Histoire de la Messe Interdite (2)
publié dans un disciple le 27 novembre 2017
Histoire de la messe interdite (2)
Livre I
Les années avant la réforme conciliaire du 3 avril 1969
La subversion
Dans le chapitre I, j’ai étudié cette subversion dans la réforme du latin liturgique. Ici, dans ce nouveau chapitre, je donne la parole à Jean Madiran qui analyse cette subversion dans la réforme de la distribution de la sainte communion aux fidèles. Il appelle cette subversion : « le processus de la communion dans la main.
Chapitre 2
Le processus de la communion dans la main.
Jean Madiran
Par « processus » de la communion dans la main, nous entendons celui qui a été engagé par le mouvement interne de l’Instruction Memoriale Domini et par le mouvement analogue qui va de cette Instruction à la Lettre et de la Lettre à la Note.
Ces trois documents ont paru dans La Documentation Catholique du 20 juillet 1969, pages 669 à 674.
Les deux premiers proviennent de la Congrégation romaine maintenant dite Pour le Culte Divin, le troisième émane de l’organisation dénommé Conseil permanent de l’Épiscopat français..
§-1 L’Instruction
L’Instruction Memoriale Domini de la Congrégation pour le Culte divin, en date du 29 mai 1969, « rédigée par mandat spécial du Souverain Pontife Paul VI » et « approuvée par lui-même » porte les signatures de Benno card. Gut, préfet et d’Annibal Bugnini, secrétaire.
Ce document y déclare que « de nos jours des changements importants et nombreux ont été introduits dans le rite de la célébration de l’Eucharistie, afin qu’il réponde mieux aux besoins spirituels et psychologiques des hommes d’aujourd’hui ». De plus « a été rétabli, dans certaines circonstances, l’usage de la communion sous les deux espèces du pain et du vin ». « Par ces éléments de renouveau ( ?) le signe du banquet eucharistique et l’accomplissement fidèle du mandat du Christ sont devenus plus manifeste ( ? ) et vivants ( ?) »
« Mais en même temps, ces dernières années, la participation plus complète ( ?) à la célébration eucharistique, exprimée par la communion sacramentelle, a suscité ça et là le désir de revenir à l’ancien usage de déposer le pain eucharistique dans la main du fidèle, lequel se communie lui-même en le portant à sa bouche. »
Et même, « dans certains endroits et dans certaines communautés, cette façon de faire est pratiquée, bien que le Saint Siège n’ait pas encore donné l’autorisation demandée ».
Voilà donc, à la date du 28 mai 1969, quelle était la situation, telle du moins qu’elle était vue du Vatican : le renouveau continuait de grandir admirablement, le « signe du banquet eucharistique » était devenu plus manifeste et plus vivant, et cette participation plus complète avait suscité (spontanément) le désir de communion dans la main. Celle-ci était déjà pratiquée par certaines communautés qui en avaient demandé l’autorisation et ne l’avait pas « encore » reçue.
Désobéissance grave qui, dans l’Instruction Memoriale Domini n’est à aucun moment qualifiée de désobéissance, et qui à aucun endroit n’est ni condamnée, ni blâmée, ni déplorée, ni même regrettée. Dans la présentation vaticane qui en est ainsi faite, cette désobéissance devient une simple anticipation, parfaitement normale : anticipation d’une évolution ultérieure et d’une autorisation à venir.
Telle est la manière aujourd’hui habituelle qu’à l’Autorité de détruire elle-même son autorité.
De toute façon, à la lecture de la première partie du document, la communion dans la main apparaît comme un fruit logique du « renouveau » dont nous jouissons depuis le Concile (lequel cependant n’est ni allégué ni nommé).
Mais, parvenu à ce point, le document change brusquement de ton, de style, de contenu. Comme s’il changeait de rédacteur et même de pensée. Avec une soudaine fermeté et un ample exposé de motifs précis, il se met, en sens contraire, à établir qu’il est meilleur « que ce soit le ministre lui-même qui dépose sur la langue du communiant une parcelle de pain consacré », et que « rien » ne doit être changé à cette manière de faire.
Les principales considérations invoquées sont les suivantes :
– « Cette façon de distribuer la sainte communion » (sur la langue) a « derrière elle une tradition multiséculaire. »
-« Elle exprime le respect des fidèles envers l’Eucharistie »
– Elle « ne blesse en rien la dignité personnelle de ceux qui s’approchent de ce sacrement»
– Elle « assure plus efficacement… que soit écarté tout danger de profanation ».
– Elle est conforme à la volonté des évêques : sans doute « un petit nombre de Conférences épiscopales » et « certains évêques » avaient demandé la communion dans la main. Le Souverain Pontife a consulté « tous les évêques de l’Église latine ».
