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Exhortation apostolique, post-synodale: Querida Amazonia

publié dans magistère du pape François le 13 février 2020


12 février, 2020

Querida Amazonia, chère Amazonie, l’exhortation du Pape François plus ambiguë qu’il n’y paraît

Poésie, envolées lyriques, rêves – ils sont au nombre de quatre –, l’exhortation apostolique post-synodale publiée ce mercredi sous la signature du pape François a pris une forme étonnante et remarquable. C’est une liste de souhaits, de recommandations entrecoupée de citations littéraires, sans visée révolutionnaire immédiatement visible. Les viri probati sont passés à la trappe (mais le texte ne parle pas du tout du célibat sacerdotal ni du mariage des prêtres) ; les femmes n’auront pas de ministère ordonné et c’est à travers leur génie propre qu’elles serviront (comme elles l’ont d’ailleurs toujours fait) le Christ, son Eglise et son troupeau. Ouf. Ou plutôt : grâce à Dieu.

 
En fait, Querida Amazonía prend tout le monde à contre-pied. Les évêques d’outre-Rhin, qui dans leur majorité, derrière le cardinal Marx, pensaient que le synode sur l’Amazonie allait ouvertement permettre l’introduction d’innovations impossibles au sein de l’Eglise, à telle enseigne que Mgr Overbeck put annoncer que “rien ne serait plus jamais comme avant”, ont pris une douche froide d’une rare violence. Totalement inespérée au cours de ce pontificat.

Cela n’a pas empêché le cardinal Marx de dire que l’ordination des hommes mariés n’avait pas été écartée par le texte, et il me semble qu’il n’a pas tort.

Le cardinal Hummes, rapporteur général du synode, a d’ailleurs boudé la présentation de l’Exhortation en restant au Brésil, à moins qu’il n’ait pas été invité. Quand on sait que c’est lui qui a fait circuler une première version de l’Exhortation avec une mention explicite du paragraphe 111 du Document final prévoyant  la possibilité de l’ordination sacerdotale des diacres permanents, on peut imaginer qu’il l’ait mauvaise.

Toutes les expressions les plus contestables qui ont émaillé des divers documents officiels encadrant le synode, depuis le document préparatoire de 2018 jusqu’au document final en passant par l’Instrumentum laboris brillent plutôt par leur absence. Pensez : il n’est même pas question de la « Terre-Mère », sinon dans une citation et indirectement, par le biais d’une note de bas de page !

Quant aux contestataires, tous ceux qui ont été consternés par la cérémonies païennes aux jardins du Vatican, la présence de statuettes de la Pachamama jusque dans la basilique Saint-Pierre et tant d’autres manifestations inacceptables, en sont-ils pour autant pour leurs frais ? Peut-on dire au contraire qu’ils ont « gagné » dans ce qui apparaît assez clairement comme le résultat d’une lutte d’influences sur un homme qui semble avoir renoncé à sa manière habituelle de s’exprimer ?

Disons d’abord ceci. En n’allant pas explicitement dans la direction souhaitée par le riche et puissant épiscopat allemand dans sa quasi-totalité, pour ce qui est des deux éléments les plus spectaculaires mis en évidence autour de ce synode, à savoir l’ordination sacerdotale d’hommes mariés et la possibilité d’un ministère ordonné pour les femmes, et ce en termes francs, le pape a sauvé quelque chose d’important et de primordial. Il a choisi de ne pas installer une confusion encore plus grande que celle régnant aujourd’hui ; il n’a pas touché à ces fondamentaux. Cette confusion aurait pu mener à une fracture irréversible. Même si à certains égards le propos reste ambigu.

Cela a-t-il toujours été son intention ? Nul ne le sait. On peut relever quelques incohérences – qu’il s’agisse des déclarations ici ou là laissant entendre qu’une exception amazonienne pour les prêtres mariés pouvait être envisagée, ou à travers la colère qui l’a animé lors de la parution du livre du cardinal Sarah et de Benoît XVI, Des profondeurs de nos cœurs, sur le célibat sacerdotal – il semblait manifeste que François voulait aller dans une autre direction, fût-ce en faisant de tous petits pas.
Il n’en a rien été, mais il me semble que les prières de tant de catholiques – parmi lesquels vous tous, lecteurs de mon blog qui avait participé aux prières du 12 décembre à NotreDame de Guadalupe – et les protestations attristées qui ont secoué sites, blogs et réseaux sociaux et catholiques ces derniers mois n’auront pas été vaines. Dieu protège son Eglise ; qu’Il la protège toujours.

Cela dit, il m’a semblé depuis le début que l’ambition réelle du synode sur l’Amazonie n’était pas tant de toucher au célibat sacerdotal ou de promouvoir le diaconat, et même à terme le sacerdoce des femmes, que d’agir sur le plan politique en « internationalisant » la question amazonienne et sur le plan religieux en soutenant une spiritualité globale aux relents panthéistes.

Une lecture attentive de Querida Amazonía – un peu moins horripilante, il faut le dire, que celle de Laudato sí,  même si cette encyclique est abondamment citée – laisse beaucoup de questions ouvertes et agit discrètement dans le sens que j’au souligné. Les mots de l’écologisme amazoniste et mondialiste s’y font relativement discrets ; l’évangélisation est évoquée explicitement ; la culture amazonienne ne reçoit pas un blanc-seing absolu qui la rendrait exemplaire en tant que telle pour le monde entier. mais les concepts de cette nouvelle théologie ne sont pas absents, loin s’en faut.

Toutes proportions gardées et pour prendre un exemple léniniste, on a un peu l’impression d’une « Nouvelle économie politique » mise en avant lorsque le bolchevisme radical s’avère inopérant ou inacceptable.

Je ne souhaite pas évidemment préjuger des intentions du pape François, et si Querida Amazonía – mais on a ici un langage plus subtil que celui auquel il nous a habitués, et il me semble que l’insinuation et l’ambiguïté sont cultivées avec assiduité.

