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Le 11 octobre 2012: 50ème anniversaire du Concile Vatican II

publié dans regards sur le monde le 9 octobre 2012


Le 11 octobre 2012
Ouverture de l’année de la foi
dans le

50ème anniversaire du Concile Vatican II

DOSSIER

Nous profitons de cet anniversaire pour (re)donner les grands textes sur ce sujet :

– A- le texte fondamental de Benoît XVI prononcé devant la Curie romaine, le 22 décembre 2005: « sur la juste réception et interprétation du Concile Vatican II » (extrait)

– B- Une interprétation de M l’abbé Celier présentée dans « la lettre à nos amis prêtres » dont il est aujourd’hui le directeur, jugeant une interprétation de Mgr Pozzo dans une conférence aux prêtres de la FSSP, en 2010°.

– C- Déclaration de Mgr Lefebvre et de Mgr Antonio de Catro Mayer, du 2décembre 1986 faisant suite à la visite de Jean-Paul II à la Synagogue et au congrès des religions à Assise ;

– D- La déclaration de Mgr Lefebvre du 21 novembre 1974 ;

– E- Un évêque demande un Syllabus sur le Concile Vatican II

– F- Un article important de Jean Madiran dans Présent intitulé : « Le colloque des Franciscains de l’Immaculée ;

 G- Supplique au pape Benoît XVI pour un examen approfondi du concile œcuménique Vatican II

– H- Une proposition audacieuse pour les 50 ans de Vatican II

– I- de la valeur magistérielle du concile Vatican II
Abbé Jean-Michel Gleize –

– J- Jean XXIII: discours d’ouverture du Concile Vatican II

– K- Discours de Paul VI lors de la clôture du Concile Vatican II

A- Extrait du discours de notre Saint-Père le Pape Benoît XVI
adressé à la Curie romaine le 22 décembre 2005 :

« (…) Quel a été le résultat du Concile? A-t-il été accueilli de la juste façon? Dans l’accueil du Concile, qu’est-ce qui a été positif, insuffisant ou erroné? Que reste-t-il encore à accomplir?
Personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Eglise, la réception du Concile s’est déroulée de manière plutôt difficile, même sans vouloir appliquer à ce qui s’est passé en ces années la description que le grand Docteur de l’Eglise, saint Basile, fait de la situation de l’Eglise après le Concile de Nicée : il la compare à une bataille navale dans l’obscurité de la tempête, disant entre autres : « Le cri rauque de ceux qui, en raison de la discorde, se dressent les uns contre les autres, les bavardages incompréhensibles, le bruit confus des clameurs ininterrompues a désormais rempli presque toute l’Eglise en faussant, par excès ou par défaut, la juste doctrine de la foi… » (De Spiritu Sancto, XXX, 77; PG 32, 213 A; SCh 17bis, p. 524).
Nous ne voulons pas précisément appliquer cette description dramatique à la situation de l’après-Concile, mais quelque chose de ce qui s’est produit s’y reflète toutefois. La question suivante apparaît : pourquoi l’accueil du Concile, dans de grandes parties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à présent déroulé de manière aussi difficile? Eh bien, tout dépend de la juste interprétation du Concile ou – comme nous le dirions aujourd’hui – de sa juste herméneutique, de la juste clef de lecture et d’application.
Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit.
L’une a causé de la confusion, l’autre, silencieusement mais de manière toujours plus visible, a porté et porte des fruits. D’un côté, il existe une interprétation que je voudrais appeler « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » ; celle-ci a souvent pu compter sur la sympathie des mass media, et également d’une partie de la théologie moderne.
D’autre part, il y a l’« herméneutique de la réforme », du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Eglise, que le Seigneur nous a donné ; c’est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche.
L’herméneutique de la discontinuité risque de finir par une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire. Celle-ci affirme que les textes du Concile comme tels ne seraient pas encore la véritable expression de l’esprit du Concile. Ils seraient le résultat de compromis dans lesquels, pour atteindre l’unanimité, on a dû encore emporter avec soi et reconfirmer beaucoup de vieilles choses désormais inutiles. Ce n’est cependant pas dans ces compromis que se révélerait le véritable esprit du Concile, mais en revanche dans les élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes : seuls ceux-ci représenteraient le véritable esprit du Concile, et c’est à partir d’eux et conformément à eux qu’il faudrait aller de l’avant. Précisément parce que les textes ne refléteraient que de manière imparfaite le véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait nécessaire d’aller courageusement au-delà des textes, en laissant place à la nouveauté dans laquelle s’exprimerait l’intention la plus profonde, bien qu’encore indistincte, du Concile. En un mot : il faudrait non pas suivre les textes du Concile, mais son esprit. De cette manière, évidemment, il est laissé une grande marge à la façon dont on peut alors définir cet esprit et on ouvre ainsi la porte à toutes les fantaisies.
Mais on se méprend sur la nature d’un Concile en tant que tel. Il est alors considéré comme une sorte de Constituante, qui élimine une vieille constitution et en crée une nouvelle. Mais la Constitution a besoin d’un promoteur, puis d’une confirmation de la part du promoteur, c’est-à-dire du peuple auquel la constitution doit servir.
Les Pères n’avaient pas un tel mandat et personne ne le leur avait jamais donné ; personne, du reste, ne pouvait le donner, car la constitution essentielle de l’Eglise vient du Seigneur et nous a été donnée afin que nous puissions parvenir à la vie éternelle et, en partant de cette perspective, nous sommes en mesure d’illuminer également la vie dans le temps et le temps lui-même. Les Evêques, à travers le Sacrement qu’ils ont reçu, sont les dépositaires du don du Seigneur. Ce sont « les administrateurs des mystères de Dieu » (1 Cor. IV, 1) ; comme tels ils doivent se présenter comme « fidèles et sages » (cf. Luc. XII, 41-48). Cela signifie qu’ils doivent administrer le don du Seigneur de manière juste, afin qu’il ne demeure pas dans un lieu caché, mais porte des fruits et que le Seigneur, à la fin, puisse dire à l’administrateur : « En peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai » (cf. Matth. XXV, 14-30; Luc. XIX, 11-27). Dans ces paraboles évangéliques s’exprime le dynamisme de la fidélité, qui est importante dans le service rendu au Seigneur, et dans celles-ci apparaît également de manière évidente comment, dans un Concile, le dynamisme et la fidélité doivent devenir une seule chose.
A l’herméneutique de la discontinuité s’oppose l’herméneutique de la réforme comme l’ont présentée tout d’abord le Pape Jean XXIII, dans son discours d’ouverture du Concile le 11 octobre 1962, puis le Pape Paul VI, dans son discours de conclusion du 7 décembre 1965. Je ne citerai ici que les célèbres paroles de Jean XXIII, dans lesquelles cette herméneutique est exprimée sans équivoque, lorsqu’il dit que le Concile « veut transmettre la doctrine de façon pure et intègre, sans atténuation ni déformation » et il poursuit : « Notre devoir ne consiste pas seulement à conserver ce trésor précieux, comme si nous nous préoccupions uniquement de l’antiquité, mais de nous consacrer avec une ferme volonté et sans peur à cette tâche, que notre époque exige… Il est nécessaire que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit approfondie et présentée d’une façon qui corresponde aux exigences de notre temps. En effet, il faut faire une distinction entre le dépôt de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérée doctrine, et la façon dont celles-ci sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée » (S. Oec. Conc. Vat. II Constitutiones Decreta Declarationes, 1974, pp. 863-865).
Il est clair que cet engagement en vue d’exprimer de façon nouvelle une vérité déterminée exige une nouvelle réflexion sur celle-ci et un nouveau rapport vital avec elle ; il est également clair que la nouvelle parole ne peut mûrir que si elle naît d’une compréhension consciente de la vérité exprimée et que, d’autre part, la réflexion sur la foi exige également que l’on vive cette foi.
Dans ce sens, le programme proposé par le Pape Jean XXIII était extrêmement exigeant, comme l’est précisément la synthèse de fidélité et de dynamisme. Mais partout, cette interprétation a représenté l’orientation qui a guidé la réception du Concile, une nouvelle vie s’est développée et des fruits nouveaux ont mûri. Quarante ans après le Concile, nous pouvons révéler que l’aspect positif est plus grand et plus vivant que ce qu’il pouvait apparaître dans l’agitation des années qui ont suivi 1968. Aujourd’hui, nous voyons que la bonne semence, même si elle se développe lentement, croît toutefois et que croît également notre profonde gratitude pour l’oeuvre accomplie par le Concile.
Paul VI, dans son discours lors de la clôture du Concile, a ensuite indiqué une autre motivation spécifique pour laquelle une herméneutique de la discontinuité pourrait sembler convaincante.
Dans le grand débat sur l’homme, qui caractérise le temps moderne, le Concile devait se consacrer en particulier au thème de l’anthropologie. Il devait s’interroger sur le rapport entre l’Eglise et sa foi, d’une part, et l’homme et le monde d’aujourd’hui, d’autre part (ibid. pp. 1066, sq). La question devient encore plus claire, si, au lieu du terme générique de « monde d’aujourd’hui », nous en choisissons un autre plus précis : le Concile devait définir de façon nouvelle le rapport entre l’Eglise et l’époque moderne. Ce rapport avait déjà connu un début très problématique avec le procès fait à Galilée. Il s’était ensuite totalement rompu lorsque Kant définit la « religion dans les limites de la raison pure » et lorsque, dans la phase radicale de la Révolution française, se répandit une image de l’Etat et de l’homme qui ne voulait pratiquement plus accorder aucun espace à l’Eglise et à la foi. L’opposition de la foi de l’Eglise avec un libéralisme radical, ainsi qu’avec des sciences naturelles qui prétendaient embrasser à travers leurs connaissances toute la réalité jusque dans ses limites, dans l’intention bien déterminée de rendre superflue « l’hypothèse de Dieu », avait provoqué de la part de l’Eglise, au XIXième siècle, sous Pie IX, des condamnations sévères et radicales de cet esprit de l’époque moderne.
Apparemment, il n’existait donc plus aucun espace possible pour une entente positive et fructueuse, et les refus de la part de ceux qui se sentaient les représentants de l’époque moderne étaient également énergiques.
Entre temps, toutefois, l’époque moderne avait elle aussi connu des développements. On se rendait compte que la révolution américaine avait offert un modèle d’Etat moderne différent de celui théorisé par les tendances radicales apparues dans la seconde phase de la Révolution française. Les sciences naturelles commençaient, de façon toujours plus claire, à réfléchir sur leurs limites, imposées par leur méthode elle-même, qui, tout en réalisant des choses grandioses, n’était toutefois pas en mesure de comprendre la globalité de la réalité. Ainsi, les deux parties commençaient progressivement à s’ouvrir l’une à l’autre. Dans la période entre les deux guerres mondiales et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, des hommes d’Etat catholiques avaient démontré qu’il peut exister un Etat moderne laïc, qui toutefois, n’est pas neutre en ce qui concerne les valeurs, mais qui vit en puisant aux grandes sources éthiques ouvertes par le christianisme. La doctrine sociale catholique, qui se développait peu à peu, était devenue un modèle important entre le libéralisme radical et la théorie marxiste de l’Etat. Les sciences naturelles, qui professaient sans réserve une méthode propre dans laquelle Dieu n’avait pas sa place, se rendaient compte toujours plus clairement que cette méthode ne comprenait pas la totalité de la réalité et ouvraient donc à nouveau les portes à Dieu, conscientes que la réalité est plus grande que la méthode naturaliste, et que ce qu’elle peut embrasser.
On peut dire que s’étaient formés trois cercles de questions qui, à présent, à l’heure du Concile Vatican II, attendaient une réponse.
Tout d’abord, il fallait définir de façon nouvelle la relation entre foi et sciences modernes ; cela concernait d’ailleurs, non seulement les sciences naturelles, mais également les sciences historiques, car, selon une certaine école, la méthode historique-critique réclamait le dernier mot sur l’interprétation de la Bible, et, prétendant l’exclusivité totale de sa propre compréhension des Ecritures Saintes, s’opposait sur des points importants à l’interprétation que la foi de l’Eglise avait élaborée.
En second lieu, il fallait définir de façon nouvelle le rapport entre Eglise et Etat moderne, qui accordait une place aux citoyens de diverses religions et idéologies, se comportant envers ces religions de façon impartiale et assumant simplement la responsabilité d’une coexistence ordonnée et tolérante entre les citoyens et de leur liberté d’exercer leur religion.
Cela était lié, en troisième lieu, de façon plus générale au problème de la tolérance religieuse – une question qui exigeait une nouvelle définition du rapport entre foi chrétienne et religions du monde. En particulier, face aux récents crimes du régime national socialiste, et plus généralement, dans le cadre d’un regard rétrospectif sur une longue histoire difficile, il fallait évaluer et définir de façon nouvelle le rapport entre l’Eglise et la foi d’Israël.
Il s’agit là de thèmes de grande portée – ce furent les thèmes de la seconde partie du Concile – sur lesquels il n’est pas possible de s’arrêter plus amplement dans ce contexte. Il est clair que dans tous ces secteurs, dont l’ensemble forme une unique question, pouvait ressortir une certaine forme de discontinuité et que, dans un certain sens, s’était effectivement manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois établies les diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n’était pas abandonnée – un fait qui peut échapper facilement au premier abord.
C’est précisément dans cet ensemble de continuité et de discontinuité à divers niveaux que consiste la nature de la véritable réforme. Dans ce processus de nouveauté dans la continuité, nous devions apprendre à comprendre plus concrètement qu’auparavant que les décisions de l’Eglise en ce qui concerne les faits contingents – par exemple, certaines formes concrètes de libéralisme ou d’interprétation libérale de la Bible – devaient nécessairement être elles-mêmes contingentes, précisément parce qu’elles se référaient à une réalité déterminée et en soi changeante. Il fallait apprendre à reconnaître que, dans de telles décisions, seuls les principes expriment l’aspect durable, demeurant en arrière-plan et en motivant la décision de l’intérieur. En revanche les formes concrètes ne sont pas aussi permanentes, elles dépendent de la situation historique et peuvent donc être soumises à des changements. Ainsi, les décisions de fond peuvent demeurer valables, tandis que les formes de leur application dans des contextes nouveaux peuvent varier.
Ainsi, par exemple, si la liberté de religion est considérée comme une expression de l’incapacité de l’homme à trouver la vérité, et par conséquent, devient une exaltation du relativisme alors, de nécessité sociale et historique, celle-ci est élevée de façon impropre au niveau métaphysique et elle est ainsi privée de son véritable sens, avec pour conséquence de ne pas pouvoir être acceptée par celui qui croit que l’homme est capable de connaître la vérité de Dieu, et, sur la base de la dignité intérieure de la vérité, est lié à cette connaissance.
Il est, en revanche, totalement différent de considérer la liberté de religion comme une nécessité découlant de la coexistence humaine, et même comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le processus de la conviction.
Le Concile Vatican II, reconnaissant et faisant sien à travers le Décret sur la liberté religieuse un principe essentiel de l’Etat moderne, a repris à nouveau le patrimoine plus profond de l’Eglise. Celle-ci peut être consciente de se trouver ainsi en pleine syntonie avec l’enseignement de Jésus lui-même (cf. Matth. XXII, 21), comme également avec l’Eglise des martyrs, avec les martyrs de tous les temps. L’Eglise antique, de façon naturelle, a prié pour les empereurs et pour les responsables politiques, en considérant cela comme son devoir (cf. 1 Tim. II, 2) ; mais, tandis qu’elle priait pour les empereurs, elle a en revanche refusé de les adorer, et, à travers cela, a rejeté clairement la religion d’Etat. Les martyrs de l’Eglise primitive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s’était révélé en Jésus Christ, et précisément ainsi, sont morts également pour la liberté de conscience et pour la liberté de professer sa foi, – une profession qui ne peut être imposée par aucun Etat, mais qui ne peut en revanche être adoptée que par la grâce de Dieu, dans la liberté de la conscience. Une Eglise missionnaire, qui sait qu’elle doit annoncer son message à tous les peuples, doit nécessairement s’engager au service de la liberté de la foi. Elle veut transmettre le don de la vérité qui existe pour tous, et assure dans le même temps aux peuples et à leurs gouvernements qu’elle ne veut pas détruire leur identité et leurs cultures, mais qu’elle leur apporte au contraire une réponse que, au fond d’eux, ils attendent, – une réponse avec laquelle la multiplicité des cultures ne se perd pas, mais avec laquelle croît au contraire l’unité entre les hommes, et ainsi, la paix entre les peuples également.
Le Concile Vatican II, avec la nouvelle définition de la relation entre la foi de l’Eglise et certains éléments essentiels de la pensée moderne, a revisité ou également corrigé certaines décisions historiques, mais dans cette apparente discontinuité, il a en revanche maintenu et approfondi sa nature intime et sa véritable identité. L’Eglise est, aussi bien avant qu’après le Concile, la même Eglise une, sainte, catholique et apostolique, en chemin à travers les temps ; elle poursuit « son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu », annonçant la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’Il vienne (cf. constitution dogmatique « Lumen gentium », n. 8).
Ceux qui espéraient qu’à travers ce « oui » fondamental à l’époque moderne, toutes les tensions se seraient relâchées et que l’ »ouverture au monde » ainsi réalisée aurait tout transformé en une pure harmonie, avaient sous-estimé les tensions intérieures et les contradictions de l’époque moderne elle-même ; ils avaient sous-estimé la dangereuse fragilité de la nature humaine qui, dans toutes les périodes de l’histoire, et dans toute constellation historique, constitue une menace pour le chemin de l’homme. Ces dangers, avec les nouvelles possibilités et le nouveau pouvoir de l’homme sur la matière et sur lui-même, n’ont pas disparu, mais prennent en revanche de nouvelles dimensions : un regard sur l’histoire actuelle le démontre clairement. Mais à notre époque, l’Eglise demeure un « signe de contradiction » (Luc. II, 34) – ce n’est pas sans raison que le Pape Jean-Paul II, alors qu’il était encore Cardinal, avait donné ce titre aux Exercices spirituels prêchés en 1976 au Pape Paul VI et à la Curie romaine. Le Concile ne pouvait avoir l’intention d’abolir cette contradiction de l’Evangile à l’égard des dangers et des erreurs de l’homme. En revanche, son intention était certainement d’écarter les contradictions erronées ou superflues, pour présenter à notre monde l’exigence de l’Evangile dans toute sa grandeur et sa pureté. Le pas accompli par le Concile vers l’époque moderne, qui de façon assez imprécise a été présenté comme une « ouverture au monde », appartient en définitive au problème éternel du rapport entre foi et raison, qui se représente sous des formes toujours nouvelles. La situation que le Concile devait affronter est sans aucun doute comparable aux évènements des époques précédentes. Saint Pierre, dans sa première Lettre, avait exhorté les chrétiens à être toujours prêts à rendre raison (apologia) à quiconque leur demanderait le logos, la raison de leur foi (cf. III, 15). Cela signifiait que la foi biblique devait entrer en discussion et en relation avec la culture grecque et apprendre à reconnaître à travers l’interprétation la ligne de démarcation, mais également le contact et l’affinité qui existait entre elles dans l’unique raison donnée par Dieu.
Lorsqu’au XIIIième siècle, par l’intermédiaire des philosophes juifs et arabes, la pensée aristotélicienne entra en contact avec le christianisme médiéval formé par la tradition platonicienne, et que la foi et la raison risquèrent d’entrer dans une opposition inconciliable, ce fut surtout saint Thomas d’Aquin qui joua le rôle de médiateur dans la nouvelle rencontre entre foi et philosophie aristotélicienne, plaçant ainsi la foi dans une relation positive avec la forme de raison dominante à son époque.
Le douloureux débat entre la raison moderne et la foi chrétienne qui, dans un premier temps, avait connu un début difficile avec le procès fait à Galilée, connut assurément de nombreuses phases, mais avec le Concile Vatican II, arriva le moment où une nouvelle réflexion était nécessaire. Dans les textes conciliaires, son contenu n’est certainement tracé que dans les grandes lignes, mais cela a déterminé la direction essentielle, de sorte que le dialogue entre religion et foi, aujourd’hui particulièrement important, a trouvé son orientation sur la base du Concile Vatican II. A présent, ce dialogue doit être développé avec une grande ouverture d’esprit, mais également avec la clarté dans le discernement des esprits qu’à juste titre, le monde attend de nous précisément en ce moment. Ainsi, aujourd’hui, nous pouvons tourner notre regard avec gratitude vers le Concile Vatican II : si nous le lisons et que nous l’accueillons guidés par une juste herméneutique, il peut être et devenir toujours plus une grande force pour le renouveau toujours nécessaire de l’Eglise.

B- Une interprétation du Concile Vatican II d’après M l’abbé Celier de la FSSPX

Ce texte que vous allez lire, est extrait de la “lettre à nos amis prêtres” du mois de juin 2011, de la FSSPX, lettre dirigée par M l’abbé Celier, prêtre de la même société sacerdotale.
J’aime cet exposé et surtout sa conclusion: « Mieux vaut admettre … que le Concile lui-même, comme sa mise en œuvre officielle, souffre de certaines défaillances qui expliquent pour une part les problèmes de la situation actuelle (même si la crise de l’Église ne se réduit pas à cette seule cause) ».
Cette conclusion que je crois juste a, de plus, l’avantage d’être en parfaite harmonie et continuité avec le jugement de Mgr Lefebvre sur le Concile Vatican II. Comme j’ai eu l’occasion, déjà de le dire, la conférence donnée par Mgr Pozzo à la Fraternité saint Pierre en juillet 2010, que l’auteur de cet article analyse ici, n’aurait pas été appréciée par Mgr Lefebvre. Le “problème” du Concile Vatican II ne relève pas seulement d’une simple interprétation, bonne ou mauvaise, des textes conciliaires, encore qu’il faille toujours choisir “l’herméneutique de continuité”, ce que Mgr Lefebvre appelait “accepter le Concile à la lumière de la Tradition.” Le problème du Concile Vatican II et de la crise qui en est suivie dans l’Eglise, ne relève pas seulement ni exclusivement d’une lecture “erronée de Vatican II” mais bien plus clairement de certains textes eux mêmes du Concile qui sont ”défaillants” C’est ainsi que reste toujours valable le jugement général que Mgr Lefebvre portait, sur le Concile et la réforme conciliaire, le 21 novembre 1974. C’est ainsi que restent valables aussi les lettres que Mgr Lefebvre et Mgr de Catro Mayer adressaient à Jean Paul II. Ils ne réduisaient pas la crise de l’Eglise et le problème du Concile Vatican II à une simple “herméneutique de continuité” ou “de rupture”. Ils montraient que la crise de l’Eglise venait du Concile Vatican II lui-même et de certaines défaillances des textes conciliaires. Et ils le précisaient bien clairement. J’en veux pour preuve les deux lettres adressées à Jean Paul II juste après Assise. Je me permettrai de citer la première à la fin de la “Lettre à nos amis-prêtres”.(1)
Ainsi à la question : “la situation actuelle de l’Église serait-elle exclusivement le fruit d’une « lecture » erronée de Vatican II, qui ne pourrait trouver aucun fondement dans les textes de ce concile, non plus que dans les actes officiels du Magistère romain subséquent” ? La “lettre à nos amis prêtres” répond par la négative et conclut bien davantage en disant : “Mieux vaut admettre une cause plus simple et plus obvie : que le Concile lui-même, comme sa mise en œuvre officielle, souffre de certaines défaillances qui expliquent pour une part les problèmes de la situation actuelle” de l’Eglise. PA
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Voici la lettre à nos amis prêtres du mois de juin 2011 :

« Le 2 janvier 2011, sous le titre évocateur « Lire les signes des temps » (on sait que les « signes des temps », il y a un demi-siècle, furent l’un des slogans de ceux qui voulaient accomplir la « révolution conciliaire »), l’éditorialiste de la Documentation catholique écrit : « Résolument, Benoît XVI privilégie une “herméneutique de la continuité” dans la lecture du concile Vatican II. Pour
lui, il ne serait pas heureux d’opérer une rupture avec l’héritage de la tradition de l’Église ».
Le père Jean-François Petit, qui signe ce texte, ajoute immédiatement : « C’est dans cette direction que semble s’orienter l’Église en France ».
Deux questions importantes au regard de l’histoire
Ce texte pose en réalité deux questions sur lesquelles nous estimons utile de proposer quelques documents et réflexions, en suivant toutefois l’ordre inverse de l’auteur.
Première question : si l’Église en France s’oriente désormais vers une « herméneutique de la continuité », s’agit-il simplement de l’approfondissement d’une tendance déjà ancienne, ou au contraire de la fin d’une adhésion au moins partielle à « l’herméneutique de la rupture » ?
Deuxième question : la situation actuelle de l’Église serait-elle exclusivement le fruit d’une « lecture » erronée de Vatican II, qui ne pourrait trouver aucun fondement dans les textes de ce concile, non plus que dans les actes officiels du Magistère romain subséquent ?

