Une interview de Mgr Schneider dans Famille Chrétienne
publié dans nouvelles de chrétienté le 13 janvier 2015
La crise de l’Église est d’abord une crise des évêques (Cardinal Seper)
Mgr Athanasius Schneider
D’origine allemande, né en 1961 en URSS,
il a fait ses études au Brésil où il fut ordonné
prêtre avant de poursuivre ses études à
Rome. Il est depuis 2011 évêque auxiliaire
d’Astana, capitale du Kazakhstan.
Sur quelque 18 millions d’habitants
vivant sur 2,7 millions de km2, environ
65 % sont musulmans et 20 % chrétiens,
majoritairement orthodoxes.
30 www.famillechretienne.fr – Famille Chrétienne n° 1930 du 10 au 16 janvier 2015
DOSSIER ÉGLISE
Pour le cardinal André Vingt-Trois, le Synode, en octobre, a mis en lumière la nécessité d’approfondir le sens de l’eucharistie. Est-ce aussi votre avis ?
Je suis complètement d’accord. Un certain nombre de discussions qui ont eu lieu au Synode conduisent à nous pencher sur cette question : qu’est-ce que l’eucharistie ? Si nous disions à des personnes en situation de péché qu’elles peuvent recevoir l’eucharistie, nous ne comprendrions pas vraiment ce qu’est ce sacrement. La communion n’est pas un événement civil, naturel, comme le serait une fête dont personne ne désire être exclu. C’est un événement surnaturel dans lequel celui qui reçoit la communion fait une rencontre personnelle avec son Dieu.
Or dans toute la Révélation, nous rencontrons de manière constante l’idée que, pour une rencontre avec Dieu, qui est la sainteté même, il faut une préparation, une purification.
D’où vous vient cette attention passionnée que vous manifestez envers l’eucharistie ?
Ce sont mes parents qui m’ont transmis cela, et spécialement ma mère. C’est aussi mon curé : à l’époque de l’Union soviétique, il m’a donné un exemple inoubliable, m’apprenant
un profond respect à l’égard du Saint-Sacrement. Il est si important que les parents chrétiens transmettent à leurs enfants dès leur plus jeune âge un grand amour pour l’eucharistie !
Dans cette Église domestique qu’est la famille, l’amour pour l’eucharistie doit être très élevé. Dans un monde aussi déchristianisé et paganisé que le nôtre, n’ayons pas peur d’être des cellules vives, notamment dans notre attitude à l’égard de l’eucharistie. Comme de petites lumières brillant dans la nuit, tels les chrétiens des premiers siècles. À cette époque, les personnes voyaient des chrétiens, et notamment des familles, qui ne vivaient pas comme les autres, au milieu d’une société moralement corrompue. Ceux-ci suscitaient l’admiration et l’adhésion.
Nous sommes appelés à faire de même aujourd’hui.
Dans votre livre Corpus Christi, vous dénoncez le manque de respect à l’égard de l’eucharistie, notamment autour du geste de la communion. Quel lien faites-vous avec la foi des fidèles ?
Pour certains, la manière de communier est une question secondaire. Mais si l’on regarde attentivement la réalité, on constate à quel point ce sujet est grave. Ce geste exprime la
manière dont nous traitons notre Dieu. En effet, notre religion n’est pas seulement fondée sur la pensée ou l’intériorité, mais sur l’Incarnation. Dieu s’est rendu visible, petit et
tangible, et cela se révèle de la manière la plus dense dans le mystère de la petite hostie consacrée où Dieu, avec sa majesté et sa divinité, s’est caché. Le moment de la communion
doit donc être le plus sublime, le plus élevé, le plus sacré. Il n’y a pas de moment où Dieu soit plus proche de nous.
Que penser de la communion dans la main ?
La communion sur la main, telle que nous la pratiquons, est une pratique qui n’a jamais existé durant les deux mille ans de l’Église. Ceux qui ont répandu ce geste il y a une cinquantaine
d’années se référaient à un rite qui aurait existé dans l’Église antique, mais cette référence ne tenait pas. En effet, dans les premiers
siècles, la communion était reçue d’une manière tout à fait différente de celle qui est pratiquée couramment aujourd’hui : le fidèle s’inclinait profondément
et la recevait sur la paume de la main droite avant de la conduire directement dans sa bouche, et il ne pouvait pas la toucher avec ses doigts. Le geste que nous connaissons aujourd’hui a été introduit par les calvinistes, et s’assimile beaucoup plus à une alimentation profane.
Comment expliquez-vous que la pratique actuelle se soit autant généralisée, et que la pratique à genoux et sur la langue soit devenue exceptionnelle ?
