Jésus-Christ et sa Doctrine
publié dans regards sur le monde le 17 décembre 2009
Dans « le Discours sur l’Histoire Universelle » de Bossuet, on peut lire, dans la deuxième partie, ce merveilleux exposé sur la doctrine de NSJC. Je crois n’avoir jamais lu une présentation aussi puissante, dans un style aussi parfait.
Dans ce déclin de la religion et des affaires des Juifs, à la fin du règne d’Hérode, et dans le temps que les pharisiens introduisaient tant d’abus, Jésus-Christ est envoyé sur la terre pour rétablir le royaume dans la maison de David d’une manière plus haute que les Juifs charnels ne l’entendaient, et pour prêcher la doctrine que Dieu avait résolu de faire annoncer à tout l’univers. Cet admirable enfant appelé par Isaïe le Dieu fort, le père du siècle futur, et l’auteur de la paix, naît d’une vierge à Bethléem, et il y vient reconnaître l’origine de sa race. Conçu du Saint Esprit, saint par sa naissance, seul digne de réparer le vice de la notre, il reçoit le nom de sauveur, parce qu’il devait nous sauver de nos péchés. Aussitôt après sa naissance, une nouvelle étoile, figure de la lumière qu’il devait donner aux gentils, se fait voir en Orient, et amène au sauveur encore enfant les prémices de la gentilité convertie. Un peu après ce Seigneur tant désiré vient à son saint temple, où Siméon le regarde, non seulement comme la gloire d’Israël, mais encore comme la lumière des nations infidèles. Quand le temps de prêcher son évangile approcha, saint Jean Baptiste, qui lui devait préparer les voies, appela tous les pécheurs à la pénitence, et fit retentir de ses cris tout le désert où il avait vécu dés ses premières années avec autant d’austérité que d’innocence. Le peuple, qui depuis cinq cent ans n’avait point vu de prophètes, reconnut ce nouvel Élie, tout prêt à le prendre pour le sauveur, tant sa sainteté paraissait grande : mais lui-même il montrait au peuple celui dont il était indigne de délier les souliers. Enfin Jésus-Christ commence à prêcher son évangile, et à révéler les secrets qu’il voyait de toute éternité au sein de son père. Il pose les fondements de son église par la vocation de douze pécheurs, et met saint Pierre à la tête de tout le troupeau avec une prérogative si manifeste, que les évangélistes, qui dans le dénombrement qu’ils font des apôtres ne gardent aucun ordre certain, s’accordent à nommer saint Pierre devant tous les autres comme le premier. Jésus-Christ parcourt toute la Judée, qu’il remplit de ses bienfaits ; secourable aux malades, miséricordieux envers les pécheurs dont il se montre le vrai médecin par l’accés qu’il leur donne auprès de lui, faisant ressentir aux hommes une autorité et une douceur qui n’avait jamais paru qu’en sa personne. Il annonce de hauts mystères ; mais il les confirme par de grands miracles : il commande de grandes vertus ; mais il donne en même temps de grandes lumières, de grands exemples, et de grandes grâces. C’est par là aussi qu’il paraît plein de grâce et de vérité, et nous recevons tous de sa plénitude.
Tout se soutient en sa personne ; sa vie, sa doctrine, ses miracles. La même vérité y reluit par tout : tout concourt à y faire voir le maître du genre humain, et le modèle de la perfection. Lui seul vivant au milieu des hommes, et à la vue de tout le monde, a pu dire sans craindre d’être démenti,…
Ses miracles sont d’un ordre particulier, et d’un caractère nouveau. Ce ne sont point des signes dans le ciel, tels que les Juifs les demandaient : il les fait presque tous sur les hommes mêmes, et pour guérir leurs infirmités. Tous ces miracles tiennent plus de la bonté que de la puissance, et ne surprennent pas tant les spectateurs, qu’ils les touchent dans le fond du cœur. Il les fait avec empire : les démons et les maladies lui obéissent : à sa parole les aveugles nés reçoivent la vue, les morts sortent du tombeau, et les péchés sont remis. Le principe en est en lui-même ; ils coulent de source : je sens, dit-il, qu’une vertu est sortie de moi. Aussi personne n’en avait-il fait ni de si grands, ni en si grand nombre ; et toutefois il promet que ses disciples feront en son nom encore de plus grandes choses, tant est féconde et inépuisable la vertu qu’il porte en lui-même.
Qui n’admirerait la condescendance avec laquelle il tempère la hauteur de sa doctrine ? C’est du lait pour les enfants, et tout ensemble du pain pour les forts. On le voit plein des secrets de Dieu, mais on voit qu’il n’en est pas étonné comme les autres mortels à qui Dieu se communique : il en parle naturellement, comme étant né dans ce secret et dans cette gloire ; et ce qu’il a sans mesure, il le répand avec mesure, afin que notre faiblesse le puisse porter.