L’herméneutique de continuité chez les traditionalistes en 1965…
Pour commencer, quelle a donc été l’attitude (officielle) de l’Église en France concernant l’interprétation de Vatican II, à la suite même de ce concile ? C’est ce qu’un peu d’histoire va nous rappeler, au moment du quarante-cinquième anniversaire des événements.
Dans les derniers mois du concile Vatican II, la revue Itinéraires, principale revue « traditionaliste » de l’époque, dirigée par Jean Madiran, publiait des textes qui sont l’expression la plus claire de ce que l’on appelle aujourd’hui « l’herméneutique de continuité ».
Jean Madiran mettait d’abord en garde contre un « esprit du Concile » qui ne serait pas celui de ses textes promulgués : « Il est vrai que je n’entends pas bien ce qu’est “l’esprit du Concile” contredistingué de l’Esprit-Saint ; il est vrai que je conçois mal comment “l’esprit du Concile” peut être différent des décisions promulguées par le même concile » (novembre 1965, p. 27).
Il exposait ensuite le principe essentiel de « l’herméneutique de continuité » : « Nous recevons les décisions du Concile en conformité avec les décisions des conciles antérieurs. Si tels ou tels textes devaient paraître, comme il peut arriver à toute parole humaine, susceptibles de plusieurs interprétations, nous pensons que l’interprétation juste est fixée précisément par et dans la conformité avec les précédents conciles et avec l’ensemble de l’enseignement du Magistère. Nous croyons à l’Église des papes et des conciles, non point à une Église qui serait celle d’un seul concile. (…) Par définition, l’enseignement d’un concile prend place dans le contexte et dans la continuité vivante de tous les conciles. Ceux qui voudraient nous présenter l’enseignement du Concile hors de ce contexte et en rupture avec cette continuité nous présenteraient une pure invention de leur esprit, sans aucune autorité » (janvier 1966, pp. 22-23).
Enfin, Madiran soulignait la nécessité de faire les distinctions requises : « Nous recevons les décisions du Concile en nous préoccupant de connaître la note théologique qui convient à chacune d’elles. (…) Les diverses notes théologiques qui conviennent à chacun des différents textes conciliaires
promulgués n’apparaissent pas toujours clairement. Mais ce n’est point à nous qu’il revient de les fixer (…). Nous les attendons de l’autorité compétente. D’avance nous pouvons déclarer que nous recevons chacune des décisions conciliaires avec la note théologique qui est la sienne et non
autrement » (janvier 1966, p. 23).
Or ces déclarations si claires, si fortes, si motivées en faveur de ce qu’on appelle désormais « l’herméneutique de continuité », parues au moment même de la clôture du Concile, et qui manifestent tant d’heureuse clairvoyance, ces déclarations ont valu à Jean Madiran et à Itinéraires une
solennelle condamnation de l’épiscopat français.
Le 23 juin 1966, en effet, paraissait une « Mise en garde des cardinaux et du Conseil permanent de l’épiscopat français » (publiée dans la Documentation catholique du 17 juillet 1966, col. 1285- 1288, cette même Documentation catholique qui nous vante désormais avec enthousiasme « l’herméneutique de continuité »). Les évêques déclaraient qu’ils « considèrent comme un devoir de mettre en garde les fidèles contre des articles parus notamment dans des magazines comme Le Monde et la vie, des revues comme Itinéraires et Défense du foyer, des bulletins comme Lumière », en raison de leur opposition à « l’esprit du renouveau entrepris », c’est-à-dire le fameux « esprit du Concile », comme on l’appelait aussi.
Un changement substantiel d’orientation de l’épiscopat français ?
Il est donc tout à fait réjouissant d’apprendre aujourd’hui par la Documentation catholique que, désormais, « c’est dans cette direction que semble s’orienter l’Église en France », c’est-à-dire celle de « l’herméneutique de continuité ». Mais il ne faut pas oublier les faits qu’a enregistrés l’histoire.
Il ne faut pas oublier que « l’herméneutique de continuité » a d’abord et premièrement été le fait des « traditionalistes ». Il ne faut pas oublier que ceux qui se proclament aujourd’hui les plus fervents défenseurs de Vatican II contre les méchants « traditionalistes » ont hier condamné, rejeté, combattu « l’herméneutique de continuité » au nom de « l’esprit du Concile », c’est-à-dire en vérité au nom de ce que le Pape actuel appelle « l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture ». Il ne faut pas oublier que cette rupture avec le passé de l’Église, cette idée de Vatican II comme commencement absolu de l’Église, a d’abord et premièrement été le fait des évêques français. Il ne faut pas oublier que si « l’Église en France » déclare privilégier enfin « l’herméneutique de continuité », c’est seulement après l’avoir fortement et longuement combattue, c’est seulement après avoir très largement favorisé « l’herméneutique de rupture ».
Une conférence de Mgr Guido Pozzo, de la Commission Ecclesia Dei
Dans une conférence donnée le 2 juillet 2010 aux prêtres de la Fraternité Saint-Pierre au séminaire de Wigratzbad et consacrée à la mise en œuvre du concile Vatican II, Mgr Guido Pozzo a proposé un très clair exposé de la thèse des tenants de « l’herméneutique de continuité », concernant l’innocence absolue du concile Vatican II et du Magistère romain subséquent dans la crise que subit l’Église depuis un demi-siècle.
Le Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei y déclare notamment : « Le point vraiment déterminant du travail de désorientation et de confusion qui a caractérisé et caractérise encore notre époque ne provient pas du concile Vatican II en tant que tel, et il n’est pas l’enseignement objectif contenu dans ses documents, mais c’est l’interprétation de cet enseignement ».
Juste avant, Mgr Pozzo a d’ailleurs souligné le « contraste existant d’une part entre les documents officiels de Vatican II, le Magistère postérieur des Papes, les interventions de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et, d’autre part, tant d’idées ou de déclarations ambiguës, douteuses et souvent contraires à la saine doctrine catholique, qui se sont multipliées dans des milieux catholiques et en général dans l’opinion publique ».
Le prélat romain, au cours de sa longue conclusion, affirme également ceci : « Quelle est l’origine de la discontinuité, ou de la rupture avec la tradition ? C’est ce que nous pouvons appeler l’idéologie conciliaire, ou plus exactement para-conciliaire, qui s’est emparée du Concile depuis le début, en se superposant à lui. Avec cette expression, on n’entend pas quelque chose qui regarde les textes du Concile, ni l’intention des acteurs, mais le cadre général d’interprétation dans lequel le Concile a été placé et qui agit comme une sorte de conditionnement intérieur de la lecture successive des faits et des documents. Le Concile n’est pas l’idéologie para-conciliaire, mais dans l’histoire de l’événement ecclésial et des moyens de communication de masse, on a largement opéré la mystification du Concile, ce qui est précisément l’idéologie para-conciliaire ».
Les autorités de l’Église ont-elles été empêchées d’agir ?
Cette thèse soutient donc que la crise actuelle proviendrait de ce que le concile Vatican II aurait été massivement mal interprété et mal compris.
Cette thèse n’est, certes, ni impossible et invraisemblable en soi ; mais il faudrait, pour que cela arrive, que les autorités de l’Église, dont le rôle est précisément d’interpréter authentiquement les documents conciliaires et de les mettre correctement en œuvre, en aient été empêchées. Ce qui aurait pu se produire, par exemple, au IIIe siècle, lorsque les papes étaient sauvagement martyrisés les uns après les autres ; au XIe siècle, lorsque saint Grégoire VII était combattu militairement par l’empereur Henri IV et mourait assiégé et en exil ; à la fin du XIVe siècle, lorsque l’Église était déchirée entre deux voire trois papes qui se combattaient mutuellement, etc.
Mais, sauf erreur de notre part, durant le demi-siècle qui vient de s’écouler, la structure de l’Église a fonctionné normalement. Les autorités ecclésiastiques disposaient de tous les moyens nécessaires à leur fonction, elles n’étaient ni empêchées d’agir ni persécutées. Comment comprendre alors qu’elles n’aient pas réussi à mettre en œuvre le Concile selon son sens obvie et ses intentions
réelles ? Si cela était vrai, ce serait un mystère étonnant et, pour tout dire, véritablement incroyable.
Un concile mis en œuvre par ceux qui l’avaient fait
Il y a plus. Pour la première fois dans l’histoire, en raison de l’allongement de la durée de la vie, un concile a pu être interprété directement par ceux mêmes qui l’avaient fait et qui, à l’évidence, savaient pertinemment ce qu’il contenait, ce qu’il promettait, ce qu’il permettait.
Et tout d’abord le pape Paul VI a vécu et régné pendant treize ans après la clôture de Vatican II, temps tout à fait suffisant pour mettre en œuvre le Concile selon son véritable esprit, et pour combattre énergiquement le faux esprit qui pouvait le polluer. De grands Papes réformateurs ont eu un pontificat de même durée, voire moins long : Saint Grégoire le Grand a régné quatorze ans, saint Grégoire VII a régné douze ans, saint Pie V a régné sept ans, saint Pie X a régné onze ans.
Paul VI était entouré des cardinaux qui avaient dirigé le Concile, des évêques qui avaient participé au Concile, des experts qui avaient travaillé au Concile. La plupart des participants au Concile n’ont quitté ce monde que durant le pontificat de Jean-Paul II. Qui lui-même a participé très activement à Vatican II comme évêque. Et qui a eu, comme successeur, un homme qui fut durant le Concile l’expert du cardinal Frings (un des dix membres du Conseil de présidence).
Ce qui signifie que, quarante-cinq après la fin de ce concile, nous avons encore à la tête de l’Église un homme qui sait précisément comment celui-ci s’est déroulé, et quel a été son véritable esprit, sa réelle orientation. Jamais dans l’histoire de l’Église, peut-on dire, les participants d’un concile n’ont eu autant de temps pour le mettre en œuvre par eux-mêmes.
Admettre une cause logique plutôt qu’une explication imaginaire
Si donc l’on nous dit que, malgré ces conditions exceptionnellement favorables, Vatican II n’a pas encore commencé d’être interprété et compris correctement ; ou que du moins sa mise en œuvre a été tellement imparfaite que personne ne peut comprendre aujourd’hui la réelle intention de ce concile, cela signifierait que les critiques de la Fraternité Saint-Pie X seraient très largement en dessous de la réalité, celle d’une Église devenue depuis un demi-siècle un véritable « bateau fantôme » sans gouvernail ni direction, abandonnée à tous les vents : ce qui n’est pas vrai.
Mieux vaut admettre une cause plus simple et plus obvie : que le Concile lui-même, comme sa mise en œuvre officielle, souffre de certaines défaillances qui expliquent pour une part les problèmes de la situation actuelle (même si la crise de l’Église ne se réduit pas à cette seule cause). ■
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-C- Déclaration de Mgr Lefebvre et de Mgr Antonio de Catro Mayer, du 2décembre 1986 faisant suite à la visite de Jean-Paul II à la Synagogue et au congrès des religions à Assise

“Rome nous a fait demander si nous avions l’intention de proclamer notre rupture avec le Vatican à l’occasion du Congrès d’Assise.
La question nous semblerait plutôt devoir être la suivante :
Croyez-vous et avez-vous l’intention de proclamer que le Congrès d’Assise consomme la rupture des Autorités romaines avec l’Eglise Catholique ?
Car c’est bien cela qui préoccupe ceux qui demeurent encore catholiques.
Il est bien évident en effet que depuis le Concile Vatican II, le Pape et les Episcopats s’éloignent toujours plus nettement de leurs prédécesseurs.
Tout ce qui a été mis en œuvre pour défendre la foi par l’Eglise dans les siècles passés, et tout ce qui a été accompli pour la diffuser par les missionnaires, jusqu’au martyre inclusivement, est désormais considéré comme une faute dont l’Eglise devrait s’accuser et se faire pardonner.
L’attitude des onze Papes qui depuis 1789 jusqu’en 1958 ont, dans des documents officiels, condamné la Révolution libérale, est considérée comme « un manque d’intelligence du souffle chrétien qui a inspiré la Révolution ».
D’où le revirement complet de Rome depuis le Concile Vatican II, qui nous a fait redire les paroles de Notre-Seigneur à ceux qui venaient l’arrêter : Haec est hora vestra et potestas tenebrarum (c’est ici votre heure et la puissance des ténèbres ; Luc 22, 52-53).
Adoptant la religion libérale du protestantisme et de la Révolution, les principes naturalistes de J-J. Rousseau, les libertés athées de la Constitution des Droits de l’Homme, le principe de la dignité humaine n’ayant plus de rapport avec la vérité et la dignité morale, les Autorités romaines tournent le dos à leurs prédécesseurs et rompent avec l’Eglise Catholique, et elles se mettent au service des destructeurs de la Chrétienté et du Règne universel de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Les actes actuels de Jean-Paul II et des Episcopats nationaux illustrent d’année en année ce changement radical de conception de la foi, de l’Eglise, du sacerdoce, du monde, du salut par la grâce.
Le comble de cette rupture avec le magistère antérieur de l’Eglise s’est accompli à Assise, après la visite à la Synagogue. Le péché public contre l’unicité de Dieu, contre le Verbe Incarné et Son Eglise fait frémir d’horreur : Jean-Paul II encourageant les fausses religions à prier leurs faux dieux : scandale sans mesure et sans précédent.
Nous pourrions reprendre ici notre Déclaration du 21 novembre 1974, qui demeure plus actuelle que jamais.
Pour nous, demeurant indéfectiblement attachés à l’Eglise Catholique et Romaine de toujours, nous sommes obligés de constater que cette Religion moderniste et libérale de la Rome moderne et conciliaire s’éloigne toujours davantage de nous, qui professons la foi catholique des onze Papes qui ont condamné cette fausse religion.
La rupture ne vient donc pas de nous, mais de Paul VI et Jean-Paul Il, qui rompent avec leurs prédécesseurs.
Ce reniement de tout le passé de l’Eglise par ces deux Papes et les Evêques qui les imitent est une impiété inconcevable et une humiliation insoutenable pour ceux qui demeurent catholiques dans la fidélité à vingt siècles de profession de la même foi.
Nous considérons donc comme nul tout ce qui a été inspiré par cet esprit de reniement : toutes les Réformes post-conciliaires, et tous les actes de Rome qui sont accomplis dans cette impiété.
Nous comptons avec la grâce de Dieu et le suffrage de la Vierge fidèle, de tous les martyrs, de tous les Papes jusqu’au Concile, de tous les Saints et Saintes fondateurs et fondatrices des Ordres contemplatifs et missionnaires, pour nous venir en aide dans le renouveau de l’Eglise par la fidélité intégrale à la Tradition.

Buenos Aires, le 2 décembre 1986.

S. Exc. Mgr LEFEBVRE, Archevêque-Evêque émérite de Tulle
S. Exc. Mgr Antonio de CASTRO MAYER, Evêque émérite de Campos en parfait accord avec la présente Déclaration.

-D- La déclaration de Mgr Lefebvre du 21 novembre 1974 :

En ce jour anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, il est bon de se souvenir de la déclaration de Mgr Lefebvre du 21 novembre 1974 et de la relire. Malgré des pressions diverses, d’amis, de professeurs, de son propre corps professoral à Ecône, malgré la presssion inouïe des cardinaux Tabéra, Wright, Garonne à Rome, malgré la pression de Mgr Bennelli, substitut de la Secrétairerie d’Etat, malgré la pression du cardinal Villot, Secrétaire d’Etat, malgré le risque de la suppression de sa Fraternité, chose qui fut réalisée par Mgr Mamis, évêque de Fribourg, successeur de Mgr Charrière, Mgr Lefebvre n’en changea jamais un ïota. Belle force d’âme! Belle conviction! Belle amour du vrai! On doit tout lui sacrifier!
Elle est toujours ma “charte”, même si je constate avec joie que Rome donne peu à peu, sous le pontificat de Benoît XVI” un franc coup de barre en faveur” de sa Tradition.
Pour savoir l’importance qu’eut cette déclaration dans la vie de la FSSPX, on peut se reporter à mon livre: “La tradition sans peur” aux éditions Servir, à commander à l’auteur au 29 avenue de l’Europe 78200 Magnanvile.

« Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité.
Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues.
Toutes ces réformes, en effet, ont contribué et contribuent encore à la démolition de l’Église, à la ruine du Sacerdoce, à l’anéantissement du Sacrifice et des Sacrements, à la disparition de la vie religieuse, à un enseignement naturaliste et teilhardien dans les Universités, les Séminaires, la catéchèse, enseignement issu du libéralisme et du protestantisme condamnés maintes fois par le magistère solennel de l’Église.
Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le magistère de l’Église depuis dix-neuf siècles.
« S’il arrivait, dit saint Paul, que NOUS-MÊME ou un Ange venu du ciel vous enseigne autre chose que ce que je vous ai enseigné, qu’il soit anathème. » (Gal. 1, 8.)
N’est-ce pas ce que nous répète le Saint-Père aujourd’hui? Et si une certaine contradiction se manifestait dans ses paroles et ses actes ainsi que dans les actes des dicastères, alors nous choisissons ce qui a toujours été enseigné et nous faisons la sourde oreille aux nouveautés destructrices de l’Église.
On ne peut modifier profondément la « lex orandi » sans modifier la « lex credendi ». A messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Église charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l’orthodoxie et au magistère de toujours.
Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d’adopter cette Réforme et de s’y soumettre de quelque manière que ce soit.
La seule attitude de fidélité à l’Église et à la doctrine catholique, pour notre salut, est le refus catégorique d’acceptation de la Réforme.
C’est pourquoi sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment nous poursuivons notre oeuvre de formation sacerdotale sous l’étoile du magistère de toujours, persuadés que nous ne pouvons rendre un service plus grand à la Sainte Église Catholique, au Souverain Pontife et aux générations futures.
C’est pourquoi nous nous en tenons fermement à tout ce qui a été cru et pratiqué dans la foi, les mœurs, le culte, l’enseignement du catéchisme, la formation du prêtre, l’institution de l’Église, par l’Église de toujours et codifié dans les livres parus avant l’influence moderniste du concile en attendant que la vraie lumière de la Tradition dissipe les ténèbres qui obscurcissent le ciel de la Rome éternelle.
Ce faisant, avec la grâce de Dieu, le secours de la Vierge Marie, de saint Joseph, de saint Pie X, nous sommes convaincus de demeurer fidèles à l’Église Catholique et Romaine, à tous les successeurs de Pierre, et d’être les « fideles dispensatores mysteriorum Domini Nostri Jesu Christi in Spiritu Sancto ». Amen.
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-E- Un évêque demande un Syllabus sur le Concile Vatican II

Le 17 décembre 2010, à l’occasion du colloque organisé à Rome par la Congrégation des Franciscains de l’Immaculée, sur le thème : « Vatican II, un concile pastoral – Analyse historique, philosophique et théologique », Mgr Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de Karaganda (Kazakhstan), a demandé la rédaction d’un Syllabus condamnant infailliblement « les erreurs d’interprétation du Concile Vatican II ». Car, a-t-il précisé, seul le magistère suprême de l’Église – celui du pape ou d’un nouveau concile œcuménique – peut corriger les abus et les erreurs nés du Concile Vatican II et rectifier sa compréhension et sa réception à la lumière de la tradition catholique. Déclarant qu’il n’était guère possible de réunir un nouveau concile avant 500 ans…, il a considéré qu’il fallait en appeler au magistère suprême du pape. D’où cette demande d’un nouveau Syllabus où figureraient face à face les erreurs condamnées et leur interprétation orthodoxe.
Au cours de ce colloque ont également pris la parole, Mgr Brunero Gherardini, auteur du livre Concile Vatican II, un débat à ouvrir et le Professeur Roberto de Mattei, historien italien, auteur d’un récent volume sur le concile, intitulé Le Concile Vatican II, une histoire jamais écrite (actuellement disponible en italien aux éditions Lindau). Tous les deux ont répondu aux critiques que leurs travaux ont soulevées, surtout dans les milieux conciliaires conservateurs attachés à défendre l’infaillibilité du Concile. (Source : chiesa.espressonline.it – DICI du 22/01/11)

-F- Un article important de Jean Madiran dans Présent intitulé : « Le colloque des Franciscains de l’Immaculée.

– On commence à entendre beaucoup parler, ici et là, de ce colloque théologique, d’une haute tenue universitaire, qui a eu lieu à Rome du 16
au 18 décembre. Il a en somme conféré – ou plutôt : confirmé – un droit de cité effectif, dans l’Eglise, à une analyse critique et contradictoire des énoncés du concile pastoral Vatican II.
Il est bien temps en effet, un demi- siècle après sa convocation ; et cinq ans après le discours du 22 décembre 2005 par lequel Benoît XVI a libéré la parole pour un débat nécessaire à ce sujet.
Nous espérons une prochaine traduction française des communications faites à ce colloque. Pour le moment nous avons en français le compte rendu publié par la Correspondance européenne de Robert de Mattei.
II. – Qui donc est responsable du « post-Concile » ?
– Il a été fortement débattu, pendant le colloque, du point de savoir si le
post-Concile appartient ou non au Concile.
Sur ce point comme sur d’autres, le simple fidèle a depuis longtemps une opinion assurée : le Concile a été appliqué bien ou mal, mais en tout cas appliqué par ceux qui l’avaient fait ; c’est-à-dire que, quoi qu’il en soit du texte de sa loi, cette loi a été mise en œuvre par le législateur lui-même et selon ce qui était son intention. Emile Poulat fait observer que dans la société civile, ce n’est pas le législateur qui est chargé d’appliquer la loi. Est-ce mieux ? Ce n’est pas sûr. En tout cas ce sont bien les évêques du Concile qui ont été responsables du post- Concile. Il en est de même pour Paul VI qui pendant quinze ans, de 1963 à 1978, fut le pape du Concile, du post-Concile, et des destructions dont nous subissons les conséquences.
III. – L’attentat doctrinal.
– Il a été dit au colloque que l’erreur du post-Concile fut de « dogmatiser
un Concile qui voulait être pastoral ». Qui voulait ? Disons mieux : qui prétendait n’être que pastoral. Mais il est difficile de croire qu’évêques et théologiens ne s’apercevaient nullement de la rupture doctrinale sous-entendue par ce qu’ils faisaient. Le simple fidèle a parfaitement entendu que Vatican II se proclamait « pastoral » par distinction explicite d’avec « doctrinal ». Mais il a remarqué aussitôt que ces énoncés pastoraux avaient
d’inévitables et dramatiques implications doctrinales : il le constatait, entre autres, par la suppression radicale des catéchismes traditionnels, remplacés
par rien. Il le constatait aussi par l’interdiction illégitime de la messe
séculaire, remplacée par une improvisation de quelques mois.
IV. – Trier et rétracter.
– Bien entendu, en maints endroits Vatican II rappelle, dans un langage
plus ou moins précis, des vérités dogmatiques : elles sont telles non
point par sa propre autorité qui n’est que pastorale, mais par l’autorité
des conciles antérieurs qui les ont définies. La page se tourne sur l’invention baroque d’un « magistère pastoral » s’affichant comme magistère non doctrinal mais égal voire supérieur au magistère doctrinal. Le simple fidèle
se rappelle que ce « magistère non doctrinal » attribuait à son concile,
en bloc, « autant d’autorité et plus d’importance » que le concile de Nicée. Le bloc se fissure, il est crevassé.
Oui, il est vraiment temps que les théologiens se prononcent publiquement
sur les erreurs et les abus de pouvoir conciliaires dont les esprits ne seront tout à fait libérés que lorsqu’ils auront été suffisamment rétractés.
JEAN MADIRAN (extrait de Présent de Samedi 5 février)

-G- Supplique au pape Benoît XVI pour un examen approfondi du concile œcuménique Vatican II

Au Souverain Pontife Benoît XVI, afin qu’il veuille bien promouvoir un examen approfondi du concile pastoral Vatican II.

