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La Passion de NSJC

publié dans la doctrine catholique le 26 mars 2018


 

 

La passion de NSJC

 

Jésus au jardin des oliviers

Gethsémani

L’agonie

 

Jn 18 1-3 ; Mat 26 36-56 ; Marc 14 32-52 ; Luc 22 39-53

De l’autre côté du Cédron, au pied de la colline, se trouve un jardin ombragé d’oliviers et nommé Gethsémani. Rien ne troublait la solitude de ses lieux, où le Sauveur avait coutume de se reposer quand il ne retournait pas le soir à Bethanie ; Judas connaissait cette retraite, car quelques heures plus tard, il guida sans hésiter la troupe qui cherchait le divin Maître (Jn 18 2)

 

A peine Jésus fut-il entré dans le jardin qu’il sentit une angoisse pareille aux premiers frissons de l’agonie : « Asseyez vous ici, dit-il a ses disciples pendant que j’irai là bas pour prier » ( Mt 26 36-37)

Le Sauveur prit avec lui Pierre, Jacques et Jean car il leur avait promis qu’ils boiraient à la coupe de ses douleurs et il les amena sous les oliviers (Mt 20 23).

Jamais ses disciples n’avaient vu en lui pareille tristesse : l’effroi, l’abattement, une sorte de stupeur, dit saint Marc, saisirent son âme. (Mc 14 33). Il arrêta ses compagnons : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ; demeurez ici, veillez et priez ». Puis s‘étant éloigné d’un jet de pierre (Lc 22 41), il se mit à genoux et se prosterna la face contre terre, priant que, s’il était possible, cette heure passât loin de lui : « Mon Père tout vous est possible, écartez de moi cette coupe », cette coupe d’angoisses où il goûtait par avance l’amertume de sa Passion. Jésus souffrait tellement qu’il hésitait à souffrir plus encore, et il demeura longtemps ( plus d’une heure : le reproche adressé à Pierre par le Seigneur (Mc 14 37) montre que cette première prière dura toute une heure)

Il se retourna alors vers ses disciples, cherchant quelques allégements à sa peine, mais ce ne fut que pour sentir plus vivement la solitude et l’abandon. Pas un disciple qui veillât, qui compatît à ses souffrances. Pierre, intrépide quelques heures au paravent, Jacques, au ferme courage, Jean le bien aimé, tous dormaient et pourtant ils aimaient celui qui agonisait près d’eux, qui leur avait demandé de ne pas le laisser seul, mais de le soutenir par leur présence ! S’adressant au plus présomptueux des trois : « Simon, dit-il, tu dors ! Tu n’as donc pas pu veiller une heure avec moi ? Veillez et priez afin que vous ne tombiez pas dans la tentation ; l’esprit est prompt, mais la chair est faible ».

 

Les disciples le virent s’éloigner de nouveau, se prosterner, et, dans la poussière, s’épuiser aux luttes de l’agonie ; la même prière était dans sa bouche : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite. » Bientôt la fatigue appesantit encore leurs paupières et Jésus revenant les trouva une seconde fois endormis. « Ils ne surent que lui répondre » dit saint Marc. Le Sauveur s’éloigna une dernière fois ; c’était pour la lutte suprême, celle que saint Luc a racontée : (Lc 22 43-44)

 

Que se passa-t-il à cette heure dans l’âme de Jésus ? L’enfer fut-il déchainé sur l’agneau qui portait le péché du monde ? Tenta-t-il d’écraser sous le poids des iniquités du passé et de l’avenir, ce Jésus dont le regard embrassait l’empire du mal à travers les siècles ? Il n’y a place ici qu’à des conjonctures. Tout ce que nous savons, c’est que les yeux du Sauveur ne pleurèrent pas seuls dans cette épreuve : des larmes de sang coulèrent de ses membres. « Etant tombé en agonie, il lui vint une sueur comme des gouttes de sang qui tombaient à terre » (Lc 22 44)

 

Jésus ne priait que plus ardemment, répétant sans cesse les mêmes paroles : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite ».

Ce sang, ces pleurs, ces cris suppliants montèrent vers Dieu. Aux plaintes de la victime sans tache, le ciel fermé depuis Adam sur l’humanité pécheresse s’entrouvrit, et un ange en descendit qui consola le Sauveur. Jésus se releva plus fort que la douleur, « sachant tout ce qui allait fondre sur lui » (Jn 18 4) et attendant avec sérénité le supplice et la mort.

 

Il revint alors vers ses disciples endormis. Ils avaient failli à la mission de veiller près de leur Maître agonisant. Le Sauveur leur adressa ces paroles où la tendresse se mêlait au reproche : « Dormez et reposez vous maintenant » (Mt 26 45-46), il n’est plus temps de veiller près de moi. Et interrompu aussitôt par l’arrivée de Judas : « C’est assez, ajouta-t-il, l’heure est venue où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs ; réveillez-vous, allons, voilà celui qui va me trahir, il avance ».

 

 

Voici maintenant les considérations du Père Feuillet sur l’agonie de Jésus au jardin des Oliviers

 

Récit de l’agonie de Jésus au jardin de Gethsémani en Saint Marc : Mc 14 32-42

Dans ce commentaire, nous voulons lire autant que possible, dans l’âme de Jésus en ce moment crucial entre tous.

Nous parlerons d’abord de l’angoisse et de la prière de Jésus : Mc 14 32-36

Puis nous commenterons les paroles adressées par Jésus à ses trois disciples, Pierre, Jacques et Jean : Mc 14 37-42

L’angoisse et la prière de Jésus. Mc 14 32-36

Nous devons parler en premier lieu de la nouveauté et de l’intensité de l’angoisse éprouvée par Jésus ; en second lieu de « l’heure » qu’il voudrait voir passer loin de lui et de la coupe qu’il redoute de boire, enfin de la portée de l’invocation « Abba, Père » et de  la libre soumission de Jésus à la volonté de son Père

La nouveauté et l’intensité de l’angoisse éprouvée par Jésus.

« Il commença à être effrayé et angoissé »

Saint Marc nous dit qu’une fois arrivé à Gethsémani, Jésus « commença à être effrayé et angoissé » ; « coepit pavere et taedere ».