Je vous propose  une analyse de texte qui tente de tenir compte de sa lettre mais aussi de ce que l’on sait des déclarations précédentes – qui vont de l’ambigu à l’ahurissant – du pape François. En prenant tout le monde à contrepied, comme je le disais plus haut, il a produit un texte habile et malgré tout porteur d’inquiétudes pour les catholiques attachés à l’intégralité et à la clarté de la doctrine catholique. Habile notamment en ce qu’il fait amplement référence à Jean-Paul II – qui a eu également des paroles pour le moins ambiguës… – pour justifier des idées modernistes qui ont été mises en évidence et dénoncées tout au long du processus synodal. A plusieurs reprises et très nettement, François « répond » à ces objections. Une première lecture m’a même laissé l’impression que son texte est taillé sur mesure pour rassurer, voire pour couper l’herbe sous le pied des critiques, sans pour autant rejeter une certaine vision révolutionnaire.

Rappelons que le texte est construit autour de quatre « rêves » pour l’Amazonie (et depuis quand les rêveries pontificales font-ils de la doctrine sûre ?) : un rêve social, un rêve culturel, un rêve écologique, un rêve ecclésial. Ceux qui auront des dubia à leur sujet repasseront…

Je retiendrai ici certains des 111 paragraphes de l’Exhortation pour les commenter très brièvement. 

*


Cela commence très fort, avec une référence explicite et très positive au calamiteux document final qui occupe les paragraphes 2, 3 et 4. C’est donc la première injonction du pape François, sans l’ombre d’une critique ou d’une mise en garde.

2. J’ai écouté les interventions pendant le Synode et j’ai lu avec intérêt les contributions des cercles mineurs. Dans cette Exhortation, je souhaite exprimer les résonnances qu’a provoquées en moi ce parcours de dialogue et de discernement. Je ne développerai pas toutes les questions abondamment exposées dans le Document de conclusion. Je ne prétends pas le remplacer ni le répéter. Je désire seulement fournir un bref cadre de réflexions qui incarne, dans la réalité amazonienne, une synthèse de certaines grandes préoccupations que j’ai exprimées dans mes documents antérieurs, et qui aide et oriente vers une réception harmonieuse, créative et fructueuse de tout le chemin synodal.

3. En même temps, je veux présenter officiellement ce Document qui nous expose les conclusions du Synode auquel ont collaboré de nombreuses personnes qui connaissent, mieux que moi et que la Curie romaine, la problématique de l’Amazonie, parce qu’elles y vivent, elles y souffrent et elles l’aiment avec passion. J’ai préféré ne pas citer ce Document dans cette Exhortation parce que j’invite à le lire intégralement.

4. Dieu veuille que toute l’Église se laisse enrichir et interpeler par ce travail ; que les pasteurs, les personnes consacrées et les fidèles laïcs de l’Amazonie s’engagent pour son application et qu’il puisse inspirer, d’une manière ou d’une autre, toutes les personnes de bonne volonté.

C’est plus qu’une simple référence. Celui-ci réclamait une « conversion à la terre », la prise en compte des religions indigènes, de la « théologie indienne » et de la « cosmovision » indienne,  le tout teinté d’anticolonialisme primaire, et comportait de nombreuses références au réseau pan amazonien REPAM, au progressisme flamboyant. En vérité, tout cela n’est pas absent de l’Exhortation elle-même mais sous une forme plus atténuée.

Quelle est la valeur d’un document final de synode ? Le P. Raymond De Souza note dans le National Catholic Register  qu’en 2018, le pape François a promulgué une nouvelle constitution apostolique selon laquelle si le pontife romain l’approuve expressément, le document final participe du magistère ordinaire du successeur de Pierre. »

Ici le pape dit vouloir « présenter officiellement ce document ». Interrogé lors de la conférence de presse sur l’exhortation, le cardinal Baldisseri a affirmé avec insistance que le document final ne fait pas partie du magistère, faute d’une « parole canonique claire d’approbation. » Mais que veut dire alors : « présenter officiellement » ?

Selon Baldisseri, le document final a simplement une « autorité morale » et doit être lu « à la lumière de l’exhortation apostolique…

5.  L’Amazonie est une totalité plurinationale interconnectée, un grand biome partagé par neuf pays : le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, la Guyane, le Pérou, le Surinam, le Venezuela et la Guyane Française. Cependant, j’adresse cette Exhortation à tous. Je le fais, d’une part en vue d’aider à réveiller l’affection et la préoccupation pour cette terre qui est aussi la « nôtre » et vous inviter à l’admirer et à la reconnaître comme un mystère sacré. (…)

Voilà, discrètement, l’internationalisation de la zone amazonienne. Cette terre est qualifiée de « mystère sacré » non comme la Terre Sainte, qui doit son nom au fait qu’elle a été foulée par Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, mais en tant que telle. Comme si elle était distincte des autres terres de par sa végétation, sa luxuriance, sa beauté, et enfermait un sens spirituel. Rien n’est dit, ni ici ni plus loin dans l’exhortation, de ses dangers, de ce milieu terriblement hostile à l’homme dans ses zones les plus reculées.

*

Rêve social


8. Notre rêve est celui d’une Amazonie qui intègre et promeuve tous ses habitants pour qu’ils puissent renforcer un “bien-vivre.” Mais un cri prophétique est nécessaire et une tâche exigeante est à accomplir en faveur des plus pauvres. Parce que même, si l’Amazonie se trouve devant un désastre écologique, il convient de souligner qu’« une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ». Un conservatisme « qui se préoccupe du biome mais qui ignore les peuples amazoniens » est inutile.

Notons ici la référence au “bien-vivre” qui est une notion indigène à inscrire  fondamentalement dans l’idée qu’il existe un Grand Tout entre l’homme, la nature et les esprits. C’est la recherche de l’harmonie avec la terre, sans notion de transcendance. Notons aussi le parallélisme entre l’approche écologique et l’approche sociale : en fait, c’est tout le sens de l’écologie à la mode onusienne qui dans ses objectifs de développement durable pour 2030 intègre clairement des choix politiques tenant à la redistribution des richesses ou, pour le dire plus crûment, au socialisme.

