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Entraide et Tradition

Le Cardinal Sarah et la réforme liturgique: Pour une authentique mise en œuvre de Sacrosanctum Concilium.

publié dans nouvelles de chrétienté le 8 septembre 2016


 

 

CARDINAL ROBERT SARAH (3) : QU’EST-IL ADVENU DU PROJET LITURGIQUE CONCILIAIRE ?

Voici la troisième partie de l’allocution prononcée le 5 juillet 2016 par le cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation du Culte divin et de la Discipline des sacrements, lors des journées Sacra Liturgia 2016, et portant sur « une authentique mise en œuvre de Sacrosanctum Concilium ».

Après avoir rappelé ce qu’était la sainte liturgie au regard de la constitution conciliaire, et s’être penché sur les intentions réelles des pères conciliaires, le cardinal dresse ici un bref bilan de ce qu’est devenue la liturgie après la réforme de Mgr Annibale Bugnini. Ce passage du discours est fondamental. On remarquera que le cardinal Sarah exprime au sujet de la réforme postconciliaire de franches critiques : « le travail de cette commission pour mettre en œuvre la Constitution sur la Sainte Liturgie fut sans aucun doute soumis à des influences, des idéologies » ; « certains rites furent construits ou révisés à partir de l’esprit du temps, en particulier à partir des sensibilités œcuméniques », etc. Il va même jusqu’à évoquer le Bref Examen critique des Cardinaux Ottaviani et Bacci, qui exprimait « des inquiétudes sérieuses ». Puis il fait un tableau très réaliste de son interprétation désastreuse, évoquant en particulier la question des traductions hâtives qui l’ont accompagnée, se demandant si cette liturgie nouvelle a été établi sur de solides fondations… Enfin, après avoir concédé que certains puisaient des grâces dans cette liturgie nouvelle, il conclut très raisonnablement : « Je pense que vous vous accorderez avec moi pour reconnaître que nous pouvons mieux faire ».

En outre, Son Éminence s’arrête un instant sur le Motu proprio Summorum Pontificum pour le présenter comme une réponse au fait que la liturgie soit devenue « l’expression de la division au sein de l’Église, au lieu d’être le lieu de l’unité de l’Église catholique ».

Je ne pense pas que nous pouvons honnêtement lire aujourd’hui ne serait-ce que le premier article deSacrosanctum Concilium, et se satisfaire de ce qui a été fait. Mes frères, où sont les fidèles dont parlaient les Pères du Concile ? Beaucoup des fidèles de naguère sont aujourd’hui « infidèles ». Ils ne viennent plus du tout à la messe. Pour reprendre les mots de saint Jean-Paul II : « L’oubli de Dieu a conduit à l’abandon de l’homme, et c’est pourquoi, dans ce contexte, il n’est pas surprenant que se soient largement développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière d’aborder la vie quotidienne. La culture européenne donne l’impression d’une ‘apostasie silencieuse’ de la part de l’homme comblé qui vit comme si Dieu n’existait pas » (Exhortation apostolique Ecclesia in Europa, 28 juin 2003, 9). Qu’est-il advenu de l’unité que le Concile espérait réaliser ? Nous n’y sommes pas encore parvenus. Avons-nous fait des progrès substantiels dans l’appel lancé à toute l’humanité à rejoindre la grande famille de l’Église ? Je ne le pense pas. Et pourtant, nous avons beaucoup fait dans le domaine de la liturgie.

Au cours des 47 années de ma vie de prêtre, et après plus de 36 ans de ministère épiscopal, je peux attester que beaucoup de communautés catholiques et d’individus vivent et prient avec ferveur et joie la liturgie telle qu’elle a été réformée après le Concile, puisant en son sein beaucoup, sinon la totalité des biens qu’envisageaient les Pères du Concile. C’est un fruit magnifique du Concile. Mais, par ma propre expérience, et à présent en tant que Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, je sais aussi qu’il y existe actuellement maintes altérations de la liturgie en de nombreux lieux de l’Église. Beaucoup de situations pourraient être améliorées de sorte que les objectifs du Concile soient réalisés.