Très Saint Père,
Mgr Brunero Gherardini, prêtre du diocèse de Prato et chanoine de la Basilique de Saint-Pierre, bien connu comme ancien professeur d’Ecclésiologie à l’Université pontificale du Latran et comme doyen des théologiens italiens, a adressé, en 2009, à Votre Sainteté une très respectueuse et pressante supplique, en vue d’obtenir l’ouverture d’un débat critique sur les textes de Vatican II, un débat critique qui se tiendrait de façon pondérée et publique. A cette démarche s’est associé en 2010 Roberto de Mattei, professeur d’Histoire de l’Eglise et du Christianisme à l’Université européenne de Rome, vice-président du Conseil National de la Recherche.
Dans sa supplique, Mgr Gherardini écrivait :
« Pour le bien de l’Eglise – et plus spécialement pour la réalisation du salut des âmes, qui en est la loi première et la plus haute (cf. CJC de 1983, canon 1752) –, après des décennies de libre créativité exégétique, théologique, historiographique et ‘pastorale’ au nom du concile œcuménique Vatican II, il me paraît urgent qu’un peu de clarté soit faite, en répondant avec autorité à la question de la continuité de ce concile (cette fois-ci, non de façon déclamatoire, mais en proposant une véritable démonstration) avec les autres conciles, à la question de sa fidélité à la Tradition de l’Eglise. » […]
Mgr Gherardini.
« Il semble, en effet, sinon impossible, du moins très difficile de faire émerger cette herméneutique de continuité [avec tout le Magistère précédent] que vous souhaitez, sans procéder d’abord à une analyse attentive et scientifique du Concile en général, de chacun de ses documents, de chacun des thèmes de ces documents, des sources immédiates et lointaines de ces thèmes et de ces documents… Il serait plutôt vain de continuer à ne parler du Concile qu’en répétant son contenu ou en le présentant comme une nouveauté absolue.
« Mais un examen d’une telle portée dépasse de beaucoup les possibilités d’une seule personne, non seulement parce qu’un même sujet exige des développements à des niveaux différents (historique, patristique, juridique, philosophique, liturgique, théologique, exégétique, sociologique, scientifique), mais aussi parce que chaque document conciliaire touche à des dizaines et des dizaines de sujets, que seuls des spécialistes de chacun de ces sujets sont en mesure d’aborder de façon efficace.
« Il y a déjà longtemps que l’idée (que j’ose à présent soumettre à Votre Sainteté) m’était venue d’une mise au point grandiose, et si possible définitive, sur le dernier concile, concernant chacun de ses aspects et de ses contenus.
« Il paraît, en effet, logique, et il me semble impératif que chacun de ces aspects et contenus soit étudié en soi et dans le contexte de tous les autres, en observant attentivement toutes les sources, et sous l’angle spécifique de la continuité avec le Magistère ecclésiastique précédent, qu’il soit solennel ou ordinaire. A partir d’un travail scientifique et critique aussi ample et irréprochable que possible, en lien avec le Magistère traditionnel de l’Eglise, il sera possible de tirer ensuite matière à une évaluation sûre et objective de Vatican II.
« Ceci permettra de répondre aux questions suivantes, parmi de nombreuses autres :
1) Quelle est la vraie nature de Vatican II ?
2) Quel est le rapport entre son caractère pastoral (dont il faudra préciser avec autorité la notion) et son éventuel caractère dogmatique ? Le pastoral est-il conciliable avec le dogmatique ? Le suppose-t-il ? Le contredit-il ? L’ignore-t-il ?
3) Est-il vraiment possible de définir le concile Vatican II comme ‘dogmatique’ ? Et donc de se référer à lui comme dogmatique ? De fonder sur lui de nouvelles assertions théologiques ? En quel sens ? Dans quelles limites ?
4) Vatican II est-il un ‘événement’ dans le sens de l’école de Bologne, c’est-à-dire qui coupe les liens avec le passé et instaure une ère nouvelle sous tous les aspects ? Ou bien tout le passé revit-il en lui eodem sensu eademque sententia ?
« Il est évident que l’herméneutique de la rupture et celle de la continuité dépendent des réponses qu’on donnera à ces questions. Mais si la conclusion scientifique de l’examen aboutit à admettre l’herméneutique de continuité comme la seule recevable et la seule possible, alors il faudra démontrer (au-delà de toute déclamation) que cette continuité est réelle, qu’elle se manifeste dans l’identité dogmatique de fond.
« Dans le cas où, en tout ou en partie, cette continuité ne pourrait être scientifiquement prouvée, il serait nécessaire de le dire avec sérénité et franchise, en réponse à l’exigence de clarté attendue depuis presque un demi-siècle ». [1]
Pour vérifier sa continuité avec les vingt conciles précédents
Roberto de Mattei.
Dans sa récente et très documentée Histoire de Vatican II, le professeur de Mattei a offert au public un tableau précis, réaliste du déroulement tourmenté et dramatique de ce Concile, et il conclut :
« Au terme de ce volume qu’il me soit permis de m’adresser avec vénération à Sa Sainteté Benoît XVI, en qui je reconnais le successeur de Pierre auquel je me sens indissolublement lié, lui exprimant un profond remerciement pour avoir ouvert les portes à un débat sérieux sur le concile Vatican II. A ce débat je répète avoir voulu offrir une contribution, non pas comme théologien mais comme historien, m’unissant cependant à la supplique de ces théologiens qui demandent respectueusement et filialement au Vicaire du Christ sur terre, de promouvoir un examen approfondi du concile Vatican II, dans toute sa complexité et toute son extension, pour vérifier sa continuité avec les vingt conciles précédents et pour dissiper les ombres et les doutes qui, depuis presque un demi-siècle, font souffrir l’Eglise, avec la certitude que jamais les portes de l’enfer ne prévaudront sur Elle (Mt 16,18) ». [2]
Et nous, signataires, simples croyants que nous sommes, nous nous associons pleinement à ces demandes respectueuses et autorisées. Sûrs de ne pas manquer de respect filial à l’égard de Votre Sainteté, nous nous permettons d’ajouter (aux quatre questions posées ci-dessus) quelques-unes des nombreuses interrogations qui, à notre avis, mériteraient certainement une réponse clarificatrice, comme il ressort des analyses de Mgr Gherardini, des théologiens et des intellectuels qui depuis le début du post-concile se sont battus pour obtenir des éclaircissements sur Vatican II :
5) Quelle est la signification exacte donnée au concept de « tradition vivante » apparu dans la Constitution Dei Verbum sur la divine Révélation ? Dans sa récente et fondamentale étude sur le concept de tradition catholique, Mgr Gherardini a soutenu que, dans Vatican II, il se serait produit une « révolution copernicienne » dans la manière de concevoir la Tradition de l’Eglise, puisqu’on n’y a pas clairement défini la valeur dogmatique de la Tradition (DV,8) ; de façon inhabituelle on y réalise une réduction ad unum des deux sources de la Révélation divine (Ecriture et Tradition), qui ont toujours été admises dans l’Eglise et confirmées par les conciles dogmatiques de Trente et de Vatican I (DV,9). Et là, se manifeste même une opposition au dogme de l’inerrance de la Sainte Ecriture (DV,11.2), car pourquoi « après avoir déclaré que tout ce que les auteurs inspirés affirment vient de l’Esprit Saint, le privilège de l’inerrance n’est-il attribué qu’aux seules ‘vérités salutaires’ ou ‘salvifiques’, comme une partie du tout (veritatem, quam Deus nostrae salutis causae Litteris sacris consignari voluit) ? Si l’Esprit Saint a inspiré tout ce que les auteurs bibliques ont écrit, l’inerrance devrait s’appliquer à tout, et non aux seules vérités salvifiques. Le texte apparaît donc illogique ».[3]
6) Quelle est la signification exacte à donner à la nouvelle définition de l’Eglise catholique, contenue dans la Constitution dogmatique (qui toutefois ne définit pas de dogme) Lumen gentium sur l’Eglise ? Si elle coïncide avec celle de toujours, à savoir que seule l’Eglise catholique est l’unique et vraie Eglise du Christ parce que l’unique à avoir maintenu dans les siècles le dépôt de la foi transmise par Notre Seigneur et les apôtres sous la conduite du Saint-Esprit, en ce cas pourquoi a-t-on voulu changer, en écrivant d’une manière peu compréhensible pour un simple croyant et jamais clairement expliquée (il faut le dire), que « l’unique » Eglise du Christ « subsiste dans l’Eglise catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et par les évêques qui sont en communion avec lui, alors qu’en dehors d’elle, se trouvent de nombreux éléments de sanctification et de vérité, qui, appartenant en propre par don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique » ? Dans cette formulation, ne semble-t-il pas que l’Eglise apparaît comme une simple partie de l’Eglise du Christ ? Simple partie, puisque l’Eglise du Christ comprendrait aussi – en plus de l’Eglise catholique – de « nombreux éléments de sanctification et de vérité », situés « en dehors » de l’Eglise catholique ? Avec la conséquence que l’« unique vraie religion qui subsiste dans l’Eglise catholique (Déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse, 1.2) serait celle d’une « Eglise du Christ » qui possède des « éléments » en dehors de l’Eglise catholique. Ce qui peut aussi se comprendre, si l’on veut, comme « l’unique vraie religion » subsistant, selon le Concile, également dans les « éléments » non-catholiques de « l’Eglise du Christ » ?
7) Quelle est la vraie signification à donner à la notion d’Eglise comprise globalement comme « Peuple de Dieu » (Lumen gentium, 9-17), notion qui dans le passé indiquait seulement une partie du tout, le tout représentant, par contre, le « Corps mystique du Christ » ?
8 ) Quelle signification faut-il donner à l’omission des termes « surnaturel » et « transsubstantiation » dans les textes du Concile ? Cette omission modifie-t-elle aussi le contenu de ces concepts, comme certains l’affirment ?
Romano Amerio.
9) Quelle est la signification exacte de la nouvelle notion de collégialité ? Comment doit-on considérer à la lumière de l’enseignement constant de l’Eglise, l’interprétation de la Nota explicativa praevia, mise en tête de Lumen gentium (note qui fut placée là pour dirimer la controverse entre les Pères conciliaires) ? Nous nous référons aux doutes clairement exposés par Romano Amerio :
« La ‘Note préalable’ (Nota praevia) rejette l’interprétation classique de la collégialité, selon laquelle le sujet du pouvoir suprême dans l’Eglise est le Pape seul, qui le partage, lorsqu’il le veut, avec l’universalité des évêques réunis en concile par lui. Le pouvoir suprême ne devient collégial que communiqué par le Pape, à son gré (ad nutum). La ‘Note Préalable’ rejette pareillement le sentiment des novateurs selon lequel le sujet du pouvoir suprême dans l’Eglise est le collège épiscopal uni au Pape et non sans le Pape qui en est le chef, mais de telle sorte que lorsque le Pape exerce, même à lui seul, le pouvoir suprême, il le fait précisément en tant que chef dudit collège, et donc en tant que représentant ce collège qu’il est obligé de consulter pour en exprimer l’avis. C’est une théorie calquée sur celle qui veut que toute autorité doive son pouvoir à la multitude : théorie difficile à concilier avec la constitution divine de l’Eglise (qui est hiérarchique et d’origine divine, non populaire). En réfutant les deux théories, la Nota praevia tient fermement que le pouvoir suprême appartient au collège des évêques unis à leur chef, mais que le chef peut l’exercer indépendamment du collège, tandis que le collège ne peut l’exercer indépendamment du chef (et ceci serait une concession à la Tradition) ».[4]
Est-il exact de soutenir que l’attribution des pouvoirs juridiques – ceux d’un vrai et propre collège –, à l’institution des Conférences épiscopales, a de fait déprécié et déformé le rôle de l’évêque ? En effet, aujourd’hui, dans l’Eglise, les évêques, pris singulièrement, ne semblent pratiquement compter pour rien (Votre Sainteté nous pardonnera notre franchise). Sur ce point, voici encore Amerio :
« La nouveauté qui a pris le plus de relief dans l’Eglise postconciliaire est d’avoir ouvert à la participation de tous les instances de l’Eglise qui sont des organes juridiquement définis, tels que les Synodes diocésains et nationaux, les Conseils pastoraux et presbytéraux, etc. […] La constitution de Conférences épiscopales a produit deux effets : elle a déformé la structure organique de l’Eglise, et elle a engendré la perte de l’autorité des évêques. Selon le droit en vigueur avant le Concile, les évêques sont successeurs des Apôtres et gouvernent chacun dans son diocèse avec pouvoir ordinaire au spirituel et au temporel, y exerçant un pouvoir législatif, judiciaire et exécutif (can. 329 et 335). L’autorité était précise, individuelle, et sauf l’institution du vicaire général, non susceptible de délégation (le vicaire général dépendant, lui, du bon gré de l’évêque – ad nutum) […]. Le Décret Christus Dominus attribue au corps épiscopal la collégialité au titre de « suprême et plein pouvoir sur l’Eglise universelle » qui serait en tout égal à celui du Pape s’il pouvait s’exercer sans son consentement. Ce pouvoir suprême a toujours été reconnu à l’assemblée des évêques réunis en concile œcuménique par le Pape. Mais la question se pose de savoir si une autorité, qui ne peut être mise en œuvre que par une instance supérieure, peut être considérée comme suprême et ne revient pas à une pure virtualité, à un simple être de raison (ens rationis). Or selon l’esprit de Vatican II, l’exercice du pouvoir épiscopal où se concrétise la collégialité, est celui des Conférences épiscopales.
« Voici une singularité : le Décret trouve (au n°37) la raison d’être de cette nouvelle institution dans la nécessité pour les évêques d’un même pays d’agir de concert, il ne voit pas que ce nouveau lien de coopération, qui a désormais sa configuration juridique, altère l’ordonnance de l’Eglise, en substituant à l’évêque un corps d’évêques, et à la responsabilité personnelle une responsabilité collective, donc une responsabilité fragmentée. […] Par l’institution des Conférences épiscopales l’Eglise est devenue un corps polycentrique. […] La première conséquence de la nouvelle organisation est donc le relâchement du lien d’unité [avec le Pape] ; il s’est manifesté par d’énormes dissensions sur les points les plus graves [par exemple sur la doctrine de l’encyclique Humanae vitae du 25 juillet 1968, qui interdisait l’usage des contraceptifs]. La seconde conséquence de la nouvelle organisation est la perte de l’autorité de chaque évêque pris séparément en tant que tel. Ils ne sont plus responsables devant leur propre peuple, ni devant le Saint-Siège, car à leur responsabilité personnelle s’est substituée une responsabilité collégiale qui, appartenant au corps tout entier, ne peut plus s’imputer aux différents éléments composant ce corps ».[5]
Le prêtre est-il réduit aujourd’hui au rôle d’animateur et de président de l’assemblée du Peuple de Dieu ?
10) Quelle est la signification exacte à donner aujourd’hui au sacerdoce, authentique institution de l’Eglise ? Est-il vrai que depuis le Concile, le prêtre, de « sacerdos Dei » a été réduit à être « sacerdos populi Dei », et réduit principalement au rôle d’ « animateur » et de « président de l’assemblée » du « Peuple de Dieu », et au rôle d’ « assistant social » ? A ce propos, sont objets de critiques : Lumen gentium, 10.2 qui semble vouloir mettre sur le même plan le sacerdoce « ministériel » ou « hiérarchique » et le prétendu sacerdoce « commun des fidèles » – considéré autrefois comme un simple titre d’honneur – avec cette affirmation que tous les deux « sont toutefois ordonnés l’un à l’autre, ad invicem tamen ordinantur » (voir aussi LG, 62.2) ; LG, 13.3 qui semble indiquer le sacerdoce comme simple « fonction » du « Peuple de Dieu » ; le fait qu’on place en premier lieu de la « fonction » sacerdotale la prédication de l’Evangile (Décret Presbytorum Ordinis sur le ministère et la vie sacerdotale, 4 : les prêtres « comme coopérateurs des évêques, ont pour première charge d’annoncer l’Evangile de Dieu ») quand au contraire le concile de Trente a rappelé que ce qui caractérise la mission du prêtre est en premier lieu « le pouvoir de consacrer, d’offrir, d’administrer le corps et le sang du Seigneur» et en second lieu celui « de pardonner ou retenir les péchés » (DS, 957/1764). Est-il vrai que Vatican II déprécie de fait le célibat ecclésiastique, en affirmant que « la continence parfaite et perpétuelle pour le Royaume des Cieux, recommandée par le Christ […] a toujours été considérée par l’Eglise comme particulièrement convenable pour la vie sacerdotale [même si] elle n’est pas requise par la nature même du sacerdoce » (PO, 16) ; cette dernière affirmation ne serait-elle pas justifiée par une fausse interprétation de 1Tm 3, 2-5 et Tt 1,6 ?
11) Quelle est la signification exacte du principe de « créativité » dans la Liturgie, qui sans aucun doute vient du fait d’avoir concédé aux Conférences épiscopales une ample compétence en la matière, y compris la faculté d’expérimenter des formes nouvelles de culte, pour les adapter aux caractères et aux traditions des peuples et pour les simplifier au maximum ? Tout cela est proposé dans la Constitution Sacrosanctum Concilium sur la liturgie : art. 22.2 sur les nouvelles compétences des Conférences épiscopales ; 37, 39 et 40 sur l’adaptation aux caractères et aux traditions des peuples et sur les critères d’adaptation liturgique en général ; art. 21 et 34 sur la simplification liturgique. De semblables facultés d’innovation en matière liturgique ne furent-elles pas, en tout temps, réprouvées par le Magistère de l’Eglise ? Il est vrai que la Constitution Sacrosanctum Concilium impose toujours le contrôle du Saint-Siège sur la liturgie et les innovations (SC. 22.1, 40.1 et 2), mais ce contrôle s’est révélé incapable d’empêcher la dévastation diffuse de la liturgie, qui a éloigné les fidèles des églises, cette dévastation continue de se déchainer aujourd’hui encore, malgré l’action disciplinaire et l’élimination des abus voulue par Votre Sainteté. Des études compétentes ne pourraient-elles pas mettre en évidence les motifs de cet échec ?
Quelle différence y a-t-il entre la liberté religieuse conciliaire et la liberté de conscience laïque ?
Nous ne pouvons évidemment pas formuler toutes les questions que les textes du concile suscitent et qui ont un rapport avec la situation actuelle de l’Eglise. A ce sujet nous nous permettons d’ajouter seulement ce qui suit :
12) Le principe de la liberté religieuse, proclamé par le Concile, pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise, comme « droit humain » ou « naturel » de la personne, quelle que soit sa religion, et de ce fait droit supérieur au droit de l’unique Vérité Révélée (notre religion catholique) à être professée comme vraie religion, de préférence aux autres qui ne sont pas révélées et qui donc ne proviennent pas de Dieu ; ce principe de liberté religieuse se fonde sur le présupposé que toutes les religions sont égales, et son application a pour conséquence la promotion de l’indifférentisme, de l’agnosticisme et pour finir de l’athéisme ; telle qu’elle est ainsi comprise par le Concile, en quoi se distingue-t-elle réellement de la liberté de conscience laïque, honorée parmi « les droits de l’homme » qu’a professés la Révolution française antichrétienne ?
13) L’œcuménisme actuel ne semble-t-il pas aussi conduire à un résultat semblable (indifférentisme et perte de la foi), étant donné que son but principal paraît être non pas tant la conversion (autant que possible) du genre humain au Christ que son unité et même son unification en une sorte de nouvelle Eglise ou religion mondiale, capable d’inaugurer une ère messianique de paix et de fraternité entre tous les peuples ? Si ce sont là les finalités de l’œcuménisme actuel – et elles se trouvent déjà en partie dans la Constitution pastorale Gaudium et spes sur l’Eglise et le monde contemporain –, ce dialogue œcuménique ne semble-t-il pas glisser dangereusement vers un certain « accord entre le Christ et Bélial » ? [6] Tout le dialogue de l’Eglise postconciliaire avec le monde contemporain ne devrait-il pas être reconsidéré ?
Très Saint Père,
Les demandes que nous avons eu l’audace de vous adresser dans cette humble supplique, peuvent certainement déplaire à cette partie de la hiérarchie qui a déjà déclaré ne pas apprécier la supplique de Mgr Gherardini, il y a deux ans. Il s’agit de cette partie de la hiérarchie qui ne semble pas avoir encore compris la gravité exceptionnelle de la crise qui afflige l’Eglise depuis cinquante ans ; crise dont les prémisses préconciliaires éclatèrent lors du Concile, comme l’ont démontré le livre du professeur de Mattei et avant lui, d’une manière plus succincte, celui du P. Ralph M. Wiltgen S.V.D. et du professeur Romano Amerio.
En notre âme et conscience de croyants, cette supplique écrite en toute déférence à votre égard, nous semble parfaitement en harmonie, nous osons le dire, avec l’œuvre de restauration, renouvellement et purification de l’Eglise militante, entreprise courageusement par Votre Sainteté, malgré les résistances et difficultés de toutes sortes, et connues de tous. Nous ne nous référons pas seulement à l’inflexible action de Votre Sainteté contre la corruption des mœurs qui a pénétré une partie du clergé, ni à l’opération d’assainissement auprès d’institutions de charité et d’assistance bien connues, qui ne sont plus catholiques que de nom. Nous nous référons aussi à la « libération » de la célébration de la messe de l’ancien rite romain (improprement dite « tridentine » vu que son canon remonte, selon une tradition sûre, aux temps apostoliques) et de l’administration des sacrements et du rite de l’exorcisme, selon le rituel préconciliaire. Nous nous référons aussi à votre rémission des excommunications qui pesaient (pour des motifs disciplinaires connus) sur les évêques de la Fraternité Saint-Pie X, fondée par Mgr Marcel Lefebvre, et dont la « levée » avait été sollicitée auprès de Votre Sainteté, avec respect et ténacité, en lançant à cette fin une « Croisade internationale du Rosaire », qui a reçu une ample adhésion parmi les fidèles.
Dans toutes ces dispositions, certainement d’une extrême importance pour l’Eglise, prises motu proprio, avec la pleine autorité de Souverain Pontife qui découle de votre potestas iurisdictionis sur toute l’Eglise de Notre Seigneur, en tout cela notre sensus fidei de simples catholiques voit l’œuvre évidente de l’Esprit Saint. Nous concluons donc notre humble supplique, invoquant l’aide de l’Esprit Saint afin que, dans l’entreprise de rétablissement du Christ au cœur de la catholicité, Votre Sainteté puisse inclure aussi la révision souhaitée du Concile.
Avec l’assurance de notre dévotion filiale et de notre déférence,
In Domino et in corde Mariae.
Le 24 septembre 2011
Suivent les signatures de près de 50 personnalités parmi lesquelles :
Prof. Paolo Pasqualucci, professeur de philosophie ; Mgr Brunero Gherardini, doyen des théologiens italiens, professeur d’Ecclésiologie ; Mgr Antonio Livi, professeur émérite de philosophie de la connaissance à l’Université du Latran ; Prof. Roberto de Mattei, Università Europea di Roma ; Prof. Luigi Coda Nunziante, à titre personnel et en qualité de président de l’association Famiglia Domani ; Dott. Paolo Deotto, directeur de Riscossa Cristiana (www.riscossa cristiana.it) ; Prof. Piero Vassallo, professeur de philosophie, co-directeur de Riscossa Cristiana ; Dr.ssa Virginia Coda Nunziante ; Dott. Pucci Cipriani ; Don Marcello Stanzione et toute la Milizia di San Michele Arcangelo ; Prof. Dante Pastorelli, Governatore de la Venerabile Confraternita di S. Girolamo e S. Francesco Poverino in S. Filippo Benizi, Florence, président d’Una Voce – Florence ; Calogero Cammarata, président de Inter Multiplices Una Vox – Turin ; Dr.ssa Cristina Siccardi – Castiglione Torinese (TO) ; Dott. Carlo Manetti – Castiglione Torinese (TO) ; Alessandro Gnocchi ; Mario Palmaro ; Mario Crisconio, chevalier de l’Ordre de Malte, Governatore del Pio Monte della Misericordia (Naples), président d’Una Voce – Naples ; Enrico Villari, ingénieur, docteur en philosophie – Naples ; Marcello Paratore, professeur de philosophie – Naples ; Giuseppe De Vargas Machuca, Primo Governatore della Reale Arciconfraternita e Monte del SS. Sacramento dei Nobili Spagnoli – Naples ; Giovanni Turco, professeur d’université, président de la Società Internazionale Tommaso d’Aquino, section de Naples ; Giovanni Tortelli, écrivain, chercheur en droit ecclésiastique et histoire de l’Eglise (Florence).
Cette Supplique est diffusée par le site Riscossa cristiana, sur lequel se trouve le texte en italien.
(Intertitres et traduction : DICI n°242 du 14/10/11)
[1] B. Gherardini, « Supplique au Saint Père », en appendice à : Le Concile Œcuménique Vatican II. Un débat à ouvrir, Casa Mariana Editrice, Frigento (AV), 2010.
[2] R. de Mattei, Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta (Le concile Vatican II. Une histoire jamais écrite), Lindau, Torino, 2010, p. 591.
[3] B. Gherardini, “Quod et tradidi vobis”. La Tradizione vita e giovinezza della Chiesa, in Divinitas, Nova Series, 2010 (53) nn. 1-2-3, pp. 165-186.
[4] Romano Amerio, Iota Unum. Etude des variations de l’Eglise catholique au XXe siècle, Nouvelles Editions Latines, 1985, pp.82-83 (§44).
[5] Ibid. pp. 431-433 (§ 232 et 233).
[6] B. Gherardini, Quale accordo fra Cristo e Beliar ? Osservazioni teologiche sui problemi, gli equivoci ed i compromessi del dialogo interreligioso, Fede & Cultura, Verona, 2009.
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-H- Une proposition audacieuse pour les 50 ans de Vatican II

Le philosophe italien Enrico Maria Radaelli, disciple de l’auteur de Iota unum, Romano Amerio, propose qu’à l’occasion des 50 ans du Concile Vatican II, il soit respectueusement demandé au pape de poser le « seul acte qui pourrait réconcilier l’enseignement et la doctrine donnés par l’Eglise avant et après la fatale assemblée. Cet acte unique, héroïque, très humble, est d’approcher du feu surnaturel du dogme les doctrines qui sont mal vues par les fidèles de tendance traditionaliste, et celles qui en sont l’opposé : ce qui doit brûler brûlera, ce qui doit resplendir resplendira. D’ici à 2015, nous avons plus de trois ans devant nous. Il faut les utiliser au mieux. » Car pour reconstruire l’Eglise, ajoute-t-il, « le concile œcuménique Vatican II doit être lu selon la grille de la Tradition avec l’audace enflammée du dogme. » C’est pourquoi il souhaite que « cet anniversaire soit pour le Trône le plus élevé la meilleure occasion pour restaurer le divin munus docendi (la charge magistérielle) dans sa plénitude. »
Ce que propose le Professeur Radaelli rejoint le souhait profond de la Fraternité Saint-Pie X. Il est nécessaire que ce concile soit jugé à la lumière du dogme, lui qui s’est dit simplement pastoral, mais qui très vite s’est présenté comme un concile dogmatiquement pastoral, exigeant de fait l’obéissance due aux dogmes. Car, à l’usage, il semble bien que Vatican II véhicule des dogmes qui ne disent pas leur nom. Des dogmes qui ne sont pas définis, et qui veulent pourtant être suivis docilement.

