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L’intervention du cardinal Bergoglio aux congrégations cardinalices – Homélie de la Messe chrismale

publié dans regards sur le monde le 28 mars 2013


L’intervention du cardinal Bergoglio aux congrégations cardinalices

Texte lu sur Riposte catholique

Texte très important. A lire absolument! Je fais suivre ce texte de l’ homélie de la Ière messe chrismale célébrée par le pape François. Elle est la parfaite illustration des intentions exprimées par le cardinal Bergoglio  lors d’une congrégation générale avant le Conclave. C’est intéressant de joindre les deux textes. Avec ces deux textes se dessine  la pensée de ce nouveau  pontificat: une préoccupation évangélique de l’Eglise que l’on pourrait résumer dans les mots du Christ: « Duc in altum » (Va au large) 

On en sait davantage sur les propos tenus par le cardinal Jorge Mario Bergoglio lors des congrégations générales qui ont précédé l’entrée en conclave d’où il devait sortir – contre toute attente – 266e pape de l’Eglise catholique.

C’est l’archevêque de La Havane, le cardinal Jaime Ortega, qui a longuement évoqué l’intervention assurant avoir reçu, de sa main, le compte-rendu des principaux points qu’il avait évoqués devant les cardinaux. Le cardinal Ortega a fait ces révélations lors de l’homélie de la messe chrismale célébrée samedi en la cathédrale de La Havane, à Cuba. En assurant que son auditoire en avait la primeur « quasi absolue ».

Cela s’est passé, a-t-il raconté, ainsi. Lors d’une des réunions, « le cardinal Bergoglio a fait une intervention qui m’a parue magistrale, lumineuse, engageante et vraie », a déclaré le cardinal Ortega. En sortant, il a demandé au cardinal Bergoglio si celui-ci avait un texte écrit de son intervention. Ce n’était pas le cas. Mais dès le lendemain, « avec une délicatesse extrême », raconte le cardinal Ortega, le cardinal Bergoglio devait lui remettre un texte écrit de sa propre main où il avait noté son intervention telle qu’il s’en souvenait. C’est dès cet instant que le cardinal Ortega lui demanda – et obtint – la permission de diffuser sa pensée sur l’Eglise.

Il devait réitérer la demande, et obtenir une nouvelle fois une réponse positive, lors d’une rencontre avec le pape François après son élection : celui-ci l’autorisa, dit-il, à diffuser le texte lui-même.

Le cardinal Ortega a évoqué lors de son homélie les quatre points soulevés par le cardinal Bergoglio et consignés dans sa note manuscrite, dont il a fait la lecture intégrale. Je vous les restitue selon la présentation qui en a été faite par l’Agence d’information catholique argentine, AICA, et la traduction-retranscription et parfois déchiffrement malaisé de la photo du manuscrit.

• Le premier point concerne l’évangélisation. « L’Eglise doit sortir d’elle-même et aller vers les périphéries », non seulement géographiques, mais aussi existentielles, qui se manifestent dans le « mystère du péché, de la souffrance, de l’injustice et de l’ignorance, de l’absence de religion [se passer de religion], de la pensée et de toute misère ».

• Le deuxième point est une critique de « l’Eglise autoréférentielle » qui se regarde elle-même en une sorte de « narcissisme théologique » qui la maintient à l’écart du monde et qui « prétend à [garder] Jésus-Christ à l’intérieur d’elle-même, et ne le laisse pas sortir ». Le cardinal disait penser au moment où Jésus dit qu’il frappe à la porte, ajoutant penser aussi aux moments où « Jésus frappe sur la porte depuis l’intérieur pour que nous le laissions sortir ».

• Le troisième point est constitué par les deux images qui résultent de cela, selon le cardinal Bergoglio : l’une, c’est « l’Eglise évangélisatrice qui sort d’elle-même », l’autre est « l’Eglise mondaine qui vit en elle-même, d’elle-même et pour elle-même ». C’est cette double considération qui doit « éclairer les changements possibles et les réformes qui faudrait faire » dans l’Eglise.

« L’Eglise, quand elle est autoréférentielle, sans s’en rendre compte, croit qu’elle a sa propre lumière ; elle cesse d’être le “mysterium lunae”, ce qui donne lieu à ce mal si grave qu’est la “mondanité spirituelle” (selon De Lubac, le pire mal qui puisse frapper l’Eglise). C’est vivre pour se rendre gloire les uns aux autres. En simplifiant ; il y a deux images de l’Eglise : l’Eglise évangélisatrice qui sort d’elle-même, la Dei Verbum religiose audiens et fidentes proclamans, ou l’Eglise mondains qui vit en elle-même, d’elle-même, pour elle-même.

