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Entraide et Tradition

L’Église et les migrants

publié dans regards sur le monde le 2 octobre 2015



L’Eglise et les migrants. Trois lignes de fracture

(source Metablog de l’abbé de Tanouarn)

Je vous propose ici un résumé de la conférence que j’ai donnée au Centre Saint Paul mardi dernier sur l’Eglise et les migrants ou plutôt sur L’amour la politique et les migrants. Il me paraît intéressant de retenir trois conclusions montrant trois lignes de fractures entre l’enseignement de l’Eglise pérenne et l’enseignement d’un Eglise qui se veut en avance sur le troisième Millénaire.

L’Eglise s’est intéressé très tôt aux migrants. Elle a instauré chaque année une Journée des migrants. La première a eu lieu en 1914 sous Benoît XV. Il s’agissait déjà de protéger les arméniens chrétiens (mais non membres de l’Eglise catholique) des exactions islamistes. Plus tard en 1952, Pie XII promulgue une Exhortation apostolique importante Exsul Familia Nazarethana. La sainte Famille (fuyant les massacres d’Hérode à Bethléem et partant en Egypte) a été mise en position de migration, pour des raisons clairement politiques. Le statut du migrant (qu’il soit ou non un réfugié politique) est donc mis en valeur dès les premières pages de l’Evangile de Matthieu, affirme Pie XII, qui voit dans la fuite en Egypte « le type » de toutes les migrations. Ces migrations selon lui, lorsque elles se produisent sont un mal nécessaire qui doit être traité avec charité et aussi avec justice, car la justice générale nous explique que les biens terrestre ont été créés pour tous les hommes et qu’il ne serait pas juste que certains ne puissent absolument pas y avoir accès, même si l’inégalité des richesses est constitutive de chaque société humaine. La doctrine de Pie XII, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, est à la fois ouverte et conforme à l’enseignement scolastique traditionnel.

Sous Paul VI, le ton change. Son Motu proprio Migratorum cura est devenu lyrique : « De cette mobilité des peuples découle une nouvelle et plus vaste poussée vers l’unification de tous et l’unité de l’univers entier. Les migrations en effet favorisent et promeuvent la connaissance réciproque et confirment clairement ce rapport de fraternité entre les peuples dans lequel les deux parties donnent et reçoivent à la fois ». Les migrations, pour Paul VI, constituent un phénomène positif et à encourager. Pourquoi ? Elles amènent l’humanité à toujours plus d’unité. On retrouve le thème de Lumen gentium 1 : « L’Eglise est le signe et le moyen de l’union de l’homme avec Dieu et de l’unité du genre humain ». J’avoue que ce thème de l’unité politique du genre humain comme objet de la quête de l’Eglise dans l’histoire m’a toujours laissé rêveur. Depuis le péché originel, l’homme sorti des mains de Dieu à partir d’un couple unique dit la Bible, donc dans une parfaite unité, peut-il retrouver cette unité malgré le péché ? L’unité spirituelle du genre humain est un thème maçonnique que l’on trouve déjà dans les Constitutions d’Anderson. J’aimerais être sûr que ce soit un thème chrétien.

La première ligne de partage est claire : d’un côté, les migrants ont été obligés de migrer. Ils ont besoin de la charité des fidèles (avec de bons aumôniers ajoute Pie XII) ; de l’autre, estime Paul VI, les migrations sont un bien qui nous approchent tous ensemble d’un accomplissement historique : l’unité du genre humain. Première ligne de fracture dans l’enseignement de l’Eglise.

Ne peut-on pas objecter que l’Eglise est « universelle » (catholique) que cela est affirmé dans la Lettre aux Smyrniotes d’Ignace d’Antioche (fin du Premier siècle) et que par conséquent cette Eglise doit être un jour absolument une ?
J’aime bien un texte du pape François dans la Lettre pour la Journée des migrants en 2015 : « L’Eglise mère de tous, sans frontières diffuse diffuse dans le monde la culture de l’accueil et de la solidarité, selon laquelle personne ne doit être considéré comme inutile ou encombrant ou à rejeter »