– I- de la valeur magistérielle du concile Vatican II
Abbé Jean-Michel Gleize – La Porte Latine – Décembre 2011

NB: Lorsque, en 1962, j’avais initié, au niveau du district de France, des conversations théologiques pour nous “affonter” avec les autorités officielles et ne pas perdre les contacts avec l’Eglise – elles durèrent de 1962 à 1965 et s’étaient déroulées avec les monastères de Randol et de Fontgombeault, avec Dom de Lesquin, assisté du Père Fild et Dom Forgeot, assisté d’un théologien du monastère, et ”appuyés” des dominicains de Toulouse, le père Bonino et le père de la Soujol, – après nos douze débats portant sur les problèmes soulevés par Vatican II, nous étions arrivés à la conclusion que tous les problèmes se résumaient au problème central du magistère. Je suis heureux de constater que c’est bien la même conclusion à la quelle arrivent d’autres confrères de la FSSPX, à l’issue de leurs entretiens avec Rome, la même conclusion, celle de la notion de Magistère. C’est pourquoi je publie avec d’autant plus de joie cette étude de M l’abbé Jean-Michel Gleize sur le magistère. Une étude particulièrement profonde. Une seule remarque : nous étions en 1995… Nous sommes aujourd’hui en 2012…17 ans de perdu…! Mais non ! Rien n’est perdu. Tout sert au bien.
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Une question cruciale : l’abbé Jean-Michel Gleize répond à Mgr Fernando Ocariz – Décembre 2011 – La question centrale de la valeur magistérielle du concile Vatican II
L’Osservatore romano du 2 décembre 2011 publie une étude de Mgr Fernando Ocariz, l’un des quatre experts qui ont représenté le Saint-Siège lors des dernières discussions doctrinales avec la Fraternité Saint-Pie X (d’octobre 2009 à avril 2011). La question centrale de la valeur magistérielle du concile Vatican II y est abordée en toute clarté (§ 1), mais d’une manière qui reste fort insuffisante (§ 2).
1 – DES PRINCIPES INCONTESTABLES
Dans la première partie de son étude, le prélat espagnol récapitule les notions fondamentales déjà rappelées par Pie XII dans Humani generis (1) : le fait qu’un acte du magistère de l’Église ne soit pas garanti par le charisme de l’infaillibilité, propre aux définitions solennelles, ne signifie pas qu’il puisse être considéré comme « faillible », au sens où il transmettrait une « doctrine provisoire » ou encore des « opinions autorisées ». Dans un sens large, c’est à dire lorsqu’il ne donne pas de définitions solennelles et infaillibles, le magistère est toujours assisté par Dieu, et cette assistance est nécessaire pour assurer la transmission indéfectible du dépôt de la foi. En ce sens, le simple magistère ordinaire bénéficie lui aussi d’un certain charisme de vérité (2). L’infaillibilité du magistère doit donc s’entendre dans un sens analogue, c’est à dire à des degrés divers (3).
Il en résulte évidemment que l’adhésion due à la vérité proposée par le magistère s’entend elle aussi de diverses. Les définitions solennelles infaillibles proposent ordinairement comme telles des vérités formellement révélées, auxquelles est dû un assentiment de foi théologale. Les autres enseignements non définitoires réclament pour la vérité proposée une adhésion intellectuelle désignée comme un assentiment religieux interne, et qui implique, outre l’assentiment vis-à-vis de la vérité proprement dite, une certaine part d’obéissance vis-à-vis de l’autorité magistérielle. Enfin, les actes magistériels peuvent contenir des éléments qui, ne faisant pas la matière d’un enseignement proprement dit, n’exigent en tant que tels aucune adhésion.
2 – UNE PROBLEMATIQUE INSUFFISANTE
Ces rappels généraux ne présenteraient aucune difficulté, si Mgr Ocariz n’en faisait l’application aux enseignements de Vatican II. Selon lui en effet, même si le dernier concile n’a voulu définir aucun dogme, le charisme de vérité et l’autorité magistérielle y furent certainement présents, au point que les refuser à l’ensemble de l’épiscopat réuni cum Petro et sub Petro pour apporter un enseignement à l’Église universelle, ce serait nier une partie de l’essence même de l’Église. De la sorte, les affirmations du Concile qui rappellent des vérités de foi requièrent évidemment l’adhésion de la foi théologale, non pas parce qu’elles ont été enseignées par ce Concile, mais parce qu’elles avaient déjà été enseignées de façon infaillible comme telles par l’Église, soit en vertu d’une décision solennelle, soit par le magistère ordinaire et universel. Le même assentiment plein et définitif est requis pour les autres doctrines rappelées par le Concile et déjà proposées par un acte définitif lors de précédentes interventions magistérielles. Les autres enseignements doctrinaux du Concile requièrent des fidèles l’assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence.
On pourrait sans doute se féliciter de voir enfin un théologien du Saint-Siège introduire toutes ces nuances, et opposer ainsi un déni des plus formels, quoiqu’implicite, à toutes les présentations unilatérales qui ont jusqu’ici présenté le concile Vatican II dans une optique maximaliste, comme un dogme absolument intouchable, « plus important encore que celui de Nicée » (4). Cependant, aussi séduisante soit-elle dans les nuances et les distinctions qu’elle apporte, une pareille analyse véhicule dans sa racine un postulat qui est loin d’être évident. L’étude de Mgr Ocariz évite ainsi de répondre à la question cruciale, qui reste encore pendante entre la Fraternité Saint Pie X et le Saint-Siège. Plus exactement, la réponse à cette question semble si bien aller de soi aux yeux du prélat de l’Opus Dei que tout se passe comme s’il n’avait jamais été nécessaire de l’aborder. Ou comme si le débat ne devait jamais avoir lieu.
Celui-ci s’impose pourtant plus que jamais. Il est en effet loin d’être évident que le charisme de la vérité et l’autorité du magistère ont été certainement présents au dernier concile, et que l’ensemble de l’épiscopat réuni cum Petro et sub Petro y ait bénéficié des lumières du Saint-Esprit, pour enseigner l’Église universelle. Qu’on le veuille ou non, il ne va pas de soi que le dernier concile puisse s’imposer, en tout et pour tout, aux yeux des catholiques comme l’exercice d’un véritable magistère, réclamant leur adhésion aux différents niveaux indiqués. Et de fait, nous le nions, pour des raisons sérieusement fondées. Si l’on se rappelle en effet la définition traditionnelle du magistère (§ 3-5), on est bien obligé de constater que les procédés de Vatican II ne s’y conforment guère (§ 6-7). D’autant moins que cette nouveauté intégrale du 21e concile œcuménique s’explique profondément en raison de présupposés absolument inédits (§ 8-12).
3 – LA RAISON D’ÊTRE DU MAGISTERE
L’unité de l’Église et l’unité dans la foi sont inséparables, et le magistère a justement pour rôle de les sauvegarder. Le charisme de la vérité lui est nécessaire à cette fin, c’est à dire comme le moyen requis pour que se conserve le bien commun de l’Eglise, qui est le bien de l’unité dans la profession d’une même foi. C’est la raison que donne la constitution Pastor aeternus du concile Vatican I : « Tel est donc le charisme qui a été conféré divinement à Pierre et à ceux qui doivent lui succéder dans cette chaire […] de sorte que, le péril de la division ayant été écarté, toute l’Eglise se conserve une » (5). Saint Thomas explique de la même manière pourquoi le pape doit être divinement assisté lorsqu’il enseigne le dogme ; il doit l’être précisément en tant qu’il agit comme chef, pour sauvegarder l’unité de l’Eglise : « La raison en est qu’il ne doit y avoir qu’une seule foi dans toute l’Église, suivant la recommandation de l’Apôtre (1 Cor, 1/10) : ” Dites bien tous la même chose, et qu’il n’y ait pas de schismes parmi vous “. Une pareille unité ne pourrait être sauvegardée si une question de foi soulevée en matière de foi ne pouvait être tranchée par celui qui préside à toute l’Église, de telle sorte que toute l’Église observe fermement sa sentence » (6). C’est donc la cause finale de l’activité du magistère qui explique son indéfectibilité dans la foi. Le magistère est assisté par Dieu dans la mesure où il doit assurer l’unité de l’Eglise, qui est l’unité de la profession commune de la foi. Cette assistance n’est donc pas absolue mais limitée : elle accompagne la transmission de la révélation, et non autre chose. Le Christ a dit à ses apôtres que l’Esprit-Saint les assisterait pour enseigner tout ce que lui-même leur a enseigné, ni plus ni moins (7).
Loin de constituer la doctrine, l’acte de magistère ne fait donc que la conserver et la déclarer (8) : le magistère se définit comme tel en dépendance objective de la révélation divine, dont il doit assurer la transmission. Lors des débats qui précédèrent l’adoption de la constitution Lumen gentium, les principaux représentants du « Coetus internationalis patrum », dont Mgr Lefebvre, avaient proposé un amendement significatif (9). Cette modification du texte donnait à entendre que, si les définitions du pontife romain sont irréformables de soi et non parce que l’Eglise leur donnerait leur consentement, l’assistance du Saint-Esprit ne permet pas non plus qu’elles puissent jamais contredire la foi commune de l’Eglise ou s’en écarter. La raison de cet amendement était de bien montrer (surtout vis-à-vis des schismatiques orientaux) que le pape n’a pas le pouvoir de définir arbitrairement toute espèce de vérité, fût-elle en dehors du dépôt de la foi Lors du premier concile du Vatican, le rapporteur chargé d’expliquer au nom du Saint-Siège la signification exacte du texte de Pastor aeternus insistait dans le même sens : l’exercice du magistère ayant pour raison d’être le bien commun de l’unité de foi, l’assistance divine est départie au pape pour qu’il puisse préserver la foi commune de l’Eglise (10). Comme on l’a justement remarqué (11), si l’on perd de vue, dans une perspective faussée, le juste rapport qui fait dépendre le magistère de la Tradition objective, le Deus revelans risque de passer au second plan, au profit de la custos et magistra. Le moyen d’éviter ce risque est de se rappeler quelle est la définition essentielle du magistère : celle d’une puissance ordonnée à son objet.
Puisque l’unité d’une puissance découle de celle de son objet, l’unité du magistère est celle de la vérité révélée (12). L’une appelle l’autre, car la doctrine révélée est au principe et au fondement des enseignements magistériels, comme l’objet spécifique d’un acte.
4 – L’UNITE DE LA VERITE ET DE LA REVELATION
Dans l’explication développée par Aristote et saint Thomas (13), l’unité, loin d’exclure la multiplicité, la suppose et la dépasse, parce qu’elle établit justement un lien qui met en relation et en ordre, les uns par rapport aux autres, différents éléments qui vont entrer en composition et qui cesseront par le fait même de constituer une multitude informe. Cette composition est précisément ce qui résorbe la multiplicité dans l’unité.
Comme l’a montré le cardinal Franzelin (14), l’unité de la vérité révélée et de la Tradition est d’abord et avant tout l’unité de la signification des différents dogmes, dans l’expression ordonnée d’une même vérité. Les dogmes sont distincts les uns des autres, mais ils composent une unité, parce qu’ils sont ordonnés les uns aux autres, dans la mesure où ils signifient tous de façon complémentaire, les uns dans la dépendance des autres, les différents aspects de la même vérité révélée. Et cela s’explique parce que cette vérité révélée par Dieu suppose le principe même de toute vérité, qui est le principe de la non-contradiction, le principe de la non-division au niveau du sens, le principe de l’unité de la vérité. Cette unité de la vérité dogmatique passe par l’unité du sens des mots qui expriment la vérité.
C’est pourquoi, dans la constitution Dei Filius, le concile Vatican I affirme que « le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé à perpétuité est celui que notre Mère la sainte Eglise a présenté une fois pour toutes et jamais il n’est loisible de s’en écarter sous le prétexte ou au nom d’une compréhension plus poussée » (15). Et il est également dit dans le Serment antimoderniste de saint Pie X, au n° 4 : « Je reçois sincèrement la doctrine de la foi transmise des apôtres jusqu’à nous toujours dans le même sens et dans la même interprétation que lui ont donnée les Pères de l’Eglise ; pour cette raison, je rejette absolument l’invention hérétique de l’évolution des dogmes, qui passeraient d’un sens à l’autre, différent de celui que l’Eglise a d’abord professé » (16).
5 – L’UNITE DU MAGISTERE
L’objet de la foi est la vérité ontologique, c’est-à-dire la réalité même du mystère, telle qu’atteinte par le croyant moyennant des concepts et des expressions verbales (17). L’objet de la révélation est la vérité logique, c’est à dire l’énonciation conceptuelle du mystère, dont l’expression (ou le signe verbal extérieur, écrit ou vocal) est le dogme. La prédication du magistère ou la tradition est la communication de cette révélation moyennant un langage extérieur (écrit ou oral) qui exprime l’énonciation conceptuelle du mystère. La révélation et la tradition ont pour objet de fournir au fidèle les concepts et les expressions verbales moyennant lesquelles son acte de foi terminera à la réalité du mystère. Le dépôt de la foi est l’ensemble de ces expressions conceptuelles et verbales.
Ce dépôt, confié à la garde du magistère, est substantiellement immuable dans sa signification. Le magistère ne peut donc contredire la révélation, en proposant des vérités dont le sens ne serait pas voulu par Dieu. Il ne peut pas non plus se contredire lui-même, en proposant des vérités dont le sens serait contraire à celui des vérités qu’il a lui-même déjà proposées. Ceci reste vrai, même si l’expression conceptuelle ou verbale de la vérité révélée peut gagner en précision et même si le magistère peut exercer son acte pour proposer des formules dogmatiques plus explicites, ce qui autorise à parler d’un certain « progrès homogène du dogme ». Ces expressions dogmatiques finissent d’ailleurs par devenir définitives lorsqu’elles expriment de façon suffisamment explicite la vérité révélée. Ce fait est affirmé par Pie XII, à l’encontre des faux postulats de la nouvelle théologie (18). La mission qui a pour objet de déclarer le dépôt obéit aux mêmes règles que la mission qui a pour objet de le conserver, puisqu’elle n’en est qu’une conséquence.
Voilà pourquoi le magistère, défini dans la dépendance de son objet, est constant ou traditionnel : cette constance correspond exactement à l’unité même du magistère, qui se tire de son objet. L’unité du magistère est donc celle d’un enseignement qui propose toujours la même vérité divinement révélée, en lui donnant une signification inchangée, même si son expression peut gagner en précision, moyennant une formulation conceptuelle et verbale plus explicite.
6 – LE FAIT DE VATICAN II : UN NOUVEAU MAGISTERE PASTORAL.
Le discours d’ouverture du pape Jean XXIII (11 octobre 1962) (19), l’allocution du même adressée au Sacré-Collège le 23 décembre 1962 (20), et le Discours de Benoît XVI du 22 décembre 2005 (21) indiquent clairement l’intention du Concile et la signification exacte du « magistère pastoral ». Vatican II a voulu exprimer la foi de l’Eglise suivant les modes de recherche et de formulation littéraire de la pensée moderne, et redéfinir la relation de la foi de l’Eglise vis-à-vis de certains éléments essentiels de cette pensée.
Bien évidemment, le magistère de l’Eglise est toujours pastoral dans son intention, au sens où, à chaque époque de l’histoire, la prudence des pasteurs propose la vérité pour guider les âmes vers le salut éternel. Mais en même temps, l’enseignement du magistère de l’Eglise reste toujours de nature strictement doctrinale et disciplinaire dans son objet. Les déclarations de Jean XXIII affirment clairement que, à la différence de tous les conciles précédents, Vatican II a voulu être pastoral jusque dans son objet. Même si ce concile a pu prendre pour objet matériel d’étude différents points tantôt doctrinaux, tantôt disciplinaires, tantôt pastoraux, l’optique unique et spécifique selon laquelle il a voulu se pencher sur tous ces points, c’est-à-dire son objet formel, ne fut pas doctrinale mais pastorale, dans un sens foncièrement nouveau. Ce qui explique d’ailleurs la perplexité d’un grand nombre de pères conciliaires vis-à-vis d’un genre de textes inconnu jusque-là. Lorsque le magistère de l’Eglise propose l’objet de la foi en recourant au langage tiré de la philosophie naturelle à l’intelligence humaine (22), cet apport philosophique est celui d’un outil conceptuel et verbal, mis au service de la plus parfaite expression des vérités révélées. Vatican II a voulu « étudier et exposer la doctrine », non seulement « suivant les formulations littéraires », mais encore « suivant les modes de recherche de la pensée moderne ». Si l’on s’en tient à cette intention exprimée par Jean XXIII, l’on est obligé de dire que le Concile a voulu recourir à la pensée moderne non seulement comme à un outil mais encore et bien plus comme à un véritable objet formel, principe et méthode de l’étude et de l’exposition de la doctrine. Le « pastoral » prend ici tout son sens. L’intention explicite de Vatican II a été de recevoir du monde les problématiques nouvelles issues de l’époque moderne.
Nous pouvons en prendre pour preuve supplémentaire ce qu’a écrit le cardinal Ratzinger dans son livre Les principes de la théologie catholique (23), paru en français en 1982. L’épilogue de ce livre est intitulé : « L’Eglise et le monde : à propos de la question de la réception du deuxième Concile du Vatican »(24). Le préfet de la foi y affirme : « De tous les textes du 2nd concile du Vatican, la constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et spes) a été incontestablement le plus difficile et aussi […] le plus riche en conséquence. Par sa forme et la direction de ses déclarations, il s’écarte dans une large mesure de la ligne de l’histoire des conciles et permet, par le fait même, plus que tous les autres textes de percevoir la physionomie spéciale du dernier concile. C’est pourquoi il a été considéré de plus en plus après le Concile comme le véritable testament de celui-ci : après un processus de fermentation de trois années, il semble que sa véritable volonté soit enfin apparue et ait trouvé sa forme. L’incertitude qui pèse encore sur la question de la vraie signification de Vatican II est en rapport avec des diagnostics de ce genre, et donc aussi en rapport avec ce document » (25). […] « Il nous faut encore une fois nous interroger sur ce que la constitution pastorale comporte précisément de neuf et de spécial. […] Un premier point caractéristique me paraît résider dans le concept du “monde” qui s’y trouve. […] La constitution comprend par “monde” un vis-à-vis de l’Eglise. Le texte doit servir à les amener tous les deux dans un rapport positif de coopération dont le but est la construction du “monde”. L’Eglise coopère avec le “monde” pour construire le “monde” – c’est ainsi qu’on pourrait caractériser la vision si déterminante du texte. […] Il semble qu’on entende par monde toutes les réalités scientifiques et techniques du temps présent, et tous les hommes qui les portent ou en ont imprégné leur mentalité » (26). Rien d’étonnant alors à ce que le cardinal Ratzinger dise encore : « Le texte de Gaudium et spes joue le rôle d’un contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 » (27). Ou encore : « Vatican II avait raison de souhaiter une révision des rapports entre l’Eglise et le monde. Car il y a des valeurs qui, même si elles sont nées hors de l’Eglise, peuvent, une fois examinées et amendées, trouver leur place dans sa vision » (28). Fondé sur la méthode de recherche de la pensée moderne, le Concile donne nécessairement des enseignements qui le rendent dépendant du monde moderne.
Sans doute le monde moderne peut-il être conduit à poser d’une manière nouvelle des questions éternelles auxquelles l’Eglise apportera (en des termes peut-être plus explicites) des réponses qui découleront toujours des mêmes principes et de la même méthode. Mais Vatican II n’a pas examiné à la lumière de la foi les nouvelles questions soulevées par la modernité, et il a même au contraire refusé explicitement d’en examiner un bon nombre, dont l’importance était pourtant reconnue de tous les catholiques, comme la question du communisme. La spécificité qui fait de Vatican II un cas absolument unique est d’avoir voulu proposer la foi à la lumière et suivant le mode de la pensée moderne. Or, aucun concile ne saurait recevoir ses modes de recherche de la pensée ou de la culture du monde moderne, « tel qu’il se présentait depuis 1789 »(29). Les principes et la méthode du magistère ecclésiastique ont été suffisamment indiqués par le concile Vatican I : « La doctrine de foi que Dieu a révélée n’a pas été proposée comme une découverte philosophique à faire progresser par la réflexion de l’homme, mais comme un dépôt divin confié à l’Epouse du Christ pour qu’elle le garde fidèlement et le présente infailliblement » (30). La conséquence est indiquée par Pie XII, dans l’encyclique Humani generis : « Négliger, rejeter ou priver de leur valeur tant de biens précieux qui au cours d’un travail plusieurs fois séculaire des hommes d’un génie et d’une sainteté peu commune, sous la garde du magistère sacré et la conduite lumineuse de l’Esprit-Saint, ont conçus, exprimés et perfectionnés en vue d’une présentation de plus en plus exacte des vérités de la foi, et leur substituer des notions conjecturales et les expressions flottantes et vagues d’une philosophie nouvelle appelées à une existence éphémère, comme la fleur des champs, ce n’est pas seulement pécher par imprudence grave, mais c’est faire du dogme lui-même quelque chose comme un roseau agité par le vent ».
D’autre part, en se proposant d’exprimer la foi selon les modes de recherche de la pensée moderne, le Concile ne voulait pas s’adresser premièrement aux catholiques, mais à l’homme moderne en général. Mais en se donnant un tel auditoire, le Concile renonçait par le fait même à exposer formellement la foi, avec l’autorité d’un magistère proprement dit, parlant au nom de Dieu, puisque son interlocuteur était par définition réfractaire ou indifférent au message de l’Eglise. Vatican II ne pouvait prétendre qu’à énoncer la foi d’une façon toute matérielle, dans une démarche non point magistérielle mais apologétique, et se proposer de rendre la foi acceptable à l’homme moderne, en lui montrant que la vérité révélée ne remet pas en cause les catégories de sa pensée. Nous ne jugeons pas ici de l’efficacité apologétique d’une telle démarche (les faits parlent d’eux-mêmes). Nous soulignons simplement ici sa grande faiblesse magistérielle.
Par conséquent, il est faux d’affirmer, comme le fait Mgr Ocariz, une constance de méthode en vertu de laquelle les textes de Vatican II éclaireraient légitimement ceux du magistère antérieur à 1962. D’une part en effet, le but de Vatican II n’était pas de reprendre et de préciser ces enseignements ; et d’autre part, Vatican II a voulu exprimer la foi suivant les principes et les méthodes d’un système philosophique contraire à la foi(31), non seulement dans tel ou tel de ses contenus, mais jusqu’en ses fondements, c’est-à-dire ses doutes critériologiques. Partant, un tel système n’est pas seulement incompatible avec le catholicisme ; il s’oppose directement à la métaphysique naturelle de l’intelligence, remettant en cause sa capacité à connaître le vrai. La philosophie moderne a inversé le rapport du sujet à l’objet, et par là même le rapport de l’homme à Dieu. En assumant les modes de recherche de la modernité, la pensée conciliaire a assumé cette inversion, ainsi que le manifeste par exemple la déclaration sur la liberté religieuse : le principe et le fondement de cette déclaration n’est autre que la primauté de la dignité ontologique sur la dignité morale, c’est à dire la primauté du sujet sur l’objet. Une pareille inversion est absolument contraire au principe critériologique que supposent la révélation, la tradition et le magistère, c’est-à-dire au principe de l’objectivité la plus réaliste. Un présupposé subjectiviste ne peut servir de base à une interprétation qui se propose d’éclaircir le sens et la portée d’un magistère dont les présupposés objectifs sont radicalement inverses.
7 – LE FAIT DE VATICAN II : DES ENSEIGNEMENTS NOUVEAUX CONTRAIRES A LA TRADITION.
Au moins sur quatre points, les enseignements du concile Vatican II sont évidemment en contradiction logique avec les énoncés du magistère traditionnel antérieur, de sorte qu’il est impossible de les interpréter en conformité avec les autres enseignements déjà contenus dans les documents antérieurs du magistère ecclésiastique. Vatican II a donc rompu l’unité du magistère, dans la mesure même où il a rompu l’unité de son objet.
Ces quatre points sont les suivants. La doctrine sur la liberté religieuse, telle qu’elle s’exprime dans n° 2 de la Déclaration Dignitatis humanae contredit les enseignements de Grégoire XVI dans Mirari vos et de Pie IX dans Quanta cura ainsi que ceux du pape Léon XIII dans Immortale Dei et ceux du pape Pie XI dans Quas primas (32). La doctrine sur l’Eglise, telle qu’elle s’exprime dans le n° 8 de la constitution Lumen gentium contredit les enseignements du pape Pie XII dans Mystici corporis et Humani generis(33). La doctrine sur l’œcuménisme, telle qu’elle s’exprime dans le n° 8 de Lumen gentium et le n° 3 du décret Unitatis redintegratio contredit les enseignements du pape Pie IX dans les propositions 16 et 17 du Syllabus, ceux de Léon XIII dans Satis cognitum, et ceux du pape Pie XI dans Mortalium aninos(34). La doctrine sur la collégialité telle qu’elle s’exprime dans le n° 22 de la constitution Lumen gentium, y compris le n° 3 de la Nota praevia, contredit les enseignements du concile Vatican I sur l’unicité du sujet du pouvoir suprême dans l’Eglise, dans la constitution Pastor aeternus.