« Commença » n’est pas un verbe à prendre ici dans un sens quelconque, comme désignant un simple début d’action. Non. Il s’agit ici d’un tournant capital dans son existence terrestre.

Pour trouver  le vrai sens à ce verbe « commencer », on peut prendre l’exemple de la confession de saint Pierre à Césarée. Il confesse au nom des Douze la messianité du Christ : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Alors, nous dit saint Marc, pour la première fois, Jésus commença à dire ouvertement aux apôtres stupéfaits que ce Messie devrait connaître des souffrances et une mort affreuse : Mc 8 31. Il est le serviteur souffrant d’Isaïe 53. C’est vraiment là le début d’une nouvelle période dans l’existence terrestre du Sauveur

Ainsi la scène de Gethsémani ouvre une troisième période, tout aussi nouvelle. En effet, depuis Césarée, Jésus n’avait cessé d’annoncer à ses apôtres sa future Passion, et cela avec la plus grande fermeté, rejetant comme sataniques toutes les suggestions qu’on pouvait lui faire en sens contraire. Souvenez-vous de l’attitude terrible de Jésus devant saint Pierre voulant s’opposer à cette pensée de son Maître. Il le traite de Satan : « Arrière Satan, tu mets une occasion de  scandale » (Mc 8 31 33) et comme contraire à son idéal de Fils de l’homme venu pour servir et « boire la coupe de la Passion ». Et voilà que, tout à coup, au mont des oliviers, Jésus se départit de cette fermeté : « il commença à être effrayé et angoissé » par la perspective de sa Passion. i.e. il « se mit » à être effrayé… »

L’angoisse éprouvée du Maître.

Deux verbes expriment les sentiments qui, à ce moment là, s’emparent de l’âme de Jésus.

Le premier verbe est: « pavere ». Il se traduit par « être vivement ému ; être effrayé, épouvanté (actuellement). C’est l’ébranlement profond  causé par l’apparition d’un spectacle inopiné ou par un événement inattendu. Et selon la nature de ce spectacle ou de cet événement, la surprise  peut-être de l’effroi, de l’étonnement, de la stupeur, de l’admiration. A Gethsémani, tout se passe comme si quelque chose d’inattendu et de terrible s’était présenté à l’esprit de Jésus, provoquant en lui un choc.

Le deuxième verbe est : « taedere » que l’on traduit par « être ennuyé, fatigué, dégoûté de ». Le nom « taedium » veut dire « ennui, dégoût, fatigue, aversion, répugnance, objet de dégout ». C’est l’état psychologique d’une profonde tristesse. C’est ce qu’il laisse entendre à ses trois disciples qu’il rejoint.

« Mon âme est triste jusqu’à la mort »

Jésus dit aux trois disciples : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Dans la suite de la Passion de Jésus, sa souffrance sera à la fois physique et spirituelle. Ici, au jardin de Gethsémani, la « souffrance physique n’est pas encore là, mais l’âme de Jésus est envahie par une douleur atroce.

« Mon âme est triste jusqu’à la mort »

Que signifie cette expression : « jusqu’à la mort » ?

On peut lui donner un sens temporel : mon âme est accablée d’une tristesse qui ne prendra fin qu’avec la mort.

On peut lui donner un sens comparatif : mon âme est accablée d’une tristesse telle qu’on ne peut en éprouver une semblable qu’au moment de la mort.

On peut lui donner un sens final : mon âme est tellement triste que je désire mourir

Mais aussi et surtout un sens consécutif : mon âme est accablée d’une tristesse qui serait capable de me donner la mort.

Ces nuances permettent de mieux entrer dans l’âme du Sauveur. Ne prenons pas le sens causal, car Notre Seigneur ne désire pas se soustraire à la mission salvifique que lui a donné son Père. Il veut au contraire exécuter jusqu’au bout la volonté de son Père sur lui. Mais la tache à accomplir lui parait soudain tellement énorme et terrible que sa nature humaine ne peut que crier sa détresse et  qu’il va même en venir à se demander tout à l’heure si c’est bien cela que le Père lui demande.

Optons donc plus facilement pour le sens consécutif et faisons de l’expression ; « triste jusqu’à la mort » l’équivalent d’un superlatif : triste au suprême degré, d’une tristesse mortelle : « Mon âme est triste à en mourir »

Marc écrit : « « Et s’étant avancé un peu ; il tombait à terre ». « procedit super terram ».

Ce n’est pas à proprement parler ici un verbe qui exprime l’adoration. Non, il nous dit simplement Que Jésus « tombait » à terre . Il faut voir là non pas uniquement l’acte de quelqu’un qui veut se mettre en prière, mais encore et surtout le signe d’une détresse sans nom qui enlève toute force et projette sur le sol. Saint Matthieu nous dira dans son récit « qu’il tomba sur sa face ».

N’oublions pas que Saint Pierre a vu Jésus s’effondrer, que saint Marc reprend sa prédication.  Nous sommes conviés à assister au même terrifiant spectacle ce qui nous permet de comprendre, comme le dit saint Paul, « à quel grand prix nous avons été rachetés (1 Cor 6 27 : 7,23)

L’heure et la coupe que Jésus redoute.

En Marc 14 35-36, l’objet de la prière de Jésus est exprimé deux fois : une première fois en style indirect au v. 35 à propos de « l’heure » : « il priait pour que s’il était possible, l’heure passa loin de lui » ; une seconde fois en style direct au v 36 à propos de la « coupe » : « Abba Père ! tout t’est possible : éloignez de moi cette coupe. Mais non pas ce que je veux, mais ce que, toi, tu veux ».

Les deux mots « heure » et « coupe » sont d’une importance capitale pour une intelligence approfondie de l’agonie de Gethsémani.

« L’heure » : pour en comprendre le sens on peut mettre ce mot de Mc 14 36 : « l’heure » en relation avec les textes de saint Jean. L’heure de Jésus en l’Evangile de saint  Jean désigne l’événement salvifique pris dans toute son ampleur. Elle correspond, pour ce qui est de Jésus, à son passage de ce monde à son Père et à sa glorification pleine et entière, et pour ce qui est des hommes, à la création du nouveau peuple de Dieu grâce à l’effusion de l’Esprit- Saint. Mais l’heure de Jésus a également un côté sombre, voire terrifiant : le mystère de la croix. Le point culminant de son évangile, les chapitres 13 à 20 (21) consacrés à l’heure de Jésus traitent tour à tour de sa Passion et de sa mort, de sa résurrection, de son exaltation et de la fondation définitive de l’Eglise. Ici, il faut donc entendre « heure » par le moment douloureux de la Passion de Jésus.