Trois questions leur ont été posées.
Voici les questions et les réponses :
« 1- Pensez-vous qu’il faille exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ?
Placet 567
Non Placet 1233 ;
Placet juxta modum 315. Réponses non valides 20
« 2 – Aimeriez-vous que ce nouveau rite soit expérimenté d’abord dans de petites communautés avec l’autorisation de l’Ordinaire du lieu »
–Placet 751
–Non placet : 1215
Réponses non valides : 70
« 3 – Pensez-vous qu’après une bonne préparation catéchétique, les fidèles accepteraient volontiers ce nouveau rite ?
Placet 835
Non Placet 1185
Réponses non valides 128.
« Ces réponses montrent donc qu’une forte majorité d’évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle; et que si on la changeait cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. »
« C’est pourquoi… eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, le Souverain Pontife n’a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles ».
Conclusion :
«Aussi le Saint Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau, en prenant en considération tant le jugement émis par la majorité de l’épiscopat catholique que la forme utilisée actuellement dans la sainte liturgie, et enfin le bien commun de l’Église ».
Cette conclusion rejette avec autorité, sans laisser subsister aucune équivoque ni aucune possibilité d’échappatoire, ce que semblait admettre l’introduction du même document.
Seulement, l’Instruction Memoriale Domini comporte encore quelques lignes : un petit ajout, presque un postscriptum, dont la longueur est inférieure au septième de la longueur total du document.
A nouveau changent le ton, le contenu (et peut-être le rédacteur) ; et ce qui avait été rejeté se trouve maintenant accepté :
« Mais là où s’est déjà introduit un usage différent — celui de déposer la sainte communion dans la main — le Saint Siège, afin d’aider les Conférences épiscopales à accomplir leur tâche pastorale, devenue souvent plus difficile dans les circonstances actuelles, confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d’écarter tout risque de manque de respect ou d’opinions fausses qui pourraient s’insinuer dans les esprits au sujet de la très Sainte Eucharistie, et d’éviter soigneusement tous autres inconvénients ».
« De plus, en pareils cas, pour que cet usage s’établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation ».
Ainsi l’Instruction Memoriale Domini est un champ de bataille.
Le oui et le non y coexistent, comme si l’on enregistrait avec impartialité les pensées opposées de deux papes concurrents.
Cette Instruction, en effet, maintient d’une part la communion traditionnelle comme rite unique exigé par le bien commun de l’Église, le « Souverain Pontife », une « forte majorité d’évêques », « la valeur des arguments » et cetera.
Mais d’autre part, elle permet en fait ce qu’elle a déclaré contraire à la « valeur des arguments », « à une forte majorité d’évêques » , au « Souverain Pontife », et au bien commun de l’Église ».
Cette contradiction dramatique inhérente à l’Instruction romaine Memoriale Domini, son caractère intrinsèquement « autodestructeur », et la singulière révélation qui s’en dégage, ont été tenus absolument cachés par l’épiscopat français et la presse française, dans la présentation qu’ils nous ont faite du « nouveau » rite de la communion.
§-2 La Lettre
En date du 6 juin 1969, également signé par Benno card. Gut préfet et Annibal Bugnini, une Lettre de la Congrégation pour le Culte divin au Président de la Conférence épiscopale française, en se référant explicitement à l’Instruction précédente, autorise la communion dans la main : plus précisément, elle « accorde que chaque évêque (de France), selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser l’introduction du nouveau rite ».
Cette Lettre de la Congrégation est une « réponse à la demande présentée par votre Conférence épiscopale sur la permission de distribuer la communion en déposant l’hostie dans la main des fidèles ».
La Lettre déclare que « la possibilité offerte au fidèle de recevoir dans la main et de porter à la bouche le pain eucharistique » doit « accroître sa foi en la grande réalité du corps et du sang du Seigneur qu’il touche de ses mains ».
Mais il n’est aucunement précisé en quoi le fait de toucher l’hostie avec les mains pourrait être de nature à accroître la foi. C’est une simple affirmation gratuite jetée en l’air.
(NDLR: Mgr Schneider, dans son livre « Corpus Christi », que nous analyserons plus loin, dit exactement le contraire. Voir l’analyse de son livre dans la rubrique « doctrine catholique » du 27 novembre 2017)
Les rédacteurs de cette Lettre se réclament de leur Instruction précédente et s’y réfèrent. Mais ils l’enfreignent (ou la dépassent », si l’on préfère) sur deux points qui aggravent encore « l’auto-destruction » :
1-La porte ouverte par l’Instruction à la communion dans la main était limitée très explicitement : « là où s’est déjà introduit un usage différent : celui de déposer la sainte communion dans la main ». Il est de notoriété publique et incontestable, qu’à la date du 6 juin 1969, l’usage de la communion dans la main ne s’était point introduit dans l’ensemble du territoire français. Mais la clause de l’Instruction : « là où s’est déjà introduit », est traitée, au bout de huit jours seulement, comme une astuce déjà périmée, par les mêmes rédacteurs Benno card. Gut, préfet, et Annibal Bugnini, secrétaire.