De plus (35), la réforme liturgique de 1969 a eu pour résultat la confection d’un Nouvel Ordo Missae qui « s’éloigne de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte messe telle qu’elle a été formulée à la 20e session du concile de Trente »(36). La restauration du rite de la messe accomplie par saint Pie V avait eu pour résultat d’expliciter les aspects de la foi catholique niés par l’hérésie protestante. La réforme liturgique accomplie par Paul VI a eu pour résultat d’occulter ces mêmes aspects, au moment même où resurgissent avec une force accrue les hérésies qui avaient rendu indispensable l’explicitation de ces aspects. Le Missel de Paul VI n’est donc pas venu préciser celui de saint Pie V. Il s’en est éloigné, au sens où il a rendu obscur et ambigu ce que le Missel de saint Pie V avait rendu explicite et clarifié. Si l’on objecte que la réforme liturgique de Paul VI a voulu expliciter d’autres aspects laissés dans l’ombre jusqu’ici, nous répondons qu’une nouvelle explicitation ne peut pas remettre en cause l’explicitation déjà accomplie ; c’est pourtant ce que fait le nouveau Missel de 1969, en occultant les aspects de la foi catholique précisément niés par les hérésies protestantes.
Sur les quatre points indiqués, ainsi que dans la réforme liturgique qui s’est ensuivie, le concile Vatican II présente aux yeux du catholique perplexe des contradictions évidemment inacceptables. Pris dans son ensemble, la grande réforme de Vatican II apparaît comme un étrange amalgame, mélange subtil de vérités partielles et d’erreurs déjà condamnées(37). Infecté par les principes du libéralisme et du modernisme, cet enseignement présente de graves déficiences. Celles-ci interdisent assurément de voir en Vatican II un concile comme les autres, représentant l’expression autorisée de la Tradition objective. Cela empêche aussi de dire que le dernier Concile s’inscrit dans l’unité du magistère de toujours.
8 – UNE NOUVELLE PROBLEMATIQUE
En conformité avec le Discours de 2005, Mgr Ocariz pose le principe d’une « interprétation unitaire », d’après lequel les textes du concile Vatican II et les documents magistériels précédents doivent s’éclairer mutuellement. Le concile Vatican II doit non seulement être interprété à la lumière des documents magistériels précédents, mais certains de ces derniers sont également mieux compris à la lumière de Vatican II. L’interprétation des nouveautés enseignées par le concile Vatican II doit donc repousser, comme le dit Benoît XVI, « l’herméneutique de la discontinuité par rapport à la Tradition, tandis qu’elle doit affirmer l’herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité ». Il y a là un nouveau vocabulaire qui exprime clairement une nouvelle problématique. Celle-ci inspire tout le propos de Mgr Ocariz. « Une caractéristique essentielle du magistère », écrit-il, « est sa continuité et son homogénéité dans le temps ».
Ce vocabulaire est nouveau. Les idées qu’il véhicule le sont aussi. Si on parle de « continuité » ou de « rupture », cela devrait s’entendre, au sens traditionnel, d’une continuité ou d’une rupture objective, c’est à dire par rapport à l’objet de la prédication de l’Eglise. Parler d’une continuité équivaudrait à parler de l’ensemble des vérités révélées telles que le magistère de l’Eglise les conserve et les expose, tout en leur donnant la même signification, et sans que la prédication présente puisse contredire la prédication passée. La rupture consisterait à porter atteinte au caractère immuable de la Tradition objective et serait alors synonyme de contradiction logique entre deux énoncés dont les significations respectives ne pourraient se vérifier simultanément.
Mais il faut se rendre à l’évidence et reconnaître que le mot « continuité » n’a pas du tout ce sens traditionnel dans le discours actuel des hommes d’Eglise. On y parle précisément de continuité à propos d’un sujet qui évolue au cours du temps. Il ne s’agit pas de la continuité d’un objet, celle du dogme ou de la doctrine, que le magistère de l’Eglise proposerait aujourd’hui, en lui donnant le même sens que jadis. Il s’agit de la continuité de l’unique sujet Eglise. Benoît XVI parle d’ailleurs exactement non de la continuité mais « du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Eglise, que le Seigneur nous a donné ; c’est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche ». A l’inverse, ajoute-t-il aussitôt, « l’herméneutique de la discontinuité risque de finir par une rupture entre Eglise préconciliaire et Eglise post-conciliaire ». Cela signifie que la rupture doit se situer au même niveau : c’est une rupture entre deux sujets, au sens où l’Eglise, l’unique sujet du Peuple de Dieu, ne serait plus la même avant et après le Concile.
9 – UNE NOUVELLE CONCEPTION DE L’UNITE DU MAGISTERE
Ce nouveau discours implique une nouvelle idée de l’unité du magistère. La continuité dont il est question est l’unité dans le temps, c’est à dire à travers le changement que mesure le temps, et c’est d’abord l’unité du sujet, non celle de l’objet. Ce sujet est l’Eglise, unique Peuple de Dieu, c’est à dire l’ensemble de tous les baptisés. Ce sujet est le point de référence qui rend compte de l’unité de la Tradition.
L’Instruction Donum veritatis du 24 mai 1990 (38), sur laquelle s’appuie Mgr Ocariz, développe en détail ce point de vue. Sous le titre « La vérité don de Dieu à son Peuple », le premier chapitre de ce document développe l’idée déjà présente dans le n° 12 de Lumen gentium, d’après laquelle la conservation et l’explication du dépôt révélé serait l’affaire du Peuple de Dieu tout entier, antérieurement à toute distinction hiérarchique. Les baptisés auraient en partage une fonction prophétique, plus fondamentale que la fonction magistérielle propre aux apôtres et à leurs successeurs. Le cardinal Ratzinger insiste sur cette idée, à ses yeux décisive, dans la Présentation qu’il donne de l’Instruction Donum veritatis : « En considérant la structure du document, on sera surpris de voir que nous n’avons pas placé le magistère au début, mais plutôt le thème de la vérité comme don de Dieu à son Peuple ; la vérité de la foi n’est pas donnée à l’individu isolé (pape ou évêque) mais par elle Dieu a voulu donner naissance à une histoire et à une communauté. La vérité réside dans le sujet communautaire du Peuple de Dieu, dans l’Eglise ». De même, Jean-Paul dit au n° 27 de l’Exhortation post-synodale Pastores gregis : « Dans l’Église, école du Dieu vivant, évêques et fidèles sont tous condisciples et ont tous besoin d’être instruits par l’Esprit. Les lieux d’où l’Esprit donne son enseignement intérieur sont vraiment nombreux. Tout d’abord le cœur de chacun, puis la vie des diverses Églises particulières, où apparaissent et se font sentir les multiples besoins des personnes et des différentes communautés ecclésiales, par des langages connus, mais aussi par des langages divers et nouveaux »(39).
Il manque ici la distinction absolument nécessaire entre le destinataire et le dépositaire-intermédiaire. Le Peuple de Dieu tout entier (et bien plus que le Peuple de Dieu, tous les hommes sans exception) sont les destinataires de la vérité qui doit les sauver. Mais seuls quelques individus isolés sont choisis parmi les autres hommes pour être les titulaires d’une fonction hiérarchique et les dépositaires de cette vérité, car c’est à eux seuls qu’elle a été confiée comme en dépôt avec la charge de la conserver, et eux seuls sont les intermédiaires établis par Dieu pour communiquer en son nom la vérité salutaire. La déclaration Mysterium Ecclesiae du 24 juin 1973 (40), sur laquelle s’appuie aussi Mgr Ocariz, dit sans doute que l’autorité du magistère est requise pour assurer l’unité sociale de l’expression de la foi (41) : à la différence de ce qui se passe dans le protestantisme ou dans le modernisme d’Alfred Loisy, condamné par saint Pie X, le magistère est ici une institution divine, et lui seul est assisté par Dieu pour conduire le Peuple, en lui indiquant l’interprétation autorisée de la Parole de Dieu. Mais il n’est pas dit que la fonction magistérielle soit requise comme celle d’un dépositaire et d’un intermédiaire, témoin privilégié ayant reçu de Dieu, en tant qu’individu isolé, la vérité de sa révélation, avec la charge de la conserver et de la transmettre. Et Donum veritatis ne vient-il pas préciser sur ce point Mysterium Ecclesiae, en disant que la vérité de foi est un don de Dieu à tout son Peuple, qu’elle n’est pas donnée à l’individu isolé (pape ou évêque), mais qu’elle réside dans le sujet communautaire du Peuple de Dieu (42) ?
Dans le « Commentaire » publié le 27 juin 1994, afin de préciser le sens de la Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis parue le 22 mai précédent, le cardinal Ratzinger exprime nettement cette nouvelle conception du magistère : « L’Ecriture ne peut devenir le fondement d’une vie que si elle est confiée à un sujet vivant – celui-là même dont elle est née. Elle a eu son origine dans le Peuple de Dieu guidé par l’Esprit-Saint et ce Peuple, ce sujet, n’a cessé de subsister. Le concile Vatican II a exprimé tout cela de la manière suivante : ” L’Eglise ne tire pas de la seule Ecriture sainte sa certitude sur tous les points de la révélation ” (Dei Verbum, § 9). […] Selon la vision de Vatican II, l’Ecriture, la Tradition et le magistère ne doivent pas être considérés comme trois réalités séparées, mais l’Ecriture, lue à la lumière de la Tradition et vécue dans la foi de l’Eglise, s’ouvre, dans ce contexte vital, dans sa pleine signification. Le magistère a pour tâche de confirmer cette interprétation de l’Ecriture rendue possible par l’écoute de la Tradition dans la foi »(43). Dans ce texte, le terme de « Tradition » est distingué du magistère et désigne la vie concrète du Peuple de Dieu, c’est à dire le contexte vital auquel le magistère doit puiser comme à une source.
La catéchèse dispensée par Benoît XVI en 2006 confirme encore cette idée. L’Eglise résulte à l’origine d’une expérience que les apôtres ont vécue avec le Christ(44). Prolongée dans l’espace et dans le temps, cette expérience suscite une communion, qui doit recourir au service du ministère apostolique pour garder sa cohésion spatio-temporelle(45). L’unité hiérarchique, dans le temps et dans l’espace, est une deuxième unité qui découle d’une première unité plus radicale, celle de l’expérience commune. C’est ainsi que la tradition vivante, qui est l’expérience commune continuée dans le temps, précède et suscite la tradition apostolique, qui est le ministère continué dans le temps comme un service de la communion. Les deux traditions resteront toujours synchronisées, et on ne trouvera jamais la continuité de l’expérience commune sans la continuité du ministère, car aux yeux de Benoît XVI, l’Eglise n’est pas une communauté purement charismatique. Mais il y a pourtant, dans la définition qu’il donne de l’Eglise, une antériorité logique de l’expérience commune par rapport au ministère. Cette antériorité est exactement celle qui est introduite par l’Instruction Donum veritatis : le Peuple de Dieu dépositaire de la vérité précède en ce sens le magistère hiérarchique. La Tradition est alors entendue dans un sens nouveau comme la continuité d’une présence active, celle de Jésus qui vit dans son Peuple(46). Elle est accomplie par l’Esprit-Saint et exprimée (47) grâce au service du ministère apostolique : « Cette actualisation permanente de la présence active de Jésus Seigneur dans son peuple, opérée par l’Esprit Saint et exprimée dans l’Eglise à travers le mi¬nistère apostolique et la communion fraternelle, est ce que l’on entend au sens théologique avec le terme Tradition » (48). Il s’agit précisément de « la communion des fidèles autour des pasteurs légitimes au cours de l’histoire, une communion que l’Esprit Saint alimente en assurant la liaison entre l’expérience de la foi apostolique, vécue dans la communau¬té originelle des disciples, et l’expérien¬ce actuelle du Christ dans son Eglise » (49).
Dans cette nouvelle optique, il n’est plus dit que le rôle du magistère est de conserver et de transmettre au nom de Dieu le dépôt des vérités révélées par le Christ aux apôtres. Il est dit que son rôle consiste à assurer la cohésion de l’expérience communautaire des origines, de façon à ce que la communion d’aujourd’hui continue la communion d’hier. Le magistère est alors au service du sujet Eglise, son rôle étant d’expliciter dans des formules autorisées les intuitions préconceptuelles du sensus fidei.
On ne saurait nier la réalité de ce sensus fidei. Il équivaut au consensus unanime et infaillible de la croyance. Mais il s’agit précisément du consensus de l’Eglise enseignée. Celui-ci découle de l’infaillibilité de l’Eglise enseignante, qui est sa cause propre. L’Eglise étant une et sainte dans sa foi, la croyance des fidèles est indéfectiblement et solidairement docile, dans le temps comme dans l’espace, à l’enseignement de la hiérarchie magistérielle. Sans doute peut-on parler d’un certain sujet de la Tradition au sens passif, qui est un sens large, et qui correspond à l’ensemble de tous les croyants, mais ce sujet est tel comme simple témoin de l’enseignement du magistère, et le consensus de l’Eglise dans la croyance possède tout au plus la valeur d’un signe faisant connaître l’infaillibilité de l’enseignement qui a proposé à croire la vérité crue unanimement. En ce sens, la profession de foi indéfectible de l’Eglise enseignée représente un lieu théologique, car c’est elle seule qui manifeste bien des vérités proposées infailliblement par la prédication orale du magistère ordinaire universel. Mais ce genre de critère reste le simple signe de l’infaillibilité de l’enseignement, et non sa cause. En faire une cause, c’est reprendre à son compte l’erreur condamnée par le concile Vatican I, en l’étendant au domaine particulier du pouvoir de magistère : « le primat de juridiction a été donné immédiatement et directement non pas à Pierre lui-même, mais à l’Eglise, pour remonter ensuite à Pierre comme à son représentant »(50). Cela implique encore qu’une proposition du magistère ne serait infaillible que dans la mesure où elle serait agréée (même antécédemment) par le Peuple, ce qui contredit formellement la sentence énoncée infailliblement par le même concile Vatican I : « De telles définitions portées par le Souverain Pontife sont irréformables de soi, et non de par le consentement de l’Eglise » (51).
10 – UNE NOUVELLE CONCEPTION DE L’UNITE DE LA VERITE
Dans l’optique traditionnelle, où le point de référence est celui de l’objet, l’unité du magistère est celle de la vérité révélée, puisque le magistère se définit comme l’organe de la Tradition objective. De ce fait, l’acte du magistère ne se définit pas essentiellement comme un acte présent, par opposition à un acte passé. Car si le magistère s’exerce, ce n’est pas en tant qu’il est présent ou actuel, mais c’est en tant qu’il exprime toujours la même signification de la même vérité, de façon toujours plus précise. Cette expression de la vérité, avec l’explicitation qui l’accompagne in eodem sensu, est de soi intemporelle. En ce sens, le magistère vivant ne se réduit pas au magistère présent, par opposition au magistère passé qui serait un magistère non vivant, ou posthume. Si le magistère présent est vivant, le magistère passé l’a été lui aussi. Le temps n’a aucune incidence directe et immédiate sur l’objet ni sur l’acte du magistère qui l’énonce. Pour appuyer sa critique des enseignements de Vatican II, Mgr Lefebvre évoque toujours, avec une grande précision, non pas « le magistère passé » mais « le magistère de toujours », en d’autres termes le magistère constant. Le temps concerne seulement le sujet qui exerce l’acte de magistère, et c’est en ce sens que l’on peut distinguer entre une règle éloignée (le magistère passé) et une règle prochaine (le magistère présent) de la foi.
Dans la nouvelle optique impliquée par le Discours de 2005 et élucidée dans les textes que nous avons produits, le point de référence n’est plus celui de l’objet. L’unité du magistère est celle de « l’unique sujet Eglise qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche ». Le magistère se définit comme l’organe d’une expérience commune, vécue au fil du temps par le Peuple de Dieu. On base alors la continuité dans le sujet de l’Eglise qui demeure le même, indépendamment de l’objet. Ce n’est pas le sujet qui s’adapte à l’objet, mais c’est l’objet qui est dit continu, parce que le sujet qui le dit reste le même. Le renouveau dans la continuité dont parle Benoît XVI consiste à établir « la liaison entre l’expérience de la foi apostolique, vécue dans la communau¬té originelle des disciples, et l’expérien¬ce actuelle du Christ dans son Eglise » (52). De fait, ce renouveau ne consiste pas à proposer la même doctrine selon un mode plus explicite. Il consiste à changer la doctrine, avec les principes qu’elle implique, sous prétexte que ces principes (dont on dit seulement qu’ils sont « durables ») doivent trouver leur application dans une matière contingente. C’est en ce sens que Vatican II s’est proposé d’établir « une nouvelle définition de la relation entre la foi de l’Eglise et certains éléments essentiels de la pensée moderne », afin que la doctrine de la foi fût « présentée de la façon qui répondît aux exigences de notre époque », et « suivant les modes de recherche et de formulation littéraire de la pensée moderne ». Puisque c’est le même sujet Eglise qui adopte ainsi une position différente vis-à-vis du monde issu de la modernité, le renouveau serait celui d’une continuité, non d’une rupture.
Comme l’enseigne logiquement la Déclaration Mysterium Ecclesiae, si le magistère impose au Peuple de Dieu les formules dogmatiques comme autant de formes différentes aptes à traduire une expérience vécue au fil du temps et de la contingence, « il ne s’ensuit point que chacune d’entre elles eut et gardera toujours cette aptitude au même degré ». Un pareil relativisme va à l’encontre des enseignements donnés par Pie XII dans Humani generis (53). Mais il s’harmonise avec la nouvelle idée du magistère exposée par Donum veritatis. Le futur Benoît XVI a d’ailleurs justifié lui-même cette conception relativiste : « [L’enseignement magistériel] affirme – peut-être pour la première fois de façon aussi claire – qu’il existe des décisions du magistère qui ne peuvent constituer le dernier mot sur une matière en tant que telle, mais une stimulation substantielle par rapport au problème, et surtout une expression de prudence pastorale, une sorte de disposition provisoire. […] A cet égard, on peut penser aussi bien aux déclarations des papes du siècle dernier sur la liberté religieuse qu’aux décisions anti-modernistes du début de ce siècle, en particulier aux décisions de la Commission biblique de l’époque. En tant que cri d’alarme devant les adaptations hâtives et superficielles, elles demeurent pleinement justifiées. […] Mais dans les détails relatifs aux contenus, elles ont été dépassées, après avoir rempli leur devoir pastoral à un moment précis » (54). Ce relativisme se retrouve dans le Discours du 22 décembre 2005, qui raisonne comme si toute décision, du fait même qu’elle appartient à l’histoire, ne pouvait concerner qu’une matière contingente et exprimer une vérité seulement relative aux circonstances : « Dans ce processus de nouveauté dans la continuité, nous devions apprendre à comprendre plus concrètement qu’auparavant que les décisions de l’Eglise en ce qui concerne les faits contingents – par exemple, certaines formes concrètes de libéralisme ou d’interprétation libérale de la Bible – devaient nécessairement être elles-mêmes contingentes, précisément parce qu’elles se référaient à une réalité déterminée et en soi changeante ».
Dans la pensée du pape, ce relativisme ne date pas d’hier. Encore théologien, Joseph Ratzinger s’expliquait déjà suffisamment sur ce point. « Non seulement », écrivait-il en 1972, « on doit dire que l’histoire des dogmes, dans le domaine de la théologie catholique, est fondamentalement possible mais encore que tout dogme qui ne s’élabore pas comme histoire des dogmes est inconcevable »(55) ; et c’est pourquoi « la formation du concept de Tradition dans le catholicisme post-tridentin constitue le plus grand obstacle à une compréhension historique de la réalité chrétienne »(56). En effet, le concept post-tridentin de Tradition suppose que la révélation a été achevée à la mort du dernier des apôtres et que depuis elle demeure substantiellement immuable dans sa signification. Or, « l’axiome de la fin de la révélation avec la mort du dernier apôtre », explique Joseph Ratzinger, « était et est, à l’intérieur de la théologie catholique, un des principaux obstacles à la compréhension positive et historique du christianisme : l’axiome ainsi formulé n’appartient pas aux premières données de la conscience chrétienne »(57). […] « En affirmant que la révélation est close avec la mort du dernier apôtre, on conçoit objectivement la révélation comme un ensemble de doctrines que Dieu a communiquées à l’humanité. Cette communication prit fin un certain jour et les limites de cet ensemble de doctrines révélées restèrent ainsi fixées en même temps. Tout ce qui vient après serait ou la conséquence de cette doctrine ou la corruption de celle-ci » (58). Or, « non seulement cette conception s’oppose à une pleine compréhension du développement historique du christianisme mais est même en contradiction avec les données bibliques » (59).
Tout cela est parfaitement cohérent, si l’on tient que la Tradition est : « la communion des fidèles autour des pasteurs légitimes au cours de l’histoire, une communion que l’Esprit Saint alimente en assurant la liaison entre l’expérience de la foi apostolique, vécue dans la communau¬té originelle des disciples, et l’expérien¬ce actuelle du Christ dans son Eglise » (60), ou encore : « l’histoire de l’Esprit qui agit dans l’his¬toire de l’Eglise à travers la médiation des Apôtres et de leurs successeurs, en continuité fidèle avec l’expérience des origines »(61), ou si l’on postule que « La Tradition n’est pas une transmission de choses ou de paroles, une collection de choses mortes ; la Tradition est le fleuve vi¬vant qui nous relie aux origines, le fleuve vivant dans lequel les origines sont toujours présentes. Le grand fleuve qui nous conduit aux portes de l’éterni¬té » (62), ou si l’on décide que « la Tradition apostolique n’est pas une collection de choses, de mots, com¬me une boîte remplie de choses mortes ; la Tradition est le fleuve de la vie nou¬velle qui vient des origines, du Christ jusqu’à nous, et qui nous fait partici¬per à l’histoire de Dieu avec l’humani¬té ».
Mais si les eaux de ce grand fleuve où baigne la foi de l’Eglise ne restent jamais les mêmes, nous aurons beaucoup de mal à suivre Mgr Ocariz dans la recherche d’une « interprétation unitaire », qui satisfasse aux exigences du principe de non contradiction.
11 – LE NŒUD DU DILEMME
Dans la logique de Vatican II et du Discours de 2005, l’objet est en tant que tel relatif au sujet. Dans la logique de Vatican I, et de tout l’enseignement traditionnel de l’Eglise, le sujet est en tant que tel relatif à l’objet. Ces deux logiques sont inconciliables.
Le magistère, à quelque époque qu’il soit, doit rester l’organe du dépôt de la foi. Il se dénature dans la mesure même où il altère ce dépôt. Il est faux que des principes divinement révélés et explicités par le magistère antérieur ne s’imposeraient plus nécessairement, sous prétexte que le sujet Eglise les vit différemment à travers la contingence de l’histoire, ou que le Peuple de Dieu se trouve conduit à établir une relation nouvelle entre sa foi et le monde moderne. Des principes que l’on applique en matière contingente (comme ceux qui fondent toute la doctrine sociale de l’Eglise) ne sont pas contingents. Sans doute, l’immutabilité substantielle de la vérité révélée n’est pas absolue, car l’expression conceptuelle et verbale de cette vérité peut gagner en précision. Mais ce progrès n’entraîne aucune remise en cause du sens de la vérité, qui devient seulement plus explicite dans sa formulation. Les principes restent nécessaires, quelles que soient les différentes formes concrètes de leur application. Cette distinction entre principes et formes concrètes s’avère factice en ce qui concerne la doctrine sociale de l’Eglise, et c’est en vain que Benoît XVI y recourt dans son Discours de 2005 pour légitimer la déclaration Dignitatis humanae.
Pour en revenir à Vatican II, la question fondamentale est de savoir quel est le principe premier qui doit servir de règle ultime à l’activité du magistère. Est-ce le donné objectif de la révélation divine, telle qu’il s’exprime dans sa substance définitive à travers le magistère du Christ et des apôtres, auquel le magistère ecclésiastique ne fait que succéder ? Est-ce l’expérience communautaire du Peuple de Dieu, dépositaire (et pas seulement destinataire) du don de la Vérité en tant que porteur du sens de la foi ? Dans le premier cas, le magistère ecclésiastique est l’organe de la Tradition et il dépend comme de sa règle objective du magistère divino-apostolique ; la question est alors de savoir si les enseignements objectifs du concile Vatican II sont ceux d’un magistère constant et d’une Tradition immuable. Dans le second cas, le magistère ecclésiastique est le porte-parole fédérateur de la conscience commune du Peuple de Dieu, chargé d’établir la cohésion spatio-temporelle de l’expression du sensus fidei ; Vatican II est alors pour le sujet Eglise le moyen d’exprimer en langage conceptuel son sensus fidei, vécu et réactualisé dans le respect des contingences de l’époque moderne.