« Coupe » ou « calice » (Saint Jérôme traduit «  pateron » par « calicem ») : peut être comprise comme le symbole des souffrances et de la mort de Jésus. Mais il vaut mieux comprendre « coupe » non dans un sens symbolique, mais bien comme la réalité des souffrances endurées par Jésus pour l’expiation des péchés des hommes. La coupe que Jésus redoute de boire est inséparable de l’ « heure » où « le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs » (v  41). Or ce texte renvoie à Is 53 où nous voyons le serviteur souffrant accepter de subir le châtiment mérité par les hommes coupables afin de les guérir et de les rétablir dans l’amitié de Dieu : « le châtiment qui nous donne la vie a été sur lui et c’est pas ses meurtrissures que nous sommes guéris » (v 5)

L’invocation Abba Père ! La libre soumission de la volonté de Jésus à celle du Père.

Jésus dit : v 36 : « Abba Père ! Tout t’est possible, éloigne de moi cette coupe. Mais non pas ce que moi je veux, mais ce que toi tu veux »

Nous devons nous arrêter à deux aspects de cette prière : d’une part son caractère éminemment filial marqué par l’invocation du début : Abba ! Père ! ;  d’autre part la distinction étonnante qu’on y perçoit entre la volonté du Père et celle du Christ, qui, en toute liberté, se soumet à son Père.

« Abba » ! C’est de l’araméen, langue de Jésus. Il veut dire Père, mais dans un sens très familier, plutôt dans le sens de « papa ».

Ce sens est très important. Sa signification dans la bouche de Jésus est immense. Elle est double. A la fois d’ordre historique et d’ordre théologique. Au point de vue historique, il est très claire que jamais la communauté chrétienne primitive, née du judaïsme, n’aurait eu l’idée, voire l’audace, de prêter à Jésus une telle manière de s’adresser à Dieu. Ce sont vraiment les paroles propres de Jésus, les ispsissima verba Christi. C’est affirmer l’historicité des évangiles

La portée doctrinal de ces mots n’est pas moins importante : on touche ici du doigt en même temps la conscience qu’avait Jésus d’être le Fils de Dieu au sens strict et, par le fait même, la révélation qu’il nous apporte en sa personne du mystère trinitaire.

Il faut cependant remarquer aussi que ce cri tout filial de Jésus à son Père, s’accompagne tout également d’une certaine distance entre la volonté de Jésus et celle du Père : « Abba Père ! Tout t’est possible ; éloigne de moi cette coupe. Mais non  pas ce que je veux, mais ce que, toi, tu veux ».

Pour bien répondre à cette interrogation, rappelons-nous qui est Jésus, sa personne. C’est le Verbe de Dieu fait chair.

Jésus tout en s’affirmant, dans les Evangiles, le Fils unique de Dieu se présente néanmoins comme pleinement homme. Puisqu’il en est ainsi, il faut penser qu’il possède une intelligence et une volonté humaines. Aussi, à l’encontre de l’hérésie monothélite négatrice d’une  double volonté dans le Christ, le troisième Concile de Constantinople a-t-il proclamé qu’il y a « en Jésus Christ deux volontés et deux opérations, sans division et sans changement, sans séparation et sans confusion : non pas deux volontés opposées entre elles, mais subordonnées l’une à l’autre, ce qui fait que la volonté humaine suit toujours la volonté divine à laquelle elle demeure soumise ».

Doté d’une volonté humaine, le Christ a eu, par le fait même, la liberté, i.e. le pouvoir de se déterminer par soi-même sans aucune contrainte, pouvoir qui constitue l’une des prérogatives les plus nobles de l’être humain. Dans l’évangile de saint Jean, au ch. 10 17-18, le Christ se prononce absolument libre dans l’acte principal de sa mission : le sacrifice qu’il fait de sa vie pour accomplir la prophétie d’Is 53 et de réconcilier avec Dieu l’humanité pécheresse. Aussi bien serait-il inconcevable qu’il en fut autrement : il n’y a de mérite que dans les actes libres. Or c’est en méritant que le Christ nous sauve. Jésus s’est donné librement : Mt 26 52-54 ; Jn 18  44-11.

Enfin il faut se rappeler que le problème de la liberté comporte deux aspects : le pouvoir de choisir et le pouvoir de s’achever soi-même. Or le pouvoir de choisir n’est pas une fin en soi, mais seulement un moyen ; il est au service du pouvoir de s’achever. Le libre arbitre est proprement le pouvoir que possède la personne humaine de s’achever elle-même en communiant à l’Absolu. Par suite il n’est pas le pouvoir de choisir également le bien ou le mal : il est un pouvoir de choisir le bien par l’élan de nature et un pouvoir de choir le mal par défaillance et arrachement à son état naturel.

S’il en est ainsi de la liberté, la liberté du Christ est plus visible dans l’agonie de Gethsémani que partout ailleurs. La prière de l’agonie n’exprime aucune résistance, même passagère de la volonté de Jésus à la volonté de son Père. La volonté de son Père fut toujours sa nourriture dit-il, Ici plus qu’ailleurs.  Elle dit sa soumission totale à cette volonté qu’il aime et veut accomplir jusqu’au bout. Ce qu’elle nous révèle plus que tout, c’est l’immense douleur qui va accompagner cette soumission.

 Il ne faut absolument pas parler de résistance, même passagère, de Jésus à la volonté de son Père. La prière de l’agonie dit tout au contraire sa soumission totale à cette volonté qu’il aime et veut accomplir jusqu’au bout. Ce qu’elle nous suggère, c’est plutôt la difficulté de cette œuvre.

Les paroles de Jésus aux trois disciples.

Au début de la scène de l’agonie, Jésus dit au groupe entier des disciples : « Asseyez-vous ici tandis que je prierai ». Cet ordre ne concerne que huit apôtres, puisque aussitôt après Jésus prend avec lui trois d’entre eux : Pierre, Jacques et jean, comme pour la résurrection de la fille de Jaïre(Mc 5 37) et pour la Transfiguration (Mc 9 2).

