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Entraide et Tradition

« Summorum Pontificum » aujourd’hui sujet de thèse à l’université ecclésiastique San Dámaso de Madrid

publié dans regards sur le monde le 21 juillet 2014


 «On ne parle plus du problème que représenterait le rit dit tridentin mais de la richesse que sa conservation représente»

(Cardinal Cañizares)

SOURCE – Paix Liturgique – Lettre 448 – 15 juillet 2014


Le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, a donné une très riche préface à la thèse que vient de publier le père Alberto Soria Jiménez, un bénédictin espagnol, sur les principes d’interprétation du Motu Proprio Summorum Pontificum. Cette thèse en droit canon, soutenue devant l’université ecclésiastique San Dámaso de Madrid, étudie l’évolution du cadre juridique de la célébration selon le missel de 1962 sous Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, puis se penche sur la signification de « forme extraordinaire du rite romain » et, enfin, envisage l’unité du rite romain à la lueur de la pensée de Benoît XVI.

Par sa méthodologie exemplaire, l’ampleur et la diversité des sources utilisées et le fait que l’auteur démontre des connaissances liturgiques et théologiques à la hauteur de ses connaissances canoniques, cette thèse confirme que Summorum Pontificum est bel et bien une « loi universelle de l’Église » et non la réponse ponctuelle à un problème limité dans le temps. Comme vient de le rappeler le pape Françoisaux Franciscains de l’Immaculée : « La liberté de célébrer selon l’ancien comme le nouveau missel doit être garantie, sans que le rite devienne un étendard idéologique. » (*)
En exclusivité, Paix liturgique vous propose une traduction de la préface du cardinal Cañizares.
***
Nous nous trouvons devant un travail qui aborde scientifiquement un thème qui a été l’objet ces dernières années de controverses passionnées.
Or, dès le départ nous devons garder à l’esprit deux éléments : d’une part le caractère académique de cet ouvrage et, de l’autre, l’appartenance de son auteur à une communauté certes fidèle aux grands principes de la liturgie mais au sein de laquelle ne se célèbre pas la forme extraordinaire du rite romain. Cette double spécificité permet à l’auteur d’observer « de l’extérieur » la situation, d’où la grande objectivité que reflète son étude. Enfin, bien que cette thèse ait été soutenue devant une faculté de droit canon, la façon dont y sont abordés les aspects historiques et liturgiques révèle la compétence de l’auteur en ces domaines.
Ce travail se distingue par de nombreux aspects.
En premier lieu, par la variété et l’amplitude des sources et des auteurs consultés, comme le révèle l’index qui en décompte plus de 500. La bibliographie, qui dépasse 1500 titres, rassemble de nombreuses publications récentes imprimées en plusieurs langues et pas toujours accessibles, ce qui fait de cet ouvrage un document unique pour l’étude du sujet. Cette biographie comporte notamment un recensement, dont on peut supposer l’exhaustivité, des textes de Joseph Ratzinger / Benoît XVI sur la continuité liturgique et les sujets qui s’y rapportent. Cette enquête se caractérise en outre par l’exposition objective et large du status quaestionis, ce qui permet de connaître les positions aussi bien favorables qu’opposées aux mesures de Benoît XVI. Parmi les textes cités, de nombreuses critiques manifestent une conception du Concile et de la réforme liturgique qui témoigne clairement à quel point la diffusion généralisée de « l’herméneutique de rupture » au sujet de ces événements, loin d’être fantasmagorique, est une réalité bien concrète.
En second lieu, cette étude propose une analyse détaillée et approfondie de la terminologie de Summorum Pontificum, s’arrêtant sur des termes comme « rite » et éclairant l’expression controversée « deux formes d’un même rite » au point de résoudre de façon convaincante ce qui semblait contradictoire, confus et critiquable à beaucoup, dans un camp comme dans l’autre. À signaler également les précisions concernant l’interdiction du missel ancien et l’expression « numquam abrogatam ». S’appuyant sur la riche bibliographie, le vocabulaire et les concepts fondamentaux, l’auteur analyse méticuleusement et en détail les documents pertinents, et compose ainsi une exégèse solidement fondée.