Quoiqu’il soit envoyé pour tout le monde, il ne s’adresse d’abord qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël, auxquelles il était aussi principalement envoyé : mais il prépare la voie à la conversion des samaritains et des gentils. Une femme samaritaine le reconnaît pour le Christ que sa nation attendait aussi bien que celle des Juifs, et apprend de lui le mystère du culte nouveau qui ne serait plus attaché à un certain lieu. Une femme Chananéenne et idolâtre lui arrache, pour ainsi dire, quoique rebutée, la guérison de sa fille. Il reconnaît en divers endroits les enfants d’Abraham dans les gentils, et parle de sa doctrine comme devant être prêchée, contredite, et reçue par toute la terre. Le monde n’avait jamais rien vu de semblable, et ses apôtres en sont étonnés. Il ne cache point aux siens les tristes épreuves par lesquelles ils devaient passer. Il leur fait voir les violences et la séduction employées contre eux, les persécutions, les fausses doctrines, les faux frères, la guerre au dedans et au dehors, la foi épurée par toutes ces épreuves ; à la fin des temps, l’affaiblissement de cette foi et le refroidissement de la charité parmi ses disciples ; au milieu de tant de périls, son église et la vérité toujours invincibles.
Voici donc une nouvelle conduite, et un nouvel ordre de choses : on ne parle plus aux enfants de Dieu de récompenses temporelles ; Jésus-Christ leur montre une vie future, et les tenant suspendus dans cette attente, il leur apprend à se détacher de toutes les choses sensibles. La croix et la patience deviennent leur partage sur la terre, et le ciel leur est proposé comme devant être emporté de force. Jésus-Christ qui montre aux hommes cette nouvelle voie, y entre le premier : il prêche des vérités pures qui étourdissent les hommes grossiers, et néanmoins superbes : il découvre l’orgueil caché, et l’hypocrisie des pharisiens et des docteurs de la loi qui la corrompaient par leurs interprétations. Au milieu de ces reproches il honore leur ministère, et la chaire de Moïse où ils sont assis. Il fréquente le temple, dont il fait respecter la sainteté, et renvoie aux prêtres les lépreux qu’il a guéris. Par là il apprend aux hommes comment ils doivent reprendre et réprimer les abus, sans préjudice du ministère établi de Dieu, et montre que le corps de la synagogue subsistait malgré la corruption des particuliers. Mais elle penchait visiblement à la ruine. Les pontifes, et les pharisiens animaient contre Jésus-Christ le peuple juif, dont la religion se tournait en superstition.
Ce peuple ne peut souffrir le sauveur du monde, qui l’appelle à des pratiques solides, mais difficiles. Le plus saint et le meilleur de tous les hommes, la sainteté et la bonté même, devient le plus envié et le plus haï. Il ne se rebute pas, et ne cesse de faire du bien à ses citoyens ; mais il voit leur ingratitude : il en prédit le châtiment avec larmes, et dénonce à Jérusalem sa chute prochaine. Il prédit aussi que les Juifs ennemis de la vérité qu’il leur annonçait, seraient livrés à l’erreur, et deviendraient le jouet des faux prophètes. Cependant la jalousie des pharisiens et des prêtres le mène à un supplice infâme : ses disciples l’abandonnent ; un d’eux le trahit ; le premier et le plus zélé de tous le renie trois fois. Accusé devant le conseil, il honore jusqu’à la fin le ministère des prêtres, et répond en termes précis au pontife qui l’interrogeait juridiquement. Mais le moment était arrivé, où la synagogue devait être réprouvée.
Le pontife et tout le conseil condamne Jésus-Christ, parce qu’il se disait le Christ fils de Dieu. Il est livré à Ponce Pilate président romain : son innocence est reconnue par son juge, que la politique et l’intérêt font agir contre sa conscience : le juste est condamné à mort : le plus grand de tous les crimes donne lieu à la plus parfaite obéissance qui fut jamais : Jésus maître de sa vie, et de toutes choses, s’abandonne volontairement à la fureur des méchants, et offre le sacrifice qui devait être l’expiation du genre humain. A la croix, il regarde dans les prophéties ce qui lui restait à faire : il l’achève, et dit enfin, tout est consommé. À ce mot, tout change dans le monde : la loi cesse, ses figures passent, ses sacrifices sont abolis par une oblation plus parfaite. Cela fait, Jésus-Christ expire avec un grand cri : toute la nature s’émeut : le centurion qui le gardait, étonné d’une telle mort, s’écrie qu’il est vraiment le fils de Dieu ; et les spectateurs s’en retournent frappant leur poitrine. Au troisième jour il ressuscite ; il paraît aux siens qui l’avaient abandonné, et qui s’obstinaient à ne pas croire sa résurrection. Ils le voient, ils lui parlent, ils le touchent, ils sont convaincus. Pour confirmer la foi de sa résurrection, il se montre à diverses fois et en diverses circonstances. Ses disciples le voient en particulier, et le voient aussi tous ensemble : il paraît une fois à plus de cinq cent hommes assemblés. Un apôtre qui l’a écrit, assure que la plupart d’eux vivaient encore dans le temps qu’il l’écrivait. Jésus-Christ ressuscité donne à ses apôtres tout le temps qu’ils veulent pour le bien considérer ; et après s’être mis entre leurs mains en toutes les manières qu’ils le souhaitent, en sorte qu’il ne puisse plus leur rester le moindre doute, il leur ordonne de porter témoignage de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont ouï, et de ce qu’ils ont touché. Afin qu’on ne puisse douter de leur bonne foi, non plus que de leur persuasion, il les oblige à sceller leur témoignage de leur sang. Ainsi leur prédication est inébranlable ; le fondement en est un fait positif, attesté unanimement par ceux qui l’ont vu. Leur sincérité est justifiée par la plus forte épreuve qu’on puisse imaginer, qui est celle des tourments, et de la mort même. Telles sont les instructions que reçurent les apôtres. Sur ce fondement douze pécheurs entreprennent de convertir le monde entier, qu’ils voyaient si opposé aux lois qu’ils avaient à leur prescrire, et aux vérités qu’ils avaient à leur annoncer. Ils ont ordre de commencer par Jérusalem, et de là de se répandre par toute la terre, pour instruire toutes les nations, et les baptiser au nom du père, du fils, et du Saint Esprit. Jésus-Christ leur promet d’être avec eux jusqu’à la consommation des siècles, et assure par cette parole la perpétuelle durée du ministère ecclésiastique. Cela dit, il monte aux cieux en leur présence.