A ces trois disciples, Jésus attribue un rôle mystérieux ; il leur demande d’abord de veiller et de l’accompagner dans la prière afin de ne pas être vaincus par la tentation car « l’esprit est ardent, mais la chair est faible ». Puis quand le moment de l’arrestation est venu, il leur dit au contraire : « Dormez maintenant et reposez vous. C’en est fait. L’heure est venue. Voici le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs ».

Ce sont ces paroles de Jésus que nous devons maintenant commenter : en premier lieu la demande de vigilance liée à une redoutable tentation ; en second lieu la résistance à la tentation et l’antithèse chair-esprit ; en dernier lieu la conclusion apportée par Jésus à la veillée de Gethsémani avec la déclaration : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs ».

La vigilance et la tentation.

La demande fondamentale faite par Jésus aux trois disciples est celle de la vigilance ; elle est exprimé dès le début de la scène : « Restez ici et veillez » (v 34). Elle est formulée de nouveau quand, pour la première fois, Jésus vient rendre visite aux trois apôtres : « Simon, tu dors ? Tu n’as pas eu la force de veiller une heure ! Veillez et prier afin de ne pas entrer en tentation »(v 37-38)

Comment comprendre ce verbe : « viellez », « vigilate »

Veiller, au sens littéral, c’est ne pas dormir pendant la nuit, c’est renoncer au sommeil qui est l’état normal de la nuit.

Veiller a aussi un autre sens plus spirituel. C’est être vigilant. Cette veille n’est pas seulement et avant tout un état physique, l’absence de sommeil, elle est davantage un état d’âme. Elle consiste essentiellement à être attentif. On traduira « éveiller » par « être vigilant », « être éveillé » comme un guetteur, une sentinelle. En ce sens on dira être attentif à la présence active de Dieu qui vient ou peut venir « comme un voleur ». Dans ces circonstances, il faut toujours veiller.. C’est le sens de Mc 13 33-35.

Il est évident que c’est une vigilance religieuse qui est réclamée des trois disciples dans la scène de l’agonie et nullement une vigilance du guetteur, d’une sentinelle. La vigilance sur laquelle le Christ compte est une vigilance priante, comme le montre du reste  au v. 38 l’adjonction de la demande de « prier ».

La tentation ?

Dans les textes du  NT on est appelé à « veiller » soit parce qu’il nous faut veiller dans l’attente et la venue du Seigneur pour être prêts quand il se présentera, (Cf. le récit des vierges sages et des vierges folles) soit pour faire face aux grands dangers que court notre existence chrétienne, dangers parmi lesquels viennent, en premier lieu, les assauts diaboliques. On peut citer saint Pierre et pour cause, il se souvient du reproche de Jésus à Gethsémani : 1 Pet 5 8 : « Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le Diable, comme un lion rugissant rôde cherchant qui dévorer ». C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les paroles du Seigneur ; Il faut veiller pour ne pas subir la tentation diabolique.

Il faut également rattacher ces tentations dont parle Jésus, aux tentations qu’il connut au début de son ministère, lorsqu’il est poussé par l’Esprit Saint dans le désert.

La résistance à la tentation ; l’antithèse entre chair et esprit.

A Gethsémani, les tentations diaboliques visent essentiellement les disciples, les trois qui sont avec Jésus. Aussi bien leur dit-il : « Veillez et priez afin de ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent et la chair est faible » (Mc 14 38)

Expliquons cette recommandation.

Que signifie la formule « entrer en tentation ». « ut non intretis in tentationem »

Remarquons tout d’abord que le « entrer en tentation » du récit de Gethsémani a le même sens que dans le Pater Noster : Mt 6 13 ; Lc 11 4 : ne nous nous induisez pas en  tentation. Dans son explication du Pater, Saint Thomas explique que nous ne demandons pas de ne pas être tentés, mais de ne pas être vaincus par la tentation (II II 83 9. Le catéchisme du Concile de Trente donne la même explication (4e  partie ch 45 § 1-6). Il est impossible que Dieu puisse nous faire succomber à une tentation, – Saint Jacques est formel : Ia 12 – mais nous le prions pour que « nous ne cédions pas à la tentation ». Ce serait un véritable blasphème de dire que c’est Dieu qui pousse l’homme à pécher. La traduction courante qui est aujourd’hui liturgique : « ne nous soumets pas à la tentation » n’est pas heureuse. Il faut dire: ne nous laisse pas succomber à la tentation. Il faut être protégé dans la tentation et non point d’abord être préservé de la tentation. La requête du Notre Père ne nous fait pas demander que la tentation nous soit épargnée mais bien que Dieu nous aide à la surmonter.

Fort des ces explications, on peut revenir à la formule de Jésus à Gethsémani : « Veillez et priez afin de ne pas entrer en tentation ». C’est-à-dire : Priez non point pour ne pas être soumis à la tentation. Elle est là, présente. Le diable peut les emporter loin de leur Maître s’ils ne prient pas. Il se pourrait qu’il les détache de leur Maître et les fasse apostasier ou du moins qu’il distende les liens qui les unissent à leur Maître. Il ne s’agit donc pas pour eux de ne pas être soumis à la tentation ; il s’agit qu’ils ne soient pas vaincus par elle.

Et la raison pour laquelle la tentation actuelle constitue pour les trois disciples un redoutable danger, malgré leur attachement profond à leur Maître, c’est que « si l’esprit est ardent, la chair est faible »

Conclusion de la veillée de Gethsémani : le Fils de l’homme livré aux mains des pécheurs. Le serviteur souffrant d’Is 53

Quand le Christ vient vers les disciples pour la première fois, il les trouve endormis et leur fait des reproches en s’adressant plutôt à Pierre (V 37-38). Quand il revient une seconde  fois, il les trouve toujours endormis et Marc d’ajouter : « leurs yeux étaient alourdis et ils ne savaient que lui répondre » (v 40). L’évangéliste suggère ici l’incompréhension humaine en présence du mystère du Christ. Quand le Christ revient une troisième fois, il leur dit : « Dormez maintenant et reposez vous ? C’en est fait. L’heure est venue. Voici ! Le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici, celui qui me livre est tout proche » (v 41-42). C’est Jésus qui se livre lui-même en toute liberté à Judas à la tête de la cohorte

Telle est la conclusion de la veillée de Gethsémani : « le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs »

Par cette déclaration est annoncée les souffrances et la mort  du Fils de l’homme parce qu’elle est à mettre en relation avec la prophétie du Serviteur souffrant d’Isaïe.