12 – HERMENEUTIQUE ET REINTERPRETATION
Aux yeux de Mgr Ocariz, les enseignements de Vatican II représentent des nouveautés, « au sens où ils explicitent des aspects nouveaux, non encore formulés par le magistère, mais qui, au plan doctrinal, ne contredisent pas les documents magistériels précédents ». La juste exégèse des textes du Concile présupposerait donc apparemment le principe de non-contradiction. Apparence trompeuse, puisque la non-contradiction n’a plus du tout le même sens que jusqu’ici.
Le magistère de l’Eglise a toujours entendu ce principe dans le sens d’une absence de contradiction logique entre deux énoncés objectifs. La contradiction logique est une opposition qui a lieu entre deux propositions dont l’une affirme et l’autre nie le même prédicat du même sujet. Le principe de non contradiction exige que si cette opposition a lieu, les deux propositions ne puissent être vraies en même temps. Ce principe est une loi de l’intelligence et il ne fait qu’exprimer l’unité de son objet. La foi se définissant comme une adhésion intellectuelle à la vérité proposée par Dieu, elle vérifie ce principe. L’unité objective de la foi correspond elle aussi à une absence de contradiction dans les énoncés dogmatiques.
L’herméneutique de Benoît XVI entend désormais ce principe dans un sens nom plus objectif mais subjectif, non plus intellectualiste mais volontariste. L’absence de contradiction est synonyme de continuité, au niveau du sujet. La contradiction est synonyme de rupture, au même niveau. Le principe de continuité n’exige pas d’abord et avant tout l’unité de la vérité. Il exige d’abord et avant tout l’unité du sujet qui se développe et grandit au cours du temps. C’est l’unité du Peuple de Dieu, tel qu’il vit dans le moment présent, dans le monde de ce temps, pour reprendre l’intitulé suggestif de la constitution pastorale Gaudium et spes. Unité qui s’exprime à travers la seule parole autorisée du magistère présent, précisément en tant que présent. Mgr Ocariz le souligne : « Une interprétation authentique des textes conciliaires ne peut être faite que par le magistère même de l’Église. C’est pourquoi le travail théologique d’interprétation des passages qui, dans les textes conciliaires, suscitent des interrogations ou semblent présenter des difficultés, doit avant tout tenir compte du sens dans lequel les interventions successives du magistère ont entendu ces passages ». Ne nous y trompons pas : ce magistère qui doit servir de règle d’interprétation est le nouveau magistère de ce temps, tel qu’issu de Vatican II. Ce n’est pas le magistère de toujours. Comme on l’a justement fait remarquer, Vatican II doit se comprendre à la lumière de Vatican II, réinterprétant dans sa propre logique de continuité subjective et vitale tous les enseignements du magistère constant.
Le magistère de l’Eglise ne s’est jamais compromis jusqu’ici dans une telle pétition de principe. Il s’est toujours voulu fidèle à sa mission de conserver le dépôt. Sa principale défense et illustration a toujours été d’en référer aux témoignages de la Tradition objective, unanime et constante. Son expression a toujours été celle de l’unité de la vérité.
13 – LE MAGISTERE ET VATICAN II
Le même mot « magistère » se dit en deux sens différents de la personne qui exerce le pouvoir de magistère (le pape ou les évêques) et de l’acte du pouvoir de magistère (une définition infaillible ou un enseignement simplement authentique). La personne est le sujet d’une puissance ou d’une fonction, qui est par définition ordonnée à son objet. Par exemple, tout homme est doué d’une intelligence spéculative, ordonnée par nature à la connaissance des principes premiers (63). Cette fonction est ou n’est pas, de manière absolue. En revanche, l’exercice du magistère est l’usage de la fonction : même si la plupart du temps cet usage est correct, il reste toujours possible que le titulaire d’une fonction en exerce l’acte de manière défectueuse, ce qui revient à ne pas accomplir cet acte, puisqu’un acte défectueux se définit comme une privation. Par exemple, l’erreur intellectuelle ou la fausseté se définit comme la privation du rapport qui aurait dû exister entre l’intellect et la réalité.
Nous admettons sans conteste que Vatican II a représenté le magistère de l’Eglise au sens où le pouvoir des évêques qui furent réunis lors de ce Concile cum Petro et sub Petro fut et demeure encore celui d’apporter un enseignement à l’Église universelle. Mais nous objectons que ce Concile a voulu satisfaire aux nécessités d’un magistère soi-disant pastoral, dont l’intention nouvelle est manifestement étrangère aux finalités du magistère divinement institué, et qu’il a contredit au moins sur les quatre points signalés les données objectives du magistère constant, clairement défini. Il appert ainsi que ce magistère fut entaché d’une grave déficience, dans son acte même. Le docteur angélique dit (64) : « Lorsqu’un artiste fait de mauvais ouvrages, ce n’est pas l’œuvre de l’art ; bien plus, c’est contre l’art ». Toute proportions gardées, lorsqu’un concile produit de mauvais enseignements, ce n’est pas l’œuvre du magistère, bien plus (ou bien pire) c’est contre le magistère, c’est-à-dire contre la Tradition.
Voilà pourquoi nul se saurait se satisfaire aujourd’hui de soi-disant « espaces de liberté théologique », au sein même de la contradiction introduite par Vatican II. Le désir profond de tout catholique fidèle aux promesses de son baptême est d’adhérer en toute soumission filiale aux enseignements du magistère de toujours. La même piété exige aussi, avec une urgence grandissante, de remédier aux graves déficiences qui paralysent l’exercice de ce magistère depuis le dernier Concile. C’est dans ce but que la Fraternité Saint Pie X souhaite encore et plus que jamais une authentique réforme, au sens où il s’agit pour l’Eglise de rester fidèle à elle-même, de demeurer ce qu’elle est dans l’unité de sa foi, et de conserver ainsi sa forme d’origine, dans la fidélité à la mission reçue du Christ. Intus reformari.
Abbé JEAN-MICHEL GLEIZE – Décembre 2011
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Notes
(1) « S’il est exact que, en général, les Pontifes laissent la liberté aux théologiens dans les matières où les docteurs du meilleur renom professent des opinions différentes, l’histoire pourtant nous apprend que bien des choses laissées d’abord à la libre discussion ne peuvent plus dans la suite souffrir aucune discussion. Et l’on ne doit pas penser que ce qui est proposé dans les lettres Encycliques n’exige pas de soi l’assentiment, sous le prétexte que les Papes n’y exerceraient pas le pouvoir suprême de leur magistère. C’est bien, en effet, du magistère ordinaire que relève cet enseignement et pour ce magistère vaut aussi la parole : “Qui vous écoute, m’écoute”, et le plus souvent ce qui est proposé et imposé dans les Encycliques appartient depuis longtemps d’ailleurs à la doctrine catholique. Que si dans leurs Actes, les Souverains Pontifes portent à dessein un jugement sur une question jusqu’alors disputée, il apparaît donc à tous que, conformément à l’esprit et à la volonté de ces mêmes Pontifes, cette question ne peut plus être tenue pour une question libre entre théologiens » (DS 3884-5).
(2) Mgr Ocariz fait référence sur ce point à la constitution Dei Verbum de Vatican II (n° 8), mais saint Pie X souligne la même idée dans le Serment antimoderniste : « Enfin, je garde très fermement et je garderai jusqu’à mon dernier soupir la foi des Pères sur le charisme certain de la vérité qui est, qui a été et qui sera toujours “dans la succession de l’épiscopat depuis les apôtres”, non pas pour qu’on tienne ce qu’il semble meilleur et plus adapté à la culture de chaque âge de pouvoir tenir, mais pour que “jamais on ne croie autre chose, ni qu’on ne comprenne autrement la vérité absolue et immuable prêchée depuis le commencement par les apôtres » (Motu proprio Sacrorum antistitum du 1er septembre 1910, DS 3549).
(3) Voir sur ce point Charles Journet, L’Eglise du Verbe Incarné, t. 1, 2e édition de 1955, p. 426-435. A côté d’une assistance absolue, qui est à la racine de l’infaillibilité au sens strict, propre aux définitions solennelles, existe aussi une assistance prudentielle, qui est la racine d’uen infaillibilité au sens large, propre de la prédication ordinaire et quotidienne du magistère.
(4) « Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre du 29 juin 1975 » dans Itinéraires. La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre, numéro spécial hors série (décembre 1976), p. 67.
(5) DS 3071.
(6) ST, 2a2ae, question 1, article 10.
(7) Mt, 28/20 ; Jn, 14/26 ; Jn, 16/13. Cf Cardinal Jean-Baptiste Franzelin, La Tradition, thèse 5, n° 60-66, Courrier de Rome 2008, p. 67-70 et thèse 22, n° 456-479, p. 325-336.
(8) « Fideliter custodienda et infallibiliter declaranda » (DS 3020) ou « Sancte custodiendum et fideliter exponendum » (DS 3070).
(9) Cf les Acta synodalia, t. II, pars I, p. 652. Il eût fallu ajouter au texte parlant de l’infaillibilité l’incise que nous faisons apparaître en gras : « Definitiones Romani Pontificis quae propter Spiritus sancti assistentiam nunquam extra vel contra fidem communem Ecclesiae proferuntur ex sese tamen et non ex consensu Ecclesiae irreformabiles esse ».
(10) « En effet, le pape est infaillible si et seulement si, remplissant sa fonction de docteur de tous les chrétiens et représentant toute l’Eglise, il juge et définit ce que tous doivent croire ou rejeter. Et il ne saurait en l’occurrence se séparer de l’Eglise, pas plus que le fondement ne saurait se détacher de l’édifice qu’il doit soutenir. […] Cela est évident, si l’on considère la fin en vue de laquelle Dieu a accordé au pape l’infaillibilité, et qui est de conserver la vérité dans l’Eglise » (Mgr Gasser, Mansi, t. 52, col. 1213 C).
(11) Cf le livre de Jean-François Chiron, L’Infaillibilité et son objet. L’autorité du magistère infaillible de l’Eglise s’étend-elle aux vérités non-révélées ? Cerf, 1999, p. 501-503.
(12) Du fait même qu’il doit proposer la vérité révélée, qui est son objet premier, le magistère propose aussi d’autres vérités en connexion logiquement nécessaire avec le dépôt révélé, ou même des faits contingents en connexion moralement nécessaire avec la fin première de l’Eglise, qui est de conserver et d’expliciter le dépôt révélé. La connexion est si étroite que la négation de ces vérités et de ces faits mettrait en péril prochain la révélation. Ce domaine correspond à l’objet secondaire du magistère et il recouvre la proposition du révélé virtuel. On y trouve par exemple toute la doctrine de l’Eglise relative à la loi naturelle, les jugements doctrinaux que l’Eglise porte sur les écrits, la canonisation des saints (où l’on affirme le double fait de la glorification et de la vertu héroïque du saint), l’approbation des ordres religieux (où l’on affirme que telle règle de vie est apte à conduire à la perfection).
(13) Voir saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, prima pars, question 11, article 1, corpus et ad 1.
(14) Cardinal Jean-Baptiste Franzelin, La Tradition, thèse 6, n° 67-76, Courrier de Rome 2008, p. 71-76.
(15) DS 3020.
(16) DS 3541.
(17) ST, 2a2ae, q. 1, a. 2, corpus et ad 2.
(18) « Le propos de certains est d’affaiblir le plus possible la signification des dogmes et de libérer le dogme de la formulation en usage dans l’Eglise depuis si longtemps et des notions philosophiques en vigueur chez les Docteurs catholiques, pour faire retour, dans l’exposition de la doctrine catholique, à la façon de s’exprimer de la Sainte Ecriture et des Pères. […] Négliger, rejeter ou priver de leur valeur tant de biens précieux qui au cours d’un travail plusieurs fois séculaire des hommes d’un génie et d’une sainteté peu commune, sous la garde du magistère sacré et la conduite lumineuse de l’Esprit-Saint, ont conçus, exprimés et perfectionnés en vue d’une présentation de plus en plus exacte des vérités de la foi, et leur substituer des notions conjecturales et les expressions flottantes et vagues d’une philosophie nouvelle appelées à une existence éphémère, comme la fleur des champs, ce n’est pas seulement pécher par imprudence grave, mais c’est faire du dogme lui-même quelque chose comme un roseau agité par le vent. Le mépris des mots et des notions dont ont coutume de se servir les théologiens scolastiques conduit très vite à énerver la théologie qu’ils appellent spéculative et tiennent pour dénuée de toute véritable certitude, sous prétexte qu’elle s’appuie sur la raison théologique » (Pie XII, Encyclique Humani generis du 12 août 1950).
(19) DC n° 1387 du 4 novembre 1962, col. 1382-1383.
(20) DC n° 1391 du 6 janvier 1963, col. 101.
(21) DC n° 2350 du 15 janvier 2006, col. 59-63.
(22) Pie XII, Humani generis : « Cette philosophie reconnue et reçue dans l’Église défend, seule, l’authentique et juste valeur de la connaissance humaine, les principes inébranlables de la métaphysique, à savoir de raison suffisante, de causalité et de finalité, la poursuite enfin, effective, de toute vérité certaine et immuable ».
(23) Joseph Ratzinger, Les Principes de la théologie catholique. Esquisse et matériaux, Téqui, 1982.
(24) Ratzinger, ibidem, p. 423-440.
(25) Ratzinger, ibidem, p. 423.
(26) Ratzinger, ibidem, p. 424-425.
(27) Ratzinger, ibidem, p. 427.
(28) Cardinal Joseph Ratzinger, Entretiens sur la foi, Fayard, 1985, p. 38.
(29) Joseph Ratzinger, Les Principes de la théologie catholique. Esquisse et matériaux, Téqui, 1982, p. 426-427.
(30) Constitution dogmatique Dei Filius, chapitre 4, DS 3020.
(31) Le magistère antérieur à Vatican II a condamné l’intention d’incorporer la philosophie moderne à la théologie, dans la mesure où cette philosophie est imbue de rationalisme, de scepticisme ou de relativisme. Cf. par exemple le Bref Eximiam tuam à l’archevêque de Cologne, du pape Pie IX, en date du 15 juin 1857 (DS 2829), condamnant la philosophie de Gunther.
(32) Le magistère précédent (Pie IX) condamne la proposition affirmant que « la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violateurs de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande » ; DH 2 affirme que « la personne humaine a droit à la liberté religieuse » et que « cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres ».
(33) Pie XII affirme l’identité réelle entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique ; LG 8 affirme la non-séparation de deux réalités distinctes qui sont l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique.
(34) Le magistère antérieur affirme qu’il n’y a en dehors de l’Eglise catholique dans les sectes schismatiques et hérétiques prises comme telles aucune valeur salvifique et que la Providence divine ne se sert pas de ces sectes comme de moyens de salut ; Vatican II affirme exactement le contraire.
(35) La publication du Novus ordo missae en 1969 n’a fait qu’aggraver la crise en suscitant une difficulté supplémentaire. Mais la crise de l’Eglise n’est pas d’abord et avant tout la crise de la messe ; c’est la crise du Concile. Les deux sont liés, mais il faut faire attention à l’ordre qui relie les deux en discernant bien où est la principale source du mal. La nouvelle messe (tout comme le Nouveau Code de droit canonique) empoisonne les gens plus efficacement que le Concile et c’est si on veut l’entonnoir grâce auquel on verse dans la bouteille le poison du Concile ; mais il reste que le Concile est la source de tout le poison.
(36) Cardinaux Ottaviani et Bacci, « Préface au pape Paul VI » dans Bref examen critique du Novus ordo missae, Ecône, p. 6.
(37) « Sans rejeter en bloc ce Concile, je pense qu’il est le plus grand désastre de ce siècle, et de tous les siècles passés, depuis la fondation de l’Eglise » (Mgr Lefebvre, Ils L’ont découronné, Editions Fideliter, 1986, p. XIII). Ce n’est pas une question de quantité ou de pourcentage (tel texte est bon, tel autre est mauvais ; tel passage est catholique, tel autre est moderniste ; tout est bon ; tout est mauvais). Le modernisme est une erreur unique en son genre, en ce sens qu’elle amalgame des énoncés matériellement vrais avec des énoncés qui sont le plus souvent incomplets ambigus, contradictoires et rarement faux de manière ouverte. Le résultat de cet amalgame est un ensemble d’énoncés qui est erroné dans sa cohérence interne, mais qui garde l’apparence du vrai sur chaque point partiel et isolé de l’ensemble, les bons passages étant utilisés pour cautionner les principes sous-jacents de l’erreur. Saint Pie X a définitivement diagnostiqué le cancer du modernisme en disant que cette maladie est « d’autant plus redoutable qu’elle l’est moins ouvertement »
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(38) DC 2010 du 15 juillet 1990, p. 693-701.
(39) DC 2302, col. 1022. Les n° 26-28 de ce texte vont dans ce sens.
(40) DC 1636 du 15 juillet 1973, p. 664-671 ; commentaire p. 837-839.
(41) Le n° 2 précise en effet que « le Saint-Esprit accorde sa lumière et son secours au Peuple de Dieu comme au Corps du Christ uni par la communion hiérarchique » et ajoute que si le Peuple de Dieu s’attache à la foi, cela a lieu non seulement grâce à ce sens de la foi, qui est éveillé et soutenu par l’Esprit de vérité, mais aussi « sous la conduite du magistère » ; pourvus de l’autorité du Christ, les pasteurs ont le pouvoir d’enseigner et leur rôle ne se réduit pas à sanctionner le consensus déjà exprimé des simples fidèles ; ils peuvent « prévenir et requérir ce consensus dans l’interprétation et l’explication de la Parole de Dieu écrite ou transmise ».
(42) Cf. la Présentation du cardinal Ratzinger à l’Instruction Donum veritatis : « Le document traite du problème de la mission ecclésiale du théologien non pas à partir du dualisme magistère-théologie, mais dans le contexte de la relation triangulaire : Peuple de Dieu, en tant que porteur du sens de la foi et lieu commun à tous de l’ensemble de la foi ; magistère ; théologie. Le développement du dogme des 150 dernières années est une démonstration très claire de cette relation complexe : les dogmes de 1854, 1870 et 1950 furent possibles parce que le sens de la foi les ayant repris, magistère et théologie furent conduits par lui et ont lentement cherché à l’atteindre » (L’Osservatore romano, édition hebdomadaire en langue française du 10 juillet 1990, p. 9). Le quatrième chapitre de l’Instruction Donum veritatis présente d’ailleurs les rapports qui existent entre le magistère et les théologiens comme des rapports non de dirigeant à dirigés, mais de collaboration (§ 22). Cette idée d’une collaboration est l’idée nouvelle d’une dépendance réciproque, dans la dépendance commune vis-à-vis du Peuple. Ce n’est plus l’idée traditionnelle de la dépendance du théologien, Eglise enseignée, à l’égard du magistère, Eglise enseignante.
(43) DC 2097 du 3 juillet 1994, p. 613.
(44) « L’aventure des Apôtres commence ainsi, comme une rencontre de personnes qui s’ouvrent l’une à l’autre. Une connaissance direc¬te du Maître commence ainsi pour les disciples. Ils voient où il demeure et commencent à le connaître. En effet, ils ne devront pas être les annonciateurs d’une idée, mais les témoins d’une per¬sonne. Avant d’être envoyés évangéliser, ils devront « demeurer » avec Jésus (cf. Mc 3/14), établissant avec lui une rela¬tion personnelle. Sur cette base, l’évan¬gélisation ne sera autre qu’une annon¬ce de ce qu’ils ont vécu et une invita¬tion à entrer dans le mystère de la com¬munion avec le Christ » – Benoît XVI, « Les apôtres, témoins et envoyés du Christ », Allocution du 22 mars 2006, dans L’Osservatore romano n° 13 du 28 mars 2006, p. 12.
(45) « A travers le ministère apostolique, l’Eglise, communauté rassemblée par le Fils de Dieu qui s’est incarné, vit au cours du temps en édifiant et en nour¬rissant la communion dans le Christ et dans l’Esprit, à laquelle tous sont appe¬lés et dans laquelle ils peuvent faire l’expérience du salut donné par le Père. En effet, les Douze eurent soin de se constituer des successeurs, afin que la mission qui leur était confiée soit poursuivie après leur mort. Tout au long des siècles, l’Eglise, organiquement structurée sous la direction de ses Pasteurs légitimes, a ainsi continué à vivre dans le monde comme un mystère de communion, dans lequel se reflète dans une certaine mesure la communion trinitaire elle¬-même, le mystère de Dieu lui-même. » Benoît XVI, « Le don de la communion », Allocution du 29 mars 2006, dans L’Osservatore romano n° 14 du 4 avril 2006, p. 12.
(46) Cette idée se retrouve dans une étude de Joseph Ratzinger, écrite en 1965, et publiée au chapitre 2 de La Parole de Dieu, Ecriture Sainte, Tradition, Magistère, Parole et Silence, 2007, notamment aux p. 68-70. L’Encyclique Deus Caritas est reprend le même thème en son n°1 (DC n° 2352, col. 166) : « A l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. ». De prime abord, une pareille description fait plutôt référence à un acte affectif qu’à un acte intellectuel. Or, l’union au Christ se fait d’abord par la foi et celle-ci est un acte formellement intellectuel. L’intelligence est faite non pour rencontrer des personnes mais pour connaître la réalité moyennant des concepts et à travers des formules. La faculté qui se met directement en rapport avec la réalité telle qu’elle existe concrètement, et donc avec une personne, c’est la volonté. Et la volonté qui va à la rencontre de Dieu, c’est la charité. Les expressions utilisées par Benoît XVI suggèrent une confusion entre la foi et la charité. La « rencontre avec une Personne » relève de l’amitié et non de la connaissance. L’expérience surnaturelle (par analogie avec l’expérience naturelle) qui nous met en relation (ou en ouverture) avec Dieu et qui suscite une connaissance par connaturalité existe bel et bien ; mais elle a lieu avec les actes des dons du Saint-Esprit, dont le motif formel est d’ordre affectif, puisque ces dons reposent sur la charité. On ne saurait nier que la foi doive s’enrichir de ces dons, mais pour être unis dans la vie spirituelle concrète, foi et dons doivent rester formellement distincts dans leur définition, aux yeux du magistère et de la théologie. Et tout pécheur n’étant pas infidèle pour autant, la foi peut même se rencontrer concrètement dans l’Eglise sans la charité ni les dons.
(47) Mysterium Ecclesiae (citant au passage la condamnation de la proposition n° 6 dans Lamentabili)affirme en ce sens que le rôle du magistère ne se borne pas à sanctionner le consensus déjà exprimé des simples fidèles. Mais il y a une différence entre dire que le magistère ecclésiastique transmet et impose à croire aux fidèles la vérité dont il est le dépositaire, en tant que successeur du magistère apostolique, et dire que le magistère ecclésiastique impose l’expression adéquate d’une vérité dont le Peuple est le dépositaire parce que son sens de la foi la détient dans son état préconceptuel. Cette deuxième affirmation n’échappe pas à la condamnation de Lamentabili. La proposition condamnée n° 6 dit en effet précisément : « Dans la définition des vérités, l’Eglise enseignée et l’Eglise enseignante collaborent de telle façon qu’il ne reste à l’Eglise enseignante qu’à sanctionner les conceptions communes de l’Eglise enseignée » (DS 3406).
(48) Benoît XVI, « La communion dans le temps : la Tradition », Allocution du 26 avril 2006, dans L’Osservatore romano n° 18 du 2 mai 2006, p. 12.
(49) Benoît XVI, ibidem.
(50) Concile Vatican I, constitution Pastor æternus, chapitre 1, DS 3054.
(51) Concile Vatican I, constitution Pastor æternus, chapitre 4, DS 3074.
(52) Benoît XVI, « La communion dans le temps : la Tradition », Allocution du 26 avril 2006, L’Osservatore romano n° 18 du 2 mai 2006, p. 12.
(53) « Les vérités que l’Eglise entend réellement enseigner par ses formules dogmatiques sont sans doute distinctes des conceptions changeantes propres à une époque déterminée ; mais il n’est pas exclu qu’elles soient éventuellement formulées, même par le magistère, en des termes qui portent des traces de telles conceptions. Tout considéré, on doit dire que les formules dogmatiques du magistère ont été aptes dès le début à communiquer la vérité révélée et que demeurant inchangées elles la communiqueront toujours à ceux qui les interprèteront bien. Mais il ne s’ensuit point que chacune d’entre elles eut et gardera toujours cette aptitude au même degré ».
(54) Cardinal Ratzinger, présentation de l’Instruction Donum veritatis dans L’Osservatore romano, édition hebdomadaire en langue française, 10 juillet 1990, p. 9.
(55) Joseph Ratzinger, Théologie et histoire. Notes sur le dynamisme historique de la foi, 1972, p. 108, cité par Joaquim E. M. Terra, Itinerario teologico di Benedetto XVI, Roma, 2007, p. 66.
(56) Ratzinger, ibidem, p. 65.
(57) Ratzinger, ibidem, p. 64.
(58) Ratzinger, ibidem.
(59) Ratzinger, ibidem.
(60) Benoît XVI, « La communion dans le temps : la Tradition », Allocution du 26 avril 2006, dans L’Osservatore romano n° 18 du 2 mai 2006, p. 12.
(61) Benoît XVI, ibidem.
(62) Benoît XVI, ibidem.
(63) ST 1a2ae, q 51, a 1.
(64) ST 1a2ae, question 57, article 3, ad 1.