Avant de méditer sur de possibles améliorations, examinons ce qui s’est passé après la promulgation de la Constitution sur la Sainte Liturgie.

Au XVIe siècle, le Pape avait confié la réforme liturgique voulue par le Concile de Trente à une commission spéciale qui prépara la nouvelle édition des livres liturgiques qui furent in fine promulgués par le Pape. Cela est une procédure parfaitement normale, et c’est à celle-ci que recourut le Bienheureux Paul VI en 1964 en établissant le Consilium ad exsequendam constitutionem de sacra liturgia. Nous connaissons l’essentiel des travaux de cette commission parce que son secrétaire, Mgr Annibale Bugnini, les décrivit dans ses mémoires (La réforme de la liturgie, 1948-1975, Desclée de Brouwer, Paris, 2015).

Le travail de cette commission pour mettre en œuvre la Constitution sur la Sainte Liturgie fut sans aucun doute soumis à des influences, des idéologies et à de nouvelles propositions qui ne se trouvaient pas du tout dans les textes deSacrosanctum Concilium. Par exemple, il est vrai que le Concile n’avait pas proposé l’introduction de nouvelles Prières eucharistiques, mais que cette idée émergea et fut adoptée, et que de nouvelles Prières eucharistiques furent promulguées par l’autorité du Pape. Il est vrai également, comme Mgr Bugnini le dit clairement, que certaines prières et certains rites furent construits ou révisés à partir de l’esprit du temps, en particulier à partir des sensibilités œcuméniques (1). Qu’on soit allé trop loin ou non, ou que ce qui a été fait ait vraiment aidé à réaliser les buts de la Constitution, ou que, par contre, ceux-ci ont été des graves entraves, voilà autant de questions que nous devons étudier. Je me réjouis de ce qu’aujourd’hui les savants vont au cœur de ces sujets.

Néanmoins, il est important de se rappeler que le Bienheureux Paul VI jugea convenables les réformes proposées par la commission et qu’il les promulgua. Par son autorité apostolique, il les rendit normatives et assura leur licéité et leur validité.

Pourtant, pendant que le travail officiel de réforme suivait son cours, des mauvaises interprétations significatives de la liturgie apparurent et s’enracinèrent en de multiples lieux à travers le monde. Ces abus au niveau de la sainte liturgie augmentèrent à cause d’une compréhension erronée du Concile. Cela donna lieu à des célébrations liturgiques subjectives et qui étaient plus centrées sur les souhaits des communautés singulières que sur le culte sacrificiel dû au Dieu Tout-Puissant. Mon prédécesseur à la tête de la congrégation, le Cardinal Francis Arinze, appelait cette sorte de célébration, le « do-it-yourself Mass » (qu’on pourrait traduire par « messe bricolée »). Saint Jean-Paul II a même jugé nécessaire d’exprimer sa peine et sa tristesse dans sa Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia du 17 avril 2003 en ces termes (n. 10) :