« Le Fils de l’homme est livré… » Il y a tout lieu de voir là une allusion à Is 53 où, dans les Septante, le même verbe « livrer » est appliqué trois fois au « serviteur ». On en conclut que c’est Dieu lui-même qui, le premier, accomplit l’action de livrer Jésus aux hommes pécheurs, tout comme à Gethsémani c’est le Père qui propose à son Fils la coupe amère de la passion expiatrice.

Ceux qui douteraient encore que Jésus se soit reconnu dans les oracles du serviteur souffrant n’ont qu’à relire de près les récits de la Cène : les références aux oracles d’Isaïe y sont indubitables : le sang versé Is 53 12 : « il a versé son âme dans la mort » ; la rémission des péchés (cf l’ensemble d’Is 53 ; la multitude bénéficiant du sang versé par Jésus (Is 52 14-15 ; 53 11-12) ;la perspective d’une nouvelle alliance ouverte à tous les peuples (Is 42 6 et 49 6).

Le texte de saint Jean. (Commentaire du Père Feuillet)

 

L’agonie de Gethsémani

Le drame de l’agonie en saint Jean

Jn 12 20 33

Saint Jean, dans son récit de la Passion, passe sous silence la scène de l’agonie. Il cite le jardin où se dirige Jésus après la Cène, mais ne dit rien de l’agonie elle-même : « Après avoir ainsi parlé (au Cénacle), Jésus se rendit, accompagné de ses disciples, au-delà du torrent de Cédron, où il y avait un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples ». Ayant dit ceci, Jean nous raconte le récit de l’arrestation.

Pourquoi cette omission ?

C’est qu’Il écrit son évangile, alors que les récits des Synoptiques sont déjà bien connus des communautés chrétiennes. Nous avons étudié le récit de saint Marc un peu plus haut.  Dans sa relation de la Passion, il n’a pas pour but de les répéter ni de les compléter encore moins de les contredire. Il veut plutôt mettre en lumière certaines vérités de la plus haute importance et qui lui tiennent à cœur et que ses devantiers n’avaient  peut-être pas suffisamment  exprimées. Il veut souligner, lui,  surtout la souveraine liberté avec laquelle Jésus entre en sa Passion. Il l’exprime très clairement dans  sa relation de l’arrestation par Judas et  sa cohorte.  C’est Jésus qui se constitue prisonnier ; on ne lui prend pas sa vie ; c’est lui qui la donne. Souvenez-vous de l’arrestation : « Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y était souvent allé  avec ses disciples. Ayant donc pris la cohorte et des satellites fournis par les Pontifes et les Pharisiens, Judas y vint avec des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança et leur dit: « Qui  cherchez-vous? ».Ils lui répondirent: « Jésus de Nazareth. » Il leur dit: « Jésus de Nazareth, c’est moi. » Or, Judas, qui le trahissait, était là avec eux.  Lors donc que Jésus leur eut dit: « C’est moi, » ils reculèrent et tombèrent par terre. Il leur demanda encore une fois: « Qui cherchez-vous? » Et ils dirent: « Jésus de Nazareth. » Jésus répondit: « Je vous l’ai dit, c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. » Il dit cela afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite: « Je n’ai perdu aucun de  ceux que vous m’avez donnés. » Alors, Simon-Pierre, qui avait une épée, la tira, et, frappant le serviteur du grand prêtre, il lui coupa l’oreille droite: ce serviteur s’appelait Malchus. Mais Jésus dit à Pierre: « Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m’a donné? »

 

Saint Jean insiste bien sur la liberté totale de NSJC en sa Passion. Aussi insérer, en un tel contexte, le récit de l’agonie eût peut-être affaibli l’enseignement que Jean entendait inculquer à ses lecteurs : la liberté totale du Christ en sa Passion.

 

Quoiqu’il en soit de cette explication, Saint Jean ne passe pas sous silence l’agonie qu’a connue le Christ Seigneur. Sa parole  à l’endroit de Pierre, au Jardin de Gethsémani en est la preuve: «« Remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m’a donné? ». Saint Jean ne cherché pas  à faire oublier la douleur que Jésus a exprimée dans  l’agonie racontée par les synoptiques, « ne boirai-je donc pas le calice que mon Père m’a donné ».

 

Mais ce n’est pas la seule phrase qu’il faut relever en ce sens. Il faut aussi se souvenir de Jn 12 20-33 que nous allons méditer, passage qui fait invinciblement songer au drame de Gethsémani : «  .Or, il y avait quelques Gentils parmi ceux qui étaient montés pour adorer, lors de la  fête..Ils s’approchèrent de Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande: « Seigneur, nous voudrions bien voir Jésus. » Philippe alla le dire à André, puis André et Philippe allèrent le dire à Jésus. Jésus leur répondit: « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est troublée; et que dirai-je?… Père, délivrez-moi de cette heure… Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » « Père glorifiez votre nom. » Et une voix vint du ciel: « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
La foule qui était là et qui avait entendu, disait: « C’est le tonnerre »; d’autres disaient:  « Un ange lui a parlé. » Jésus dit: « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, mais pour vous. C’est maintenant le jugement de ce monde; c’est maintenant que le Prince de ce monde va être jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » Ce qu’il disait, c’était pour marquer de quelle mort il devait mourir ».(Jn 12 20 33)

 

Comment comprendre tout cela ?

En somme on observe ici un phénomène identique au récit de la Cène : dans un cas comme dans l’autre, Jean ne reprend pas les données des Synoptiques, mais les prépare et leur donne leur sens. C’est ainsi qu’on a le discours du pain de vie de Jn 6 26-66 comme préparation de la Cène et Jn 12 22-33 comme prélude à l’agonie de Gethsémani racontée par les Synoptiques.

 

Commentaire de Jn 12 20-33

 

Vous en avez le texte ci-dessus.

