Saint Pierre, une basilique outragée
publié dans nouvelles de chrétienté le 17 décembre 2015
Saint-Pierre, une basilique outragée – Analyse du professeur R. de Mattei
SOURCE – La Nouvelle Gazette Française – 16 décembre 2015
L’image qui restera liée à l’ouverture du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde n’est pas la cérémonie anti-triomphaliste célébrée par le Pape François le matin du 8 décembre, mais bien le spectacle grandiloquent Fiat lux : Illuminating Our Common Home, qui a clôt cette même journée, inondant de sons et lumières la façade et la coupole de Saint-Pierre.
Au cours du Show, offert par le World Bank Group, les images de gigantesques lions, tigres et léopards se sont superposées à Saint-Pierre, qui s’élève exactement sur les ruines du cirque de Néron, où les bêtes sauvages dévoraient les chrétiens. Grâce au jeu des lumières, la basilique a semblé ensuite chavirer, se dissoudre, s’immerger dans l’eau, tandis que sur sa façade apparaissaient des poissons-clowns et des tortues de mer, comme pour évoquer la liquéfaction des structures de l’Eglise, sans aucun élément de solidité. Un énorme hibou et d’étranges volatiles lumineux voltigeaient sur la coupole, tandis que les moines bouddhistes en marche semblaient indiquer une voie de salut alternative au christianisme. Aucun symbole religieux, aucune référence au christianisme : l’Église cédait le pas à la nature souveraine.
Andrea Tornielli écrit qu’il n’y a pas à se scandaliser car, comme l’illustre l’historien de l’art Sandro Barbagallo dans son livre Gli animali nell’arte religiosa. La Basilica di San Pietro (Libreria Editrice Vaticana, 2008), de nombreux artistes au cours des siècles, ont représenté une faune luxuriante autour de la tombe de Pierre. Mais si la Basilique Saint-Pierre est un «Zoo sacré», comme la définit irrévérencieusement l’auteur de cette oeuvre, ce n’est pas parce que les animaux représentés dans la Basilique sont enfermés dans une enceinte sacrée, mais parce que la signification que l’art a attribuée à ces animaux est sacrée, c’est-à-dire ordonnée à une fin transcendante.
Dans le christianisme, en effet, les animaux ne sont pas divinisés, mais appréciés pour leur fin, qui est d’être destinés par Dieu à être au service de l’homme. Le Psaume récite: «Tu as placé l’homme à la tête des œuvres de tes mains ,Tout tu as mis à ses pieds, moutons et bœufs, et les bêtes de la campagne encore, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer» (Ps 8,7-9). L’homme a été placé par Dieu comme sommet et roi de la création, à qui tout doit être ordonné afin qu’il ordonne tout à Dieu, en qualité de représentant de l’univers (Genèse 1:26-27). Dieu est la fin ultime de l’univers, mais la fin immédiate de l’univers physique est l’homme. « Nous sommes nous aussi en un certain sens la fin de toutes choses », dit saint Thomas (1), parce que « Dieu a fait toutes choses pour l’ homme» (2).
La symbologie chrétienne attribue en outre aux animaux une signification emblématique. Le christianisme ne s’intéresse pas à l’extinction des animaux et à leur bien-être, mais au sens ultime et profond de leur présence. Le lion symbolise la force et l’agneau la douceur, pour nous rappeler l’existence de différentes vertus et perfections, que seul Dieu possède dans son intégralité. Sur la terre, une échelle prodigieuse d’êtres créés, à partir de la matière inorganique jusqu’à l’homme, a une essence et une perfection intime exprimée par le langage des symboles.
L’écologisme se présente comme une vision du monde qui renverse cette échelle hiérarchique, éliminant Dieu et détrônant l’homme. L’homme est placé sur le plan d’une égalité absolue avec la nature, dans une relation d’interdépendance non seulement avec les animaux, mais aussi avec les composants inanimés de l’environnement qui l’entoure : montagnes, fleuves, mers, paysages, chaînes alimentaires, écosystèmes. Le présupposé de cette vision cosmologique est la dissolution de toutes les frontières entre l’homme et le monde. La Terre avec sa biosphère forment une sorte d’entité cosmique unitaire géo-écologique. Elle devient quelque chose de plus qu’une «maison commune»: elle représente une divinité.