2-Le rite nouveau dont parlait l’Instruction était très clairement décrit et délimité : « déposer le pain eucharistique dans la main », « déposer la sainte communion dans la main ». Ce n’était pas assez : la Lettre de la Congrégation en rajoute encore. Elle invente, sans autre explication, un rite dont l’Instruction n’avait pas soufflé mot : « On pourra, dit-elle, adopter aussi une manière plus simple en laissant le fidèle prendre directement l’hostie dans le vase sacré ».
En attendant le prochain document et la prochaine innovation.
§-3 La Note
Non datée, cette Note a été publiée par le Conseil permanent de l’épiscopat français « au terme de sa réunion qui s’est tenue à Paris du 17 au 19 juin 1969 ».
Elle ne fait aucune allusion à l’Instruction Memoriale Domini : considérant sans doute cette Instruction pour ce qu’elle a été en fait, un masque, un faux-nez, une étape déjà « dépassée », huit jours après par ses propres rédacteurs Gut et Bugnini.
«La majorité des évêques, déclare la Note, n’est pas favorable à ce que d’une manière générale, la communion dans la main soit substituée à l’actuelle manière de faire ». C’est nous qui soulignons. Cette incise « d’une manière générale », jointe au terme « substituée », insinue très exactement le contraire de la vérité. La Note donne à entendre que la majorité des évêques s’est opposée seulement à cette substitution générale, et donc qu’elle n’était pas opposée à une introduction facultative. Mais c’est bien l’introduction facultative qui a été rejetée par la majorité des évêques. Ce qu’ils ont refusé, c’est bien d’exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, « soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ».
La Note du Conseil permanent poursuivait en ces termes :
« Le Saint Père a pris en considération le fait que des désirs très nets s’expriment dans certaines régions pour que les fidèles puissent recevoir la sainte communion dans la main ». Le fait que de tels « désirs » se soient « exprimés » a été pris en considération pour être catégoriquement rejeté et non pour être accepté, ainsi que le montre clairement la lecture de l’Instruction Memoriale Domini. Autrement dit, il a été pris en considération… négative.
Ce qui a été pris en considération positive, c’est un autre fait : le fait qu’en certains lieux, la communion dans la main était effectivement pratiquée par désobéissance aux lois en vigueur et aux volontés du Saint Siège. On sait que depuis 1958, la ferme désobéissance est une nouvelle source de droit et de la loi dans l’Église ( à condition toutefois que cette désobéissance aille dans un certain sens et non dans un autre).
Nous avons là une nouvelle confirmation de cet état d’anarchie et de subversion où sont tombées les lois et les mœurs ecclésiastiques. Nous y voyons aussi, une fois de plus, qu’elles n’y sont pas tombées spontanément : elles y sont poussées par le comportement de l’autorité.
Mais les évêques français voulaient cacher que la vraie cause, attestée par l’Instruction, de l’autorisation de la communion dans la main, est la désobéissance prise en considération positive et respectueuse par le Saint-Siège. D’ailleurs cette fois, ils n’avaient pas eux-mêmes désobéi ou guère : point assez en tous cas pour fonder un droit selon les nouvelles procédures ecclésiastiques. L’usage de la communion dans la main n’avait pas été introduit sur l’ensemble du territoire français ; notre épiscopat avait manqué ce train-là. Les évêques n’auraient pas pu dire aux français : -Parce que vous communiez déjà dans la main et seulement « là où » vous avez eu le mérite de cette désobéissance, le Saint Siège vous autorise à continuer. » Alors ils inventent autre chose dans leur Note.
La Note du Conseil permanent fait allusion aux « motifs pastoraux exposés par la conférence épiscopale française » : exposés au Saint Siège, dans le secret, derrière le dos des fidèles. Ce fameux exposé de motifs pastoraux n’a pas été publié.
L’examen de ces trois documents, chacun en lui-même et tous comparés à chacun, fait donc apercevoir une cascade d’incohérence, d’inexactitudes et de truquages successifs. Nous ignorons dans quelle mesure une telle constatation atteint leur éventuelle valeur juridique : mais nous n’avons même plus envie de le savoir. Nous constatons que l’on nous trompe à jet continu et cela nous suffit.