Après avoir expliqué l’occasion historique des paroles prononcées ici par Jésus en Jn 12 20-22, nous examinerons les trois aspects de l’heure de Jésus qu’elles présentent successivement : cette heure est liée à la mort de Jésus : Jn 12 23-26 ; aussi représente-t-elle pour lui une épreuve redoutable : Jn 12 27-29 ; il n’en reste pas moins vrai que par elle, Jésus vaincra définitivement les forces du mal et attirera à lui tous les hommes de bonne volonté, sans distinction de races et de nationalité : Jn 12 30-33

 

L’occasion historique des paroles de Jésus.

 

Cette occasion historique nous est exposée aux versets 20 et 22 : « Or, il y avait quelques Gentils parmi ceux qui étaient montés pour adorer, lors de la  fête..Ils s’approchèrent de Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande: « Seigneur, nous voudrions bien voir Jésus. » Philippe alla le dire à André, puis André et Philippe allèrent le dire à Jésus »

Les Grecs qui entrent ici en scène sont des hommes étrangers à la race juive et de culture grecque, mais gagnés au monothéisme d’Israël. Sympathisants et peut-être même prosélytes, ils participaient au pèlerinage pascal. Même inspirée par la curiosité, leur demande ne saurait s’entendre de façon purement matérielle car ils pouvaient aisément voir Jésus circulant en compagnie de ses disciples. Ce qu’ils désiraient sans doute, c’est avoir un entretien religieux avec lui. Leur requête fut transmise au Christ par deux Apôtres qui portaient un nom grec : Philippe et André, et qu’on retrouve ailleurs jouant un rôle similaire : celui de mettre en rapport avec Jésus : Jn 1 44-45. Ce détail montre le caractère historique de la scène.

 

Dans son ensemble la réponse de Jésus porte sur son heure. Quel lien a-t-elle avec la demande ? En apparence ce lien est inexistant. En réalité il est très profond. Par delà la demande de ces quelques grecs, Jésus contemple l’ensemble du monde païen en quête de Dieu et de la vérité religieuse et qui intégrera l’Eglise, le peuple messianique. Il est précisément venu pour sauver tous les hommes. «  Ecce Agnus Dei qui tolit peccata mundi », dira de Lui saint Jean Baptiste. C’est dire que son « heure », l’heure où il réalisera en plénitude la Mission que son Père lui a confiée, doit coïncider avec l’extension du salut au monde entier. Voila le motif pour lequel l’intervention des Grecs fait que Jésus leur répond en parlant de son heure.

Mais précisons le sens de l’«heure » du Christ dans l’Evangile de saint Jean. Elle désigne l’événement salvifique pris dans toute son ampleur. Elle correspond pour ce qui est de Jésus, à son passage de ce monde à son Père et à sa glorification pleine et entière, et, pour ce qui est des hommes, à la création du nouveau peuple de Dieu grâce à l’effusion de Saint Esprit. Mais l’heure de Jésus a également un côté sombre, voire terrifiant : le mystère de la Croix. Le point culminant de son Evangile, les chapitres 13 à 20 consacrés à l’heure de Jésus traitent tour à tour de sa Passion de sa Mort, de sa Résurrection, de son exaltation céleste et de la fondation définitive de l l’Eglise

Ces rapides indications sur l’heure de Jésus rendent plus intelligible les divers éléments de la réponse qu’il fait en Jn 12 23-33. Tous ces éléments y sont évoqués.

Jésus commence par souligner le lien profond qui rattache les uns aux autres ces trois événements : sa glorification, sa mort, la fondation de son Eglise, cette nouvelle communauté messianique. Jésus dit : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera ».

Nous sommes arrivés presque au terme de la vie publique de Jésus. Aussi déclare-t-il que le Fils de l’homme est sur le point d’être glorifié. La glorification de Jésus coïncide avant tout avec sa résurrection et son exaltation céleste, mais elle est déjà inaugurée dans sa mort ; c’est ce que signifie l’expression « être élevé » qui s’applique en premier lieu à sa crucifixion Elévation et glorification sont intimement liés sans se confondre cependant.. N’avait-il pas été prédit du Serviteur souffrant qu’il serait « élevé » et glorifié » souverainement (Is 52 13) Le quatrième évangile, comme les Synoptiques se rattache, jusque dans son vocabulaire, à cet oracle fondamental

 

Mais pourquoi parlez-vous de glorification alors que vous parlez de la mort ?

Parce que la mort de Jésus sera pour lui une glorification en raison des fruits merveilleux qu’elle produira. C’est ce qu’exprime la parabole du grain jeté en terre. Jésus se compare à un grain de blé jeté en terre qui porte beaucoup de fruit. Ce fruit important porté par le grain de blé, c’est la communauté messianique (l’Eglise) en laquelle les païens( les Grecs) pourront entrer.

Alors que Jésus vient de proclamer avec tant de force la grandeur et la fécondité de son heure, celle de sa Passion, source de vie et principe d’un nouveau peuple de Dieu, on ne s’attend pas à le voir envahi soudain par l’angoisse. C’est pourtant ce qui se produit. C’est principalement la dureté de l’heure de Jésus que suggèrent les versets 27-29 : « Maintenant mon âme est troublée; et que dirai-je?… Père, délivrez-moi de cette heure… Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » « Père glorifiez votre nom. » Et une voix vint du ciel: « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
La foule qui était là et qui avait entendu, disait: « C’est le tonnerre »; d’autres disaient:  « Un ange lui a parlé » .

 

Il est évident que ce langage fait penser à la scène de saint Marc décrivant l’agonie au jardin des Oliviers. La déclaration : « Maintenant mon âme est troublée » fait penser à Mc 14 34 : « Mon âme est triste jusqu’à la mort »

 

« Père » : cette invocation fait penser à « Abba Père » de saint Marc (Mc 14 36)

« Sauve moi de cette heure » fait penser au texte de saint Marc, à la prière de supplique de l’éloignement de cette coupe, (de cette heure).

 

Toutefois les divergences entre ce récit johannique et le texte de Marc sont plus accusées que les ressemblances.

 

Après avoir vu les ressemblances, voyons maintenant  les divergences.