-I- Jean XXIII: discours d’ouverture du Concile oecuménique Vatican II

« L’Eglise notre Mère est dans la joie parce que, par un singulier bienfait de la divine Providence, vient de luire ce jour tant désiré où s’ouvre solennellement, auprès de la tombe du Bienheureux Pierre, le second Concile Oecuménique du Vatican, sous- les auspices de la Vierge Mère de Dieu, dont la liturgie célèbre aujourd’hui la maternité divine.

Tous les Conciles, aussi bien les vingt conciles oecuméniques que les nombreux et importants conciles provinciaux et régionaux, — qui furent célébrés au cours des temps, attestent clairement la vigueur de l’Eglise catholique et sont regardés dans ses annales comme des points lumineux.
Le dernier et humble successeur du Prince des Apôtres, qui vous parle, en convoquant cette vaste assemblée, a eu en vue encore une fois l’affirmation du Magistère de l’Eglise, dans son indéfectible continuité jusqu’à la fin des temps.
Or ce Magistère, tenant compte des erreurs, des besoins, des circonstances particulières de notre époque, se manifeste aujourd’hui de façon extraordinaire par ce Concile à tous les hommes du monde entier.
En inaugurant ce concile universel, le Vicaire du Christ, qui vous parle, jette, comme il est normal, un regard sur ce passé pour en écouter comme la voix, joyeuse et encourageante. Il se souvient en effet avec joie des Souverains Pontifes de grand mérite, des plus anciens comme des tout récents. Ils ont transmis le témoignage de cette voix vénérable et grave qui s’était exprimée dans les assemblées conciliaires, tant en Orient qu’en Occident depuis le IVe siècle jusqu’au Moyen Age, et de là à l’époque moderne. Leur témoignage ininterrompu exalte le triomphe de cette société divine et humaine, qu’est l’Eglise du Christ, recevant du Divin Rédempteur son nom, ses trésors de grâce et sa force.
Tout cela est cause de Joie spirituelle. Cependant nous ne pouvons nier non plus les souffrances et nombreuses épreuves qui, au cours de dix-neuf siècles, ont assombri son histoire. Car elle fut et demeure vraie cette parole prophétique que le vieillard Siméon a adressée à la Mère de Jésus : < Vois, cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre… il doit être un signe en butte à la contradiction» (Le 2, 34). Et Jésus lui-même, devenu adulte, montra clairement quel serait le comportement des hommes à son, égard au cours des temps, en prononçant ces paroles mystérieuses ; » Qui vous écoute, m’écoute » (Le 10, 16). Et ces autres paroles, que nous voyons rapportées également par saint Luc : « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi dissipe» (Le 11, 23). Certes les importants problèmes que doit résoudre le genre humain, demeurent les mêmes après bientôt vingt siècles d’histoire. Le Christ Jésus, en effet, reste comme au centre de l’histoire et de la vie. Dès lors ou bien les hommes sont avec lui et avec son Eglise et Jouissent en conséquence des biens que sont la lumière, la douceur, l’ordre et la paix; ou bien ils vivent sans lui ou agissent contre lui et restent délibérément en dehors de l’Eglise, d’où il résulte que règne entre eux la confusion, que se font âpres les relations humaines et que menace le danger de guerres cruelles.
Mais les conciles oecuméniques, chaque fois qu’ils sont célébrés, proclament de façon solennelle cette union avec le Christ et avec son Eglise; ils font briller partout la lumière de vérité; ils orientent dans la voie droite la vie individuelle, familiale et sociale; ils suscitent des énergies spirituelles et les affermissent et ne cessent de faire monter les âmes vers les biens véritables et éternels.
Les témoignages de ce Magistère extraordinaire de l’Eglise, que sont les Conciles oecuméniques, sont là sous nos yeux, lorsque nous regardons les différentes époques de l’histoire humaine au cours de ces vingt siècles de christianisme.
Leurs actes se trouvent conservés dans ces imposants et nombreux volumes, qui constituent un patrimoine sacré, gardé dans les archives de la ville de Rome et dans les plus célèbres bibliothèques du monde entier.

Quant à l’origine et la cause de ce grand événement en vue duquel il Nous a plus de vous rassembler ici, il suffit d’en apporter une nouvelle fois un témoignage, bien humble en soi, mais que l’expérience a confirmé. C’est d’abord de façon quasi spontanée que nous est venue à l’esprit l’idée de ce concile; ensuite nous en avons simplement parlé en présence du Sacré Collège des Cardinaux le 25 janvier 1959, en la fête de la Conversion de Paul, dans la basilique patriarcale de la Voie d’Ostie. Aussitôt les âmes de ceux qui nous entouraient furent subitement touchées comme d’un rayon de lumière céleste et leurs visages comme leurs regards furent empreints de suavité. Mais en même temps une très grande ferveur s’empara du monde entier et tous les hommes se mirent à attendre avec ardeur la célébration du Concile. Durant trois ans, un laborieux travail de préparation fut accompli afin de rechercher plus profondément et plus largement les conditions actuelles de la
Foi, de la pratique religieuse, de la vitalité du monde chrétien et surtout catholique.
Il Nous semble Juste de regarder ce temps de préparation au Concile comme un premier signe, un premier don de la grâce céleste.
Illuminée de la lumière de ce Concile, l’Eglise, nous en sommes sûr, augmentera en richesses spirituelles et, y puisant l’énergie de forces nouvelles, regardera sans crainte vers l’avenir. Car, par les opportunes mises au point qui seront décidées et par la sage organisation de la collaboration mutuelle, l’Eglise fera en sorte que les hommes, les familles, les nations tournent réellement leurs âmes vers les choses d’en-haut.
C’est ainsi qu’en raison de la célébration de ce concile, notre conscience nous impose de rendre grâces au Distributeur de tous biens et de proclamer avec joie la gloire du Christ Seigneur, qui est le Roi victorieux et immortel des siècles et des peuples.

Opportunité de la célébration du Concile
Il est une autre pensée, Vénérables Frères, qu’il est bon de soumettre à votre considération, Oui pour ajouter encore & la sainte joie qui est la nôtre en cette heure solennelle, qu’il Nous soit permis d’affirmer publiquement devant cette grande assemblée, que le Concile oecuménique commence en des circonstances bien opportunes.
Il arrive certes souvent, comme Nous en avons fait l’expérience dans l’exercice quotidien de Notre charge Apostolique, que parviennent à Nos oreilles, non sans leur causer quelque offense, la voix de certains qui, quoique enflammés de zèle pour la religion, n’apprécient cependant pas le réel avec suffisamment d’objectivité et de sage prudence. Ils ne voient en effet, dans les conditions actuelles de l’humanité, que ruines et désastres; ils répètent que notre époque, par rapport aux siècles passés, n’a fait qu’empirer; ils se comportent comme si l’histoire, maîtresse de vie, ne pouvait rien leur apprendre et comme si, au temps des conciles oecuméniques précédents, tout avait été pour le mieux au point de vue de la Doctrine chrétienne, des moeurs, de la juste liberté de l’Eglise.
Il Nous paraît que Nous devons marquer Notre désaccord avec ces prophètes de malheurs qui annoncent toujours le pire, comme si la fin de tout était imminente. Dans l’état présent des choses, où l’humanité semble entrer dans un ordre nouveau des choses, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la divine Providence qui, à travers les temps, par le travail des hommes et le plus souvent au-delà de leur attente, atteint son but et dispose tout sagement, même les adversités humaines, pour le bien de l’Eglise.
Il est facile de s’en rendre compte si l’on considère attentivement les graves problèmes d’ordre politique et économique et les crises d’aujourd’hui. Tout cela occupe tellement les hommes qu’ils détournent leurs soins et leurs pensées des affaires religieuses qui relèvent du Magistère Sacré de l’Eglise- Cette manière de faire n’est certes pas bonne et doit être blâmée. Personne cependant ne peut nier que les nouvelles conditions de la vie moderne ont au moins cet avantage de supprimer ces innombrables obstacles par lesquels autrefois les fils du siècle avaient coutume d’entraver la libre action de l’Eglise. Il suffit en effet de parcourir rapidement l’histoire de l’Eglise pour qu’il apparaisse aussitôt clairement que même les conciles oecuméniques, dont les vicissitudes sont écrites en lettres d’or dans les fastes de l’Eglise, ont été célébrés bien souvent non sans de bien graves difficultés et causes de douleur par suite de l’ingérence de l’autorité du pouvoir séculier. Les princes de ce monde en effet se proposaient bien parfois de défendre sincèrement l’Eglise. Cependant le plus souvent ce n’était pas sans dommage spirituel ni danger, car ces mêmes princes étaient conduits surtout par des motifs politiques et trop préoccupés de leurs propres intérêts.
Nous avouons aujourd’hui que Nous éprouvons une très vive douleur du fait que ne sont point parmi vous plusieurs Pasteurs de l’Eglise, qui Nous sont très chers. Pour la Foi du Christ, ils sont retenus en prison ou empêchés par d’autres obstacles. Leur souvenir Nous pousse à taire monter vers Dieu de ferventes prières à leur intention. Cependant ce n’est point sans espoir ni grande consolation pour Nous que Nous constatons aujourd’hui le fait que l’Eglise, enfin délivrée de tant d’obstacles profanes du passé, peut, de cette basilique Vaticane comme d’un second Cénacle des Apôtres, faire entendre par vous sa voix pleine de majesté et de grandeur.

But principal du Concile : défense et illustration de la. Vérité
La tâche principale du Concile oecuménique, c’est de faire en sorte que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit gardé et proposé de façon plus efficace. Cette doctrine embrasse l’homme tout entier, composé de corps et d’âme, et elle nous ordonne, à nous qui sommes habitants de cette terre, de marcher comme des pèlerins vers la patrie céleste.
Cela montre comment il faut régler notre vie mortelle de façon à accomplir les devoirs qui nous lient envers la Cité terrestre et céleste et à atteindre ainsi le but fixé par Dieu, C’est dire qu’absolument tous les hommes, soit pris individuellement soit réunis en société, ont le devoir permanent de tendre, pendant cette vie, à l’acquisition des biens célestes et, en vue de ce but, d’utiliser les biens terrestres dans la mesure où l’usage des biens temporels ne compromette pas leur bonheur éternel ; Il est bien vrai en effet que le Christ Seigneur a prononcé cette parole : < Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa Justice » (Mt 6, 33). Ce mot d’abord exprime ce vers quoi il nous faut avant tout diriger nos énergies et nos pensées ; mais il ne faut pas cependant négliger les mots suivants du précepte du Seigneur et tout cela vous sera donné par surcroit» (Ibîd.). En réalité il y a toujours eu dans l’Eglise et il y a encore des hommes qui, tendant de toutes leurs forces à pratiquer la perfection évangélique, ne laissent pas de se rendre utiles à la société civile. En effet, des exemples de leur vie, de leurs entreprises salutaires de charité, ce qu’il y a de plus haut et de plus noble dans la société
humaine, reçoit beaucoup de vigueur et de développement.
Pour que cette doctrine atteigne les multiples domaines, de l’activité humaine touchant l’individu, la famille, la vie en société, il est nécessaire avant tout que l’Eglise ne détourne jamais son regard du patrimoine sacré de la vérité, reçu des anciens. Il faut en même temps qu’elle regarde aussi le temps présent, qui a introduit de nouvelles conditions et formes de vie et ouvert de nouvelles voies à l’apostolat catholique.
C’est pourquoi, l’Eglise n’a pas assisté, inerte, aux merveilleuses découvertes du génie humain ni au développement actuel des doctrines, pas plus qu’elle n’a été incapable de les Juger correctement. Mais, suivant tous ces développements avec vigilance, elle ne cesse pas d’avertir les hommes qu’ils ont à tourner leurs regards au-delà des choses visibles, vers Dieu, source de toute sagesse et de toute beauté, afin qu’ils n’oublient pas, eux à qui il a été dit : « Soumettez la terre et dominez-la » (Gn 1, 28), ce précepte très grave : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras, lui Seul» (Mt 4, 10; Le 4, 8) afin que l’attrait fugitif des choses d’ici-bas n’empêche pas le véritable progrès.

Comment promouvoir aujourd’hui la doctrine?
Cela étant, Vénérables Frères, le rôle qui incombe au Concile en matière doctrinale apparaît bien manifeste.
En effet, le 23ème Concile OEcuménique — qui utilise l’aide efficace et précieuse de spécialistes des disciplines sacrées, de la pastorale et de l’administration — veut proposer dans son intégrité, sans amoindrissement, sans gauchissement, la doctrine catholique qui est devenue, en dépit des difficultés et des luttes, comme le patrimoine commun de l’humanité- Celui-ci, sans doute, n’est pas accepté par tous ; cependant il est proposé à toutes les âmes de bonne volonté, comme un très riche trésor mis à leur disposition.
Toutefois notre devoir n’est pas seulement de conserver ce précieux trésor, comme si notre tâche ne regardait que le passé; appliquons-nous maintenant, avec coeur et sans crainte, à l’oeuvre que réclame notre temps, poursuivant la route que l’Eglise a accomplie depuis près de vingt siècles. Notre travail n’envisage pas non plus, comme but premier, la discussion de quelques articles principaux de la doctrine de l’Eglise, ni la simple reprise plus développée des points que les Pères et les théologiens anciens et modernes ont proposés et qui vous sont, Nous en sommes certain, connus et tout à fait familiers. En effet, pour organiser des discussions de ce genre, il n’était pas nécessaire de réunir un Concile OEcuménique. Cependant, à l’époque actuelle, il faut que la doctrine chrétienne, dans sa totalité et son intégrité, soit acceptée aujourd’hui par tous avec une attention renouvelée, un esprit serein et calme, sous une forme qui garde la précision des concepts et des termes qui brille surtout dans les Actes du Concile de Trente et du premier Concile du Vatican; il est nécessaire, selon le désir ardent de tous les hommes sincèrement épris de la vie Chrétienne, catholique, apostolique, que la connaissance de cette même doctrine devienne plus universelle et plus profonde, qu’elle imprègne et forme davantage les esprits; il faut enfin que cette doctrine certaine et immuable à laquelle on doit rendre l’hommage de la foi, soit étudiée et enseignée selon la manière que réclame notre temps. Autre chose est, en effet, le dépôt de la Foi en lui-même, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre doctrine vénérable et autre chose la façon de les, énoncer tout en gardant l’identité de sens et d’enseignement. C’est à ce mode d’expression qu’il faudra attacher grande importance ; si c’est nécessaire, il faudra travailler avec patience à son élaboration ; il y aura lieu en effet d’introduire des méthodes d’exposition qui correspondent mieux à un magistère dont le caractère est surtout pastoral.

Comment réprimer les erreurs
En cette inauguration du second concile oecuménique du Vatican il apparaît plus que jamais évident que la vérité du Seigneur demeure éternellement, alors qu’au contraire au gré des âges nous voyons s’exclure l’un l’autre des systèmes de pensée incertains et les erreurs à peine nées s’évanouir bien vite comme le brouillard au soleil. A ces erreurs l’Eglise s’est toujours opposée, elle les a souvent condamnées et avec une très ferme rigueur. Pour ce qui regarde, l’heure présente, l’Epouse du Christ aime à employer le remède de la miséricorde plutôt que d’user des armes de la sévérité; elle croit que, au lieu de condamner, c’est en montrant mieux la valeur de la doctrine qu’il faut parer aux besoins actuels. Certes il existe des doctrines fausses et des opinions erronées, certes il y a des dangers à prévenir et à écarter. Mais ces déviations sont en opposition si flagrante avec les principes de l’honnêteté, et ont engendré des fruits si pernicieux qu’aujourd’hui il semble que les hommes commencent de leur propre chef à porter condamnation contre ces erreurs, et nommément contre les manières de vivre qui nient Dieu et ses lots, contre une confiance excessive dans le progrès technique et contre une prospérité fondée uniquement sur le confort. Ils se rendent compte par eux-mêmes de plus en plus que la dignité de la personne humaine et la perfection qui lui convient sont chose très importante et très difficile à obtenir. Et ce qui compte surtout, c’est que l’expérience leur a enfin appris que la force imposée du dehors, la puissance des armes, la domination politique sont absolument incapables de résoudre avec bonheur les très graves problèmes qui les angoissent.
Dans ces circonstances, l’Eglise catholique, en brandissant par le moyen de ce Concile oecuménique le flambeau de la vérité religieuse, veut se montrer la mère très aimante de tous, bienveillante, patiente, pleine d’indulgence et de bonté à l’égard de ses fils séparés. Au genre humain accablé par tant de misères, elle proclame, comme Pierre autrefois au pauvre qui lui demandait l’aumône : Je n’ai ni or ni argent; mais ce que j’ai, Je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche» (Ac 3, 6). Ainsi, l’Eglise n’offre pas à nos contemporains des richesses caduques : elle ne promet pas un bonheur simplement terrestre; mais elle distribue les biens de la grâce céleste, ces biens qui, en élevant les hommes à la dignité de fils de Dieu, sont une sauvegarde et une aide si solides pour rendre leur vie plus humaine ; elle ouvre plus largement les sources de sa doctrine et ainsi les hommes, sous la lumière du Christ, sont capables de pénétrer le sens vrai de leur existence, la dignité qui les marque et la fin qu’ils doivent poursuivre ; enfin, par ses fils, elle étend partout le domaine de la charité chrétienne, qui est l’instrument le plus apte à faire disparaître les semences de discorde, et le plus efficace pour promouvoir la concorde, une paix juste et l’unité fraternelle de tous.

Promotion de l’Unité dans la famille chrétienne et humaine
Cet intérêt que l’Eglise’ porte à la diffusion et à la défense de la vérité provient de ce que, selon le dessein de Dieu, qui veut sauver tous les hommes et les faire parvenir à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4), c’est seulement par le secours de la doctrine révélée prise dans sa totalité que les hommes pourront atteindre cette unité absolue et très ferme des esprits à laquelle est liée une paix digne de ce nom ainsi que le salut éternel. Or cette imité visible dans la vérité n’a pas encore, malheureusement, été atteinte pleinement et dans sa perfection par la totalité de la famille chrétienne. Mais l’Eglise catholique considère précisément qu’il est de son devoir de travailler activement à l’achèvement de ce grand mystère d’unité que le Christ Jésus, à l’approche de son sacrifice, implora ardemment de son Père céleste ; et elle éprouve une paix très douce à se savoir en union très étroite avec cette prière du Christ; bien plus, elle se réjouit sincèrement de constater que ces supplications obtiennent des résultats salutaires et toujours plus étendus même chez ceux qui vivent en dehors d’elle. En effet, à regarder loyalement les faits, il apparaît que cette même unité, que Jésus-Christ a implorée pour son Eglise, s’illumine comme d’un triple rayon divin et salvifique, — auquel correspondent ces trois choses : l’unité des catholiques entre eux, qui doit être conservée très ferme et comme un exemple rayonnant ; ensuite l’unité des prières et des voeux les plus ardents par laquelle les chrétiens séparés de ce Siège Apostolique demandent de nous être unis; et enfin l’unité d’estime et de respect envers l’Eglise catholique de la part de ceux qui pratiquent diverses formes de religion encore non chrétiennes.
A ce propos, il est bien déplorable qu’une immense partie de l’humanité — alors que tous, en ce monde, sont rachetés par le Sang du Christ — ne participe pas encore aux sources de grâce céleste qui se trouvent dans l’Eglise catholique.
Aussi peut-on appliquer à l’Eglise catholique, dont la lumière illumine le monde et dont la vigueur d’unité surnaturelle rejaillit avec profit sur la famille humaine tout entière, ces paroles célèbres de saint Cyprien : * L’Eglise illuminée de la lumière du Seigneur diffuse ses rayons par l’univers entier : mais cette lumière qui se répand partout est une et l’unité du corps n’est pas disjointe. Elle étend ses rameaux avec exubérance par toute la terre, elle répand très largement au loin le réseau de ses fleuves : Et cependant une est la tête, une l’origine, une la mère riche d’une telle fécondité; c’est de son sein que nous naissons, de son lait que nous sommes nourris, de son esprit que nous vivons » (De Catholicae Ecclesiae Umtate, 5).

