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Entraide et Tradition

Il est minuit moins le quart Mgr Fellay…

publié dans regards sur le monde le 22 février 2013


Il est minuit moins le quart Mgr Fellay…

Par Jean-Marie Guénois le 20 février 2013, sur son blog.

C’est une opinion exprimée avec sympathie, mais très peu vraisemblable selon le porte parole du Vatican: « 

Sauf coup de théâtre, très improbable, il semble bien que le chapitre ouvert par Benoît XVI pour tenter de réconcilier la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X avec Rome, soit définitivement clos. Le Père Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, a en effet déclaré au cours d’un point de presse cet après-midi : « A propos […] de la Fraternité Saint Pie X, […] la date butoir du 22 avancée par la presse n’est que pure hypothèse, Benoît XVI ayant décidé de remettre la question à son successeur. Il est donc inutile d’attendre un règlement de la situation avant la fin de ce pontificat. »

Ce sera donc, selon le Père Lombardi, et conformément à la décision du Souverain Pontife, au pape élu par le prochain conclave de reprendre, s’il le souhaite, le dossier.

« Il est minuit moins le quart Mgr Fellay ». Cette parodie du titre du film consacré au Docteur Schweitzer, un grand protestant, est très mal choisie pour évoquer la très catholique question Lefebvriste, mais il se trouve que ce dossier qui semblait perdu pourrait marquer les tous derniers jours du pontificat de Benoît XVI. Des discussions, ultimes, sont en cours entre Rome et Ecône… Jusqu’au bout le Pape tente de trouver un accord.

J’ai moi-même écris après l’annonce de la démission de ce Pape le 11 février que ce dossier des négociations avec la Fraternité Saint Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre s’annonçait comme l’un des « échecs » du pontificat. Si ce n’est son échec majeur : Benoît XVI a accepté toutes les requêtes de la Fraternité : réhabilitation de la messe selon l’ancien rite, levée des excommunications, proposition d’un accord doctrinal. Il y a mis tout son cœur de pasteur éperdu de l’unité du troupeau. Jamais un Pape n’avait consacré autant de labeur personnel à un dossier si particulier au risque d’être totalement incompris. Il a d’ailleurs subi une infamie mondiale lors de l’affaire Williamson.

Cette négociation, souvent considérée en Italie ou dans l’Eglise universelle comme une « question française » ne l’est pas en réalité. Elle est l’un des symboles du pontificat. Ce qui pourrait advenir ou échouer dans les jours qui viennent est donc très important à l’échelle de l’Eglise catholique.

S’il fallait en effet résumer en un mot le pontificat de Benoît XVI ce serait : réhabilitation de la foi et de l’identité catholique. Une image résume le tout. Les JMJ de Madrid ont vu, lors de la veillée et avant la tempête et le déluge qui s’est soudain levé, non pas le show d’un Pape devant plus d’un million de jeunes, mais un incroyable silence de prière devant une hostie consacrée… avec un Pape, à genoux, au premier rang. Dans la vision catholique, donc, l’adoration de… Dieu puisque l’Eglise considère que le Christ est « réellement présent » dans l’hostie consacrée sous « l’apparence » du pain.

Il faut ajouter ce fait : les monastères et séminaires qui sont remplis, les nouvelles communautés et les prêtres qui ont du rayonnement, sont le plus souvent des gens qui plient le genou devant l’Eucharistie.

On peut tourner en dérision cette pratique, la voilà toutefois réellement réapparue ! Lancée sous Jean-Paul II, ce retour de la foi eucharistique a comme trouvé son épanouissement sous le pontificat de Benoît XVI.

Et l’on ne comprend strictement rien à l’évolution actuelle de l’Eglise, ou alors seulement de l’extérieur, si l’on ne saisit pas cette clé de lecture essentielle.

Une autre façon de le dire, plus ramassée, serait la suivante – elle est sans aucune acrimonie pour les protestants : le pontificat de Benoît XVI a comme « dé-protestantisé » l’Eglise catholique. Au grand dam de l’aile progressiste. Mais c’est bien cette réalité objective qui fait grincer des dents.

Il faut avoir cela à l’esprit pour mieux comprendre la portée des discussions avec les Lefebvristes, même de dernières minutes. Benoît XVI, théologien, a « re-catholicisé » l’Eglise. Il n’y a pas grand-chose à dire de plus. S’il a confié cet été, à son biographe, Peter Seewald, qu’il avait le sentiment d’avoir accompli sa mission, c’est en ce sens là. Il a effectivement redressé la barre. Son cap était l’essentiel de la foi catholique. Il a mis fin aux approximations et expérimentations de la période post conciliaire.

C’est pour cela qu’il a toujours vu d’un œil favorable la fraternité Saint Pie X. Il ne l’a voit pas comme une tribu d’irréductibles, ou comme une conservatoire. Il ne se braque pas devant l’agressivité de certains à son égard. Il regarde ces prêtres et cette œuvre comme un lieu où l’essentiel de la foi catholique est vécue. Certains bondiront en lisant cela mais c’est le sens de la lettre de Mgr di Noia, publiée dans une note précédente.

Par conséquent Benoît XVI n’a jamais trouvé normal que ces gens qui partagent « l’essentiel » soient rejetés alors que beaucoup de prêtres, de théologiens et d’évêques, pourtant catholiques patentés, ne reconnaissent pas – ils ont de ce point de vue une théologie philo-protestante – cette « présence réelle » du Christ dans l’Eucharistie.