• Quatrième et dernier point : celui qui était encore archevêque de Buenos Aires avouait au cardinaux que celui qu’il espérait voir élu devrait être « un homme qui, à partir de la contemplation de Jésus-Christ et de l’adoration de Jésus-Christ aide l’Eglise à sortir d’elle-même vers les périphéries existentielles ».

Je vous livre cela pour ce que ça vaut. Il serait erroné d’en faire une sorte de profession de foi électorale. Mais si tout cela est exact, ce serait par ce « programme » que le cardinal aurait emporté l’adhésion des cardinaux électeurs.

Homélie du pape François lors de la messe chrismale de jeudi matin, 28 mars 2013

 

Chers frères et soeurs,

C’est avec joie qu’en tant qu’Evêque de Rome, je célèbre cette première Messe chrismale. Je vous salue tous avec affection, vous en particulier chers prêtres qui vous souvenez avec moi aujourd’hui du jour de votre Ordination.

Les lectures et le psaume nous parlent de ceux qui ont reçu l’onction: le serviteur de Dieu chez Isaïe, le roi David, et Jésus, Notre Seigneur. Les trois ont en commun que l’onction qu’ils reçoivent, est pour oindre le peuple des fidèles de Dieu dont ils sont les serviteurs. Leur onction est pour les pauvres, pour les prisonniers, pour les opprimés… Une très belle image de cet « être pour » du Saint Chrême est celle que nous offre le psaume : « On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête, qui descend sur la barbe, la barbe d’Aaron, qui descend sur les bords de son vêtement » (Ps 132 (133), 2). L’image de l’huile qui se répand – qui descend de la barbe d’Aaron jusqu’à la bordure de ses vêtements sacrés, est l’image de l’onction sacerdotale qui, à travers celui qui est oint, arrive jusqu’aux confins de l’univers représenté par les vêtements.

Les vêtements sacrés du grand prêtre sont riches de symboles ; l’un d’eux est celui du nom des fils d’Israël inscrit sur les pierres d’onyx qui ornaient les épaulettes de l’éphod, dont provient notre actuelle chasuble, six noms sur la pierre de l’épaule droite, et six sur celle de l’épaule gauche (cf. Ex 28, 6-14). Sur le pectoral aussi étaient inscrits les noms des douze tribus d’Israël (cf. Ex 28, 21). C’est-à-dire que le prêtre célèbre en chargeant sur ses épaules le peuple qui lui est confié, et en portant leurs noms gravés en son coeur. Revêtir notre humble chasuble peut bien nous faire sentir, sur les épaules et dans notre coeur, le poids et le visage de notre peuple fidèle, de nos saints et de nos martyrs. De la beauté de la chose liturgique, qui n’est pas seulement un ornement et un goût pour les vêtements, mais la présence de la gloire de notre Dieu resplendissant en son peuple vivant et consolé, considérons-en l’action !

L’huile précieuse qui oint la tête d’Aaron ne se contente pas de parfumer sa personne mais se diffuse et atteint toutes les ‘périphéries’. Le Seigneur le dira clairement : son onction est pour les pauvres, pour les prisonniers, pour les malades, pour ceux qui sont tristes et seuls. L’onction n’est pas destinée à nous parfumer nous-mêmes, ni davantage pour que nous la conservions dans un vase, parce que l’huile deviendrait rance … et le coeur amère.

On reconnaît un bon prêtre à sa façon d’oindre son peuple. Quand nos fidèles reçoivent une huile de joie, on s’en rend compte : lorsqu’ils sortent de la messe, par exemple, avec le visagede ceux qui ont reçu une bonne nouvelle. Nos fidèles apprécient l’Evangile annoncé avec l’onction, lorsque l’Evangile que nous prêchons, arrive jusqu’à sa vie quotidienne, lorsqu’il touche comme l’huile d’Aaron aux extrémités de la réalité, lorsqu’il illumine les situations limites, les ‘périphéries’ où le peuple fidèle est exposé à l’invasion de ceux qui veulent saccager sa foi.

Les fidèles nous en remercient parce qu’ils ressentent que nous avons prié avec les réalités de leur vie quotidienne, leurs peines et leurs joies, leurs peurs et leurs espérances. Et lorsqu’ils ressentent que le parfum de l’Oint, du Christ, arrive à travers nous, ils sont encourager à nous confier ce qu’ils veulent faire arriver jusqu’au Seigneur : « priez pour moi, père, car j’ai tel problème… » ; « bénissez-moi » et « priez pour moi », sont des signes de ce que l’onction est parvenue jusqu’à l’extrémité du manteau car elle est transformé en demandes.