Si l’on considère, en outre, les moyens dont se prévalent les canonistes pour l’interprétation de la loi, ce travail constitue sans hésitation une matière précieuse. En effet, le premier outil d’interprétation est l’attention portée au sens propre des termes aussi bien dans le texte que dans le contexte. Ce sens comporte non seulement la signification commune des termes mais aussi, et principalement, leur signification juridique habituelle en liaison avec les définitions du Code et de la doctrine. Le sens littéral doit être contextualisé pour éviter de faire violence à la matière traitée en vertu d’un littéralisme excessif. Comme l’application de ces principes n’est pas toujours facile, le Code prévoit non seulement de recourir à des parallèles sur le même argument mais aussi à la finalité et aux circonstances de la loi : l’occasion, le moment et le lieu de sa promulgation et, plus spécifiquement, son processus d’élaboration. Tout ceci sert à déterminer la mens legislatoris, élément clé, en ultime instance, de l’interprétation de la loi.
La vaste documentation présentée dans cet ouvrage permet d’appliquer au Motu Proprio ces différents éléments d’interprétation, ce qui en fait un auxiliaire précieux pour déterminer la mens legislatoris du document et unvademecum utile au moment de prendre des décisions pour sa correcte application.
Pour toutes ces raisons, ce travail constitue une référence aussi bien pour l’étude que pour l’application deSummorum Pontificum et de l’instruction Universae Ecclesiae.
Toutefois, il ne s’agit pas d’une œuvre purement « technique », destinée uniquement aux spécialistes. De ce fait, je désire m’arrêter sur certains aspects de ce livre qui concernent un public plus large et dont la lecture peut conduire à une enrichissante réflexion.
L’idée, clairement présente dans le Motu Proprio comme dans les documents qui y sont liés, que la liturgie héritée constitue une richesse à conserver, s’inscrit en fait dans la ligne du mouvement liturgique – dans l’esprit de Romano Guardini auquel Benoît XVI, depuis sa jeunesse, doit tant dans sa relation personnelle avec la liturgie. L’histoire détaillée et documentée d’un processus commencé dans les années 70 et poursuivi jusqu’à aujourd’hui nous montre combien cette législation ne fut ni le résultat d’une pression momentanée ni un reflet de l’opinion personnelle et isolée du Pape mais plutôt l’aboutissement de la volonté exprimée depuis des années par de nombreuses personnes. Au fil des ans, les convictions du jeune Joseph Ratzinger se renforcèrent et s’affinèrent, et furent également adoptées par Jean-Paul II qui avait lui-même envisagé la possibilité de promulguer une telle législation.
L’ambiance entre les cardinaux choisis pour plancher sur la question était favorable. La commission cardinalice instituée par Jean-Paul II, au sein de laquelle l’influence du cardinal Ratzinger était indéniable, avait proposé d’en finir « avec l’impression que chaque missel est le produit de son époque historique » et avait affirmé que « les normes liturgiques, n’étant pas en vérité et en pratique des « lois », ne pouvaient être abrogées mais simplement subrogées, les précédentes par les successives ». La démonstration est ici faite de ce que l’attitude de Benoît XVI [promulgant Summorum Pontificum, NdT] n’a constitué ni une nouveauté ni un renversement de gouvernement mais plutôt une concrétisation de ce que Jean-Paul II avait entrepris avec des initiatives comme la consultation de la commission cardinalice, le Motu Proprio Ecclesia Dei et la création de la Commission pontificale du même nom, la messe du cardinal Castrillón Hoyos à Sainte-Marie-Majeure en 2003 ou ses paroles devant la congrégation du Culte divin la même année.
L’histoire du processus montre que, dès le début, le désir de conserver la forme traditionnelle de la messe n’était pas l’exclusivité d’intégristes, puisque des personnes du monde de la culture et des écrivains comme Agatha Christie et Jorge Luis Borges signèrent un appel en faveur de sa préservation, et que saint Josemaría Escrivá fit usage d’un indult octroyé spontanément par Monseigneur Bugnini lui-même.
Il est également relevé ici la préoccupation de Benoît XVI de souligner que l’Église ne rejette pas son passé : en constatant que le Missel de 1962 « n’a jamais été abrogé juridiquement », le Pape a mis en évidence la cohérence que souhaite maintenir l’Église. En effet, l’Église ne peut pas se permettre de perdre, d’oublier ou d’abandonner les trésors et la richesse du patrimoine de la tradition du rite romain sans se trahir et se renier. Elle ne pourrait pas renoncer à son héritage liturgique historique et prétendre établir ex novo sans s’amputer de parties fondamentales.