C’est une histoire assez triste. La communion debout et dans la main a été introduite par les évêques en désobéissance au pape, dans les années 1965, en Hollande, en Belgique. Paul VI l’a interdite en 1966. Mais dans ces pays et dans d’autres (Allemagne, France), des évêques ont insisté pour en avoir l’autorisation. Très réticent, le pape a demandé en 1968 l’avis de tous les évêques du monde. La majorité d’entre eux a indiqué qu’ils étaient opposés à un changement, en disant qu’il mettait en péril le respect à l’égard de l’eucharistie : la chute de fragments
d’hosties, le danger de profanation de la part de personnes qui gardent l’hostie sans la consommer « Le moment de la communion doit être le plus sacré. Il n’y a pas de moment où Dieu soit plus proche de nous. »
Pourquoi s’agenouiller devant l’eucharistie?
« Adorer le Dieu de Jésus Christ, qui s’est fait pain rompu par amour, est le remède le plus valable et radical contre les idolâtries d’hier et d’aujourd’hui. S’agenouiller devant l’eucharistie est une profession de liberté : celui qui s’incline devant Jésus ne peut et ne doit se prosterner devant aucun pouvoir terrestre, aussi fort soit-il. Nous les chrétiens, nous ne nous agenouillons que devant Dieu, devant le Très Saint-Sacrement, parce qu’en Lui nous savons et nous croyons qu’est présent le seul Dieu véritable, qui a
créé le monde et l’a tant aimé au point de lui donner son Fils unique. Nous nous prosternons devant un Dieu qui s’est d’abord penché vers l’homme, comme un bon samaritain,
pour le secourir et lui redonner vie, et Il s’est agenouillé devant nous pour laver nos pieds sales. Adorer le corps du Christ veut dire croire que là, dans ce morceau de
pain, se trouve réellement le Christ, qui donne son vrai sens à la vie, à l’univers immense comme à la plus petite créature, à toute l’histoire humaine comme à l’existence la plus
courte. L’adoration est une prière qui prolonge la célébration et la communion eucharistique et dans laquelle l’âme continue à se nourrir ; elle se nourrit d’espérance, parce que Celui
devant lequel nous nous prosternons, nous libère et nous transforme. »•
« Nous devons nous réveiller et réaliser que cette petite hostie est notre Dieu, pas une simple chose. » et la diminution de la foi dans la Présence réelle étaient les principaux arguments invoqués. Les résultats de cette enquête ont été publiés dans le livre d’Annibale Bugnini, La Riforma liturgica.
Pourtant les partisans de la réforme ont obtenu gain de cause…
Oui, car ils ont malgré tout encore insisté pour pouvoir continuer ce qu’ils avaient déjà commencé sans autorisation. Et le pape, avec un coeur brisé, le leur a concédé en 1969, par le document Memoriale Domini. Le Saint-Siège y explique qu’on doit conserver dans toute l’Église le rite traditionnel de la communion [sur la langue, Ndlr] et que, pour les régions où il a déjà été introduit, on peut concéder une exception qu’on appelle un indult, quand la majorité des évêques du pays l’approuve et à condition que soient évités tout danger, apparence de profanation ou manque de respect.
Quel est pour vous le bilan de cette évolution ?
Cette pratique s’est diffusée comme une mode, avec toutes les règles qui caractérisent ce phénomène.
Aujourd’hui, nous traitons le Saint-Sacrement avec une grande légèreté, et beaucoup de fragments eucharistiques – chaque parcelle contient le Christ tout entier comme une hostie entière – sont perdus, piétinés dans les églises. Notre Seigneur présent dans l’eucharistie est écrasé par nos pieds : c’est une horreur et personne ne peut le nier. De plus, ces dernières
décennies, un business mondial du vol d’hosties consacrées s’est développé à des fins sacrilèges. Enfin, les fidèles ont bien souvent progressivement
perdu le sens de la Présence réelle et celui de la transsubstantiation – la substance du pain et du vin transformée en substance du corps et du sang du Christ.
La communion, fréquente depuis saint Pie X, n’estelle pas devenue trop banale ?
Dans un contexte où les fidèles se tenaient souvent loin de la communion, saint Pie X avait encouragé la communion fréquente. Il ne pouvait pas
imaginer que l’Église arriverait à un moment où la réception du Saint-Sacrement serait effectivement aussi banalisée.
Je pense qu’il faudrait à présent compléter le mouvement qu’il a initié en liant davantage les sacrements de l’eucharistie et de la pénitence. L’Église
pourrait ainsi établir une règle prévoyant que ceux qui communient tous les jours doivent se confesser régulièrement, par exemple toutes les deux semaines,
même s’ils n’ont pas commis de péché mortel. De même, ceux qui communient tous les dimanches pourraient avoir à se confesser tous les mois, ou au
moins tous les deux mois. Une proposition que l’on peut associer à ce qui existe concernant les indulgences plénières, qui lient la communion sacramentelle
et la réception du sacrement de pénitence.