Les promesses vont être accomplies : les prophéties vont avoir leur dernier éclaircissement. Les gentils sont appelés à la connaissance de Dieu par les ordres de Jésus-Christ ressuscité : une nouvelle cérémonie est instituée pour la régénération du nouveau peuple ; et les fidèles apprennent que le vrai dieu, le dieu d’Israël, ce dieu un et indivisible auquel ils sont consacrés par le baptême, est tout ensemble père, fils, et Saint Esprit.
Là donc nous sont proposées les profondeurs incompréhensibles de l’être divin, et la grandeur ineffable de son unité, et les richesses infinies de cette nature, plus féconde encore au dedans qu’au dehors, capable de se communiquer sans division à trois personnes égales. Là sont expliqués les mystères qui étaient enveloppés, et comme scellés dans les anciennes écritures. Nous entendons le secret de cette parole, faisons l’homme à notre image ; et la trinité marquée dans la création de l’homme, est expressément déclarée dans sa régénération. Nous apprenons ce que c’est que cette sagesse conçue, selon Salomon, devant tous les temps dans le sein de Dieu ; sagesse qui fait toutes ses délices, et par qui sont ordonnés tous ses ouvrages. Nous savons qui est celui que David a vu engendré devant l’aurore ; et le nouveau testament nous enseigne que c’est le verbe, la parole intérieure de Dieu, et sa pensée éternelle, qui est toujours dans son sein, et par qui toutes choses ont été faites.
Par là nous répondons à la mystérieuse question qui est proposée dans les proverbes : dites-moi le nom de Dieu, et le nom de son fils, si vous le savez. Car nous savons que ce nom de Dieu si mystérieux et si caché est le nom de père entendu en ce sens profond qui le fait concevoir dans l’éternité père d’un fils égal à lui, et que le nom de son fils est le nom de verbe ; verbe qu’il engendre éternellement en se contemplant lui-même, qui est l’expression parfaite de sa vérité, son image, son fils unique, l’éclat de sa clarté, et l’empreinte de sa substance.
Avec le père et le fils nous connaissons aussi le Saint Esprit, l’amour de l’un et de l’autre, et leur éternelle union. C’est cet esprit qui fait les prophètes, et qui est en eux pour leur découvrir les conseils de Dieu, et les secrets de l’avenir ; esprit dont il est écrit, le Seigneur m’a envoyé et son esprit, qui est distingué du Seigneur, et qui est aussi le Seigneur même, puis qu’il envoie les prophètes, et qu’il leur découvre les choses futures. Cet esprit qui parle aux prophètes, et qui parle par les prophètes est uni au père et au fils, et intervient avec eux dans la consécration du nouvel homme.
Ainsi le père, le fils, et le Saint Esprit, un seul Dieu en trois personnes, montré plus obscurément à nos pères, est clairement révélé dans la nouvelle alliance. Instruits d’un si haut mystère, et étonnés de sa profondeur incompréhensible, nous couvrons notre face devant Dieu avec les chérubins que vit Isaïe, et nous adorons avec eux celui qui est trois fois saint. C’était au fils unique qui était dans le sein du père, et qui sans en sortir venait à nous ; c’était à lui à nous découvrir pleinement ces admirables secrets de la nature divine que Moïse et les prophètes n’avaient qu’effleurés.
C’était à lui à nous faire entendre d’où vient que le messie promis comme un homme qui devait sauver les autres hommes, était en même temps montré comme Dieu en nombre singulier, et absolument à la manière dont le créateur nous est désigné : et c’est aussi ce qu’il a fait, en nous enseignant que, quoique fils d’Abraham, il était devant qu’Abraham fut fait ; qu’il est descendu du ciel, et toutefois qu’il est au ciel ; qu’il est Dieu, fils de Dieu, et tout ensemble homme, fils de l’homme ; le vrai Emmanuel ; Dieu avec nous ; en un mot le verbe fait chair, unissant en sa personne la nature humaine avec la divine, afin de réconcilier toutes choses en lui-même.
Ainsi nous sont révélés les deux principaux mystères, celui de la trinité, et celui de l’incarnation. Mais celui qui nous les a révélés, nous en fait trouver l’image en nous-mêmes, afin qu’ils nous soient toujours présents, et que nous reconnaissions la dignité de notre nature.