Vénérables Frères,
Tel est le but du second Concile OEcuménique du Vatican. En réunissant les principales forces vives de l’Eglise et en s’appliquant avec zèle à faire accepter plus volontiers par les hommes le message de salut, il ouvre en quelque sorte et consolide la voie pour la réalisation de l’unité du genre humain; cette unité qui est comme la base nécessaire pour que la cité terrestre soit construite à l’image de la cité céleste qui a pour Roi la vérité, pour loi la charité et pour mesure l’éternité» (S. Augustin, Ep. 138, 3).

Conclusion
Et maintenant «notre voix s’adresse à vous » (2 Co 6, 11), Vénérables Frères dans l’Episcopat. Nous voici désormais rassemblés dans cette Basilique Vaticane à un tournant de l’histoire de l’Eglise, où le ciel et la terre nouent une alliance très étroite. Nous voici auprès du tombeau de saint Pierre, près des tombes de tant de nos Saints Prédécesseurs dont les cendres, en cette heure solennelle, semblent tressaillir comme d’un frémissement secret. L’ouverture du Concile fait en quelque sorte qu’un jour éclatant se lève dans l’Eglise. Ce n’est encore que l’aurore. Mais comme les premiers rayons du soleil levant touchent délicieusement nos cœurs ! Tout ici respire la sainteté, tout porte à la joie. Car nous contemplons les étoiles qui augmentent de leur clarté la majesté de ce temple et ces étoiles, selon le témoignage de l’Apôtre Jean, c’est vous (Ap 1, 20). Et par vous brillent aussi autour du tombeau du Prince des Apôtres les candélabres d’or qui représentent les Eglises à vous confiées (Ibuî.). Nous voyons en même temps des hommes du rang le plus élevé, qui des cinq continents sont venus à Rome représenter leur pays et qui sont ici pleins de respect et d’attention bienveillante. C’est pourquoi l’on peut bien dire que les esprits célestes et les hommes unissent leur activité pour la célébration du Concile. Le rôle des esprits bienheureux est de protéger nos travaux ; celui des fidèles est de continuer l’offrande de leurs ardentes prières ; votre rôle à vous tous consiste, en répondant promptement aux motions du Saint-Esprit, à vous mettre à l’oeuvre avec zèle pour que vos travaux répondent bien aux vœux et aux nécessités des peuples divers. Pour obtenir cela, il vous faut la sérénité et la paix du coeur, la concorde fraternelle, la modération des propositions, la dignité dans les discussions, la sagesse dans toutes les délibérations. Fasse le Ciel que vos activités et travaux sur lesquels se concentrent non seulement les regards du monde mais aussi les espérances de l’univers, répondent amplement à l’attente.
Dieu Tout-Puissant, c’est en Vous que, nous défiant de nos propres forces, nous mettons toute notre confiance. Regardez avec charité les Pasteurs de votre Eglise ici présents. Que la lumière de votre grâce céleste nous assiste dans nos Délibérations ; qu’elle nous assiste quand nous établissons les lois. Et exaucez avec bonté ces prières que nous vous adressons dans une seule Foi, d’une seule
bouche et d’un seul coeur.
0 Marie, Secours des chrétiens. Secours des Evêques, dont nous avons éprouvé récemment l’amour de façon particulière en votre temple de Lorette où nous avons voulu vénérer le mystère de l’Incarnation, par votre aide disposez toutes choses en vue d’un résultat heureux, favorable et prospère et intercédez pour nous auprès de Dieu avec saint Joseph votre époux, avec les saints Apôtres Pierre et Paul, saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Evangéliste.
A Jésus-Christ, notre Rédempteur très aimant, Roi immortel des peuples et des âges, amour, puissance et gloire dans les siècles des siècles ! Amen ! »

-K- Discours de Paul VI lors de la clôture du Concile Vatican II

« Aujourd’hui, nous touchons au terme du second Concile oecuménique du Vatican. C’est dans sa pleine vigueur que le Concile arrive à sa conclusion : votre présence en si grand nombre le prouve, la cohésion si ordonnée de cette Assemblée en témoigne, l’achèvement régulier des activités conciliaires le confirme, l’harmonie des sentiments et des propos le proclame. Si bon nombre de questions, soulevées au cours même du Concile attendent encore une réponse adéquate, cela signifie qu’on met fin aux travaux non sous le poids de la fatigue, mais au contraire dans une vitalité que ce rassemblement oecuménique a réveillée et qui, Dieu aidant, dans la période post conciliaire se consacrera activement à ce genre de problèmes, avec méthode et générosité. Ce Concile laisse à l’histoire l’image de l’Église catholique, que Nous voyons figurée en cette salle où se pressent des pasteurs, professant la même foi, animés de la même charité, tous rassemblés dans la communion de la prière, l’unité de la discipline et de l’action et, chose admirable, tout désireux d’une seule chose: s’offrir eux-mêmes, comme le Christ, notre Maître et Seigneur, pour la vie de l’Église et pour le salut du monde. Et ce n’est pas seulement l’image de l’Église que ce Concile transmet à la postérité, c’est aussi le patrimoine de sa doctrine et de ses préceptes, le « dépôt » reçu du Christ, médité, vécu et explicité au long des siècles. Ce dépôt se trouve aujourd’hui, sur bien des points, placé dans un jour nouveau, confirmé et mis en ordre dans son intégrité. Toujours vivant par la force divine de vérité et de grâce qui le constitue, il est capable de faire vivre quiconque l’accueille avec piété et en nourrit son existence humaine.
Ce que fut ce Concile, ce qu’il a accompli, ce serait naturellement le sujet de cette méditation que Nous faisons au moment de le terminer, mais elle requerrait trop d’attention et de temps et en ce moment ultime, si émouvant, Nous ne sommes peut-être pas à même de réaliser pareille synthèse avec assez de tranquillité. Nous voulons réserver ces moments précieux à une seule pensée qui tout à la fois nous abaisse dans l’humilité et nous exalte au comble de nos aspirations. Cette pensée, la voici : quelle est la valeur religieuse de notre Concile ? Religieuse, disons-Nous, pour marquer le rapport direct au Dieu vivant, ce rapport qui est la raison d’être de l’Église et de tout ce que l’Église croit, espère et aime, de tout ce qu’elle est, de tout ce qu’elle fait. Pouvons-Nous dire que nous avons rendu gloire à Dieu, que nous avons cherché à le connaître et à l’aimer, que nous avons progressé dans l’effort pour le contempler, dans la préoccupation de le louer et dans l’art de proclamer ce qu’il est aux hommes qui nous regardent comme pasteurs et maîtres dans les voies de Dieu ?
Nous croyons franchement que oui, notamment parce que c’est de cette intention première et profonde que jaillit l’idée de réunir un Concile. Ils résonnent encore dans cette basilique les mots prononcés lors du discours d’ouverture par Notre vénéré prédécesseur Jean XXIII, que Nous pouvons bien appeler l’auteur de ce grand rassemblement.
« La tâche la plus importante du Concile, disait-il, est de garder et de proposer d’une manière plus efficace le dépôt de la foi chrétienne… Il est bien vrai que le Christ a dit : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice », il nous montre par là où doivent tendre surtout nos forces et nos pensées. » Au projet a succédé la réalisation.
Pour l’apprécier comme il convient, il faut se rendre compte du moment où elle s’est accomplie. C’est dans un temps que tous reconnaissent comme orienté vers la conquête du royaume terrestre plutôt que vers le Royaume des cieux, un temps où l’oubli de Dieu devient courant et semble, à tort, suggéré par le progrès scientifique, un temps où la personne humaine, qui a pris davantage conscience d’elle-même et de sa liberté, tend essentiellement à s’affirmer dans une autonomie absolue et à s’affranchir de toute loi qui la dépasse. C’est dans un temps où le laïcisme semble découler normalement de la pensée moderne, et représenter la sagesse dernière de l’ordre social temporel, un temps aussi où les expressions de la pensée touchent au comble de l’irrationnel et du désespoir, où l’on peut remarquer enfin, même dans les grandes religions qui se partagent les peuples de la terre, des signes de trouble et de régression comme jamais encore on en avait vus. C’est dans ce temps-là que le Concile s’est tenu, en l’honneur de Dieu, au nom du Christ et sous l’impulsion de l’Esprit-Saint. Cet Esprit « qui pénètre toute chose », qui ne cesse d’animer l’Église « afin de nous faire connaître les dons de Dieu sur nous » (1 Cor., 2, 10-12), c’est lui qui donne à l’Église la vision à la fois profonde et totale de la vie et du monde. Grâce au Concile, la manière de concevoir l’homme et l’univers en référence à Dieu comme à leur centre et à leur fin s’est élevée devant l’humanité, sans craindre l’accusation d’être dépassée et étrangère à l’homme. Cette conception, que le jugement du monde qualifiera d’abord de folie, mais qu’il reconnaîtra ensuite, nous l’espérons, comme vraiment humaine, pleine de sagesse et porteuse de salut, prétend que Dieu existe.
Oui, qu’il est une réalité, un être vivant et personnel, qu’il exerce une providence, qu’il est infiniment bon, et non seulement en lui-même, mais d’une bonté sans mesure à notre égard également, qu’il est notre créateur, notre vérité, notre bonheur, au point que l’effort de fixer en lui notre regard et notre coeur, dans cette attitude que nous appelons contemplation, devient l’acte le plus élevé et le plus plénier de l’esprit, celui qui aujourd’hui encore peut et doit ordonner l’immense pyramide des activités humaines. On dira que le Concile, plus que des vérités relatives à Dieu, s’est occupé surtout de l’Eglise, de sa nature, de sa structure, de sa vocation oecuménique, de son activité apostolique et missionnaire. Cette société religieuse séculaire qu’est l’Eglise s’est efforcée de réfléchir sur elle-même pour mieux se connaître, pour mieux se définir et pour régler en conséquence ses sentiments et ses préceptes. C’est vrai. Mais cette introspection n’a pas été une fin pour elle-même, elle n’a pas été un acte de simple sagesse humaine, de seule culture terrestre.
L’Église s’est recueillie dans l’intimité de sa conscience spirituelle, non pas pour se complaire dans de savantes analyses de psychologie religieuse ou d’histoire des expériences, ni non plus pour s’appliquer à réaffirmer ses droits et à décrire ses lois.
L’Église s’est recueillie pour retrouver en elle-même la Parole du Christ, vivante et opérante dans l’Esprit-Saint, pour scruter plus à fond le mystère, c’est-à-dire le dessein et la présence de Dieu au-dessus et au-dedans de soi, et pour raviver en soi cette foi, qui est le secret de sa sécurité et de la sagesse, et cet amour qui l’oblige à chanter sans cesse les louanges de Dieu : « Chanter est le propre de celui qui aime », dit saint Augustin (Serm. 336, P. L, 38, 1472). Les documents conciliaires, principalement ceux qui traitent de la Révélation divine, de la liturgie, de l’Église, des prêtres, des religieux, des laïcs, laissent clairement transparaître cette intention religieuse, directe et primordiale, et montrent combien limpide, fraîche et riche est la vie spirituelle que le contact vital avec le Dieu vivant fait jaillir dans le sein de l’Église et, de l’Église, se répandre sur le sol aride de notre terre.
Mais Nous ne pouvons négliger une observation capitale dans l’examen du sens religieux de notre Concile : il s’est très vivement intéressé à l’étude du monde moderne.
Jamais peut-être comme en cette occasion, l’Église n’a éprouvé le besoin de connaître, d’approcher, de comprendre, de pénétrer, de servir, d’évangéliser la société qui l’entoure, de la saisir et pour ainsi dire de la poursuivre dans ses rapides et continuelles transformations.
Cette attitude, provoquée par l’éloignement et les ruptures qui séparèrent l’Église de la civilisation profane au cours des siècles derniers, surtout au XIXe et en notre siècle, et toujours inspirée par la mission de salut qui est essentielle à l’Église, a fortement et constamment fait sentir son influence dans le Concile : au point de faire naître chez certains le soupçon qu’à cause de l’influence de la doctrine du « relativisme » un excès de tolérance et de considération pour le monde extérieur, l’actualité qui passe, les modes en matière de culture, les besoins contingents, la pensée des autres, aient prévalu chez certains membres du Concile et dans certains de ses actes, au détriment de la fidélité due à la tradition et aux finalités de l’orientation religieuse du Concile lui-même. Pour Notre part, Nous n’estimons pas qu’on puisse taxer de pareille déviation ce Concile, en ce qui concerne ses véritables et profondes intentions et ses manifestations authentiques.
Nous voulons plutôt souligner que la règle de notre Concile a été avant tout la charité. Et qui pourrait accuser le Concile de manquer d’esprit religieux et de fidélité à l’Evangile pour avoir choisi cette orientation de base, si l’on se rappelle que c’est le Christ lui-même qui nous a appris à regarder l’amour pour nos frères comme le signe distinctif de ses disciples (cf. Jean, 13, 35), et si on laisse résonner dans son coeur les paroles de l’apôtre : « La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci : visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves, se garder de toute souillure du monde ». (Jacques l, 27) ou encore celle-ci : « Qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment pourrait-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » (1 Jean, 4, 20).
L’ Église du Concile, il est vrai, ne s’est pas contentée de réfléchir sur sa propre nature et sur les rapports qui l’unissent à Dieu : elle s’est aussi beaucoup occupée de l’homme, de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque : l’homme vivant, l’homme tout entier occupé de soi, l’homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité. Tout l’homme phénoménal, comme on dit de nos jours, c’est-à-dire avec le revêtement de ses innombrables apparences, s’est comme dressé devant l’Assemblée des Pères conciliaires, des hommes, eux aussi, tous pasteurs et frères, attentifs donc et aimants : l’homme tragique victime de ses propres drames, l’homme qui, hier et aujourd’hui, cherche à se mettre au-dessus des autres, et qui, à cause de cela, est toujours fragile et faux, égoïste et féroce; puis l’homme insatisfait de soi, qui rit et qui pleure.; l’homme versatile, prêt à jouer n’importe quel rôle, et l’homme raide. qui ne croit qu’à la seule réalité scientifique; l’homme tel qu’Il est, qui pense, qui aime, qui travaille, qui attend toujours quelque chose, « l’enfant qui grandit » (Gen., 49, 22), et l’homme qu’on doit considérer avec une certaine vénération à cause de l’innocence de son enfance, le mystère de sa pauvreté et sa douleur pitoyable ; l’homme individualiste et l’homme social ; l’homme, « qui loue le temps passé » et l’homme qui rêve à l’avenir ; l’homme pécheur et l’homme saint ; et ainsi de suite.
L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile.
La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.
Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes pour les hommes l’a envahi tout entier. La découverte et l’étude des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l’attention de notre Synode.
Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. Et dans l’humanité, qu’a donc considéré cet auguste sénat, qui s’est mis à l’étudier sous la lumière de la divinité ? Il a considéré une fois encore l’éternel double visage de l’homme : sa misère et sa grandeur, son mal profond, indéniable, de soi inguérissable, et ce qu’il garde de bien, toujours marqué de beauté cachée et de souveraineté invincible. Mais il faut reconnaître que ce Concile, dans le jugement qu’il a porté sur l’homme, s’est arrêté bien plus à cet aspect heureux de l’homme qu’à son aspect malheureux. Son attitude a été nettement et volontairement optimiste.
Un courant d’affection et d’admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne. Des erreurs ont été dénoncées. Oui, parce que c’est l’exigence de la charité comme de la vérité mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que rappel, respect et amour. Au lieu de diagnostics déprimants, des remèdes encourageants ; au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du Concile vers le monde contemporain : ses valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées ; ses efforts soutenus, ses aspirations purifiées et bénies.
Voyez, par exemple : les langues innombrables parlées par les peuples d’aujourd’hui ont été admises à exprimer liturgiquement la parole des hommes à Dieu et la parole de Dieu aux hommes ; à l’homme comme tel, on a reconnu la vocation fondamentale à une plénitude de droits et à une transcendance de destin ; ses aspirations à l’existence, à la dignité de la personne, à la liberté honnête, à la culture, au renouvellement de l’ordre social, à la justice, à la paix, ont été rendues à leur pureté et encouragées ; et à tous les hommes a été adressée l’invitation pastorale et missionnaire à la lumière évangélique. C’est trop brièvement que Nous parlons maintenant des multiples et très vastes questions concernant le bien-être humain, dont le Concile s’est occupé ; et il n’a pas entendu résoudre tous les problèmes urgents de la vie moderne ; certains d’entre eux ont été réservés à une étude ultérieure que l’Eglise se propose de faire, beaucoup ont été tentés en termes très brefs et généraux, susceptibles par conséquent d’approfondissements ultérieurs et d’applications diverses.
Mais il est bon de noter ici une chose : le magistère de l’Eglise, bien qu’il n’ait pas voulu se prononcer sous forme de sentences dogmatiques extraordinaires, a étendu son enseignement autorisé à une quantité de questions qui engagent aujourd’hui la conscience et l’activité de l’homme ; il en est venu, pour ainsi dire, à dialoguer avec lui; et tout en conservant toujours l’autorité et la force qui lui sont propres, il a pris la voix familière et amie de la charité pastorale, il a désiré se faire écouter et comprendre de tous les hommes; il ne s’est pas seulement adressé à l’intelligence spéculative, mais il a cherché à s’exprimer aussi dans le style de la conversation ordinaire. En faisant appel à l’expérience vécue, en utilisant les ressources du sentiment et du coeur, en donnant à la parole plus d’attrait, de vivacité et de force persuasive, il a parlé à l’homme d’aujourd’hui, tel qu’il est.
Il est encore un autre point que Nous devrions relever : toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose : servir l’homme. Il s’agit, bien entendu, de tout homme, quels que soient sa condition, sa misère et ses besoins. L’Église s’est pour ainsi dire proclamée la servante de l’humanité juste au moment où son magistère ecclésiastique et son gouvernement pastoral ont, en raison de la solennité du Concile, revêtu une plus grande splendeur et une plus grande force:l’idée de service a occupé une place centrale dans le Concile. Tout cela, et tout ce que Nous pourrions encore dire sur la valeur humaine du Concile, a-t-il peut-être fait dévier la pensée de l’Eglise en Concile vers les positions anthropocentriques prises par la culture moderne ?
Non, l’Église n’a pas dévié, mais elle s’est tournée vers l’homme. Et celui qui considère avec attention cet intérêt prépondérant porté par le Concile aux valeurs humaines et temporelles ne peut nier d’une part que le motif de cet intérêt se trouve dans le caractère pastoral que le Concile a voulu et dont il a fait en quelque sorte son programme et, d’autre part, il devra reconnaître que cette préoccupation elle-même n’est jamais dissociée des préoccupations religieuses les plus authentiques, qu’il s’agisse de la charité qui seule suscite ces préoccupations (et là où se trouve la charité là se trouve Dieu), ou du lien – constamment affirmé et mis en valeur par le Concile – existant entre les valeurs humaines et temporelles et les valeurs proprement spirituelles, religieuses et éternelles. L’Église se penche sur l’homme et sur la terre, mais c’est vers le royaume de Dieu que son élan la porte.
La mentalité moderne, habituée à juger toutes choses d’après leur valeur, c’est-à-dire leur utilité, voudra bien admettre que la valeur du Concile est grande au moins pour ce motif : tout y a été orienté à l’utilité de l’homme. Qu’on ne déclare donc jamais inutile une religion comme la religion catholique qui, dans sa forme la plus consciente et la plus efficace, comme est celle du Concile, proclame qu’elle est tout entière au service du bien de l’homme. La religion catholique et la vie humaine réaffirment ainsi leur alliance, leur convergence vers une seule réalité humaine : la religion catholique est pour l’humanité ; en un certain sens, elle est la vie de l’humanité. Elle est la vie, par l’explication que notre religion donne de l’homme ; la seule explication, en fin de compte, exacte et sublime. (L’homme laissé à lui-même n’est-il pas un mystère à ses propres yeux ?)
Elle donne cette explication précisément en vertu de sa science de Dieu : pour connaître l’homme, l’homme vrai, l’homme tout entier, il faut connaître Dieu. Qu’il Nous suffise pour le moment de citer à l’appui de cette affirmation le mot brûlant de sainte Catherine de Sienne : « C’est dans ta nature, ô Dieu éternel, que je connaîtrai ma propre nature. » (Or. 24.) La religion catholique est la vie, parce qu’elle décrit la nature et la destinée de l’homme ; elle donne à celui-ci son véritable sens. Elle est la vie, parce qu’elle constitue la loi suprême de la vie et qu’elle infuse à la vie cette énergie mystérieuse qui la rend vraiment divine.
Mais, vénérables Frères et vous tous, Nos chers fils ici présents, si nous nous rappelons qu’à travers le visage de tout homme – spécialement lorsque les larmes et les souffrances l’ont rendu plus transparent – Nous pouvons et devons reconnaître le visage du Christ (cf. Matt., 25, 40), le Fils de l’homme, et si sur le visage du Christ nous pouvons et devons reconnaître le visage du Père céleste : « Qui me voit, dit Jésus, voit aussi le Père » (Jean, 14, 9), notre humanisme devient christianisme, et notre christianisme se fait théocentrique, si bien que nous pouvons également affirmer : pour connaître Dieu, il faut connaître l’homme.
Mais alors, ce Concile, dont les travaux et les préoccupations ont été consacrés principalement à l’homme, ne serait-il pas destiné à ouvrir une nouvelle fois au monde moderne les voies d’une ascension vers la liberté et le vrai bonheur ? Ne donnerait-il pas, en fin de compte, un enseignement simple, neuf, neuf et solennel pour apprendre à aimer l’homme afin d’aimer Dieu ?
Aimer l’homme, disons-Nous non pas comme un simple moyen, mais comme un premier terme dans la montée vers le terme suprême et transcendant. Et alors, le Concile tout entier se résume finalement dans cette conclusion religieuse: il n’est pas autre chose qu’un appel amical et pressant qui convie l’humanité à retrouver, par la voie de l’amour fraternel, ce Dieu dont on a pu dire : « S’éloigner de lui, c’est périr; se tourner vers lui, c’est ressusciter; demeurer en lui, c’est être inébranlable…; retourner à lui, c’est renaître; habiter en lui, c’est vivre, » (Saint Augustin, Solil. l, 1,3; P. L., 32, 870.) Voilà ce que Nous espérons au terme de ce second Concile oecuménique du Vatican et au début de l’entreprise de renouvellement humain et religieux qu’il s’était proposé d’étudier et de promouvoir; voilà ce que Nous espérons pour nous-mêmes, vénérables Frères et Pères de ce même Concile; voilà ce que nous espérons pour l’humanité tout entière qu’ici nous avons appris à aimer davantage et à mieux servir.
Et tandis que, dans ce but, Nous invoquons encore l’intercession des saints Jean-Baptiste et Joseph, patrons de ce Synode oecuménique, des saints apôtres Pierre et Paul, fondements et colonnes de la Sainte Église, auxquels Nous associons sait Ambroise, l’évêque dont Nous célébrons aujourd’hui la fêle, unissant en lui de quelque façon l’Église d’Orient et celle d’Occident, Nous implorons également et de tout coeur la protection de la Très Sainte Vierge Marie, mère du Christ, et que pour cela Nous appelons aussi Mère de l’Église, et d’une seule voix, d’un seul coeur, nous rendons grâce et gloire au Dieu vivant et véritable, au Dieu unique et souverain, au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Amen.

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