En pratique, comment susciter un plus grand respect à l’égard de l’eucharistie ?
Nous devons nous réveiller et réaliser que cette petite hostie est notre Dieu, pas une simple chose. Traitons-la avec la plus grande révérence, avec le plus grand amour, avec le plus d’attention possible, parce que c’est le trésor le plus grand. Faisons-nous petits, mettons-nous à genoux : c’est une attitude tellement évidente devant notre Dieu. Les anges du
Ciel se prosternent devant Dieu, comme l’indique l’Apocalypse. Les trois mages à Bethléem se sont prosternés devant l’Enfant Jésus. Les Apôtres se sont prosternés devant le Christ ressuscité. Et nous, nous pensons que nous n’avons pas besoin de nous prosterner quand nous Le recevons en communiant ? Quelle contradiction immense !
Ce « réveil » doit-il être aussi celui du clergé ?
Notre tragédie est celle d’un cléricalisme qui se montre arrogant et pharisaïque face aux simples fidèles. Le geste de la communion dans la main n’a pas été introduit par les fidèles mais par les clercs, qui l’ont imposé dans les paroisses. Il ne correspondait pas à un désir des fidèles. Ceux-ci ont subi une forme de violence de la part du clergé. La minorité qui a jugé bon de continuer à s’agenouiller pour recevoir le Christ a été discriminée, ridiculisée même, par ce cléricalisme. Ce phénomène reste diffus. Aujourd’hui, l’Esprit Saint suscite progressivement
dans l’Église un mouvement nouveau, spécialement
Benoît XVI a contribué à réhabiliter la forme traditionnelle de la communion : sur la langue et, si possible, à genoux chez les jeunes. Ceux-ci sont plus facilement portés
à rendre un honneur particulier au Christ présent dans la communion, à s’agenouiller devant Lui.
Quel est le rôle des évêques dans ce domaine ?
Je pense que chaque évêque diocésain devrait avoir autorité pour redimensionner, voire interdire – c’est le cas dans l’ensemble du Kazakhstan où je suis évêque –, la communion dans la main dans son diocèse, sans dépendre d’une décision de l’ensemble de la conférence épiscopale. Il est aussi important que chaque évêque fasse dans son diocèse une catéchèse
sur l’eucharistie. Si nous expliquons la réalité immense et émouvante de la présence de Dieu dans l’eucharistie, je suis convaincu que la majorité des fidèles acceptera sans difficulté de pratiquer plus fréquemment la communion sur la langue et à genoux. Et ultérieurement, je pense qu’un pape reviendra sur la dérogation qui avait été accordée par Paul VI et qui a donné lieu, malgré lui, à une avalanche d’abus. C’est impossible de continuer comme ça.
Nous maltraitons notre Dieu. C’est un grand scandale de l’histoire de l’Église.
Les catholiques n’ont-ils pas tendance à avoir une exigence démesurée à l’égard de leurs évêques ?
Les grandes réformes dans l’Église passent toujours à un moment ou à un autre par le clergé, car c’est la hiérarchie qui doit guider les fidèles. L’Église n’est pas une démocratie populaire. Dans l’histoire de l’Église, il y a tant d’exemples d’évêques et de papes qui furent de grands réformateurs. Aujourd’hui, néanmoins, nous vivons à une époque, qui rappelle par certains côtés la crise arienne du IVe siècle, où la foi catholique a été davantage conservée par les fidèles que par l’épiscopat : la majorité des évêques accepta la nouvelle mode idéologique et politique
de l’arianisme, pour des raisons de peur, de carrière ecclésiastique… Le cardinal Šeper, qui fut préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a dit un jour que la crise de l’Église était en premier lieu une crise des évêques.
Quel rôle jouèrent les fidèles dans ce contexte ?
L’Église est un corps mystique. Ainsi, si un membre est fragile, l’autre lui apporte son aide. À cette période, le petit nombre de responsables de l’Église qui ont conservé la vraie foi et l’ont restaurée (saint Athanase, saint Hilaire de Poitiers, saint Basile le Grand…) a été porté par les fidèles, les familles. De même, aujourd’hui, les familles sont appelées à préparer
d’une manière particulière une vraie réforme de l’Église, à entretenir une foi intégrale, un respect profond de l’eucharistie. Elles sont aussi les foyers où naissent
des vocations sacerdotales. La réforme passera ensuite par le clergé. •
Propos recueillis par J.-M. Dumont
(1) Dominus est. Pour comprendre le rite de communion pratiqué
par Benoît XVI, Artège, 2011 ; Corpus Christi. La communion
dans la main au coeur de la crise de l’Église, Contretemps, 2014.
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