En effet, si nous imposons silence à nos sens, et que nous nous renfermions pour un peu de temps au fond de notre âme, c’est à dire dans cette partie où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque image de la trinité que nous adorons. La pensée que nous sentons naître comme le germe de notre esprit, comme le fils de notre intelligence, nous donne quelque idée du fils de Dieu conçut éternellement dans l’intelligence du père céleste. C’est pourquoi ce fils de Dieu prend le nom de verbe, afin que nous entendions qu’il naît dans le sein du père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans notre âme cette parole intérieure que nous y sentons quand nous contemplons la vérité. Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à cette parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité qui se forme en nous. Nous aimons et cette parole intérieure et l’esprit où elle naît ; et en l’aimant nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l’un et de l’autre, qui les unit, qui s’unit à eux, et ne fait avec eux qu’une même vie.
Ainsi autant qu’il se peut trouver de rapport entre Dieu et l’homme, ainsi, dis-je, se produit en Dieu l’amour éternel qui sort du père qui pense, et du fils qui est sa pensée, pour faire avec lui et sa pensée une même nature également heureuse et parfaite.
En un mot Dieu est parfait, et son verbe image vivante d’une vérité infinie, n’est pas moins parfait que lui ; et son amour qui sortant de la source inépuisable du bien en a toute la plénitude, ne peut manquer d’avoir une perfection infinie ; et puis que nous n’avons point d’autre idée de Dieu que celle de la perfection, chacune de ces trois choses considérée en elle-même mérite d’être appelée Dieu : mais parce que ces trois choses conviennent nécessairement à une même nature, ces trois choses ne sont qu’un seul Dieu.
Il ne faut donc rien concevoir d’inégal, ni de séparé dans cette trinité adorable ; et quelque incompréhensible que soit cette égalité, notre âme, si nous l’écoutons, nous en dira quelque chose. Elle est, et quand elle sait parfaitement ce qu’elle est, son intelligence répond à la vérité de son être ; et quand elle aime son être avec son intelligence autant qu’ils méritent d’être aimés, son amour égale la perfection de l’un et de l’autre. Ces trois choses ne se séparent jamais, et s’enferment l’une l’autre : nous entendons que nous sommes, et que nous aimons ; et nous aimons à être, et à entendre. Qui le peut nier, s’il s’entend lui-même ? Et non seulement une de ces choses n’est pas meilleure que l’autre, mais les trois ensemble ne sont pas meilleures qu’une d’elles en particulier, puis que chacune enferme le tout, et que dans les trois consiste la félicité, et la dignité de la nature raisonnable. Ainsi et infiniment au dessus est parfaite, inséparable, une en son essence, et enfin égale en tout sens, la trinité que nous servons, et à laquelle nous sommes consacrés par notre baptême.
Mais nous-mêmes, qui sommes l’image de la trinité, nous-mêmes, à un autre égard, nous sommes encore l’image de l’incarnation. Notre âme d’une nature spirituelle et incorruptible a un corps corruptible qui lui est uni ; et de l’union de l’un et de l’autre résulte un tout, qui est l’homme, esprit et corps tout ensemble, incorruptible et corruptible, intelligent et purement brute. Ces attributs conviennent au tout, par rapport à chacune de ses deux parties : ainsi le verbe divin dont la vertu soutient tout, s’unit d’une façon particulière, ou plutôt il devient lui-même, par une parfaite union, ce Jésus-Christ fils de Marie, ce qui fait qu’il est Dieu et homme tout ensemble, engendré dans l’éternité, et engendré dans le temps, toujours vivant dans le sein du père, et mort sur la croix pour nous sauver.
Mais où Dieu se trouve mêlé, jamais les comparaisons tirées des choses humaines ne sont qu’imparfaites. Notre âme n’est pas devant notre corps, et quelque chose lui manque lors qu’elle en est séparée. Le verbe parfait en lui-même dés l’éternité ne s’unit à notre nature que pour l’honorer. Cette âme qui préside au corps, et y fait divers changements, elle-même en souffre à son tour. Si le corps est mû au commandement et selon la volonté de l’âme, l’âme est troublée, l’âme est affligée, et agitée en mille manières ou fâcheuses, ou agréables, suivant les dispositions du corps ; en sorte que comme l’âme élève le corps à elle en le gouvernant, elle est abaissé au dessous de lui par les choses qu’elle en souffre. Mais en Jésus-Christ, le verbe préside à tout, le verbe tient tout sous sa main. Ainsi l’homme est élevé, et le verbe ne se rabaisse par aucun endroit : immuable et inaltérable il domine en tout et par tout la nature qui lui est unie.
De là vient qu’en Jésus-Christ l’homme absolument soumis à la direction intime du verbe qui l’élève à soit, n’a que des pensées et des mouvements divins. Tout ce qu’il pense, tout ce qu’il veut, tout ce qu’il dit, tout ce qu’il cache au dedans, tout ce qu’il montre au dehors est animé par le verbe, conduit par le verbe, digne du verbe, c’est à dire digne de la raison même, de la sagesse même, et de la vérité même. C’est pourquoi tout est lumière en Jésus-Christ ; sa conduite est une règle ; ses miracles sont des instructions ; ses paroles sont esprit et vie. Il n’est pas donné à tous de bien entendre ces sublimes vérités, ni de voir parfaitement en lui-même cette merveilleuse image des choses divines, que saint Augustin et les autres pères ont crû si certaine. Les sens nous gouvernent trop, et notre imagination qui se veut mêler dans toutes nos pensées, ne nous permet pas toujours de nous arrêter sur une lumière si pure. Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes ; nous ignorons les richesses que nous portons dans le fond de notre nature ; et il n’y a que les yeux les plus épurés qui les puissent apercevoir. Mais si peu que nous entrions dans ce secret, et que nous sachions remarquer en nous l’image des deux mystères qui font le fondement de notre foi, c’en est assez pour nous élever au dessus de tout, et rien de mortel ne nous pourra plus toucher.