« Une croissance intérieure de la communauté chrétienne a répondu à ce souci d’annonce de la part du Magistère. Il n’y a pas de doute que la réforme liturgique du Concile a produit de grands bénéfices de participation plus consciente, plus active et plus fructueuse des fidèles au saint Sacrifice de l’autel. Par ailleurs, dans beaucoup d’endroits, l’adoration du Saint-Sacrement a une large place chaque jour et devient source inépuisable de sainteté. La pieuse participation des fidèles à la procession du Saint-Sacrement lors de la solennité du Corps et du Sang du Christ est une grâce du Seigneur qui remplit de joie chaque année ceux qui y participent. On pourrait mentionner ici d’autres signes positifs de foi et d’amour eucharistiques.
Malheureusement, à côté de ces lumières, les ombres ne manquent pas. Il y a en effet des lieux où l’on note un abandon presque complet du culte de l’adoration eucharistique. À cela s’ajoutent, dans tel ou tel contexte ecclésial, des abus qui contribuent à obscurcir la foi droite et la doctrine catholique concernant cet admirable Sacrement. Parfois se fait jour une compréhension très réductrice du Mystère eucharistique. Privé de sa valeur sacrificielle, il est vécu comme s’il n’allait pas au-delà du sens et de la valeur d’une rencontre conviviale et fraternelle. De plus, la nécessité du sacerdoce ministériel, qui s’appuie sur la succession apostolique, est parfois obscurcie, et le caractère sacramentel de l’Eucharistie est réduit à la seule efficacité de l’annonce. D’où, ici ou là, des initiatives œcuméniques qui, bien que suscitées par une intention généreuse, se laissent aller à des pratiques eucharistiques contraires à la discipline dans laquelle l’Église exprime sa foi. Comment ne pas manifester une profonde souffrance face à tout cela ? L’Eucharistie est un don trop grand pour pouvoir supporter des ambiguïtés et des réductions.
J’espère que la présente Encyclique pourra contribuer efficacement à dissiper les ombres sur le plan doctrinal et les manières de faire inacceptables, afin que l’Eucharistie continue à resplendir dans toute la magnificence de son mystère. »

Autant il y avait des pratiques abusives, autant il y avait des réactions hostiles aux réformes officiellement promulguées par l’autorité papale. Des personnes estimaient que les réformes avaient été trop loin et trop rapides, d’autres les accusaient d’être suspectes sur le plan doctrinal. On se souvient de la controverse qui éclata en 1969 suite à la lettre envoyée au Bienheureux Paul VI par les Cardinaux Ottaviani et Bacci (2). Ils exprimaient dans ce document des inquiétudes sérieuses et le Pape jugea opportun d’apporter certaines précisions doctrinales. Ces questions, également, doivent être étudiées avec précaution.

Mais il y avait aussi une réalité pastorale : que ce soit pour de bonnes raisons ou non, des personnes pouvaient ou ne voulaient pas participer aux rites réformés. Ils demeuraient à l’extérieur, ou participaient seulement à la liturgie non-réformée là où ils pouvaient la trouver, y compris lorsque ces célébrations n’étaient pas autorisées. De cette manière, la liturgie devint l’expression de la division au sein de l’Église, au lieu d’être le lieu de l’unité de l’Église catholique. Le Concile n’avait pas voulu que la liturgie nous divise les uns des autres ! Saint Jean-Paul II œuvra pour guérir cette division, avec l’aide du Cardinal Ratzinger, qui, devenu Benoît XVI, chercha à faciliter la nécessaire réconciliation au sein de l’Église. Par le Motu proprio Summorum Pontificum, du 7 juillet 2007, ce dernier déclara que les individus ou les groupes qui souhaitent puiser dans la forme ancienne du rite romain les richesses qu’elle contient, peuvent la pratiquer librement. Grâce à la Providence divine, il est désormais possible de célébrer notre unité catholique tout en nous respectant, et même en nous réjouissant, de la légitime diversité des pratiques rituelles.

Finalement, je souhaite noter qu’au milieu du travail de la réforme et de traduction qui eut lieu après le Concile (et nous savons qu’une partie de ce travail fut accompli trop rapidement, nous conduisant aujourd’hui à revoir les traductions pour les rendre plus fidèles au texte original latin), il n’y eut peut-être pas assez d’attention accordée aux intentions fondamentales des Pères du Concile : pour que la participation liturgique qu’ils désiraient soit réalisée : à savoir les prêtres doivent être « imprégnés de l’esprit et de la force de la liturgie, et […] capables de l’enseigner ». Nous savons qu’un bâtiment reposant sur des fondations branlantes risque de s’altérer, voire de s’effondrer.

Peut-être avons-nous bâti une liturgie nouvelle et moderne en langue vernaculaire, mais si nous ne l’avons pas faite sur de solides fondations – si les séminaristes et le clergé ne sont pas « imprégnés de l’esprit et de la force de la liturgie » comme le Concile l’exigeait – alors le peuple qui leur est confié ne pourra pas être formé. Il faut prêter attention aux paroles des Pères du Concile : il serait « futile » d’espérer un renouveau liturgique sans une formation liturgique approfondie. Sans une formation essentielle, le clergé pourrait même altérer la foi des fidèles dans le mystère eucharistique.

