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Entraide et Tradition

Le mauvais diagnostic pastoral

publié dans regards sur le monde le 22 décembre 2011


Voilà un bon papier de l’abbé de Tanoüarn, frappé au coin du bon sens et d’une juste analyse de la réalité humaine.

Le mauvais diagnostic pastoral

par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

Dans l’optimisme merveilleux des années Soixante, on riait encore, avec Emmanuel Mounier, de ce qu’il avait diagnostiqué dès 1949, juste avant de mourir, comme « la petite peur du XXème siècle » : il s’agissait « juste » d’Hiroshima et d’Auschwitz : excusez du peu : petite peur ?… En réalité, 50 ans après, ces deux événements monstrueux font encore peur.

Mais c’est dans cette atmosphère de dérision pour le passé – même proche – et d’admiration optimiste pour le présent, pour l’immédiat, que Vatican II a été rédigé. C’est dans cette atmosphère que la Vieille dame de presque deux mille ans a été rapidement auscultée par des experts souvent autoproclamés, c’est dans cet esprit que le diagnostic pastoral a été posé. Cet esprit… c’est l’esprit du Concile que stigmatise Benoît XVI dans son célèbre discours du 22 décembre 2005 aux Membres de la Curie.

Le diagnostic ? On le trouve surtout dans Gaudium et spes. A ce moment nous sommes à la fin du Concile et les langues se délient. Mais dès la première Constitution Sacrosanctum concilium, qui valorisait, à plusieurs reprises ne l’oublions pas, la notion d' »expérience liturgique », on peut dire que « l’esprit » était là. Cet esprit ? Tout vaut mieux que l’ancien. L’époque a toujours raison.

Voici ce que cela donne dans Gaudium et spes :  » Tirées des trésors de la doctrine de l’Eglise, les propositions que le saint Concile vient de formuler ont pour but d’aider les hommes de notre temps, qu’ils croient en Dieu ou qu’ils n’y croient pas explicitement, à percevoir avec une grande clarté la plénitude de leur vocation, à rendre le monde plus conforme à l’éminente dignité de l’homme, à rechercher une fraternité universelle, appuyée sur les fondements plus profonds, et, sous l’impulsion de l’amour (amoris et non caritatis dans le texte latin) à répondre généreusement aux appels les plus pressants de notre époque » (n°91, §1 In extenso, sous l’intertitre « Conclusion » ; j’aurais aussi bien pu citer une bonne partie de l’introduction, sur « les transformations religieuses » de l’époque qui est « un âge nouveau »). On s’étonne de l’Après-concile ? Mais c’est une application rigoureuse de ce »programme » !

Ce ralliement pur et simple « aux appels les plus pressants de notre époque » nous a fait oublier qu’à tous les moments de l’histoire, les chrétiens, par leur radicalisme et leur fidélité, sont le poil à gratter de leurs contemporains et non les zelanti de toutes les obsessions de leur temps. Comme nous le rappelle Benoît XVI à Malte, la culture chrétienne est d’abord « une contre-culture ». Le Monothéisme hébreu jouait d’ailleurs déjà ce rôle critique au coeur du Croissant fertile, face aux sacrifices humains sur les Hauts lieux et aux prostituées sacrées qui hantaient les Temples de Baal.

Voilà la première partie du mauvais diagnostic : le ralliement à l’esprit d’un temps (qui n’est d’ailleurs plus le nôtre, qui en est même déjà très loin).

La deuxième partie du mauvais diagnostic tient à l’idée que s’il est vrai que « tout est pour l’homme », comme l’avaient expliqué Maritain et les « personnalistes », alors on doit pouvoir dire que « tout est dans l’homme » et que le salut est la conscience de cette autosuffisance. « En proclamant la très noble vocation de l’homme et en affirmant qu’un germe divin est déposé en lui, ce saint Concile offre au genre humain (?) la collaboration sincère de l’Eglise pour l’instauration d’une fraternité universelle qui réponde à cette vocation ». On retrouve l’idée de fraternité universelle, que le futur Benoît XVI critiquera vivement (pour lui donner sa valeur véritablement chrétienne) dans une de ses première études, rééditée au Cerf.

Mais l’originalité de ce passage est double : d’abord cette fraternité universelle est « une réponse » à « la très noble vocation de l’homme » qui réalise « sa dignité ». La mondialisation (dans sa version mondialisation heureuse) doit donc combler donc le coeur de l’homme si je comprends bien le raisonnement conciliaire… Relisez le texte : c’est frappat.

Ensuite, deuxième point, cette fraternité universelle est rendue possible, non pas par une foi commune ou un appel commun de Dieu, mais par « un germe divin déposé dans l’homme ». Il suffit d’en prendre conscience, de ce germe et déjà tous les hommes pourront s’unir dans le bonheur. C’est une magnifique théorie de la laïcité comme religion minimale de toute l’humanité heureuse. Ah ! Si Ferdinand Buisson avait connu ce lyrisme, je suis sûr qu’il serait revenu de ses préventions viscéralement anticléricales, parce que, au fond, ce prix Nobel de la Paix 1927, son discours n’a jamais été très différent. Seulement voilà : il était mort bien avant la IIème Guerre mondiale. Dès qu’il est paru, ce discours conciliaire sentait la naphtaline.

Je ne parle pas même pas d’aujourd’hui où la mondialisation, après avoir été le prétexte à l’américanisation du monde, est devenue simplement le cache sexe d’une élite libérale supra-nationale, toujours prête à produire moins cher pour vendre plus cher.