Aussi Jésus-Christ nous appelle-t-il à une gloire immortelle, et c’est le fruit de la foi que nous avons pour les mystères. Ce dieu-homme, cette vérité et cette sagesse incarnée qui nous fait croire de si grandes choses sur sa seule autorité, nous en promet dans l’éternité la claire et bienheureuse vision, comme la récompense certaine de notre foi. De cette sorte, la mission de Jésus-Christ est relevée infiniment au dessus de celle de Moïse. Moïse était envoyé pour réveiller par des récompenses temporelles les hommes sensuels et abrutis. Puis qu’ils étaient devenus tout corps et tout chair, il les fallait d’abord prendre par les sens, leur inculquer par ce moyen la connaissance de Dieu, et l’horreur de l’idolâtrie à laquelle le genre humain avait une inclination si prodigieuse.
Tel était le ministère de Moïse : il était réservé à Jésus-Christ d’inspirer à l’homme des pensées plus hautes, et de lui faire connaître dans une pleine évidence la dignité, l’immortalité, et la félicité éternelle de son âme.
Durant les temps d’ignorance, c’est à dire durant les temps qui ont précédé Jésus-Christ, ce que l’âme connaissait de sa dignité et de son immortalité l’induisait le plus souvent à erreur. Le culte des hommes morts faisait presque tout le fond de l’idolâtrie : presque tous les hommes sacrifiaient aux mannes, c’est à dire aux âmes des morts. De si anciennes erreurs nous font voir à la vérité combien était ancienne la croyance de l’immortalité de l’âme, et nous montrent qu’elle doit être rangée parmi les premières traditions du genre humain. Mais l’homme qui gâtait tout, en avait étrangement abusé, puis qu’elle le portait à sacrifier aux morts. On allait même jusqu’à cet excès de leur sacrifier des hommes vivants : on tuait leurs esclaves, et même leurs femmes, pour les aller servir dans l’autre monde. Les gaulois le pratiquaient avec beaucoup d’autres peuples ; et les indiens marqués par les auteurs païens parmi les premiers défenseurs de l’immortalité de l’âme, ont aussi été les premiers à introduire sur la terre, sous prétexte de religion, ces meurtres abominables. Les mêmes indiens se tuaient eux-mêmes pour avancer la félicité de la vie future ; et ce déplorable aveuglement dure encore aujourd’hui parmi ces peuples : tant il est dangereux d’enseigner la vérité dans un autre ordre que celui que Dieu a suivi, et d’expliquer clairement à l’homme tout ce qu’il est avant qu’il ait connu Dieu parfaitement.
C’était faute de connaître Dieu, que la plupart des philosophes n’ont pu croire l’âme immortelle sans la croire une portion de la divinité, une divinité elle-même, un être éternel, incréé aussi bien qu’incorruptible, et qui n’avait non plus de commencement que de fin. Que dirai-je de ceux qui croyaient la transmigration des âmes : qui les faisaient rouler des cieux à la terre, et puis de la terre aux cieux ; des animaux dans les hommes, et des hommes dans les animaux ; de la félicité à la misère, et de la misère à la félicité, sans que ces révolutions eussent jamais ni de terme, ni d’ordre certain ? Combien était obscurcie la justice, la providence, la bonté divine parmi tant d’erreurs ! Et qu’il était nécessaire de connaître Dieu, et les règles de sa sagesse, avant que de connaître l’âme et sa nature immortelle !
C’est pourquoi la loi de Moïse ne donnait à l’homme qu’une première notion de la nature de l’âme et de sa félicité. Nous avons vu l’âme au commencement faite par la puissance de Dieu aussi bien que les autres créatures ; mais avec ce caractère particulier, qu’elle était faite à son image et par son souffle, afin qu’elle entendît à qui elle tient par son fonds, et qu’elle ne se crut jamais de même nature que les corps, ni formée de leur concours. Mais les suites de cette doctrine, et les merveilles de la vie future ne furent pas alors universellement développées, et c’était au jour du messie que cette grande lumière devait paraître à découvert.
Dieu en avait répandu quelques étincelles dans les anciennes écritures. Salomon avait dit que comme le corps retourne à la terre d’où il est sorti, l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné. Les patriarches et les prophètes ont vécu dans cette espérance, et Daniel avait prédit qu’il viendrait un temps où ceux qui dorment dans la poussière s’éveilleraient, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour une éternelle confusion, afin de voir toujours. Mais en même temps que ces choses lui sont révélées, il lui est ordonné de sceller le livre, et de le tenir fermé jusqu’au temps ordonné de Dieu, afin de nous faire entendre que la pleine découverte de ces vérités était d’une autre saison et d’un autre siècle.