Je ne voudrais pas que l’on me considère trop pessimiste. Et je redis encore : il y a beaucoup de laïques, de membres du clergé et de religieux pour qui la liturgie issue de la réforme postconciliaire est la source d’un extraordinaire zèle apostolique et spirituel. Pour cela, je remercie le Seigneur Dieu Tout-Puissant. Pourtant, à partir de la brève analyse que je viens de soumettre à votre attention, je pense que vous vous accorderez avec moi pour reconnaître que nous pouvons mieux faire. La sainte liturgie doit vraiment devenir la source et le sommet de la vie et de la mission de l’Église aujourd’hui, à l’orée du XXIe siècle, comme les Pères du Concile l’ont ardemment désiré.

De toute façon, c’est cela que le Pape François nous demande de faire : « Il est nécessaire, dit-il, d’unir notre volonté renouvelée d’avancer sur le chemin indiqué par les Pères conciliaires, parce qu’il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une assimilation complète de la Constitution sur la Sainte Liturgie de la part des fidèles et des communautés ecclésiales. Je veux parler en particulier d’un engagement en vue d’une initiation et une formation liturgiques solides et équilibrées des fidèles laïcs comme des prêtres et des personnes consacrées. » (Message du Pape François aux participants du Symposium Sacrosanctum Concilium, 18 février 2014)

© Cardinal Robert Sarah, Sacra Liturgia UK

Notes de PL :
(1) « Je répète que Paul VI a fait tout ce qui était en son pouvoir pour rapprocher la Messe catholique – en ignorant le concile de Trente – de la Cène protestante », disait Jean Guitton (Dialogue avec Paul VI, Fayard, 1967).
(2) Cardinaux Ottaviani et Bacci, Bref examen critique du nouvel Ordo Missae, 3 septembre 1969. Réédition Renaissance catholique, 2004.

 

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CARDINAL SARAH (4) : COMMENT AVANCER VERS UNE MISE EN ŒUVRE AUTHENTIQUE DE SACROSANCTUM CONCILIUM DANS LE CONTEXTE ACTUEL ?

« À la lumière des souhaits fondamentaux des Pères du Concile et des différentes situations que nous avons vu apparaître après le Concile, j’aimerais présenter quelques considérations pratiques quant à la façon de mettre en œuvre Sacrosanctum Conciliumplus fidèlement dans le contexte actuel. Quand bien même je suis à la tête de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, je le fais en toute humilité, comme prêtre et comme évêque, dans l’espoir qu’elles susciteront des études et des réflexions mûres ainsi que de bonnes pratiques liturgiques partout dans l’Église.

Vous ne serez pas surpris si je recommande que nous puissions avant tout examiner la qualité et la profondeur de notre formation liturgique, la manière dont nous avons aidé le clergé, les religieux et les laïques à s’imprégner de l’esprit et de la force de la liturgie. Trop souvent, nous supposons que les candidats à la prêtrise ou au diaconat en « savent » assez en matière liturgique. Mais ici, le Concile n’insistait pas sur les savoirs académiques, quoique, naturellement, la Constitution souligne l’importance des études liturgiques (cf. n. 15-17). La formation liturgique est avant tout et essentiellement une immersion dans la liturgie, dans le profond mystère de Dieu Notre Père bien-aimé. Il s’agit de vivre la liturgie dans toute sa richesse, de s’enivrer en buvant à une source qui n’éteint jamais notre soif pour ses délices, ses lois et sa beauté, son silence contemplatif, son exultation et adoration, son pouvoir de nous relier intimement avec Celui qui est à l’œuvre dans et par les rites sacrés de l’Église.