Un autre aspect important de ce livre naît de la lecture de l’histoire de ce processus : on voit bien comment la sensibilité pastorale pour ces fidèles a progressé au fil des ans, faisant toujours plus grand cas de leur personne et de leur bien spirituel. En effet, la législation fut au départ très limitée. Elle ne prenait en compte que la dimension cléricale, ignorant quasi totalement les laïcs, étant donné que la préoccupation principale était disciplinaire et n’entendait que contrôler les éventuelles désobéissances à la loi qui était promulguée. Avec le temps, la question a revêtu un aspect toujours plus pastoral pour aller à l’encontre des besoins des fidèles, ce qui se traduit par un notable changement de ton de la terminologie utilisée : on ne parle plus, ainsi, du « problème » que poseraient prêtres et fidèles attachés au rit dit tridentin mais bien de la « richesse » que sa conservation représente.
Il s’est ainsi créé une situation analogue à celle qui fut la norme pendant des siècles : rappelons en effet que saint Pie V ne proscrivit pas les traditions liturgiques qui avaient plus de deux cents ans d’existence. Beaucoup d’ordres religieux et de diocèses conservèrent ainsi leur rit propre : comme archevêque de Tolède, j’ai pu vivre cette réalité avec le rit mozarabe. Le Motu Proprio a modifié la situation précédente en faisant comprendre que la célébration de la forme extraordinaire devrait être normale, en éliminant tout conditionnement lié au nombre de fidèles intéressés et en ne posant comme conditions pour participer à une telle célébration que celles normalement requises pour toute célébration publique de la messe, ce qui a permis un accès majeur à ce patrimoine qui, bien qu’il soit de droit un bien spirituel de tous les fidèles, est, de fait, ignoré du plus grand nombre. En effet, les restrictions actuelles à la célébration de la forme extraordinaire ne diffèrent pas de celles qui existent pour les autres célébrations, quel qu’en soit le rit.
Ceux qui veulent voir, dans la distinction que fait le Motu Proprio entre cum et sine populo, une restriction à la forme extraordinaire, oublient qu’avec le missel de Paul VI aussi, l’autorisation du curé ou du recteur de l’église est nécessaire pour célébrer cum populo.
D’autre part, la possibilité, envisagée expressément dans le Motu Proprio – et  qui a provoqué plus d’une saillie de la part de ceux qui ont critiqué le document –, que la présence spontanée de fidèles à une messe sine populo soit admise, n’a fait que mettre un terme à la situation étrange qui voyait cette messe interdite à la participation des fidèles même quand elle était célébrée par un prêtre en situation canonique régulière, au seul motif de la forme liturgique utilisée et ce alors même que celle-ci était pleinement reconnue par l’Église. Il a ainsi été évité de rééditer la situation des années 70 quand des prêtres qui ne pouvaient apprendre le nouveau missel pour des raisons d’âge ou de santé, se voyaient condamnés à ne plus pouvoir célébrer l’Eucharistie pour la communauté, aussi réduite soit-elle. Une situation qui, avec la sensibilité actuelle, serait perçue comme discriminatoire. Enfin, limiter la pratique de la forme extraordinaire à la messe sine populo, contredirait les termes et les intentions de la constitution conciliaire : « Chaque fois que les rites […] comportent une célébration communautaire avec fréquentation et participation active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possible, doit l’emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée » (Sacrosanctum Concilium 27).
Il est hors de doute qu’au milieu du XXème siècle un approfondissement et une rénovation de la vie liturgique aient été nécessaires. Mais, par bien des aspects, cela n’a pas été une opération parfaitement réussie. Il a été opéré une « réforme », un changement des formes, mais pas une vraie rénovation comme le souhaitaitSacrosanctum Concilium. Parfois le changement a été réalisé avec un esprit superficiel, le critère ayant semblé être de s’éloigner à tout prix d’un passé perçu comme totalement négatif et dépassé ; comme s’il s’agissait de créer un abîme entre l’avant et l’après Concile, dans un contexte où le mot « préconciliaire » était utilisé comme une insulte. Cependant, le véritable esprit du document conciliaire n’était pas d’aborder la réforme comme une rupture avec la tradition mais, au contraire, comme une confirmation de la Tradition en sa signification la plus profonde.