Les circonstances de temps et de lieu diffèrent considérablement de part et d’autre, comme aussi la manière dont se déroulent les deux scènes.

Saint Marc parle d’une longue prière nocturne et d’une lutte terrible de Jésus avec pour seuls témoins trois apôtres qui, d’ailleurs se trouvaient à distance. Jésus est prostré à Terre et sa supplication angoissée demeure sans réponse ; le ciel est comme fermé. Ici, dans saint Jean, tout se passe en plein jour, en présence des disciples et de la foule. Jésus reste debout. Seulement il fait part à son entourage de son débat intérieur qui le fait souffrir. Son trouble n’est d’ailleurs que passager, car aussitôt après avoir formulé un  souhait qu’il sait pourtant irréalisable, il se reprend pour affirmer que l’heure tant redouté est le motif même de sa venue parmi les hommes. Et le Ciel intervient alors pour proclamer la contrepartie glorieuse de la Croix.

Mais Jésus fait tout pour détourner son attention de cette exaltation annoncée. Il a plus de joie a contempler sa Croix que sa Filiation divine. Car son âme est plus inclinée à penser à sa mort, principe de Vie qu’à sa gloire.

 

A son entourage, Jésus explique le sens de l’intervention céleste qui vient de se produire : « Jésus dit: « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, mais pour vous. C’est maintenant le jugement de ce monde; c’est maintenant que le Prince de ce monde va être jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi. » Ce qu’il disait, c’était pour marquer de quelle mort il devait mourir ».

Jésus parle du « jugement de ce monde », de la victoire sur les puissances mauvaises et il fait une allusion cachée au Serviteur souffrant d’Isaïe 53.

« C’est maintenant le jugement de ce monde » : ces paroles expriment formellement une dimension cosmique de Mystère de la Croix.

Par les paroles qui suivent, Jésus nous apprend que par sa Passion, le Christ « a jeté dehors le prince de ce monde »

Enfin, Jésus s’inspire avec discrétion de la scène du Serviteur souffrant. Jésus dit qu’il sera « élevé de terre ». Il s’inspire dans ce langage d’Isaïe 52 13. Quand il ajoute, qu’élevé de terre, il attirera tous les hommes à lui, il ne fait que reprendre en des termes différents, cette idée traduite avec tant de force : la mort sacrificielle du Serviteur aura une efficacité inouïe s’étendant à l’humanité entière.

 

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Le sens de l’agonie au jardin des oliviers

 

La signification de l’agonie de Gethsémani

 

Quelles que soient les particularités propres à chaque récit évangélique sur l’agonie,  nous avons vu celui de saint Marc et les allusions de saint Jean, on retrouve cependant dans chacun les mêmes données de base auxquels est liée la signification foncière de l’agonie : l’heure, la coupe, la prière si angoissée et en même temps si étonnamment filiale de Jésus, la tentation ainsi que la vigilance priante qu’elle impose, et enfin la référence à l’oracle du Serviteur souffrant d’Isaïe 53 qui nous enseigne sur les souffrances et la mort expiatrice du Serviteur de Dieu.

C’est le sens fondamental de l’agonie que nous voulons étudier  maintenant.

 

Quel est le sens de l’épreuve de Jésus au jardin de Gethsémani ?

 

A-  Les différentes explications de l’épreuve de Jésus.

Il faut tout d’abord souligner le caractère étrange de cette souffrance.

Quand Jésus, avec ses disciples, prend la route de Gethsémani, il est paisible et abandonné au plan divin. Quand il se met en prière, subitement et sans aucune cause extérieure, une angoisse indicible fond sur lui. Elle dure aussi longtemps qu’il prie. Elle le quitte quand ceux qui veulent l’arrêter apparaissent à l’horizon. Alors de nouveau et sans cause extérieure, Jésus redevient calme et abandonné au plan divin : « L’heure est venue; voici que le Fils de l’homme est
livré aux mains des pécheurs. Levez-vous, allons ! Voici que celui qui me trahit est proche …Comme contre un brigand, vous êtes sortis avec des glaives et des bâtons pour me prendre ! Chaque jour j’étais près de vous dans le temple, où j’enseignais, et vous ne m’avez pas arrêté; mais c’est afin que les Ecritures s’accomplissent
 ».

Ainsi on peut en déduire qu’il y a un drame propre à Gethsémani, bien circonscrit dans l’espace et dans le temps.

Alors quelle est la cause de l’immense tristesse éprouvée par Jésus ?

Diverses réponses ont été données.

On a mis en avant la peur de la mort, l’expérience de l’abandon de Dieu, puis l’intervention des puissances mauvaises cherchant à détourner Jésus  de la voie de la Croix

Toutes ces réponses n’épuisent pas le mystère.

La seule réponse digne du mystère, c’est de voir dans cette agonie son lien et l’application en Jésus de la prophétie du Serviteur souffrant d’Isaïe au chapitre 53 dont vous avez eu le texte dans la première conférence.

Examinons tour à tour ces réponses.

L’agonie de Jésus et la peur de la mort.

Pour certains, la sujet de la tristesse de Jésus, c’est avant tout sa Passion et sa mort. Ce serait la vérité et la réalité de l’humanité de Jésus qui serait révélée ici. Le Christ, en effet dans le Nouveau Testament, ne s’est pas mis au dessus des hommes ses frères. Il a connu la fatigue, la soif, la faim. Il faut garder cette idée que,  à Gethsémani,  l’humanité de Jésus apparaît mieux que partout ailleurs. Aussi n’est-il pas étonnant que l’homme Jésus, prévoyant la somme inouïe de souffrances qui lui était réservées, ait frémi quand il s’est trouvé sur le point d’affronter un destin aussi cruel ? Il faut penser aux souffrances physiques mais aussi et surtout aux souffrances morales causées par l’abandon de ses disciples. Il faut songer à la trahison de Judas et aux infamies dont le Christ sera la victime au cours de sa Passion et de l’histoire de l’Eglise… parce qu’on ne peut refuser de faire ici intervenir la préscience que Jésus avait de l’avenir : elle ne pouvait qu’augmenter son tourment.