 
20.  La lutte sociale implique une capacité de fraternité, un esprit de communion humaine. Sans diminuer l’importance de la liberté personnelle, on constate que les peuples autochtones de l’Amazonie ont un sens communautaire fort. Ils vivent de cette manière « le travail, le repos, les relations humaines, les rites et les célébrations. Tout se partage, les espaces privés – typiques de la modernité – sont minimes. La vie est un cheminement communautaire dans lequel les tâches et les responsabilités sont réparties et partagées en fonction du bien commun. On ne conçoit pas l’individu détaché de la communauté ou de son territoire ». Ces relations humaines sont imprégnées de la nature environnante parce qu’ils la sentent et la perçoivent comme une réalité qui s’intègre dans leur société et dans leur culture, comme un prolongement de leur corps personnel, familial et de groupe:

« Cette étoile du matin s’approche,
les colibris battent des ailes,
plus que la chute d’eau, mon cœur bat.
Avec tes lèvres, j’arroserai la terre
que le vent joue en nous ».

Communautarisme, vie en commun non choisie (jusqu’à soumettre le départ d’un membre de la tribu à l’approbation des anciens), communisme sont sous-jacents ici.  L’idée de la nature prolongement du « corps personnel, familial et de groupe » renvoie logiquement à un « corps collectif »  qui n’est nullement la communauté nationale où la communauté religieuse mais l’ensemble du monde matériel. Cela s’inscrirait sans difficulté dans les approches orientales qui ne distinguent pas entre sujet et objet. D’ailleurs le choix du poème est significatif. Il est joli et évocateur, mais il ne constitue pas un enseignement chrétien.

L’auteur du poème, Yana Lucila Lema, une Equatorienne de la jolie ville d’Otavalo,  a fait ses études de journalisme à Cuba, cela mérite d’être souligné. Quant au site auquel renvoie l’Exhortation par une note de bas de page, siwarmayu.com (« une rivière de colibris »), voué à la publication de textes indigènes venant des « sept directions de la Terre Mère », publie notamment des poèmes à la gloire de celle-ci. Ainsi tel poème encourage ceux qui ont des difficultés à demander de l’aide aux anges, aux saints mais aussi aux ancêtres, aux oiseaux et aux pierres. Des artistes graphiques y publient des représentations de la Terre Mère. Il fallait quand même qu’elle y soit !

 
22.  Le Christ a sauvé l’être humain tout entier et veut restaurer en chacun sa capacité d’entrer en relation avec les autres. L’Évangile propose la charité divine qui jaillit du Cœur du Christ engendrant une recherche de la justice qui est inséparablement un chant de fraternité et de solidarité, une stimulation pour la culture de la rencontre. La sagesse de la manière de vivre des peuples autochtones – malgré toutes ses limites – nous pousse à approfondir cette aspiration. Pour cette raison, les évêques de l’Équateur ont réclamé « un nouveau système social et culturel qui privilégie les relations fraternelles, dans un cadre de reconnaissance et de valorisation des différentes cultures et écosystèmes, capable de s’opposer à toute forme de discrimination et de domination entre les êtres humains ».

Voilà la Novlangue sacerdotale qui s’accorde tellement bien avec celle des politiques réclamant la fin de toute discrimination et domination, qui est au bout du compte l’interdiction de toute différence de traitement même pour des motifs justes, et du juste exercice de l’autorité, du pouvoir qui vient pourtant de Dieu. J’exagère ? Non, c’est avec ces mots que le marxisme culturel s’est imposé et qu’il est aujourd’hui de bon ton de dénoncer tout « patriarcat ».


27.  Le dialogue ne doit pas seulement privilégier l’option préférentielle pour la défense des pauvres, des marginalisés et des exclus, mais il doit les respecter comme des protagonistes. Il s’agit de reconnaître l’autre et de l’apprécier « comme autre », avec sa sensibilité, ses opinions plus intimes, sa manière de vivre et de travailler. Autrement, le résultat sera, comme toujours, « un projet de quelques-uns destiné à quelques-uns », quand il ne sera pas « un consensus de bureau ou une paix éphémère, pour une minorité heureuse ». Si cela se produit, « une voix prophétique est nécessaire » et, comme chrétiens, nous sommes appelés à la faire entendre.

« L’option préférentielle pour les pauvres » est une expression chargée, évidemment lié à la théologie de la libération. « Respecter les pauvres comme des protagonistes » n’est évidemment pas révolutionnaire en soi, mais ici les références multiples en notes de bas de page à l’Instrumentum laboris encore plus calamiteux que le document final donnent un contexte éclairant.

*

Rêve culturel

On pourra être séduit par les références aux « racines » qui abondent dans cette partie. Ou la dénonciation  d’une « colonisation postmoderne »

29.  En Amazonie il y a de nombreux peuples et nationalités et plus de cent dix peuples indigènes en état d’isolement volontaire (PIAV). Leur situation est très fragile, et beaucoup sentent qu’ils sont les derniers dépositaires d’un trésor destiné à disparaître, comme si on leur permettait seulement de survivre sans déranger pendant que la colonisation post-moderne avance. Il faut éviter de les considérer comme des sauvages « non civilisés ». Ils ont simplement donné vie à des cultures différentes et à d’autres formes de civilisations qui autrefois étaient très développées.

Il y a ici une forme de relativisme culturel est aussi d’abandon de populations qui vive comme des primitifs. L’homme est aussi appelé à se développer, à soumettre et à dominer la terre qui existe pour lui. Et puis, quid de l’évangélisation de ces tribus ? Faudrait-il les laisser à leur culture loin du vrai Dieu (et sans  doute, à travers les cultes chamaniques, contre Lui) sous prétexte de respecter leur histoire ?


31. Les peuples qui ont réussi à survivre en Amazonie conservent leur identité culturelle et une richesse unique, dans un univers multiculturel qui est dû à l’étroite relation que les habitants établissent avec leur environnement, dans une symbiose – non déterministe – difficile à comprendre avec les schémas mentaux étrangers :

« Il était une fois un paysage qui se dévoilait avec son fleuve,
ses animaux, ses nuages et ses arbres.
Mais parfois, quand on ne voyait nulle part
le paysage avec son fleuve et ses arbres,
il fallait que les choses sortent de l’imagination d’un garçon ».
« De la rivière, fais ton sang […]
Ensuite, plante-toi,
germe et croîs.
Que ta racine
s’accroche à la terre
pour toujours et à jamais.
Et enfin,
sois un canoë,
une barque, un radeau,
une liane, une jarre,
un enclos et un homme ».


