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Entraide et Tradition

Pie IX « Quanta Cura et le Syllabus » et la démocratie moderne

publié dans regards sur le monde le 1 mai 2013


 Pie IX et la Démocratie « moderne »

Je pense que Pie IX condamne la « pensée » démocratique en quelques unes de ses propositions du Syllabus. Celle-ci, tout d’abord « exprimée dans le chapitre VI consacré aux « Erreurs relatives à la société civile, considérée soit en elle-même, soit dans ses rapports avec l’Église ». Il écrit, c’est la proposition 39ème : « L’État, comme étant l’origine et la source de tous les droits, jouit d’un droit qui n’est circonscrit par aucune limite » (26).
C’est bien là un principe fondamental de ce que Jean Madiran appelle « la démocratie moderne ».L’Etat est à lui-même sa propre loi ne reconnaissant aucun principe supérieur à lui-même. La définition que la démocratie moderne donne de la loi en est la preuve. « La loi est l’expression de la volonté générale », nullement l’expression de la loi divine. L’Etat ne reconnaît ni le pouvoir divin et ni le droit divin. Il est à lui-même son propre pouvoir, sa propre limite. Il n’a d’autre limite que son bon plaisir.
Mais c’est surtout dans le chapitre VII qui a pour titre : « Erreurs concernant la morale naturelle et chrétienne » que Pie IX fulmine contre l’esprit démocratique, celle qu’on appelle « démocratie moderne ». Lorsqu’il dit, proposition 56, que « Les lois de la morale n’ont pas besoin de la sanction divine, et il n’est pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger »(26), c’est là une nouvelle condamnation de la démocratie moderne dont le principe fondamentale est, comme nous venons de le dire, la définition qu’il donne de la loi, la loi étant rien d’autre que l’expression de la volonté générale. Pie IX s’oppose bien à ce principe dans sa proposition 56. C’est la même critique qu’il renouvelle lorsqu’il dit dans la préposition 57 : « La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, peuvent et doivent être soustraites à l’autorité divine et ecclésiastique ». Elles ne sont que l’expression de la volonté générale, indépendante de l’autorité divine ou ecclésiastique. L’Etat légifère indépendamment de la volonté de Dieu.(26). C’est la même condamnation dans la proposition qui suit, la 58ème : « II ne faut reconnaître d’autres forces que celles qui résident dans la matière, et tout système de morale, toute honnêteté doit consister à accumuler et augmenter ses richesses de toute manière, et à satisfaire ses passions » (26, 28). Cette critique est inhérente au système démocratique tel qu’il est né de la philosophie révolutionnaire. Etonnez-vous alors des abus de pouvoir des hommes politiques… La malhonnêteté est inhérente au système puisque l’on y reconnaît dans cette démocratie ni Dieu ni loi morale. La proposition 59 ne fait que confirmer la proposition précédente : « Le droit consiste dans le fait matériel ; tous les devoirs des hommes sont un mot vide de sens, et tous les faits humains ont force de droit » (26). Le pouvoir est la loi. C’est la loi du plus fort. Enfin la proposition 60 du chapitre VII vise expressément le régime démocratique issu de 1789 « L’autorité n’est autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles » Il n’y a pas d’autre pouvoir que celui qui vient du peuple, du nombre. Le pouvoir trouve sa seule justification dans le peuple.(26). C’est tellement faux. Quant est-il alors du pouvoir parental ?

Quanta Cura : Pie IX, dans Quanta Cura, condamne également la démocratie, la démocratie moderne qui « bannit la doctrine catholique de la société civile » par le laïcisme. Il écrit
« Et parce que là où la religion est bannie de la société civile, la doctrine et l’autorité de la révélation divine rejetées, la vraie notion de la justice et du droit humain s’obscurcit et se perd elle-même, et la force matérielle prend la place de la vraie justice et du droit légitime, de là vient précisément que certains hommes, ne tenant aucun compte des principes les plus certains de la raison, osent proclamer que :

-«la volonté du peuple, manifestée par ce qu’ils appellent l’opinion publique ou d’une autre manière, constitue la loi suprême, indépendante de tout droit divin et humain, et que, dans l’ordre politique, les faits accomplis, par cela même qu’ils sont accomplis ont la valeur du droit».