C’est pourquoi ceux qui sont en « formation » pour le ministère pastoral devraient vivre la liturgie aussi pleinement que possible dans les séminaires et les maisons de formation. Les candidats au diaconat permanent devraient être immergés dans une intense vie de prière liturgique pour une période prolongée. J’ajoute que la célébration pleine et riche de la forme ancienne du rite romain, l’usus antiquior, devrait être une part importante de la formation liturgique du clergé. Sans cela, comment commencer à comprendre et à célébrer les rites réformés dans l’herméneutique de la continuité si l’on n’a jamais fait l’expérience de la beauté de la tradition liturgique que connurent les Pères du Concile eux-mêmes et qui a façonné tant de Saints pendant des siècles ? Une sage ouverture au mystère de l’Église et sa riche tradition pluriséculaire et une humble docilité à ce que l’Esprit Saint dit aux Églises aujourd’hui sont un vrai signe que nous appartenons à Jésus Christ : « En effet Jésus leur dit : Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt 13,52).

Si nous y parvenons, si nos nouveaux prêtres et diacres ont vraiment soif de la liturgie, ils seront à même de former ceux qui leur sont confiés, et ce, même si les circonstances et les possibilités de leur mission ecclésiale sont plus modestes que celles d’un séminaire ou dans une cathédrale. Je connais beaucoup de prêtres, qui, dans de telles circonstances, forment leurs fidèles dans l’esprit et la force de la liturgie, et dont les paroisses sont des exemples de grande beauté liturgique. Nous devrions nous souvenir que la noble simplicité n’est pas un minimalisme réducteur, ou un style négligé voire vulgaire. Le Pape François l’a rappelé dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium : « L’Église évangélise et s’évangélise elle-même par la beauté de la liturgie, laquelle est aussi célébration de l’activité évangélisatrice et source d’une impulsion renouvelée à se donner » (n. 24).

Deuxièmement, je pense qu’il faut être clair au sujet de la participation à la liturgie, de la participatio actuosa qu’appelait le Concile. Cela a généré beaucoup de confusions au cours des dernières décennies. L’article 48 de la Constitution expose que : « L’Église se soucie […] d’obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers et muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent de façon consciente, pieuse et active à l’action sacrée […]. » Pour le Concile, la participation est d’abord intérieure, obtenue en « comprenant bien [le mystère de l’Eucharistie] dans ses rites et ses prières ». La vie intérieure, la vie plongée en Dieu et intimement habitée par Dieu est la condition indispensable à une participation fructueuse et féconde aux Saints Mystères que nous célébrons dans la liturgie. La Célébration eucharistique doit être essentiellement vécue de l’intérieur. C’est au-dedans de nous que Dieu désire nous rencontrer. Les Pères voulaient que les fidèles chantent, qu’ils répondent au prêtre, qu’ils assurent les services liturgiques leur appartenant. Mais les Pères insistent également pour que les fidèles « participent de façon consciente, pieuse et active à l’action sacrée ».

Si nous comprenons la priorité d’intérioriser notre participation liturgique nous éviterons le bruyant et dangereux activisme liturgique qui s’est rencontré trop souvent dans les dernières décennies. Nous n’allons pas à la messe pour se donner en spectacle, nous y allons pour rejoindre l’action du Christ à travers une intériorisation des rites, prières, signes et symboles qui font partie des rites extérieurs. Nous prêtres, nous pourrions nous en souvenir plus souvent que les autres, nous dont la vocation est le service liturgique ! Nous devons aussi former les autres, en particulier les enfants et les jeunes, à la véritable signification de la participation, à la manière de prier la liturgie.

Troisièmement, j’ai évoqué le fait que certaines réformes introduites après le Concile ont pu être élaborées conformément à l’esprit du temps. Depuis lors, un nombre croissant d’études critiques menées par des fils de l’Église posent la question de savoir si ce qui a été fait mettait authentiquement en œuvre les buts de la Constitution sur la Liturgie, ou si, en réalité, ces réformes avaient manqué l’objectif. Ce débat a parfois lieu sous l’intitulé de « réforme de la réforme », et je sais que le Père Thomas Kocik a présenté une étude érudite à ce sujet lors de la conférence Sacra Liturgia à New York, il y a un an.