Quelle est l’universalité de l’Eglise ? C’est une universalité qui n’est pas univoque (comme si tous devaient absolument se trouver à l’intérieur du bateau) mais analogique, c’est-à-dire, selon Aristote, constituée d’une universalité de sujets libres. Il y a deux modèles d’universalité politique : l’universalité qui vient de l’extérieur, des jeux de la mode et de l’autocensure, du Marché et de la standardisation, que l’on peut appeler le cosmopolitisme, un mot qui nous vient de l’Antiquité et qui correspond, nous y reviendrons, aux descriptions de l’Apocalypse. Il y a un autre modèle qui respecte la liberté de chacun et ne naît pas de passions communes, de désirs communs ou de je ne sais quelle spirale mimétique (celle des modes vestimentaires, de la correctness et du conformisme intellectuel). Cette universalité analogique et catholique est libre : elle vient non du jeu des passions et du polissage social mais de l’intérieur de chacun, de l’Esprit qui « éclaire tout homme venant en ce monde ».
Chacun reçoit cette lumière à l’intime de lui-même et l’Eglise a un rôle normatif, essentiellement normatif par rapport à cette réception. Elle est seule apte à proposer la loi de la foi. Aucun Etat, aucun groupe, aucun gourou n’a le droit de se prévaloir de ce rôle que le Christ a confié depuis toujours à son Epouse mystique l’Eglise. Ainsi explique-t-on l’universalité d’un Appel dont l’Eglise a pris la charge mais qui résonne d’abord à l’intérieur de chacun. Cet appel n’est pas cosmopolite parce qu’il ne se réalise dans aucune société totalisante. Il est essentiellement respectueux de la liberté de celui qui l’a entendu. L’Eglise est universelle mais elle exerce cette universalité à l’inverse du cosmopolitisme socio-politique, en révélant à chacun sa liberté de croire.
Dans la Bible on découvre ces deux modèles : l’universalité cosmopolite est celle de Babel. On la retrouve dans l’Apocalypse où grâce à la bête de la terre (idéologique) et à la bête de la mer (puissance), l’humanité réalise son unité dans le giron de la grande Prostituée de Babylone. Les analyses d’Heinrich Schlier sont très convaincantes sur ce point.J’ajoute que le chiffre de la Bête est tatoué sur la peau, parce que cette unité est extrinsèque (pour les métaphysiciens égarés sur ce Blog, je dirai que cela participe d’une diabolique analogie d’attribution extrinsèque).
L’universalité catholique est celle qui se manifeste à la Pentecôte, où « chacun entend les apôtres s’exprimer dans sa propre langue, Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de la Judée, de la Mésopotamie de la Cappadoce etc » C’est la première inculturation. L’Esprit saint respecte tellement les personnes qu’il parle leur langue (et non le grec globish et cosmopolite qu’on aurait pu imaginer à l’époque). Et de même que l’Esprit saint respecte les personnes et s’adresse à chacun dans sa propre langue, de même il respecte les nations : « Allez enseignez toutes les nations… » dit Jésus à la fin de l’Evangile de saint Matthieu. Depuis Babel, soulignera Origène dans son Contre Celse, chaque nation constituée par la confusion des langues, a été munie, par la miséricorde de Dieu, de son ange, qui représente un peu sa personnalité mystique ou sa destinée salutaire.

C’est la deuxième ligne de fracture qui peut permettre d’opposer enseignement à enseignement : analogie de proportionnalité qui se constitue à partir des sujets libres ou analogie d’attribution extrinsèque, qui se réalise a posteriori par la fausse force d’un Discours unificateur et donc idéologique. Pour faire encore plus simple : c’est Babel [le discours idéologique] ou la Pentecôte [le Verbe dont l’incarnation continue dans chaque être humain s’il le veut].

Il y a une troisième ligne de fracture entre les discours, celle qui porte non sur la raison de l’universel mais sur la politique elle-même : faut-il admettre le multiculturalisme comme un fait acquis en Europe (ce que pensent tous ceux qui houspillent Nadine Morano en ce moment) ? Ou bien faut-il admettre que non seulement les peuples mais les nations, munies de leurs anges gardiens, ont de beaux jours devant elles ?
Pour répondre à ce dilemme, il faut savoir si l’amour a encore une puissance sociale, si l’amour est encore le creuset de la société politique à travers (au choix) le Pacte de Reims ou le Contrat de Jean-Jacques (personnellement mon choix est fait) ? Dans la société multiculturelle, on n’est pas défini comme citoyen par l’amour que l’on porte au bien commun, mais par son origine ethnique. L’amour n’est pas nié pour autant dans le multiculturalisme (une telle négation est impossible, elle serait inhumaine) mais au lieu d’être le creuset de la société, l’amour se réfugie dans chaque communauté et règne uniquement (ou disons : préférentiellement) entre les membres d’une ethnie, voire de ce que MichelMaffesoli a appelé avec éclat une tribu (la tribu existe selon la musique que l’on écoute le sport que l’on pratique comme supporter ou les vêtements que l’on porte et qui nous identifie). Pauvre amour devenu tribal quand la société a oublié son origine chrétienne !

Personnellement je ne crois pas au racisme engendré mécaniquement par le multiculturalisme, mais à une unité nationale qui se construit activement comme un amour commun à tous et qui unit chacun avec son prochain, dans une solidarité qui ne peut naître que de l’existence de frontières. En fera-t-on l’économie ? Verra-t-on la naissance d’un monde où les « peuples » auraient définitivement remplacé les « nations » et où la race et le racisme seraient les catégories fondamentales (même si elle est non-dite, surtout quand elle est non-dite) de toute analyse sociale ? Je crois que la France est assez bien placée parmi les nations pour garder l’ambition chrétienne qui l’a fait naître : l’idée que loin d’être un bobo égocentrique, chacun se doit, dans son domaine, comme commerçant, comme intellectuel, comme balayeur etc. de se mettre au service de tous…

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