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Entraide et Tradition

Héritage baffoué

publié dans nouvelles de chrétienté le 1 août 2019


HÉRITAGE BAFFOUÉ

Les remises en cause de l’héritage de Jean Paul II témoignent de l’intensité des tensions politiques au sein du Vatican

George Weigel, ancien proche du pape défunt, a publié un article cinglant pour critiquer les réformes en cours au Vatican qui affaibliraient les défenseurs du dogme traditionnel de l’Eglise sur la famille.

Avec Edouard Husson

Dans le « Catholic World Report », George Weigel, professeur à l’Institut d’Éthique de Washington et célèbre pour sa monumentale biographie du pape Jean-Paul II, raconte comment l’Institut Jean-Paul II sur le mariage et la famille, créé à Rome pour transmettre et approfondir l’enseignement de Karol Wojtyla, est en train d’être vidé de sa substance et démantelé sous la direction d’un archevêque, Vicenzo Paglia, nommé à sa tête par l’actuel souverain pontife. Weigel parle d’un véritable vandalisme contre les trésors d’intelligence, de savoir et d’expérience accumulés dans l’Institut.

Effectivement, si l’on devait avoir un doute sur les intentions du pape François dans son encyclique « Amoris Laetitia » écrite après la tenue d’un synode sur la famille, le renvoi de deux professeurs piliers de l’Institut Jean-Paul II, la suppression de la Chaire de Théologie Morale et, surtout, la fin du recrutement des professeurs de l’Institut par leurs pairs – au profit d’une nomination par la direction de l’Institut, ce qui va contre tous les usages académiques- disent simplement que l’actuel souverain pontife entend remettre en cause tout l’enseignement accumulé depuis quelques décennies, en particulier l’idée qui se trouve au centre de l’encyclique « Veritatis splendor » (1993) de Jean-Paul II, établissant, dans la grande tradition thomiste, qu’il existe des actes intrinsèquement immoraux, mauvais, répréhensibles. Toute l’encyclique « Amoris Laetitia », au contraire, vise à proposer une contextualisation permanente des actes individuels, au point de ne plus laisser de place à l’idée d’une morale objective.

La polémique se focalise sur les enjeux de morale sexuelle, parce que notre époque est, en Occident, littéralement obsédée par le sujet – les fruits amers de la révolution sexuelle des années 1960, si puissamment saisis par la plume romancière de Michel Houellebecq, menant à une sorte de surenchère- mais on voit bien que c’est tout l’enseignement moral de l’Église qui est en jeu, dans tous les domaines de la vie. Aussi critiqués aient-ils été, les papes, de Paul VI à Benoît XVI ont maintenu une ligne de résistance aux tendances qu’ils jugeaient nocives dans la modernité. Cibles régulières des médias, ils en étaient pour autant respectés et secrètement admirés comme les empêcheurs de tourner en rond de l’individualisme occidental. La crise de 2007-2008 a marqué, en quelque sorte la fin de l’optimisme de l’ère néo-individualiste amorcée dans les années 1950. Or c’est curieusement le moment choisi par le pape Benoît XVI pour abandonner le combat, jeter l’éponge, abdiquer. Et l’Église se retrouve avec un pape, piètre théologien et tendant à n’envisager les sujets que sous un angle purement politique. François Ier a été porté sur le trône de Saint Pierre par un noyau de cardinaux progressistes, désireux de prendre leur revanche sur les décennies antérieures.

La bataille pour le sens de Vatican II
Comme le souligne très bien George Weigel, le camp progressiste avait largement perdu la bataille intellectuelle contre les conservateurs -au sens plein du terme, celui de réformateurs respectueux de la tradition, soucieux de transmission et prêts à affronter les défis que pose leur époque -Weigel rappelle comme le Concile Vatican II a donné lieu à une féroce bataille entre ceux qui y voyaient un renouvellement dans la fidélité à la tradition de l’Église et ceux qui comprenaient dans l’aggiornamento de Jean XXIII un accommodement avec le monde. De Paul VI à Benoît XVI, c’est la première tendance qui l’a emporté. Le pontificat inattendu de François Ier représente la revanche brutale des seconds: inférieurs intellectuellement et confrontés au déclin du nombre d’étudiants en théologie partout où le progressisme est dominant; confrontés, comme les évêques allemands, au départ massif des fidèles; devant constater que l’essentiel des vocations sacerdotales ou religieuses a lieu dans les milieux catholiques conservateurs et traditionalistes, les progressistes ont sauté sur l’occasion qu’offrait la démission inattendue de Benoît XVI pour se lancer dans une tentative systématique de noyautage des structures ecclésiales.

