Entretien avec Monsieur l’abbé AULAGNIER, publié sur « vu de France »
publié dans regards sur le monde le 13 novembre 2013
Entretien avec Monsieur l’abbé AULAGNIER, publié sur « vu de France »
VudeFrance : Bonjour Monsieur l’abbé, nous vous remercions d’accepter de répondre à nos questions. Pour commencer, pourriez-vous prendre la peine de vous présenter ?
Abbé Aulagnier : Ordonné prêtre en 1971 dans le cadre de la FSSPX par son excellence Mgr Lefebvre, je fus très rapidement nommé par lui supérieur de District de la France de la FSSPX. A cette date, juin 1976, il y avait peu de fondation en France, ni prieuré ni école, ni revue, peu de prêtres de « chez nous » Tout était pratiquement à faire. C’était exaltant. Mgr Lefebvre avait acheté une belle maison à Suresnes (92) qui servait de procure et deux maisons, une dans la région de Moulins pour y construire une maison de retraite et qui est devenue la belle maison de retraite ND du Pointet et une maison en Bretagne, à Lanvallay. Quand je fus nommé en France, c’était aussi l’époque où les laïcs, très souvent regroupés en associations saint Pie X ou saint Pie V, s’organisaient pour garder la messe saint Pie V que l’on disait avoir été interdite par le pape Paul VI lors du Consistoire de mai 1974. Benoît XVI, dans son Motu Proprio Summorum Pontificum , le 7 juilett 2007, a dénoncé une telle allégation qui fut l’origine et la raison de biens des injustices dans le gouvernement de l’Eglise, non seulement en France mais aussi au Vatican. Il ne faut pas craindre de le dire et de répéter. Ce qui est faux est faux quelles que soient les personnes et les latitudes. C’est en cette fausseté que s’origine tout le combat de Mgr Lefebvre et son « bras de fer » avec des personnes à Rome. Ce fut son mérite de rappeler le droit sans se soucier de son propre honneur.
A peine nommé en France, j’ai cherché immédiatement à multiplier les contacts avec ces valeureux combattants laïcs plein de foi et de détermination. J’ai du faire ainsi plusieurs fois le tour de France pour visiter tous ces groupes et multiplier les relations, de bonnes relations. Parmi tous ces laïcs, il faut principalement citer M Saclier de la Battie qui fut longtemps le « coordinateur » de ces groupes catholiques. Je me souviens de cette fameuse réunion qui s’est tenue à Poitiers dans la belle basilique ND, où un certain nombre de laïcs prêtèrent serment de fidélité à l’Eglise et à sa doctrine prononçant le serment antimoderniste. Quelle émotion dans les cœurs en cette occasion. C’est de ces relations avec ces groupes de laïcs que s’expliquent les fondations des prieurés de la FSSPX ainsi que de ses écoles. Je me souviens de la fondation du prieuré de Bordeaux, de Marseille, de l’école d’Eguelsarthe, près de Strasbourg, de l’école saint Michel près de Châteauroux en 1978. C’est à l’occasion de mes premiers contacts avec cette école que je fis la connaissance de M Faurade, industriel près d’Alençon qui avait soutenu fortement cette école. Il avait utilisé son propre notaire, Me Hardy d’Alençon pour l’organisation juridique de l’école. Aussi lors de mes premiers contacts avec l’école, tout naturellement je fis connaissance de Me Hardy. S’intéressant beaucoup à notre société sacerdotale, il y consacra de son temps professionnel et m’aida, par la suite, à structurer juridiquement les biens immobiliers de la FSSPX. Je tiens à saluer ce nom particulièrement aujourd’hui. Car, hier, j’assistais à ses obsèques à Alençon. La tradition et la FSSPX en particulier lui doit beaucoup. C’est lui qui m’a assisté de ses conseils dans toutes mes difficultés de gestions administratives et juridiques. On est pas sans en rencontrer en 18 ans de « commandement ».
