaine ambiguïté : vous dites que le voile intégral, ce n’est pas l’islam, mais que la loi stigmatise les musulmans… Je pense que le voile intégral n’est pas tout l’islam, mais que c’est aussi l’islam. Même s’il s’agit encore d’une pratique minoritaire, il n’y avait aucune burqa, aucun niqab dans les rues il y a dix ans. Or le ministère de l’Intérieur en a recensé 3 000 l’an dernier… Mieux vaut que le problème soit traité maintenant que trop tard.

A. Eddouk Ce n’est pas la loi, en tant que telle, qui blesse les musulmans, ce sont les dérapages auxquels donnent lieu ces débats. La communauté souffre aussi de sa marginalisation : les musulmans sont particulièrement touchés par le chômage, ils ont des difficultés à obtenir un logement, leurs enfants ont plus de mal à trouver un stage ou ensuite un emploi stable. De nombreuses études le confirment ! Il manque aussi des mosquées pour que nous puissions pratiquer décemment notre religion.

Je suis secrétaire général du conseil régional du culte musulman (Île-de-France Est) : je peux vous dire que certains maires ne répondent même pas à nos courriers… Si des élus sont incapables d’établir un rapport d’échanges avec une instance représentative du culte musulman, mise en place par la République, cela est en effet inquiétant et peut inciter à des débordements.

Le président du CFCM, M. Mohammed Moussaoui, l’a dit clairement : il faut que la République fasse preuve à la fois d’équité et d’exigence. Équité pour régler les problèmes que nous rencontrons ; exigence face aux minorités radicales. Si nous sommes d’accord sur ce point, nous aurons beau coup avancé.

Propos recueillis par Fabrice Madouas

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