Je ne pense pas qu’on puisse disqualifier la possibilité ou l’opportunité d’une réforme officielle de la réforme liturgique. Ses promoteurs font des remarques judicieuses dans leur tentative d’être fidèle au souhait du Concile exprimé dans l’article 23 de la Constitution qui souhaite « que soit maintenue la saine tradition, et que pourtant la voie soit ouverte à un progrès légitime ». Il faudra toujours commencer par une soigneuse étude théologique, historique, pastorale et qu’« on ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique. »

Pour appuyer cela, je souhaite dire que lorsque je fus reçu en audience par le Saint-Père en avril dernier, le Pape François m’a demandé d’étudier la question d’une réforme de la réforme et la manière dont les deux formes du rite romain pourraient s’enrichir mutuellement. Ce sera un travail long et délicat et je vous demande de la patience et l’assistance de vos prières. Si nous voulons mettre en œuvre Sacrosanctum Conciliumplus fidèlement, si nous voulons réaliser ce que le Concile souhaitait, cela est une question qui doit être étudiée avec attention et examinée avec la clarté et la prudence requises dans la prière et la soumission à Dieu.

Nous, prêtres et évêques, portons une grande responsabilité. Autant notre exemple vertueux produit de bonnes pratiques liturgiques, autant notre négligence, notre routine ou nos mauvaises manières de faire blessent l’Église et sa liturgie !

Nous, prêtres, devons avant tout être des ministres du culte. Les fidèles savent différencier un prêtre qui célèbre avec foi d’un autre qui célèbre en hâte, regardant souvent sa montre, manifestant peut-être par là qu’il veut retourner à ses activités pastorales, à d’autres engagements, ou aller regarder sa télévision au plus vite ! Mes frères dans le sacerdoce, rien n’est plus important que de célébrer les saints mystères. Prenons garde à la tentation de célébrer avec indolence ou tiédeur, parce que c’est une tentation du diable.

Nous devons nous souvenir que nous ne sommes pas les maîtres de la liturgie, mais ses humbles ministres, sujets à une discipline et à des lois. Nous sommes responsables de la formation de ceux qui nous assistent dans le service liturgique, tant en ce qui concerne l’esprit et la force de la liturgie que ce qui touche à ses lois. Parfois, j’ai vu des prêtres s’écarter et se mettre de côté pour laisser des ministres extraordinaires distribuer la sainte communion : cela n’est pas acceptable parce que c’est autant une négation du ministère du prêtre qu’une cléricalisation des laïques. Lorsque cela se produit, c’est le signe que la formation a été particulièrement médiocre, et cela doit être corrigé (cf. Mt 14,18-21). « Jésus pris les cinq pains et les deux poissons… il les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule… et tous ceux qui avaient mangé les pains étaient cinq mille hommes » (Mc 6,30-44).

J’ai également vu des prêtres, des évêques, habillés pour célébrer la sainte messe, sortir leurs téléphones ou leurs appareils photos et s’en servir au cours de la sainte liturgie. Cela est révélateur de ce qu’ils croient assumer comme mission lorsqu’ils revêtent les vêtements liturgiques qui nous habillent et nous transforment en alter Christus, et plus profondément encore, en ipse Christus, c’est-à-dire le Christ lui-même. C’est un sacrilège. Aucun évêque, prêtre, ou diacre habillé pour le service liturgique ou présent dans le sanctuaire ne devrait prendre de photographies, même pendant les messes avec un grand concours de concélébrants. Le fait est que tristement cela arrive souvent au cours de ces messes, ou encore que des prêtres parlent entre eux ou que d’autres s’assoient nonchalamment. C’est urgent, à mon sens, de réfléchir et de poser la question de l’idonéité de ces immenses concélébrations, surtout si des prêtres adoptent des attitudes si scandaleuses et indignes du mystère célébré, ou si la taille extrême de ces concélébrations conduit à un risque de profanation de la Sainte Eucharistie. »

© Cardinal Robert Sarah, Sacra Liturgia UK

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