Et c’est ainsi que le District de France prit peu à peu son essor avec une augmentation régulière de prêtres. Mes collaborateurs immédiats, M l’abbé Groche durant 9 ans ainsi que M l’abbé Boivin, pendant 9 ans encore, m’apportèrent le soutien de leur amitié et de leur dévouement. Nous fîmes, je crois, du bon travail. Lorsque j’ai quitté le District, les prieurés étaient nombreux ainsi que les écoles, les revues et bulletins des prieurés. Les cœurs étaient dans la joie et chacun travaillait à la sanctification des âmes et à la christianisation de notre pays. Chaque prieuré était un « bastion » de la foi. Il doit le demeurer et il le demeure.
VdeF : Vous avez côtoyé pendant des années Monseigneur LEFEBVRE. Avec le recul que pensez-vous de cet homme. Auriez-vous une anecdote particulière à nous raconter sur lui, qui nous permettrait de mieux le comprendre ?
A.A. : Pour moi, Mgr Lefebvre est un grand évêque de l’Eglise catholique. Il fut d’abord un grand missionnaire en Afrique, un organisateur hors pair lorsqu’il fut délégué apostolique à Dakar, un grand confesseur de la foi. C’est grâce à lui, en particulier, que nous pouvons encore célébrer la messe tridentine. Sans lui, sa force et le soutien de Mgr de Catsro Mayer, il en était fini de la messe tridentine… Vous me demandez une anecdote… Il me disait un jour, nous étions après le Concile, « on me dit être opposé à la collégialité, aux conférences épiscopales… alors que j’en ai créé de nombreuse lorsque j’étais délégué apostolique en Afrique…Alors…Il est bon que les évêques s’entraident réciproquement pour le développement de telles ou telles œuvres, les Universités, la presse, etc …Mais il ne faut pas qu’elles absorbent l’autorité de l’évêque ordinaire du lieu. » Il était bon et sensible. Toute trahison ou abandon le blessait personnellement. Il était humble. Ce que je retiens surtout de lui et que j’essaye de transmettre aux séminaristes de Courtalain, il avait une grande science du sacerdoce. Il savait ce qu’était le sacerdoce. Il le savait. Il en vivait. L’avoir condamné, l’avoir excommunié est vraiment un grand scandale au sein de l’Eglise. Jean Paul II en porte la responsabilité. C’est grave. Peut-on être saint lorsqu’on condamne un tel évêque qui donna tant de prêtres à l’Eglise. Quel est sur ce sujet le bilan des évêques ? Qu’ils osent le présenter. Ils en discutent aujourd’hui à Lourdes. Vont-ils prendre, enfin, les bonnes décisions ? Vont-ils vouloir « travailler » avec ce « clergé » qui veut garder la messe tridentine parce que anti moderne. C’était l’’expression de Dom Guéranger. Ils ne le voulaient pas hier. Devant les faits, vont-ils le vouloir aujourd’hui. Je crois qu’il faudra bien quelques autres événements… socio-politiques…pour les faire changer d’avis…
VdF : Toujours avec le recul des ans, considérez-vous les sacres de 1988 comme une erreur, comme un refus de l’autorité, ou plutôt comme un geste salutaire pour la « tradition » ?
A.A. : Je ne vais pas me déjuger. J’ai été un de ceux qui ont encouragé Mgr Lefebvre à procéder aux sacre en 1988. Il n’avait pas besoin de mon avis…Ils étaient nécessaires. Ce ne fut nullement une erreur, nullement un refus d’autorité…Mais comme l’a très bien dit Mgr Lefebvre « une opération survis ». Jean Madiran, qui hésita longtemps sur ce sujet difficile en a reconnu le bien fondé à la fin de sa vie. Je vous recommande le film que la FSSPX a très heureusement réalisé sur ce grand évêque. Jean Madiran, cette fois sans aucune hésitation répond très clairement à la question de la nécessité des sacres. L’Eglise est essentiellement sacerdotale. Elle ne peut vivre sans le sacerdoce. Nous le comprendrons bientôt en France. Sans l’évêque, point de prêtres…Vous comprenez le dilemme dans lequel s’est trouvé Mgr Lefebvre. D’un côté nous allions de plus en plus vers la pénurie de prêtres. De l’autre, des jeunes toujours plus nombreux frappaient aux portes… Alors.