Lorsque nous sommes dans ce rapport avec Dieu et avec son peuple et que la grâce passe à travers nous, alors nous sommes prêtres, médiateurs entre Dieu et les hommes. Ce que j’entends souligner c’est que nous avons toujours à raviver la grâce et discerner en chaque demande, parfois inopportune, parfois seulement matérielle ou même banale – mais elle l’est seulement apparemment -, le désir de nos fidèles de recevoir l’onction par l’huile parfumée car ils savent que nous la détenons.

Deviner et ressentir, à la manière du Seigneur, l’angoisse pleine d’espérance de la femme hémorroïsse lorsqu’elle toucha le bord de son manteau. Cet épisode de la vie de Jésus, présent au milieu des gens qui le pressent de partout, traduit toute la beauté d’Aaron vêtu comme prêtre avec l’huile qui descend le long de ses vêtements. C’est une beauté cachée qui resplendit seulement pour des yeux remplis de la foi de cette femme qui souffrait de pertes de sang. Les disciples eux-mêmes – futurs prêtres – ne réussissent pas à voir, ni ne comprennent : de la ‘périphérie existentielle’, ils voient seulement la superficialité de la multitude qui presse departout Jésus jusqu’à le suffoquer (cf. Lc 8, 42). Le Seigneur, en revanche, sent la force del’onction divine qui arrive jusqu’aux bords de son manteau.

C’est ainsi que nous devons faire l’expérience de notre onction, son pouvoir et son efficacité rédemptrice : aux ‘périphéries’ où se trouve la souffrance, où le sang est versé, il y a un aveuglement qui désire voir, il y a des prisonniers de tant de mauvais patrons. Ce ne sont pas précisément dans les auto-expériences ou les introspections répétées qui nous rencontrons le Seigneur : les cours pour s’aider soi-même dans la vie peuvent être utiles, mais vivre passant d’un bord à l’autre, de méthode en méthode, pousse à devenir pélagiens, à minimiser le pouvoir de la grâce qui s’actualise et croît dans la mesure selon laquelle, avec foi, nous sortons pour nous donner nous-mêmes et pour donner l’Evangile aux autres ; pour donner la petite onction que nous tenons à ceux qui n’ont rien de rien.

Le prêtre qui sort peu de lui-même, qui oint avec parcimonie – je ne dis pas « jamais » car, grâce à Dieu, nos fidèles nous ‘volent’ l’onction -, perd le meilleur de notre peuple, ce qui est capable d’allumer le plus profond de son coeur de prêtre. Celui qui ne sort pas de lui-même, au lieu d’être un médiateur, se convertit peu à peu en intermédiaire, en gestionnaire. Nous connaissons tous la différence : l’intermédiaire et le gestionnaire « ont déjà reçu leur récompense », et comme ils ne paient pas d’eux-mêmes, ni de leur coeur, ils ne reçoivent pas non plus un merci affectueux qui vient du coeur. De là provient précisément cette insatisfaction chez certains qui finissent par être tristes et convertis en collectionneurs d’antiquités ou de nouveautés au lieu d’être des pasteurs pénétrés de ‘l’odeur de leurs brebis’, – je vous demande d’être des pasteurs qui portent l’odeur des brebis! – pasteurs au milieu de leur propre troupeau, et pêcheurs d’hommes.

En vérité, la dite crise d’identité sacerdotale nous menace tous et se greffe sur une crise de civilisation ; mais si nous savons dompter cette vague, nous pourrons avancer au large au nom du Seigneur et jeter les filets. Il est bon que la réalité même nous pousse à aller là où ce que nous sommes par grâce apparaît clairement comme étant pure grâce, sur cette mer du monde actuel où seule compte l’onction – et non la fonction -, et seront remplis les filets jetés seulement au nom de Celui en qui nous nous sommes confiés : Jésus.

Chers fidèles, soyez proches de vos prêtres par l’affection et par la prière afin qu’ils soient toujours des pasteurs selon le coeur de Dieu.

Que le Père renouvelle en nous, chers prêtres, l’Esprit de Sainteté par lequel nous avons reçu l’onction, qu’Il le renouvelle en notre coeur de telle manière que l’onction rejoigne tous, même les ‘périphéries’, là où notre peuple fidèle en a le plus besoin et l’apprécie. Que nos fidèles nous sentent disciples du Seigneur, qu’ils comprennent que nous sommes revêtus de leur noms, et que nous ne cherchons nulle autre identité ; qu’ils puissent recevoir, par nos paroles et nos oeuvres, cette huile de joie que Jésus, l’Oint du Seigneur, est venu nous donner. Amen.

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