Or qui ne voit, qui ne sent très bien qu’une société soustraite aux lois de la religion et de la vraie justice ne peut plus avoir d’autre but que d’amasser, que d’accumuler des richesses, et ne suivre d’autre loi, dans tous ses actes, que l’indomptable désir de satisfaire ses passions et de servir ses intérêts ?

Explication

Réunissons tout d’abord les propositions condamnées relatives à la Démocratie :
-« L’État (serait) l’origine et la source de tous les droits, joui(rait) d’un droit qui ne (serait) circonscrit par aucune limite » ;
-« Les lois de la morale n'(auraient) pas besoin de la sanction divine, et il ne (serait ) pas du tout nécessaire que les lois humaines se conforment au droit naturel ou reçoivent de Dieu le pouvoir d’obliger » ;
-« La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, (pourraient) et (devraient) être soustraites à l’autorité divine et ecclésiastique » :
– « L’autorité ne (serait) autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles »

On comprendra parfaitement la pensée de Pie IX si l’on a une juste notion de la démocratie moderne.

Que faut-il entendre par démocratie ? Il existe deux démocraties, l’une que Jean Madiran appelle « classique » et l’autre « moderne ».
Classique, la démocratie est celle qui a existé de tout temps ou presque, chez les Grecs comme chez les Romains. Elle est éternelle : elle est un mode désignation des gouvernants. La désignation des gouvernants par les gouvernés, selon divers systèmes électoraux, variables et variés. La démocratie classique consiste à n’avoir dans la cité aucune autorité politique dont le titulaire ne soit directement ou indirectement désigné, pour un temps limité, par les citoyens qui sont tous électeurs.

Moderne, elle fonctionne comme la classique. Apparemment, c’est la même. En réalité, c’est autre chose.

Premièrement, la désignation des gouvernants par les gouvernés est réputée le seul mode de désignation qui soit juste : les régimes non démocratiques deviennent tous immoraux. Une telle démocratie n’est plus un régime parmi d’autres, il est le seul régime légitime, le seul juste. Il ne peut y avoir de justice sans démocratie
Secondement, la désignation des gouvernants par les gouvernés est le seule fondement de la légitimité car le « principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » et « la loi est l’expression de la volonté générale », stipule la Déclaration des Droits de 1789, acte de naissance de la démocratie moderne. Toute souveraineté, toute loi qui invoquent un autre fondement et non pas celui-là sont donc tyranniques ; une loi, une souveraineté ne peuvent jamais l’être dès lors qu’elles sont fondées sur la volonté générale.
Ainsi la démocratie moderne s’annexe la démocratie classique, elle porte son masque…Mais elle la dénature en raison de sa définition de la légitimité basée sur le seul nombre, « la volonté générale ».
Troisièmement. Conséquence : le pouvoir en démocratie moderne, devient un pouvoir illimité. Il le devient en droit, en droit démocratique. Quand la légitimité du pouvoir tient tout entière dans la seule désignation de celui qui est appelé à l’exercer, un tel pouvoir est un droit sans limite (C’est expressément ce que dit Pie IX, dans sa proposition 39 ) : qui, en droit ou quoi le limiterait ? En fait il reste limité par des habitudes, des traditions, des réalités, mais qui sont toutes étrangères au droit démocratique moderne et que celui-ci tend à supprimer par une continuelle démocratisation de la société (Voyez aujourd’hui, l’action que mène le socialisme contre la famille et qui aurait été mené tout pareillement par la droite. Le droit se détermine dans les officines maçonniques).
Ainsi dans la démocratie moderne, le droit (nouveau) entre en conflit avec la nature, la démocratisation illimitée « est le progrès indéfini du droit par une évolution qui déclasse, discrédite puis détruit les sociétés naturelles (famille)
Que la « loi » soit « l’expression de la volonté générale » et seulement cela, et nullement autre chose, est une grande nouveauté dans l’histoire du monde. Cette proclamation de 1789 n’a pas inventé la démocratie, elle lui a donné un autre contenu. Elle a imposé dans la vie politique une morale nouvelle et un nouveau droit que condamne Pie IX.
Toujours, dans toutes les civilisations jusqu’en 1789, la loi était l’expression d’une réalité supérieure à l’homme, d’un bien objectif, d’un bien commun que l’homme traduisait. La loi était l’expression humaine de la volonté de Dieu sur les hommes, conformément à la nature qu’il leur a donnée, à la destinée qu’il leur veut. Quand Dieu était inconnu ou méconnu, la loi demeurait néanmoins l’expression d’une raison, d’une justice, d’un ordre supérieur aux volontés humaines.
Ainsi la légitimité de la loi, celle du pouvoir, celle des gouvernants résidaient dans leur conformité à cet ordre supérieur, indépendamment d’une désignation régulière des magistrats et des législateurs. La légitimité, c’est-à-dire la justice, se fonde sur le bien commun, i.e. sur le décalogue, c’est-à-dire en Dieu. Avec la démocratie moderne, tout cela est fini. Le pape Pie IX condamne clairement une telle démocratie..
Date terrible dans l’histoire du monde, la date où des hommes ont décidé que désormais la loi serait « l’expression de la volonté générale », i.e. l’expression de la volonté des hommes ; la date où les hommes ont décidé de se donner à eux-mêmes leur loi ; la date où ils ont décliné au pluriel le péché originel. Péché originel où Adam détermine « à soi-même ce qui est bon ou ce qui est mal de faire » sans plus considérer l’ordre divin.
Révolte essentielle par laquelle l’homme veut à lui-même se donner sa loi morale, écartant celle qu’il avait reçue de Dieu. En 1789, cette apostasie s’est faite collective. Elle est devenue le fondement du droit politique. La démocratie moderne, c’est la démocratie classique en état de péché mortelle.