Bien sur il y a aussi les questions doctrinales et des approches très conflictuelles du Concile Vatican II. Mais il est capital de comprendre cette convergence sur l’essentiel de la foi : Benoît XVI ne veux pas réintégrer la Fraternité Saint Pie X pour « régler » un problème comme le ferait un manager. Il pense qu’elle a sa place dans le corps très large de l’Eglise et un rôle important à y jouer. Qu’elle joue déjà du reste sans qu’elle ne s’en rende compte.

Cette vision des choses n’entre pas dans des esprits étroits. Et il y en a des deux côtés. Elle n’entre pas dans des esprits juridiques (au sens des canonistes, ces juristes de l’Eglise effrayés par un cheveu qui dépasse) ou techniques (au sens de la théologie, parfois à cheval sur des virgules). Cette vision n’est pas seulement d’ordre mystique ou spirituel. C’est une vision intellectuelle, au sens de la connaissance approfondie des choses telles qu’elles sont et telles qu’elles vont.

Benoît XVI s’en va. L’examen des listes de papabili – à l’exception du cardinal Ranjith, de Colombo en Inde mais il peu de chances précisément en raison de sa sensibilité traditionnaliste – démontre que ce « moment Benoît XVI » est une occasion unique pour la Fraternité Saint Pie X.

Elle est prise de court avec cette démission. Mais Rome – lisez le Pape – vient de lui tendre une dernière perche. C’est nos confrères de La Croix qui l’ont révélé vendredi après midi, 15 février. Une lettre datée du 8 janvier et signée du cardinal Müller, Préfet de la Doctrine de la foi et Mgr Di Noia, donc président et vice-président de la commission Ecclesia Dei, chargée des relations avec les Lefebvristes, a été adressée à Mgr Fellay.

Rome lui propose avant que la renonciation de Benoît XVI ne soit effective le 28 février, de signer un dernier accord et de devenir une prélature qui lui donnerait une dépendance de Rome mais une indépendance vis-à-vis des évêques. Cette lettre demande une réponse pour le 22 février, jour de la fête de la chaire de Saint Pierre, une date très symbolique puisqu’elle fête le fondement de l’Eglise. C’est dire la largeur de la vision qui s’exprime dans ce courrier signé par Mgr Müller, (personnellement plutôt opposé à cet accord), mais à qui Benoît XVI qui l’a nommé à ce poste, lui demande de travailler à cette unité.

Autre incroyable ouverture, contenue dans la lettre de Mgr di Noia. Permettre aux Lefebvristes de continuer leur examen théologique critique du Concile Vatican II dans le cadre prévu par la Congrégation de la Doctrine de la Foi mais à condition de ne pas l’exposer tous les matins sur la place publique. Et, en sus, la liberté d’une prélature pour exercer ce charisme particulier du prêtre, comme le dit Mgr di Noia. Un statut donc très établi canoniquement : A-t-on déjà vu l’Opus Dei se plaindre d’un manque de liberté ou d’une contrainte particulière dans ce statut juridique ?

Il est donc minuit moins le quart. Un autre jour se prépare pour l’Eglise où cette possibilité de retrouvailles risque d’être repoussée à jamais. Mgr Fellay ne s’attendait pas à la démission du Pape et pensait avoir du temps mais il n’en a plus. Même pas celui de consulter le chapitre de sa congrégation alors qu’il lui avait promis de ne pas passer un accord avec le Pape sans le consulter. Mgr Fellay sait donc que l’occasion est unique.

Il veut bien faire mais peut-être trop bien. Il semble surtout avoir peur de mal faire. Mais une décision, au moment où elle est prise, est une décision. Quand Benoît XVI a pris celle d’avancer sur ce dossier, il savait que le chemin serait étroit et plein d’embuches. Mais il n’a pas hésité, envers et contre tout, car il voyait là du bien pour l’Eglise. Un bien plus vaste, plus fécond que les scories qui tomberaient inévitablement de l’établi de ce charpentier de l’Eglise. Démissionnaire, il ne se rend pas encore ! Mais pourquoi donc ce Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, pour une petite semaine encore, espère-t-il encore ?

Il y a là une part de mystère, il faut l’avouer. Il voit probablement quelque chose que d’autres ne comprennent pas.

Mgr Fellay est donc devant une immense responsabilité. Va-t-il être celui qui par peur des ultras, ils le quitteront de toute façon, va refuser une dernière main tendue par ce Pape qui, d’une certaine manière, a mis spirituellement sa démission en jeu aussi pour cet accord ? Sinon que signifieraient ce courrier et ces échanges en cours à une semaine de la fin de pontificat ?

Il y a quelque chose du destin même de la Fraternité Saint Pie X, de son rayonnement, qui se joue donc là. Elle a l’habitude de prendre des coups. Elle s’est même constituée comme cela. Elle peut toujours se dire qu’elle supportera une incompréhension de plus avec cet ultime refus. Qu’elle n’a que faire de la crédibilité et bienveillance qu’elle a su gagner dans l’Eglise catholique en particulier par les jeunes qui sont l’avenir. Mais comment une œuvre qui a l’ambition de revivifier l’identité de l’Eglise refuserait donc sciemment cette possibilité ? Comment être paralysée et aveuglée à ce point et ne pas voir cela en face ? Un pontificat qui lui a été presque dédiée ne lui suffirait donc pas ?

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