Par contre la grande erreur des quatre évêques choisis est leur division. Pour aucune raison, l’un devait quitter les autres, ni être prié de s’éloigner. La lettre que Mgr Lefebvre leur laissa, était formelle sur ce point. Il fallait trouver un modus vivendi et compter sur le temps pour aplanir les difficultés ou les incompréhensions. Cette division est grave pour l’avenir. Il faudrait qu’ils retrouvent tous les quatre le chemin de l’unité. Leur division fragilise l’œuvre de Mgr Lefebvre. C’est très grave… Mais Mgr Lefebvre protège, j’en suis sur, son œuvre…Cette division n’a pas le son du glas…
VdeF :Vous avez déclaré dans un entretien avoir été exclu de la FSSPX pour avoir eu raison trop tôt. En effet vous étiez partisan d’un accord avec Rome pour régulariser une situation confuse. Or, pouvez-vous vraiment considérer avoir eu raison trop tôt, vu qu’au moment ou vous répondez à nos questions, la FSSPX n’est toujours pas pleinement dans l’Eglise ?
A.A. : Je ne sais pas si j’ai eu raison trop tôt… Comme vous le dites, la FSSPX n’a toujours pas normalisé sa situation canonique. Je ne dis pas que la FSSPX ne soit « toujours pas pleinement dans l’Eglise ». Je ne dis pas qu’ « elle est hors de l’Eglise ». Tout cela me parait faux. Ce n’est pas le problème. Par contre j’ai pensé, surtout à partir de 1992, qu’il fallait « normaliser notre situation canonique avec Rome ». C’était le grand souci de Mgr Lefebvre. Il l’a écrit d’une façon clair au cardinal Gagnon qui finissait sa visite canonique en novembre 1987. Nous n’étions pas loin pourtant du scandale d’Assise… Mgr Lefebvre avait « fulminé » contre cet événement extrêmement grave et pourtant il était « préoccupé » par ce souci d’une normalisation canonique de son œuvre. « Normalisation » est son expression. Je tiens à préciser qu’une normalisation canonique n’est pas, de soi, un « ralliement ». Nos amis nous reprochent notre situation parce que, pour eux, elle serait un « ralliement ». Nous ne sommes pas « ralliés » ni à la nouvelle messe ni à l’œuvre conciliaire. Nous en continuons la critique dans l’esprit même de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer. Mais je pense, si je peux me le permettre, que Mgr Fellay s’y est mal pris. Il n’était pas nécessaire de régler préalablement à toute « normalisation », – je ne parle non plus « d’accord » – le problème doctrinal. La crise doctrinale est loin d’être finie… « préparez-vous pour une crise de longue durée » nous disait Mgr Lefebvre. Je crois qu’il avait encore là aussi raison…Mais la longueur de la crise présente, pour toute œuvre comme la FSSPX, est un danger. On ne peut pas éternellement vivre d’une manière « autocéphale ». Il y a un danger, me semble-t-il. Pour éviter ce danger réel, négocier avec le Vatican un bon règlement canonique serait une bonne solution. Mgr Lefebcvre en a précisé les conditions : « que l’on nous prenne tels que nous sommes » et « qu’on nous donne une certaine autonomie vis-a-vis des ordinaires des lieux ». Cela est possible. Rome l’a donnée sans contre partie à nos amis de Campos au Brésil. Nous étions en 2000. J’ai tout fait, j’étais encore conseiller du Supérieur Général, pour que nous suivions cette route. Peine perdue. J’ai donné ma démission. Il ne faut pas dire non plus que la position actuelle de Mgr Rifan est dépendante de la normalisation canonique de ses prêtres. Elle est du à sa « faiblesse » personnelle… ou à son « infidélité » à la pensée de Mgr de Castro Mayer. Je l’avais déjà compris en 2003 alors que nous nous rencontrions à Toronto au Canada…
VdF : Pensez-vous que ces accords verront le jour ? Et selon vous pour quelles raisons les dernières discussions ont-elles échoué ?