Mais trêve de politique ! Certes les divagaions du Gros animal disait déjà Platon nous permettent de lire « en grosses lettres » ce qui se passe dans l’homme. Mais on ne peut pas faire l’économie d’une anthropologie.

Il nous faut donc préciser, d’un point de vue plus métaphysique, ce que recouvre ce semen divinum, ce germe divin qu’évoque le texte de Vatican II. Il y a, me semble-t-il, une référence implicite à saint Justin et à ce que ce Docteur apostolique appelait les « semences du Verbes », présentes dans la philosophie antique. Mais il me semble qu’en parlant de semen divinum, on passe subrepticement de l’idée apologétique traditionnelle d’une praeparatio evangelica (une préparation à l’évangile dans les cultures évangélisées postérieurement) à l’idée métaphysique nouvelle de l’immanence de Dieu dans l’homme. la fraternité universelle que l’on peut construire à partir de cela dit seulement l’efficacité réelle de ce semen divinum, qui, en quelque sorte, pousse tout seul dans l’histoire et éclôt en fraternité (quelle bonheur !), mais alors sans qu’il soit nécessaire de passer par la case « foi catholique » par exemple !

C’est autour de ce « semen » naturel de Dieu en nous que l’on découvre l’idée d’un désir naturel de Dieu, lequel suppose, pour être vraiment naturel quelque chose comme « la divinité de l’âme humaine » (la formule n’est pas de moi, mais d’un spécialiste éclairé du Père de Lubac).

Le seul problème avec ce désir naturel de Dieu – comme je le soulignais dans le post précédent – c’est qu’il n’existe pas [ou alors, dirait Alain Contat -cf. le débat qui a suivi le post précédent – existe comme l’actuation inconsciente et transcendante à nos natures individuées]. Résultat ? Les cathos écarquillent les yeux pour voir autour d’eux ou en eux quelque chose… qui n’existe pas [ou qui est inconscient-transcendant, ce qui…]. Et l’empirie élémentaire leur semble contre leur foi (alors que cette empirie va seulement contre une théologie particulière qui ne mérite pas de survivre au XXème siècle).

Que font ces cathos face au démenti posé par le réel ? Que font les charismatiques après la fête, quand ils n’ont plus envie de la faire ? Que font les prêtres, lorsque, pendant les derniers baptêmes qu’ils réussissent à négocier avec leurs paroissiens, au lieu de constater ce désir naturel de voir Dieu, présent dans l’assistance, ils sont obligé de constater que tout le monde parle et se fiche royalement de ce qu’ils essaient de faire ?

Les uns et les autres peuvent finir par se lasser d’en appeler avec constance à la nature divine de l’âme humaine… C’est pour eux que j’écris ce post, pour tel d’entre eux, afin qu’au lieu d’envoyer promener avec la fièvre naturelle de Dieu, la foi surnaturelle, il puisse se dire : refaisons le diagnostic. Renouvelons une anthropologie chrétienne respectueuse de la fragilité animale qui ne nous quitte jamais, ne nous prenons pas pour ce que nous ne sommes pas. Adressons nous aux hommes, non pas en les félicitant de « l’ivresse démocratique » (Alain Minc) qui les a saisis et du germe divin qui est en eux, mais en sachant attendre, avec eux, la fin de la cuite et les lucidité salutaire de la gueule de bois qui ne manquent pas de s’ensuivre.

Historiquement, comme le démontra naguère Tomas Molnar, c’est la pensée allemande qui a repris, avec une sorte de constance, les pensées de l’immanence de Dieu. Au Concile, c’est Karl Rahner, justement, avec son concept d’autocommunication de Dieu, qui rend la révélation historique quasiment facultative ( le »dernier Rahner » finit son « service du Verbe » au voisinage de l’agnosticisme). Pourquoi faut-il qu’une vulgarisation théologique néoconciliaire reprenne ces thèmes si étrangers à la foi de l’Ancien comme du Nouveau Testament ?

La superstition grecque du Dieu immanent à la nature a-t-elle quelque chose à voir avec ce que le cher Claude Tresmontant appelait « la sainte Bibliothèque hébraïque » ? Quelque chose à voir avec le grec si lumineux des Evangiles ? Pastoralement, en tout cas – expérience faite : Crécy, Poitiers et bientôt Azincourt – cette superstition grecque ne marche pas. C’est vrai aujourd’hui comme c’était vrai au temps du Discours paulinien sur l’Aréopage : normal. Cette idée selon laquelle « nous sommes de la race des dieux » est un héritage subrepticement introduit dans cette parole en action qu’est notre évangile. Dans l’Evangile, nous apprenons que nous sommes des pécheurs. Tous. Que, seuls, nous sommes incapables de faire le bien. « Sans moi, dit Jésus, vous ne pouvez rien faire » : sommes-nous encore capables de prendre cette phrase au pied de la lettre ? Si non, quelle est notre foi ?

La dialectique de l’image et de la ressemblance de Dieu que nous propose le Premier chapitre de la Genèse se comprend au regard de ces catastrophes que sont les péchés des hommes. En revanche, l’analytique de l’autocommunication de Dieu et du germe divin dans l’homme oublie simplement ce « détail » de l’histoire : le péché.

Mais cette dernière remarque nous emmènerait trop loin.

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