Toutefois la simple peur de son cruel destin ne peut être l’explication. N’avait-il pas manifesté, quelques temps avant, la soif qu’il avait de mourir sur le bois de la Croix. Souvenez-vous du récit de la confession de Césarée. Saint Pierre confesse la messianité et la divinité de Jésus. Sur cette profession de foi, Jésus lui remet  en ses mains les clefs du Royaume de Dieu : « Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon église ». Tout de suite après, Jésus annonce sa Passion. Saint Pierre, fort de promesses de Jésus de lui remettre les clefs du Royaume proteste : « A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera pas ». Jésus alors, comme irrité dans son projet de souffrir, lui dit, d’un ton véhément : Arrière, Satan, tu m’es un occasion de scandale ». Alors d’où vient que maintenant, alors que l’heure est éminente, Jésus voudrait s’y dérober ? La peur de la mort ne peut être le sens de son agonie

D’autant plus, que Jésus, dans sa prédication, a enjoint ses disciples à ne pas craindre la mort physique : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne sauraient tuer l’âme ; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l’âme et le corps » (Mt 10 28). Cette leçon a parfaitement été appliquée par les martyrs. Je pense plus particulièrement au martyr de Saint Ignace d’Antioche, sa lettre aux Romains. Ce n’est donc pas la crainte de la mort qui angoisse le Christ à Gethsémani. Il ne convient pas que le Maître se montre plus faible que ses disciples.

Disons que cet événement de Gethsémani a une portée essentiellement messianique et qu’il faut la mettre en relation pour la bien comprendre avec la description par Isaïe du Serviteur souffrant. Jésus est le Sauveur du monde.

Mais poursuivons l’examen des explications données, celle de l’expérience de l’abandon du Père.

L’agonie de Gethsémani et l’expérience de l’abandon du Père et de sa colère.

Plusieurs ont soutenu que, dans l’agonie de  Gethsémani, c’est la peur, voire l’expérience de la malédiction du Père et l’abandon de son Père qui serait la cause de l’angoisse de Jésus. Il aurait été l’objet de la colère de Dieu. Il aurait souffert à Gethsémani au titre de la justice vindicative. A Gethsémani, le Christ aurait alors souffert du courroux de son Père et comme les peines analogues à celles de damnés. Un Dieu courroucé se venge contre son Fils de nombreux crimes – dont Il est pourtant innocent –  au point de provoquer en lui des sentiments de déréliction et quasi de damnation. Dieu, assoiffé de vengeance, ferait retomber le châtiment dû aux coupables sur une victime involontaire.

Cette explication fait horreur.

Ce n’est pas au titre de la justice vindicative que Jésus va souffrit. Cette justice ne peut s’exercer que sur des coupables, jamais sur des innocents et doit donc être écartée des rapports du Père à son Fils, même au cours de sa Passion. La justice divine resplendit-elle quand même en Jésus souffrant au jardin de Gethsémani ? Oui. Mais c’est une justice qui est toute de miséricorde. Jésus souffre non pas pour ses propres péchés  – Il est l’innocence même – mais pour ceux du genre humain. Il est victime de propitiation pour nos péchés, oui, mais au titre de l’amour miséricordieux, non de la justice vindicative. Nous retrouvons la théologie du Serviteur souffrant d’Isaïe. Le serviteur souffrant d’Isaïe 53 est une victime volontaire qu’une générosité inouïe a poussé à se solidariser avec le pécheur. Seule l’amour peut inspirer de jouer un tel rôle. Librement, par amour,  le Christ s’est livré pour nous et tandis qu’il se livrait ainsi, il était plus que jamais, à Gethsémani, pourrait-on dire, l’objet de la tendresse du Père : « Si le Père m’aime, c’est que je donne ma vie pour la reprendre » (Jn 10 17). Tel est le point essentiel des récits évangéliques de l’agonie. Jésus prie avec angoisse mais il opte librement pour l’accomplissement de la volonté de son Père et cela jusqu’au bout. Ce choix entièrement libre est la preuve la plus éloquente de son double amour pour son Père et pour nous.

Toutefois si l’on veut garder l’idée que Jésus eut à Gethsémani à souffrir de l’idée de la  mort, et que l’agonie soit liée à la pensée de la mort, ce qui fait horreur à Jésus, ce n’est pas la mort conçue comme un simple accident biologique, mais la mort en tant qu’elle est signe du péché, donc de la révolte de l’homme contre Dieu et séparation d’avec Dieu.

L’agonie de Jésus, épreuve messianique

Non pour trouver la vraie signification de l’agonie de Jésus, il faut se situer résolument sur le terrain messianique
La manière la plus exacte de comprendre l’angoisse de Jésus au jardin des Oliviers, c’est de renoncer à l’interprétation uniquement comme simple épreuve personnelle : soit la terreur éprouvée par Jésus à la pensée de sa mort ignominieuse imminente, soit même l’expérience amère que la mort, non voulue par Dieu pour l’homme aux origines, est le signe du péché et de la révolte contre Dieu. Nous devons voir dans le drame de Gethsémani avant tout une épreuve messianique qui fait du Christ la victime volontaire des péchés de l’humanité

Ce qui fonde une telle explication, c’est cette vérité incontestable que celui qui souffre au jardin des Oliviers n’est pas un homme ordinaire, ni même le plus grands des saints, mais le Fils de l’homme- Serviteur qui porte le poids des péchés du monde. Certes le mystère de la souffrance du Christ reste entier. Mais, de cette façon, le drame du Christ, sa tristesse nous est rendu plus intelligible. Il se trouve transporter du domaine psychologique sur le terrain de la doctrine rédemptrice : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui enlève les péchés du monde ».  Il expie les fautes de tous les hommes dans l’espace, et dans le temps. De quoi s’effondrer la face contre terre. Ajoutons encore à cela la prescience de Jésus que tant de souffrances rédemptrices resteront sans fruit pour un grand nombre d’homme en raison de leurs endurcissements. La prévision de l’échec de la rédemption dut être une des douleurs les plus vives du cœur infiniment aimant du Sauveur du monde.

Cette doctrine du sens messianique de l’agonie de Jésus est suggérée par la lettre même du récit de l’agonie, notamment, avons-nous dit, par les termes d’heure, de coupe ainsi que la formule de Mc 14 41 : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs ». Relisez le récit du Serviteur souffrant d’Isaïe 53.

 

 

 

 

 

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