Il est important d’écouter George Weigel pour échapper au manichéisme qui est en train de se mettre en place dans l’Église. Face à la brutalité des sbires de François Ier comment ne pas se dire que, malgré les efforts de Jean-Paul II, le Concile n’a pas pu être sauvé? La démission de Benoît XVI n’est-elle pas le signe que la bataille sur le « vrai Vatican II » est vaine? Il est bien vrai qu’actuellement se répand une sorte de triomphalisme dans le camp traditionaliste et que la génération Jean-Paul II est désemparée. Comment ne pas être sensible à l’argument qui consiste à rapprocher la désacralisation de bien des célébrations liturgiques et la crise de la pédophilie, produit d’une banalisation du prêtre, qui ne se tient plus à distance de ses ouailles et même sombre dans des promiscuités coupables? Comment ne pas voir que la baisse de niveau catastrophique des contenus de beaucoup de catéchismes explique largement que les catholiques français puissent voter Emmanuel Macron alors que toute sa politique (non seulement les réformes sociétales mais le manque évident d’attention aux souffrances des plus pauvres, des plus démunis, des plus souffrants que révèle la répression policière féroce des Gilets Jaunes) devrait les en détourner?

Les catholiques désemparés par l’interruption d’une série de dix papes remarquables
Mais il s’agit de réponses trop faciles! Ce que nous dit la crise actuelle de l’Église, c’est que les catholiques se sont trop facilement accommodés de ce que Rome restait bien tenue malgré la crise de l’Église. Jamais l’hypothèse de la fragilité humaine des papes n’a été envisagée – il faut dire que rarement l’Église a eu autant de grands papes à la suite que de Pie IX ( 1846-1878) à Jean-Paul II. Mais l’infaillibilité pontificale ne concerne pas la personne des papes; elle touche leur enseignement théologique et moral. Nous nous trouvons aujourd’hui dans la situation où la défaillance de Benoît XVI, accablé par le fardeau politique de sa charge, a ouvert une brèche au cœur de la citadelle vaticane. Du coup tout va dépendre de la capacité des catholiques, sur le terrain, partout dans le monde, à témoigner de leur fidélité à l’enseignement de Jean-Paul II et à 2019 ans de tradition.

J’ai beaucoup de respect pour le courant traditionaliste mais le refus par Monseigneur Lefebvre des textes conciliaires sur la liberté religieuse n’est pas un sujet secondaire. Croit-on que Jean-Paul II aurait pu ébranler les régimes communistes sans l’appel à la liberté de conscience et la liberté religieuse? Je connais la puissance de recueillement et le sens du sacré que peut inculquer la liturgie tridentine. Mais sa réinstallation généralisée pure et simple – en admettant qu’elle soit possible – ne répondrait ni au besoin viscéral de participation de l’individu ni à la diversité effective des rites qui caractérise l’Église universelle.

George Weigel nous incite par son analyse très fine à ne pas nous réfugier dans des réponses trop faciles. Nous nous trouvons dans une situation d’infidélité manifeste de l’actuel souverain pontife à l’héritage qui lui a été transmis; et de dévoiement de certains responsables de l’Église. C’est alors que doit se réveiller une tradition constante -curieusement méconnue dans notre époque qui n’a que le bottom-up à la bouche – dans l’histoire de l-institution: celle de l’admonestation aux successeurs de Pierre et des apôtres. C’est le sens de la pétition adressée par 150 étudiants de l’Institut Jean-Paul II sur le mariage et la famille à leur nouvelle direction. C’est le sens des « dubia » (doutes) adressés par quatre cardinaux à François Ier après la publication d' »Amoris Laetitia ». C’est le sens du texte récemment adressé par une cinquantaine d’universitaires catholiques qui pose la question de « propositions hérétiques » dans l’enseignement de l’actuel souverain pontife. Gageons que c’est seulement le début d’une longue série. Contrairement à ce que croient les progressistes, il y a bien une tradition de participation, de démocratie dans l’Église. Mais elle n’a de sens que si elle se réfère à l’objectivité de la tradition et de la loi naturelle.

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