On retrouve dans cette littérature indigène cette confusion entre l’homme, corps et âme, et la matière, même inerte. La poésie a certes ses images, mais la vérité à ses droits, surtout dans une exhortation apostolique.


36. Comme toute réalité culturelle, les cultures de l’Amazonie profonde ont leurs limites. Les cultures urbaines de l’Occident les ont aussi. Des facteurs comme le consumérisme, l’individualisme, la discrimination, l’inégalité, et beaucoup d’autres, sont des aspects fragiles des cultures prétendument plus évoluées. Les ethnies qui ont développé un trésor culturel en étant liées à la nature, avec un fort sens communautaire, perçoivent facilement nos ténèbres que nous ne reconnaissons pas au milieu du prétendu progrès. Par conséquent, recueillir leur expérience de vie nous fera du bien.

Voici un exemple d’une réponse aux détracteurs du romantisme amazonien. Le mal occidental est simplement mis en parallèle avec les limites des bonnes cultures amazoniennes, sans qu’il soit question du christianisme qui a « fait » la civilisation et dans l’oubli conduit à sa déroute. Au contraire, le lien avec la nature – en l’occurrence, un lien religieux puisque la nature est vénérée et qu’on lui attribue des pouvoirs spirituels – est mis en avant comme source de rectification.

 
40. (…) Mon intention n’est donc pas de proposer un indigénisme complètement fermé, anhistorique, figé, qui se refuserait à toute forme de métissage. Une culture peut devenir stérile lorsqu’ « elle se ferme sur elle-même et cherche à perpétuer des manières de vivre vieillies, en refusant tout échange et toute confrontation au sujet de la vérité de l’homme ». Il est vrai que cela pourrait sembler peu réaliste, puisqu’il est difficile de se protéger de l’invasion culturelle. C’est pourquoi la sauvegarde des valeurs culturelles des groupes indigènes devrait être une préoccupation de tous, parce que leur richesse est aussi la nôtre. Si on ne progresse pas dans ce sens de coresponsabilité face à la diversité qui embellit notre humanité, on ne pourra demander aux groupes qui habitent la forêt de s’ouvrir naïvement à la « civilisation ».

C’est vrai que le refus du « métissage » ferait désordre. Comme quoi il est parfois difficile de tenir les deux bouts !


Rêve écologique


42.  La protection des personnes et celle des écosystèmes sont inséparables. Cela signifie en particulier que là où « la forêt n’est pas une ressource à exploiter, elle est un être, ou plusieurs êtres avec qui entrer en relation ». La sagesse des peuples autochtones d’Amazonie encourage « la protection et le respect de la création, avec la conscience claire de ses limites, interdisant d’en abuser. Abuser de la nature c’est abuser des ancêtres, des frères et sœurs, de la création et du Créateur, en hypothéquant l’avenir ». Les autochtones, « quand ils restent sur leurs territoires, ce sont précisément eux qui les préservent le mieux », tant qu’ils ne se laissent pas piéger par le chant des sirènes et par les offres intéressées des groupes de pouvoir. Les dommages faits à la nature les touchent de façon très directe et visible, parce que – disent-ils – « Nous sommes eau, air, terre et vie du milieu ambiant créé par Dieu. Par conséquent, nous demandons que cessent les mauvais traitements et les destructions de la Mère terre. La terre a du sang et elle saigne, les multinationales ont coupé les veines à notre Mère terre ».

On retrouve ici le langage du paganisme qui « personnifie » les choses et confond les ordres du créé pour aboutir de fait à un panthéisme où tout est dans tout et réciproquement. Et voici donc la « Merre Terre » à travers un « apport au synode » du  diocèse de San José del Guaviare.


44. L’eau est éblouissante dans le grand Amazone qui rassemble et vivifie tout alentour :

« Amazone
capitale des syllabes de l’eau,
père patriarche, tu es
la mystérieuse éternité
des fécondations,
les fleuves choient en toi comme des vols d’oiseaux… ».


Tout un paragraphe d’une Exhortation apostolique de la main de Pablo Neruda, Prix Nobel de littérature et membre du parti communiste chilien, ce n’est pas banal. D’autant que ce thème du fleuve mâle et fécondant laisse rêveur quand on pense au symbolisme de la jeune femme transportée en barque (symbole du sexe féminin dans l’imaginaire amazonien) dans l’église de Santa Maria in Traspontina à Rome ; idem pour la statuette de la Pachamama, une femme nue et enceinte, promenée elle aussi à travers Rome et dans Saint-Pierre dans une petite barque…


46. (…) « Le monde souffre de la transformation des pieds en caoutchouc, des jambes en cuir, du corps en tissu et de la tête en acier […] Le monde souffre de la transformation de la bêche en fusil, de la charrue en char de guerre, de l’image du semeur qui sème en celle de l’automate avec son lance-flammes, dont le semis germe en désert. Seule la poésie, grâce à l’humilité de sa voix, pourra sauver ce monde ».

Ah, l’état de nature ! Ces images, quand on y réfléchit, sont fondamentalement anti-humaines en ce sens qu’elles prônent un homme « membre » de la nature. En célébrant cette poésie qui sauvera le monde, ce paragraphe ferme clairement la porte au seul Sauveur et Rédempteur.


51. Pour sauvegarder l’Amazonie, il est bon de conjuguer les savoirs ancestraux avec les connaissances techniques contemporaines, mais toujours en cherchant à intervenir sur le terrain de manière durable, en préservant en même temps le style de vie et les systèmes de valeurs des habitants. À eux, et de manière spéciale aux peuples autochtones, il revient de recevoir – en plus de la formation de base – une information complète et transparente sur les projets, leur étendue, leurs effets et risques, afin de pouvoir confronter cette information avec leurs intérêts et leur connaissance des lieux, et ainsi donner ou non leur consentement, ou bien proposer des alternatives.

Toujours cette vision des « peuples premiers », et une question à laquelle nous ne trouvons pas ici de réponse : dans les différents pays qui forment la zone pan-amazonienne, qui se chargera de mettre en œuvre ce nouveau droit ? Au nom de quelle loi locale ou internationale ?