Encore donc que les Juifs eussent dans leurs écritures quelques promesses des félicités éternelles, et que vers les temps du messie où elles devaient être déclarées, ils en parlassent beaucoup davantage, comme il paraît par les livres de la sagesse, et des Macchabées : toutefois cette vérité faisait si peu un dogme universel de l’ancien peuple, que les saducéens, sans la reconnaître, non seulement étaient admis dans la synagogue, mais encore élevés au sacerdoce. C’est un des caractères du peuple nouveau, de poser pour fondement de la religion la foi de la vie future, et ce devait être le fruit de la venue du messie. C’est pourquoi non content de nous avoir dit qu’une vie éternellement bienheureuse était réservée aux enfants de Dieu, il nous a dit en quoi elle consistait. La vie bienheureuse est d’être avec lui dans la gloire de Dieu son père : la vie bienheureuse est de voir la gloire qu’il a dans le sein du père dés l’origine du monde : la vie bienheureuse est que Jésus-Christ soit en nous comme dans ses membres, et que l’amour éternel que le père a pour son fils s’étendant sur nous, il nous comble des mêmes dons : la vie bienheureuse en un mot est de connaître le seul vrai Dieu et Jésus-Christ qu’il a envoyé ; mais le connaître de cette manière qui s’appelle la claire vue, la vue face à face et à découvert, la vue qui réforme en nous et y achève l’image de Dieu, selon ce que dit saint Jean, que nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est.
Cette vue sera suivie d’un amour immense, d’une joie inexplicable, et d’un triomphe sans fin. Un alléluia éternel, et un amen éternel, dont on entend retentir la céleste Jérusalem, font voir toutes les misères bannies, et tous les désirs satisfaits ; il n’y a plus qu’à louer la bonté divine.
Avec de si nouvelles récompenses, il fallait que Jésus-Christ proposât aussi de nouvelles idées de vertu ; des pratiques plus parfaites et plus épurées. La fin de la religion, l’âme des vertus et l’abrégé de la loi, c’est la charité. Mais jusqu’à Jésus-Christ on peut dire, que la perfection et les effets de cette vertu n’étaient pas entièrement connus. C’est Jésus-Christ proprement qui nous apprend à nous contenter de Dieu seul. Pour établir le règne de la charité, et nous en découvrir tous les devoirs, il nous propose l’amour de Dieu, jusqu’à nous haïr nous-mêmes, et persécuter sans relâche le principe de corruption que nous avons tous dans le cœur. Il nous propose l’amour du prochain, jusqu’à étendre sur tous les hommes cette inclination bien faisant sans en excepter nos persécuteurs : il nous propose la modération des désirs sensuels, jusqu’à retrancher tout à fait nos propres membres, c’est à dire ce qui tient le plus vivement et le plus intimement à notre cœur : il nous propose la soumission aux ordres de Dieu, jusqu’à nous réjouir des souffrances qu’il nous envoie : il nous propose l’humilité, jusqu’à aimer les opprobres pour la gloire de Dieu, et à croire que nulle injure ne nous peut mettre si bas devant les hommes, que nous ne soyons encore plus bas devant Dieu par nos péchés. Sur ce fondement de la charité, il perfectionne tous les états de la vie humaine. C’est par là que le mariage est réduit à sa forme primitive : l’amour conjugal n’est plus partagé : une si sainte société n’a plus de fin que celle de la vie ; et les enfants ne voient plus chasser leur mère pour mettre à sa place une marâtre. Le célibat est montré comme une imitation de la vie des anges, uniquement occupée de Dieu et des chastes délices de son amour. Les supérieurs apprennent qu’ils sont serviteurs des autres, et dévoués à leur bien ; les inférieurs reconnaissent l’ordre de Dieu dans les puissances légitimes, lors même qu’elles abusent de leur autorité : cette pensée adoucit les peines de la sujétion, et sous des maîtres fâcheux l’obéissance n’est plus fâcheuse au vrai chrétien.
A ces préceptes, il joint des conseils de perfection éminente : renoncer à tout plaisir ; vivre dans le corps comme si on était sans corps ; quitter tout ; donner tout aux pauvres, pour ne posséder que Dieu seul ; vivre de peu, et presque de rien, et attendre ce peu de la providence divine. Mais la loi la plus propre à l’évangile, est celle de porter sa croix. La croix est la vraie épreuve de la foi, le vrai fondement de l’espérance, le parfait épurement de la charité, en un mot le chemin du ciel. Jésus-Christ est mort à la croix ; il a porté sa croix toute sa vie ; c’est à la croix qu’il veut qu’on le suive, et il met la vie éternelle à ce prix. Le premier à qui il promet en particulier le repos du siècle futur, est un compagnon de sa croix : tu seras, lui dit-il, aujourd’hui avec moi en paradis. Aussitôt qu’il fut à la croix, le voile qui couvrait le sanctuaire fut déchiré de haut en bas, et le ciel fut ouvert aux âmes saintes. C’est au sortir de la croix, et des horreurs de son supplice, qu’il parut à ses apôtres, glorieux et vainqueur de la mort, afin qu’ils comprissent que c’est par la croix qu’il devait entrer dans sa gloire, et qu’il ne montrait point d’autre voie à ses enfants. Ainsi fut donnée au monde en la personne de Jésus-Christ l’image d’une vertu accomplie, qui n’a rien, et n’attend rien sur la terre ; que les hommes ne récompensent que par de continuelles persécutions ; qui ne cesse de leur faire du bien, et à qui ses propres bienfaits attirent le dernier supplice. Jésus-Christ meurt sans trouver ni reconnaissance dans ceux qu’il oblige, ni fidélité dans ses amis, ni équité dans ses juges. Son innocence, quoique reconnue, ne le sauve pas ; son père même en qui seul il avait mis son espérance, retire toutes les marques de sa protection : le juste est livré à ses ennemis, et il meurt abandonné de Dieu et des hommes. Mais il fallait faire voir à l’homme de bien, que dans les plus grandes extrémités il n’a besoin ni d’aucune consolation humaine, ni même d’aucune marque sensible du secours divin : qu’il aime seulement, et qu’il se confie, assuré que Dieu pense à lui sans lui en donner aucune marque, et qu’une éternelle félicité lui est réservée.