Une preuve de cela nous est donnée par le grand liturgiste Josef Jungmann, l’un des inspirateurs de la réforme liturgique, commentant l’article 23 de la constitution conciliaire : « La réforme de la liturgie ne peut pas être une révolution. Elle doit tenter de saisir le sens réel et la structure fondamentale des rites transmis par la tradition et, en valorisant prudemment ce qui existe déjà, le développer ultérieurement de manière organique, allant à l’encontre des exigences pastorales d’une liturgie vivante. » Ces paroles lumineuses indiquent les idéaux qui « doivent servir de critère pour toute réforme liturgique » et dont Jungmann a dit : « Ce sont les mêmes que ceux qui ont animé tous ceux qui ont œuvré avec justesse pour le renouveau liturgique. » Certains de ces principes sont universels, nous dit la constitution conciliaire : « Parmi ces principes et ces normes, il en est un certain nombre qui peuvent et doivent être appliqués tout autant aux autres rites qu’au rite romain » (Sacrosanctum Concilium 3). De façon logique, la célébration de la forme extraordinaire du rite romain devrait, elle aussi, être éclairée par les dix premiers paragraphes de la constitution conciliaire, où sont exposés les  principes universels de la liturgie.
Ainsi, le Concile affirme que le Seigneur n’a pas seulement envoyé les apôtres « proclamer l’Évangile à toute créature et annoncer que le Fils de Dieu, par sa mort et sa résurrection, nous a délivrés du pouvoir de Satan ainsi que de la mort et nous a conduits au royaume du Père » mais aussi « afin qu’ils exercent cette œuvre de salut qu’ils annonçaient par le sacrifice et les sacrements autour desquels gravite toute la vie liturgique » (Sacrosanctum Concilium 6). Il enseigne aussi que la finalité de la célébration liturgique est la gloire de Dieu et le salut et la sanctification des hommes puisque dans la liturgie « Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés » (Sacrosanctum Concilium, 7). N’oublions pas, par ailleurs, que les vrais adorateurs de Dieu, les réformateurs profonds du monde, les témoins du monde futur qui ne passera pas, ce sont les saints qui sont sanctifiés en Lui.
Comme le rappelait l’alors cardinal Ratzinger (discours sur l’ecclésiologie de Lumen Gentium, 27 février 2000) : « Rétrospectivement, on doit dire que, dans l’architecture du Concile, cela a un sens précis : au commencement il y a l’adoration, et donc Dieu. Ce commencement répond à la parole de la règle bénédictine :  »Operi Dei nihil praeponatur » (On ne préférera rien à l’œuvre de Dieu, règle de saint Benoît 43, 3). »L’Église, par nature, dérive de sa mission de glorifier Dieu et, pour cela, est irrévocablement liée à la liturgie, dont la substance est la révérence et l’adoration envers Dieu, présent et agissant dans l’Église et par l’Église. Une certaine crise qui a pu affecter de façon importante la liturgie et l’Église elle-même depuis les années succédant au Concile jusqu’à aujourd’hui, est due au fait que son centre n’est plus Dieu et Son adoration mais les hommes et leur capacité à « faire ».
« Certainement, ajoutait le Cardinal, dans l’histoire de l’après-Concile, la  Constitution sur la Liturgie ne fut plus comprise à partir de ce primat fondamental de l’adoration, mais plutôt comme un livre de recettes sur ce que nous pouvons faire avec la liturgie. […] Mais plus nous la faisons pour nous-mêmes, moins elle est attirante, et cela parce que tous ressentent clairement que l’essentiel est toujours davantage perdu. » Quand se produit ce que décrivait le cardinal Ratzinger, c’est-à-dire que c’est nous qui « faisons » la liturgie et que cela se généralise, alors les fidèles et les communautés se dessèchent, s’affaiblissent et déclinent.
Pour cela, il est absolument infondé de dire que les prescriptions de Summorum Pontificum constitueraient une « atteinte » au Concile : une pareille affirmation manifeste une grande ignorance du Concile lui-même, dès lors qu’offrir la possibilité de permettre à tous les fidèles de connaître et d’apprécier les nombreux trésors de la liturgie de l’Église est précisément ce que désirait ardemment cette grande assemblée : « Obéissant fidèlement à la Tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières » (Sacrosanctum Concilium 4).
De la même façon, nous observons que lorsque sont dénoncées des attitudes ou des positions de « refus du Concile », c’est toujours à sens unique, c’est-à-dire à propos de ceux qui n’acceptent pas l’état actuel de la liturgie alors que, la plupart du temps, les comportements et pratiques qui provoquent ce refus ne viennent pas du Concile en soi, pas plus qu’il ne s’agit de mises en œuvre de ses principes mais, au contraire, de comportements et de pratiques qui le trahissent en ce qu’ils sont diamétralement opposés à ce qu’exprima l’assemblée conciliaire. Personne ne parle, en revanche, ou alors avec bien moins de sévérité, de la désobéissance et du « refus », malheureusement si fréquents, opposés aux grands principes clairement exposés par le Concile. C’est pour cela que l’alors cardinal Ratzinger en arriva à dire que « l’obstacle majeur à l’acceptation pacifique du renouvellement de la structure liturgique réside dans le fait que la liturgie a été abandonnée à l’inventivité de chacun ». Ailleurs, il expliquait, parlant de la libéralisation de la célébration de la liturgie traditionnelle, qu’il « ne s’agit pas d’une attaque contre le Concile mais d’une mise en œuvre de celui-ci, encore plus fidèle, si j’ose dire, que celle que l’on nous présente habituellement ».