55.  Apprenant des peuples autochtones, nous pouvons contempler l’Amazonie, et pas seulement l’étudier, pour reconnaître ce mystère qui nous dépasse. Nous pouvons l’aimer, et pas seulement l’utiliser, pour que l’amour réveille un intérêt profond et sincère. Qui plus est, nous pouvons nous sentir intimement unis à elle, et pas seulement la défendre, et alors l’Amazonie deviendra pour nous comme une mère. Car « le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres ».

Cette citation de Laudato sí’ indique que tous les catholiques et tous les gens de bonne volonté à qui s’adresse l’Exhortation doivent considérer l’Amazonie comme une mère. Très peu pour moi.


57. Jésus disait : « Ne vend-on pas cinq passereaux pour deux sous ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant Dieu » (Lc 12, 6). Dieu le Père, qui a créé chaque être de l’univers avec un amour infini, nous appelle à être ses instruments pour écouter le cri de l’Amazonie. Si nous nous rendons présents à cette clameur déchirante, il sera manifeste que les créatures de l’Amazonie n’ont pas été oubliées par le Père du ciel. Pour les chrétiens, Jésus lui-même nous interpelle à partir d’elles « parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse ».C’est pourquoi les croyants trouvent dans l’Amazonie un lieu théologique, un espace où Dieu lui-même se montre et appelle ses enfants.

Encore une citation de Laudato sí’. Et un nouveau « lieu théologique » (ainsi furent aussi désignés les jeunes lors du synode sur la jeunesse, c’est-à-dire « un lieu de l’on pense la foi », source qui vient se surajouter à l’écriture sainte et à la tradition. Mais si l’Amazonie est « lieu théologique »,  pourquoi pas les Alpes, le Sahara ou le champ du voisin ?


Rêve ecclésial


62. Face à tant de besoins et d’angoisses qui crient du cœur de l’Amazonie, nous pouvons répondre par des organisations sociales, des ressources techniques, des espaces de discussion, des programmes politiques, et tout cela peut faire partie de la solution. Mais nous ne renonçons pas, en tant que chrétiens, à la proposition de la foi que nous recevons de l’Évangile. Même si nous voulons lutter avec tous, coude à coude, nous n’avons pas honte de Jésus-Christ. Pour ceux qui l’ont rencontré, vivent dans son amitié et s’identifient à son message, il est impossible de ne pas parler de lui et de proposer aux autres sa proposition de vie nouvelle : « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1Co 9, 16).

Au moins, c’est dit. Mais il y a de la part d’un pape une approche inversée. Nous savons qu’il faut d’abord chercher le royaume, et que le reste sera donné par surcroît.


66. L’Église, alors même qu’elle annonce encore et encore le kérygme, doit se développer en Amazonie. Pour cela elle reconfigure toujours sa propre identité par l’écoute et le dialogue avec les personnes, les réalités et les histoires de leur terre. De cette façon, pourra se développer de plus en plus un processus nécessaire d’inculturation qui ne déprécie rien de ce qu’il y a de bon dans les cultures amazoniennes, mais qui le recueille et le porte à sa plénitude à la lumière de l’Évangile. [Gaudium et Spes] Il ne dépréciera pas non plus la richesse de la sagesse chrétienne transmise pendant des siècles, comme si l’on prétendait ignorer l’histoire dans laquelle Dieu a œuvré de multiples manières, car l’Église a un visage multiforme « non seulement dans une perspective spatiale […] mais aussi dans sa réalité temporelle ». Il s’agit de l’authentique Tradition de l’Église qui n’est pas un dépôt statique ni une pièce de musée, mais la racine d’un arbre qui grandit. C’est la tradition millénaire qui témoigne de l’action de Dieu dans son Peuple et qui « a la mission d’entretenir vivant le feu plus que de conserver les cendres ».

Un aparté : La version anglaise de l’exhortation donne la citation correcte telle qu’attribuée à Gustave Mahler : « Tradition ist nicht die Anbetung der Asche, sondern die Weitergabe des Feuers. » La tradition n’est pas l’adoration des cendres, mais la tranmission de la flamme.

Pour le reste, ce paragraphe fait partie de ceux qui pourront être interprétés assez librement. N’oublions pas que le document final suggéré d’autoriser l’entrée de la médecine indigène dans les établissements de santé catholiques, y compris au travers de ses rituels païens.

 
71.       Dans ce contexte, les peuples autochtones amazoniens expriment la qualité authentique de la vie comme un “bien-vivre” qui implique une harmonie personnelle, familiale, communautaire et cosmique, et qui s’exprime dans leur manière communautaire de concevoir l’existence, dans la capacité de trouver la joie et la plénitude au milieu d’une vie austère et simple, comme dans la protection responsable de la nature qui préserve les ressources pour les futures générations. Les peuples aborigènes pourraient nous aider à percevoir ce qu’est une heureuse sobriété et, dans ce sens, « ils ont beaucoup à nous enseigner ». [Evangelii Gaudium] Ils savent être heureux avec peu, ils jouissent des petits dons de Dieu sans accumuler beaucoup de choses, ils ne détruisent pas sans nécessité, ils prennent soin des écosystèmes et reconnaissent que la terre, en même temps qu’elle est offerte pour soutenir leur vie comme une source généreuse, a un sens maternel qui éveille à une tendresse respectueuse. Tout cela doit être valorisé et repris dans l’évangélisation.

Revoilà l’harmonie cosmique. on notera que la deuxième citation est tirée du Rapport sur la foi de Vittorio Messori et de Joseph Ratzinger. tout cela n’est pas absolument nouveau même si aujourd’hui on va bien plus loin.


73  Mais l’inculturation élève et apporte plénitude. Certainement, il faut valoriser cette mystique autochtone de l’interconnexion et de l’interdépendance de toute la création, une mystique de gratuité qui aime la vie comme un don, une mystique d’admiration sacrée devant la nature qui déborde de tant de vie. Cependant, il s’agit aussi de faire en sorte que cette relation avec Dieu présent dans le cosmos se transforme toujours plus en une relation personnelle avec un Tu qui soutient sa réalité et qui veut lui donner un sens, un Tu qui nous connaît et qui nous aime :

« Mon ombre flotte, au milieu des bois morts.
Mais l’étoile est née sans reproche
sur les mains de cet enfant, expertes,
qui conquièrent les eaux et la nuit.
Il doit me suffire de savoir
que tu me connais
tout entier, bien avant ma naissance ».