Lorsque prit fin le Concile Vatican II il y a cinquante ans, le thème dominant de cette période historique semblait être un « culte de l’homme », contenu dans la formule «humanisme intégral» de Jacques Maritain. Le livre du philosophe français, avec ce titre, date de 1936, mais il connut une plus grande influence surtout quand un lecteur enthousiaste, Giovanni Battista Montini, qui devint pape sous le nom de Paul VI, voulut en faire une boussole de son pontificat. Le 7 Décembre 1965, dans l’homélie de la Messe, le pape Paul VI rappela qu’à Vatican II s’était produit la rencontre entre « la religion du Dieu qui s’est fait homme » et « la religion (car c’est ce qu’elle est) de l’homme qui se fait Dieu».
Cinquante ans plus tard, nous assistons au passage de l’humanisme intégral à l’écologie intégrale, de la Charte des droits de l’homme à celle des droits de la Nature.
Au XVIe siècle, l’humanisme avait rejeté la civilisation chrétienne médiévale au nom de l’anthropocentrisme. La tentative de construire la Cité de l’homme sur les ruines de celle de Dieu a tragiquement échoué au XXe siècle et les tentatives de christianiser l’anthropocentrisme sous le nom d’humanisme intégral, n’ont rien valu. A la religion de l’homme se substitue celle de la terre: à l’anthropocentrisme, critiqué pour ses «déviations», se substitue une nouvelle vision éco-centrique. La théorie du Gender qui dissout chaque identité et chaque essence, s’insère dans cette perspective panthéiste et égalitaire.
Il s’agit d’une conception radicalement évolutionniste, qui correspond en grande partie à celle de Teilhard de Chardin. Dieu est l’« autoconscience » de l’univers lequel, en évoluant, devient conscient de son évolution. Ce n’est pas un hasard si Teilhard est cité au paragraphe 83 de Laudato si’, l’encyclique du pape François dont des philosophes comme Enrico Maria Radaelli et Arnaldo Xavier da Silveira ont souligné les points en contradiction avec la Tradition catholique. Et le spectacle Fiat Lux a été présenté comme un « manifeste écologiste » qui veut traduire en images l’encyclique Laudato si’.
Antonio Socci, dans « Libero » l’a qualifié de « mélodrame gnostique et néo-païen qui avait un message idéologique anti-chrétien bien précis », observant qu’« à Saint-Pierre, en la fête de l’Immaculée Conception, à la célébration de la Mère de Dieu, on a préféré la célébration de la Mère Terre, pour faire la propagande de l’idéologie dominante, cette « religion climatiste et écologiste », néo-païenne et néo-malthusienne qui est soutenue par les pouvoirs forts du monde ». Une profanation spirituelle (aussi parce que ce lieu – rappelons-le – est un lieu de martyre chrétien).
« Donc, – écrit à son tour Alessandro Gnocchi sur Riscossa Cristiana – ce n’est pas l’Isis (Etat Islamique) qui a profané le cœur du christianisme, ce ne sont pas les extrémistes du credo laïc qui ont massacré le credo catholique, ce ne sont pas les habituels artistes blasphémateurs et atteints de coprolalie qui ont souillé la foi de nombreux chrétiens. Il n’y avait pas besoin de perquisitions et de détecteurs de métaux pour barrer aux vandales l’entrée dans la citadelle de Dieu : ils étaient déjà dans les murs et avaient déjà déclenché leur bombe en multicolore et en mondovision, bien au chaud dans leur salle de contrôle ».
Les photographes, les graphistes et les publicitaires qui ont réalisé Fiat Lux savent ce que Saint-Pierre représente pour les catholiques, image matérielle du Corps mystique du Christ qui est l’Eglise. Les jeux de lumière qui ont illuminé la basilique ont eu une intention symbolique, antithétique à celle exprimée par tous les luminaires, les lampadaires, les feux, qui ont transmis au cours des siècles le sens de la lumière divine. Cette lumière était éteinte le 8 Décembre. Parmi les images et les lumières projetées sur la basilique, il manquait celles de Notre Seigneur et de l’Immaculée Conception, dont on célébrait la fête. Saint-Pierre était immergé dans la fausse lumière portée par l’ange rebelle, Lucifer, prince de ce monde et roi des ténèbres.
Le mot lumière divine n’est pas seulement une métaphore, mais une réalité, tout comme les ténèbres qui enveloppent le monde aujourd’hui sont une réalité. Et en cette veille de Noël, l’humanité attend le moment où la nuit s’illuminera comme le jour, « nox sicut dies illuminabitur » (Psaume 11), et où s’accompliront les promesses faites par l’Immaculée à Fatima.
Roberto de Mattei
(Mais où va-t-on?)