Un autre aspect sur lequel ce livre que nous introduisons attire notre attention et qu’il est important de ne pas perdre de vue, c’est l’impact négatif que nos discussions intra-ecclésiales peuvent avoir sur l’œcuménisme. Souvent, nul ne prête attention au fait que les critiques faites au rite hérité de la tradition romaine touchent aussi les autres traditions, en particulier celle orthodoxe : presque tous les aspects liturgiques fortement attaqués par ceux qui s’opposent à la conservation de l’ancien missel romain sont précisément ceux que nous avons en commun avec la tradition orientale ! Une preuve nous en est donnée par les réactions extrêmement positives arrivées du monde oriental lors de la publication du Motu Proprio. Ce document revêt ainsi une valeur cruciale pour la « crédibilité » de l’œcuménisme dès lors que, selon l’expression du président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, le cardinal Kurt Koch, « il promeut, en réalité, si l’on peut dire, un œcuménisme intra-catholique ». Nous pourrions dire, par conséquent, que la prémisse « ut unum sint » suppose le « ut unum maneant » de sorte que, comme l’écrit le Cardinal, « si l’œcuménisme intra-catholique échoue, la controverse catholique sur la liturgie s’étendra aussi à l’œcuménisme ».
Par son décret, Benoît XVI manifesta son amour paternel et sa compréhension envers ceux qui sont spécialement liés à la tradition liturgique romaine et qui couraient le risque de se retrouver de façon permanente à la marge de l’Église ; c’est à leur sujet qu’il rappela avec clarté que « nul n’est de trop dans l’Église », démontrant une sensibilité qui annonçait la préoccupation du pape François pour les « périphéries existentielles ». Tout ceci représente sans aucun doute un signe fort  pour nos frères séparés.
Le Motu Proprio a en outre donné lieu à un phénomène surprenant pour beaucoup et qui représente un vrai « signe des temps » : l’intérêt que la forme extraordinaire du rite romain suscite chez les jeunes qui ne la connurent jamais comme forme ordinaire. Cet intérêt manifeste une soif de « langages » qui sortent de l’ordinaire et qui nous entraînent vers de nouvelles frontières que de nombreux pasteurs n’avaient jamais envisagées. Ouvrir le trésor liturgique de l’Église à tous les fidèles a rendu possible la découverte des richesses de notre héritage à ceux qui les ignoraient, cette forme liturgique suscitant de nombreuses vocations sacerdotales et religieuses à travers le monde, prêtes à donner leur vie au service de l’évangélisation. Cela s’est reflété de façon concrète lors du pèlerinage organisé à Rome en novembre 2012, en action de grâce pour les cinq ans du Motu Proprio, qui a rassemblé sous le vocable suggestif « Una cum Papa nostro » des pèlerins du monde entier. Par son envergure mais surtout par l’esprit qui animait les participants, ce pèlerinage a été la confirmation palpable de la justesse de cette législation, fruit de plusieurs décennies de maturation.
L’impression la plus forte qui demeure après la lecture de ce travail est que le cadre juridique créé par le Motu Proprio, qui se fonde sur des principes théologiques et liturgiques permanents, n’est pas seulement une réponse à un problème limité dans le temps mais la création d’une situation juridique solide et bien définie qui libère l’argument des fluctuations de l’opinion comme des décisions arbitraires. De cette façon, alors que pour les uns comme les autres le problème et le débat ont tourné pendant des années à un jugement sur ce qui, en définitive, appartient à l’histoire, Benoît XVI, au-delà de la discussion théorique, a voulu mettre en évidence la nécessité de cohérence théologique et, surtout, parvenir à un important résultat pastoral.
Nous souhaitons que ce livre puisse participer d’une meilleure connaissance et apporter ainsi des éléments pour une correcte application de la sage contribution de Benoît XVI à la réconciliation liturgique au sein de l’Église.
Antonio Cañizares Llovera
Cardinal Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements
25 juillet 2013
En la fête de saint Jacques le Majeur, patron de l’Espagne


(*) Cette déclaration du Pape est d’autant plus forte qu’elle a été faite devant une communauté elle-même victime d’une entorse à ce principe depuis qu’elle a été placée sous la coupe d’un commissaire apostolique.

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