Beaucoup d’ambiguïté dans ce paragraphe qui flirte avec le panthéisme tout en s’en défendant. Le poème est de Pedro Casaldeliga, évêque d’origine espagnole souvent en délicatesse avec le Vatican pour cause d’esprit de « subversion », réduit au silence médiatique pour cause de militantisme politique. Ce théologien de la libération est notamment connu pour avoir fait la promotion de l’anneau noir « tucum » associée à l’adhésion à cette théologie ; on l’a vu partout lors du synode sur l’Amazonie.


74. De même, la relation avec Jésus-Christ, Dieu et vrai homme, libérateur et rédempteur, n’est pas contraire à cette vision du monde fortement cosmique qui caractérise ces peuples, parce qu’il est aussi le Ressuscité qui pénètre toute chose.[105] Pour l’expérience chrétienne, « toutes les créatures de l’univers matériel trouvent leur vrai sens dans le Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu a intégré dans sa personne une partie de l’univers matériel, où il a introduit un germe de transformation définitive ».[106] Il est glorieux et mystérieusement présent dans le fleuve, dans les arbres, dans les poissons, dans le vent, comme le Seigneur qui règne dans la création sans perdre ses plaies transfigurées, et dans l’Eucharistie il assume les éléments du monde en donnant à chacun le sens du don pascal.


Toujours ce panthéisme latent. L’exhortation fait appel à Saint Thomas d’Aquin pour justifier ces dires, encore dans une note de bas de page : « Saint Thomas d’Aquin l’explique de cette manière : “La triple manière dont Dieu est dans les choses : l’une est commune, par essence, présence et puissance ; une autre par la grâce dans ses saints, la troisième, singulière dans le Christ, par l’union » (Ad Colossenses, c. II, I. 2).”  Ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

 
78. Un processus d’inculturation, qui implique des chemins non seulement individuels mais aussi populaires, exige un amour du peuple plein de respect et de compréhension. Dans une bonne partie de l’Amazonie, ce processus a déjà été initié. Il y a plus de quarante ans, les évêques de l’Amazonie du Pérou soulignaient que, dans bon nombre de groupes présents dans cette région, « le sujet évangélisateur, modelé par une culture multiple et changeante, est initialement évangélisé », il possède « certains traits du catholicisme populaire qui, bien que peut-être promus à l’origine par des agents pastoraux, sont actuellement une réalité que les gens ont fait leur, et même en ont changé la signification et les ont transmis de génération en génération ». Ne nous précipitons pas pour qualifier de superstition ou de paganisme certaines expressions religieuses qui surgissent spontanément de la vie des peuples. Il faut plutôt savoir reconnaître le blé qui grandit au milieu de l’ivraie, parce que « dans la piété populaire, on peut comprendre comment la foi reçue s’est incarnée dans une culture et continue à se transmettre ».

On devine ici une réponse à la dénonciation des épisodes de la Pachamama à Rome. Le sens du paganisme est proprement d’adorer de faux dieux, par l’idolâtrie de choses créées alors que seul le créateur est digne d’adoration. Ici, c’est un peuple déjà évangélisé qui est montré comme ayant intégré des éléments de sa culture et de sa fausse religion, et il est demandé de ne pas qualifier cela « de superstition ou de paganisme » pour la simple raison que c’est une expression de foi populaire. Fausse, mais issue du peuple, et par conséquent à respecter.

79. Il est possible de recueillir d’une certaine manière un symbole autochtone sans le qualifier nécessairement d’idolâtrie. Un mythe chargé de sens spirituel peut être utilisé et pas toujours être considéré comme une erreur païenne. Certaines fêtes religieuses contiennent une signification sacrée et sont des espaces de rencontre et de fraternité, bien qu’un lent processus de purification ou de maturation soit requis. Un missionnaire zélé essaie de trouver quelles aspirations légitimes cherchent une voie dans des manifestations religieuses parfois imparfaites, partielles ou équivoques, et veut répondre à partir d’une spiritualité inculturée.

La réponse aux dénonciateurs de la Pachamama continue…  Il faudrait préciser que s’il est vrai que la religion catholique ne rejette pas les bonnes coutumes des peuples évangélisés, elle n’a jamais christianisé les amulettes, les grigris et autres statuettes à consonance religieuse, mettant au contraire toujours sévèrement en garde contre la superstition qui détourne de Dieu.


81. L’inculturation de la spiritualité chrétienne dans les cultures des peuples autochtones trouve, dans les sacrements, un chemin d’une valeur particulière parce que le divin et le cosmique, la grâce et la création s’unissent en eux. En Amazonie, ils ne devraient pas être interprétés comme séparés de la création. Ils « sont un mode privilégié de la manière dont la nature est assumée par Dieu et devient médiation de la vie surnaturelle ». Ils sont un accomplissement de la création où la nature est élevée pour qu’elle soit le lieu et l’instrument de la grâce afin d’« embrasser le monde à un niveau différent ».

J’avoue ne pas comprendre très bien ce jargon. que veut dire : « En Amazonie, il ne devrait pas être interprété comme séparer de la création » ? Les sacrements sont-ils différents en Amazonie ?


82. Dans l’Eucharistie, Dieu « au sommet du mystère de l’Incarnation, a voulu rejoindre notre intimité à travers un fragment de matière. […] [Elle] unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la création ». C’est pourquoi elle peut être une « motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement, et elle nous invite à être gardiens de toute la création ». Ainsi, « nous ne nous évadons pas du monde, et nous ne nions pas la nature quand nous voulons rencontrer Dieu ». Cela nous permet de retrouver dans la liturgie beaucoup d’éléments propres de l’expérience des indigènes dans leur contact intime avec la nature et de favoriser des expressions autochtones en chants, danses, rites, gestes et symboles. Déjà le Concile Vatican II avait demandé cet effort d’inculturation de la liturgie chez les peuples autochtones, mais plus de cinquante ans se sont écoulés et nous avons fait peu de progrès dans cette ligne.