Le plus sage des philosophes, en cherchant l’idée de la vertu, a trouvé que comme de tous les méchants celui-là serait le plus méchant qui saurait si bien couvrir sa malice, qu’il passât pour homme de bien, et jouît par ce moyen de tout le crédit que peut donner la vertu : ainsi le plus vertueux devait être sans difficulté celui a qui sa vertu attire par sa perfection la jalousie de tous les hommes, en sorte qu’il n’ait pour lui que sa conscience, et qu’il se voie exposé à toute sorte d’injures, jusqu’à être mis sur la croix, sans que sa vertu lui puisse donner ce faible secours de l’exempter d’un tel supplice. Ne semble-t-il pas que Dieu n’ait mis cette merveilleuse idée de vertu dans l’esprit d’un philosophe, que pour la rendre effective en la personne de son fils, et faire voir que le juste a une autre gloire, un autre repos, enfin un autre bonheur que celui qu’on peut avoir sur la terre ?
Établir cette vérité, et la montrer accomplie si visiblement en soi-même aux dépens de sa propre vie, c’était le plus grand ouvrage que pût faire un homme ; et Dieu l’a trouvé si grand, qu’il l’a réservé à ce messie tant promis, à cet homme qu’il a fait la même personne avec son fils unique.
En effet, que pouvait-on réserver de plus grand à un dieu venant sur la terre ? Et qu’y pouvait-il faire de plus digne de lui, que d’y montrer la vertu dans toute sa pureté, et le bonheur éternel où la conduisent les maux les plus extrêmes ?
Mais si nous venons à considérer ce qu’il y a de plus haut et de plus intime dans le mystère de la croix, quel esprit humain le pourra comprendre ? Là nous sont montrées des vertus que le seul homme dieu pouvait pratiquer. Quel autre pouvait comme lui se mettre à la place de toutes les victimes anciennes, les abolir en leur substituant une victime d’une dignité et d’un mérite infini, et faire que désormais il n’y eût plus que lui seul à offrir à Dieu ? Tel est l’acte de religion que Jésus-Christ exerce à la croix. Le père éternel pouvait-il trouver ou parmi les anges, ou parmi les hommes, une obéissance égale à celle que lui rend son fils bien-aimé, lors que rien ne lui pouvant arracher la vie, il la donna volontairement pour lui complaire ? Que dirai-je de la parfaite union de tous ses désirs avec la divine volonté, et de l’amour par lequel il se tient uni à Dieu qui était en lui, se réconciliant le monde ? Dans cette union incompréhensible, il embrasse tout le genre humain ; il pacifie le ciel et la terre ; il se plonge avec une ardeur immense dans ce déluge de sang où il devait être baptisé avec tous les siens, et fait sortir de ses plaies le feu de l’amour divin qui devait embraser toute la terre. Mais voici ce qui passe toute intelligence, la justice pratiquée par ce dieu-homme qui se laisse condamner par le monde, afin que le monde demeure éternellement condamné par l’énorme iniquité de ce jugement. Maintenant le monde est jugé, et le prince de ce monde va être chassé, comme le prononce Jésus-Christ lui-même. L’enfer qui avait subjugué le monde, le va perdre : en attaquant l’innocent, il sera contraint de lâcher les coupables qu’il tenait captifs : la malheureuse obligation par laquelle nous étions livrés aux anges rebelles, est anéantie : Jésus-Christ l’a attachée à sa croix, pour y être effacée de son sang : l’enfer dépouillé gémit : la croix est un lieu de triomphe à notre sauveur, et les puissances ennemies suivent en tremblant le char du vainqueur. Mais un plus grand triomphe paraît à nos yeux : la justice divine est elle-même vaincue ; le pécheur qui lui était dû comme sa victime, est arraché de ses mains. Il a trouvé une caution capable de payer pour lui un prix infini. Jésus-Christ s’unit éternellement les élus pour qui il se donne : ils sont ses membres et son qu’en leur chef : ainsi il étend sur eux l’amour infini qu’il a pour son fils. C’est son fils lui-même qui le lui demande : il ne veut pas être séparé des hommes qu’il a rachetés : ô mon père, je veux, dit-il, qu’ils soient avec moi : ils seront remplis de mon esprit ; ils jouiront de ma gloire ; ils partageront avec moi jusqu’à mon trône. Après un si grand bienfait, il n’y a plus que des cris de joie qui puissent exprimer nos reconnaissances. Ô merveille, s’écrie un grand philosophe et un grand martyr, ô échange incompréhensible, et surprenant artifice de la sagesse divine ! Un seul est frappé, et tous sont délivrés. Dieu frappe son fils innocent pour l’amour des hommes coupables, et pardonne aux hommes coupables pour l’amour de son fils innocent… etc. Tout est à nous par Jésus-Christ ; la grâce, la sainteté, la vie, la gloire, la béatitude : le royaume du fils de Dieu est notre héritage ; il n’y a rien au dessus de nous, pourvu seulement que nous ne nous ravilissions pas nous-mêmes.