A.A. : Oui ! je pense que cette « normalisation » verra le jour. Notez que je ne parle pas « d’accord ». On n’a pas d’accord à passer avec Rome. « Accord » peut sous-entendre « un compromis ». Le Credo de Nicée n’est pas un compromis entre plusieurs opinions. On adhère ou on n’adhère pas. On a la foi ou on n’a pas la foi. « Tu me donnes, je te donne ». Grand Dieu, loin de moi cet esprit… Mais une « normalisation » devrait voir le jour. Face le ciel qu’elle ne tarde pas trop…Car je crains une possible division. Il faut que « nos » évêques fassent attention : ils n’ont pas l’autorité de Mgr Lefebvre… Et même lui, fut « contesté » par certains… Les discussions ont échoué parce que il n’y a pas d’unité au Vatican sur ce sujet. Et au dernier moment, dans le texte ultime proposé, les conditions étaient semble-t-il, inacceptables. Il fallait accepter tout le concile et recevoir la nouvelle messe en l’état… Mgr Fellay n’avait pas le choix. Il devait passer outre… Mais il a eu tord de poser le problème sur le plan doctrinal… S’il reste sur ce sujet… alors la « normalisation » n’est pas pour demain… Certains peut-être le souhaitent… : et du côté du Vatican et du côté de la FSSPX.
VdF : Que répondrez-vous à ceux qui disent que vous avez retourné votre soutane ?
A.A. : Comme je l’ai dit, je ne suis pas « rallié ». Rallié à quoi ? A la nouvelle messe ? Qu’on veuille bien lire ou relire mes textes sur ce sujet ou que l’on vienne écouter mes cours à Courtalain. On jugera sur pièce et non sur des « on dit ». Sur l’œuvre conciliaire ? Qu’on prenne le temps de relire, par exemple, le récent texte que j’ai mis sur mon site (ITEM.COM) et que je donnais aux séminaristes sur le jugement sur le « temps présent ». Toute ma pensée était prise de l’Encyclique de Saint Pie X « E supremi apostolatus » et du livre de jacques Maritain : « Antimoderne ». On verra si on peut dire en justice, que j’ai « retourné ma soutane ».
VdF : Quel bilan tirez-vous du pontificat de Benoît XVI ?
A.A. : Ce qui retient mon attention sur le Pontificat de Benoît XVI, c’est essentiellement son œuvre liturgique. Sa pensée personnelle d’abord exprimée surtout dans son petit livre « l’esprit de la liturgie ». Je m’en sers de « manuel » dans mes cours de liturgie au séminaire et son action personnelle en ce domaine : il essaya de « restaurer » un mode pieux de célébration.
VdF : Que pensez-vous du Pape François ?
A.A. : Quant au pape François, laissez passer un peu de temps. Toutefois sa déclaration sur le relativisme morale au journaliste italien de « la Republica » m’a surpris… pour ne pas dire plus. Je dirais même volontiers m’a scandalisé. Sa critique sur le prosélytisme aussi… Notre Seigneur n’a-t-il pas dit : « Allez enseigner toutes les nations… Alors ?
VdeF : Pourriez-vous nous expliquer quel poste vous occupez en sein de l’Institut du Bon Pasteur ?
A.A. : A l’Institut de Bon Pasteur, j’occupe les fonctions suivantes : je suis a la fois 2ème conseiller du Supérieur Général et Recteur du séminaire de Courtalain. J’ai été élu, lors du dernière Chapitre Générale, 2ème conseiller du Supérieur Général . Ce Chapitre s’est déroulé dans la paix sous la haute protection de Dom Forgeot, père abbé émérite du monastère de Fontgombault, ce dernier a proposé mon nom pour m’occuper du séminaire de Courtalain. Ce que le conseil de l’IBP a entériné. J’ai accepté. Je suis très heureux de m’occuper du séminaire. Je peux ainsi transmettre à mon tour ce que j’ai reçu de Mgr Lefebvre sur ce sujet. Et je ne m’en prive pas.