Voilà donc le rite amazonien, évoqué ici par une note de bas de page. Chants, danses, rites, gestes et symboles devrait donc s’inspirer de la « culture » autochtone amazonienne. Ce qui veut dire en clair : des rituels religieux, sinon cela n’a pas de sens. On notera que le pape François invoque le concile Vatican II qu’il veut amener à son aboutissement, et qu’il semble regretter ces «  peu de progrès ».


86. Il faudra veiller à ce que la ministérialité se configure de telle manière qu’elle soit au service d’une plus grande fréquence de la célébration de l’Eucharistie, même dans les communautés les plus éloignées et cachées. Aparecida a invité à écouter la plainte de nombreuses communautés de l’Amazonie « privées de l’Eucharistie dominicale durant de longues périodes ». Mais en même temps, il faut des ministres qui puissent comprendre de l’intérieur la sensibilité et les cultures amazoniennes.

Comment arriver à cette plus grande fréquence ? Comment avoir des ministres qui comprennent la sensibilité et les cultures amazoniennes de l’intérieur, sinon en ordonnant massivement des indigènes ? L’exhortation ne va pas jusqu’à répondre à ces questions.


87.  La manière de configurer la vie et l’exercice du ministère des prêtres n’est pas monolithique, et acquiert diverses nuances en différents lieux de la terre. C’est pourquoi il est important de déterminer ce qui est spécifique au prêtre, ce qui ne peut pas être délégué. La réponse se trouve dans le sacrement de l’Ordre sacré qui le configure au Christ prêtre. Et la première conclusion est que ce caractère exclusif reçu dans l’Ordre le rend capable, seulement lui, de présider l’Eucharistie. C’est sa fonction spécifique principale et qui ne peut être déléguée. Certains pensent que ce qui distingue le prêtre est le pouvoir, le fait d’être l’autorité suprême de la communauté. Mais saint Jean-Paul II a expliqué que, même si le sacerdoce est considéré comme “hiérarchique”, cette fonction n’équivaut pas à le mettre au-dessus des autres, mais l’ordonne « totalement à la sainteté des membres du Christ ». Lorsqu’on affirme que le prêtre est signe du “Christ tête”, le sens principal est que le Christ est la source de la grâce : il est la tête de l’Église « parce qu’il peut communiquer la grâce à tous les membres de l’Église ».

Ou pour résumer : il faut être ordonné et donc configuré au Christ pour pouvoir célébrer la messe et consacrer.  Ce que semble-t-il personne mettait en doute. En fait, dans les paragraphes qui traitent de la question du manque de prêtres en Amazonie, on pourrait résumer la réponse du pape en quelques mots : un laïc ne peut pas être prêtre. C’est bien de le rappeler mais en réalité, la question du célibat sacerdotal n’est  pas explicitement évoqué.

Il me semble au contraire que la porte est laissée ouverte par cette phrase sibylline : « La manière de configurer la vie et l’exercice du ministère des prêtres n’est pas monolithique, et acquiert diverses nuances en différents lieux de la terre. » Porte ouverte à des exceptions certes, mais porte ouverte quand même. car s’il est vrai que l’homme marié est un laïc, il n’est pas de prêtre qui n’ait été d’abord laïc.

90.  Cette nécessité urgente m’amène à exhorter tous les évêques, en particulier ceux de l’Amérique Latine, non seulement à promouvoir la prière pour les vocations sacerdotales, mais aussi à être plus généreux en orientant ceux qui montrent une vocation missionnaire à choisir l’Amazonie. En même temps, il convient de réviser complètement la structure et le contenu tant de la formation initiale que de la formation permanente des prêtres, afin qu’ils acquièrent les attitudes et les capacités que requiert le dialogue avec les cultures amazoniennes. Cette formation doit être éminemment pastorale et favoriser le développement de la miséricorde sacerdotale.

Quel sera le contenu de cette formation initiale et de cette formation permanente : voilà encore un champ libre pour l’expérimentation. Avec l’insistance sur la pastorale et la miséricorde sacerdotale, on retrouve des relents d’Amoris laetitia, au demeurant citée un peu plus haut dans le paragraphe 84 : « Dans les situations difficiles que vivent les personnes qui sont le plus dans le besoin, l’Église doit surtout avoir à cœur de les comprendre, de les consoler, de les intégrer, en évitant de leur imposer une série de normes, comme si celles-ci étaient un roc, avec pour effet qu’elles se sentent jugées et abandonnées précisément par cette Mère qui est appelée à les entourer de la miséricorde de Dieu. »


94. Une Église aux visages amazoniens requiert la présence stable de responsables laïcs adultes et dotés d’autorité qui connaissent les langues, les cultures, l’expérience spirituelle et la manière de vivre en communauté de chaque lieu et qui laissent en même temps un espace à la multiplicité des dons que l’Esprit Saint sème en tous. Car là où il y a des besoins particuliers, l’Esprit a déjà répandu les charismes qui permettent de leur donner une réponse. Cela demande à l’Église une capacité d’ouvrir des chemins à l’audace de l’Esprit, pour faire confiance et pour permettre de façon concrète le développement d’une culture ecclésiale propre, nettement laïque. Les défis de l’Amazonie exigent de l’Église un effort particulier pour assurer une présence capillaire qui est possible seulement avec un rôle important des laïcs.

Une culture ecclésiale nettement laïque (mots en italique dans le texte original) : voilà qui laisse aussi rêveur. Certes des laïcs ont souvent su transmettre la flamme de la foi dans des zones dépourvues de prêtres, mais c’est toujours en s’appuyant solidement sur la Révélation et sur au moins le souvenir de la pratique sacramentelle de l’Eglise, et non en cherchant à adapter le message.


96.  Les communautés de base, quand elles ont su intégrer la défense des droits sociaux à l’annonce missionnaire et à la spiritualité, ont été de vraies expériences de synodalité dans le cheminement d’évangélisation de l’Église en Amazonie. Elles ont souvent « aidé à former des chrétiens engagés dans la foi, disciples et missionnaires du Seigneur, comme en témoigne le don généreux, jusqu’au sang versé, de tant de leurs membres ».