Pendant que Jésus-Christ comble nos désirs et surpasse nos espérances, il consomme l’œuvre de Dieu commencée sous les patriarches et dans la loi de Moïse.
Alors Dieu voulait se faire connaître par des expériences sensibles : il se montrait magnifique en promesses temporelles, bon en comblant ses enfants des biens qui flattent les sens, puissant en les délivrant des mains de leurs ennemis, fidèle en les amenant dans la terre promise à leurs pères, juste par les récompenses et les châtiments qu’il leur envoyait manifestement selon leurs œuvres.
Toutes ces merveilles préparaient les voies aux vérités que Jésus-Christ venait enseigner. Si Dieu est bon jusqu’à nous donner ce que demandent nos sens, combien plutôt nous donnera-t-il ce que demande notre esprit fait à son image ? S’il est si tendre et si bienfaisant envers ses enfants, renfermera-t-il son amour et ses libéralités dans ce peu d’années qui composent notre vie ? Ne donnera-t-il à ceux qu’il aime, qu’une ombre de félicité, et qu’une terre fertile en grains et en huile ? N’y aura-t-il point un pays où il répande avec abondance les biens véritables ?
Il y en aura un sans doute, et Jésus-Christ nous le vient montrer. Car enfin le tout-puissant n’aurait fait que des ouvrages peu dignes de lui, si toute sa magnificence ne se terminait qu’à des grandeurs exposées à nos sens infirmes. Tout ce qui n’est pas éternel ne répond ni à la majesté d’un dieu éternel, ni aux espérances de l’homme à qui il a fait connaître son éternité ; et cette immuable fidélité qu’il garde à ses serviteurs, n’aura jamais un objet qui lui soit proportionné, jusqu’à ce qu’elle s’étende à quelque chose d’immortel et de permanent. Il fallait donc qu’à la fin Jésus-Christ nous ouvrît les cieux pour y découvrir à notre foi cette cité permanente où nous devons être recueillis après cette vie. Il nous fait voir que si Dieu prend pour son titre éternel, le nom de Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est à cause que ces saints hommes sont toujours vivants devant lui. Dieu n’est pas le dieu des morts : il n’est pas digne de lui de ne faire comme les hommes, qu’accompagner ses amis jusqu’au tombeau, sans leur laisser au-delà aucune espérance ; et ce lui serait une honte de se dire avec tant de force le Dieu d’Abraham, s’il n’avait fondé dans le ciel une cité éternelle où Abraham et ses enfants pussent vivre heureux.
C’est ainsi que les vérités de la vie future nous sont développées par Jésus-Christ. Il nous les montre, même dans la loi. La vraie terre promise, c’est le royaume céleste. C’est après cette bienheureuse patrie que soupiraient Abraham, Isaac et Jacob : la Palestine ne méritait pas de terminer tous leurs vœux, ni d’être le seul objet d’une si longue attente de nos pères. L’Égypte d’où il faut sortir, le désert où il faut passer, la Babylone dont il faut rompre les prisons pour entrer ou pour retourner à notre patrie, c’est le monde avec ses plaisirs, et ses vanités : c’est là que nous sommes vraiment captifs, et errants, séduits par le péché et ses convoitises ; il nous faut secouer ce joug pour trouver dans Jérusalem et dans la cité de notre dieu la liberté véritable, et un sanctuaire non fait de main d’homme, où la gloire du Dieu d’Israël nous apparaisse.
Par cette doctrine de Jésus-Christ le secret de Dieu nous est découvert, la loi est toute spirituelle, ses promesses nous introduisent à celles de l’évangile, et y servent de fondement. Une même lumière nous paraît par tout : elle se lève sous les patriarches : sous Moïse et sous les prophètes elle s’accroît : Jésus-Christ plus grand que les patriarches, plus autorisé que Moïse, plus éclairé que tous les prophètes nous la montre dans sa plénitude.
A ce Christ, à cet homme dieu, à cet homme qui tient sur la terre, comme parle saint Augustin, la place de la vérité, et la fait voir personnellement résidente au milieu de nous ; à lui, dis-je, était réservé de nous montrer toute vérité, c’est à dire celle des mystères, celle des vertus, et celle des récompenses que Dieu a destinées à ceux qu’il aime.
C’était de telles grandeurs que les Juifs devaient chercher en leur messie. Il n’y a rien de si grand que de porter en soi-même, et de découvrir aux hommes la vérité toute entière qui les nourrit, qui les dirige, et qui épure leurs yeux jusqu’à les rendre capables de voir Dieu. Dans le temps que la vérité devait être montrée aux hommes avec cette plénitude, il était aussi ordonné qu’elle serait annoncée par toute la terre, et dans tous les temps. Dieu n’a donné à Moïse qu’un seul peuple, et un temps déterminé : tous les siècles, et tous les peuples du monde sont donnés à Jésus-Christ : il a ses élus partout, et son église répandue dans tout l’univers ne cessera jamais de les enfanter…