Démocratie moderne. Démocratie totalitaire.

Cette démocratie moderne est de soi totalitaire. Elle ne peut pas ne pas l’être.
Quand les hommes décident qu’il n’y a plus rien qui soit supérieur à la souveraineté populaire et à la loi du nombre, ils font bien autre chose que de changer de constitution politique, ils accomplissent une révolution morale et religieuse, et non pas à vrai dire une révolution, mais la révolution, la seule,, celle de la créature qui refuse, depuis Adam, sa condition de dépendance. A la place des tables de la loi de Moïse, du Dieu des chrétiens, il ne reste que l’homme, collectivement émancipé, maître de son destin, juge suprême du bien et du mal : juché sur lui-même et vidé de lui-même ; suffisamment aliéné, anéanti, effacé pour disparaitre dans la nuit de tout totalitarisme. (Cf « la pensée politique de JP II » ch. 1)

Et pourquoi cela ? Parce que la démocratie classique respecte le droit alors que la démocratie moderne crée le droit.
La démocratie moderne est d’une certaine manière religieuse : elle remplace les religions par la religion de l’homme qui collectivement se fait Dieu. Ne reconnaissant aucune limite qui lui soit extérieure, aucune valeur qui lui soit supérieure, aucun autre droit qui puisse lui résister, elle suscite une extension indéfinie de l’Etat totalitaire, l’aboutissement de sa logique interne la plus la plus fondamentale. Parce que la loi est l’expression de la volonté générale, la démocratie moderne ne tolère ni supérieurs, ni pairs, ni semblables. Elle est totalitaire. Elle peut seul trancher en droit du bien et du mal, du juste et de l’injuste, elle n’admet que les libertés et garanties qu’elle octroie et plus volontiers les suspend. Elle interdit jusqu’à la remise en question de son principe : l’adversaire de la démocratie est un sacrilège à qui l’on retire au moins virtuellement le droit de cité.
Ainsi ce qui est inacceptable dans la démocratie moderne, ce n’est pas la démocratie, ce n’est pas le mode de désignation des gouvernants, c’est la laïcité, c’est l’athéisme de la légitimité et du droit. Un régime aristocratique ou monarchique qui serait laïque et athée serait aussi tyrannique et inacceptable que la démocratie totalitaire ; et pour les mêmes motifs.

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