Rappelons que les communautés de base sont issues de la théologie de la libération.


97. J’encourage l’approfondissement du travail commun qui se réalise à travers le REPAM et d’autres associations, avec l’objectif de renforcer ce que demandait Aparecida : « Établir entre les Églises locales des divers pays sud-américains qui sont dans le bassin de l’Amazonie une pastorale d’ensemble aux priorités différenciées ».[138] Cela vaut particulièrement pour les relations entre les Églises limitrophes.

REPAM est à l’œuvre depuis 2014 pour promouvoir les idées les plus progressistes et la promotion de la spiritualité indienne.


100. Cela nous invite à élargir le champ de vision pour éviter de réduire notre compréhension de l’Église à des structures fonctionnelles. Ce réductionnisme nous conduirait à penser qu’on n’accorderait aux femmes un statut et une plus grande participation dans l’Église seulement si on leur donnait accès à l’Ordre sacré. Mais cette vision, en réalité, limiterait les perspectives, nous conduirait à cléricaliser les femmes, diminuerait la grande valeur de ce qu’elles ont déjà donné et provoquerait un subtil appauvrissement de leur apport indispensable.

En effet. Si le cléricalisme est l’ennemi, pourquoi ajouter des clercs aux clercs ! Le paragraphe suivant dit plus clairement que le rôle du prêtre est configuré à Jésus en tant qu’homme.


103.     Dans une Église synodale, les femmes qui jouent un rôle central dans les communautés amazoniennes devraient pouvoir accéder à des fonctions, y compris des services ecclésiaux, qui ne requièrent pas l’Ordre sacré et qui permettent de mieux exprimer leur place. Il convient de rappeler que ces services impliquent une stabilité, une reconnaissance publique et l’envoi par l’évêque. Cela donne lieu aussi à ce que les femmes aient un impact réel et effectif dans l’organisation, dans les décisions les plus importantes et dans la conduite des communautés, mais sans cesser de le faire avec le style propre de leur empreinte féminine.

Quels sont les services ecclésiaux qui ne requièrent pas l’ordre sacré ? Baptiser, par exemple. N’importe quel laïc peut le faire en cas de besoin,  avec ou sans reconnaissance publique. Avec un « envoi » épiscopal, il y a tout de même un petit risque de confusion des genres. Mais enfin réjouissons-nous : unité de la femme diacre est bien rejetée.


107. Nous, les catholiques, nous avons un trésor dans les Saintes Ecritures que d’autres religions n’acceptent pas, même si elles sont parfois capables de les lire avec intérêt et même de valoriser certaines parties de leur contenu. Nous essayons de faire quelque chose de semblable devant les textes sacrés des autres religions et communautés religieuses où l’on trouve « ces règles et ces doctrines qui, […] reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ».[144] Nous avons aussi une grande richesse dans les sept sacrements que certaines communautés chrétiennes n’acceptent pas dans leur totalité ou de manière identique. En même temps que nous croyons fermement en Jésus comme unique Rédempteur du monde, nous cultivons une profonde dévotion envers sa Mère. Bien que nous sachions que cela n’existe pas dans toutes les confessions chrétiennes, nous avons le devoir de communiquer à l’Amazonie la richesse de cet ardent amour maternel dont nous sommes les dépositaires. Et je finirai cette Exhortation par quelques mots à l’intention de Marie.


On est un peu étonné de cette manière de presque s’excuser : « Bien que nous sachions que cela n’existe pas dans toutes les confessions chrétiennes, nous avons le devoir de communiquer… »

 
111.     Après avoir partagé quelques rêves, j’encourage chacun à s’engager sur des chemins concrets qui permettront de transformer la réalité de l’Amazonie et de la libérer des maux qui l’affectent. À présent, levons les yeux vers Marie. La Mère que le Christ nous a laissée est l’unique Mère de tous, mais se manifeste en Amazonie de différentes manières. Nous savons que « les autochtones rencontrent vitalement Jésus-Christ par différentes voies ; mais la voie mariale a le plus contribué à cette rencontre ». Devant la merveille de l’Amazonie que nous avons découverte de mieux en mieux dans la préparation et le déroulement du Synode, je crois qu’il est préférable de conclure cette Exhortation en nous adressant à elle :

Mère de la vie,
dans ton sein maternel s’est formé Jésus,
qui est le Seigneur de tout ce qui existe.
Ressuscité, il t’a transformée par sa lumière
et t’a faite reine de toute la création.
C’est pourquoi nous te demandons de régner, Marie,
dans le cœur palpitant de l’Amazonie.
Montre-toi comme mère de toutes les créatures,
dans la beauté des fleurs, des rivières,
du grand fleuve qui la traverse
et de tout ce qui vibre dans ses forêts.
Prends soin avec tendresse de cette explosion de splendeur.
Demande à Jésus de répandre son amour
sur les hommes et les femmes qui y vivent,
pour qu’ils sachent l’admirer et prendre soin d’elle.
Fais naître ton Fils dans leurs cœurs
pour qu’il resplendisse en Amazonie,
dans ses peuples et ses cultures,
par la lumière de sa Parole, par le réconfort de son amour,
par son message de fraternité et de justice.
Que dans chaque Eucharistie
s’élève aussi une telle merveille
pour la gloire du Père.
Mère, regarde les pauvres de l’Amazonie,
parce que leur maison est en cours de destruction
pour des intérêts mesquins.
Que de douleur et que de misère,
que d’abandon et que de violations
en cette terre bénie,
débordante de vie !
Touche la sensibilité des puissants
parce que, même si nous sentons qu’il est tard,
tu nous appelles à sauver
ce qui vit encore.
Mère au cœur transpercé,
toi qui souffres dans tes enfants abusés
et dans la nature blessée,
règne toi-même en Amazonie
avec ton Fils.
Règne pour que personne ne se sente plus jamais maître
de l’œuvre de Dieu.
Nous nous confions à toi, Mère de la vie,
ne nous abandonne pas
en cette heure sombre.
Amen.


Même dans cette prière il y a un panthéisme pas si subtil où il est demandé à Marie de se montrer comme mère dans les fleurs et dans le fleuve pour régner non sur les cœurs, mais « dans le cœur palpitant de l’Amazonie ».

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