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Entraide et Tradition

Un compte-rendu d’un beau congrès

publié dans regards sur le monde le 31 mai 2018


(Source: Correspondance européenne | 351 Famille

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Italie : à Rome, la voix de la famille s’est levée

Organisé par l’association Voice of the Family, le « Rome Life Forum » s’est tenu à Rome ces 17 et 18 mai 2018, préludant à la Marche pour la vie du samedi 19. Ce congrès, consacré à la défense de la famille traditionnelle, se penchait plus particulièrement cette année sur le rôle et les limites de la conscience personnelle dans la morale familiale.

Inauguré en 2014, le congrès était jusque là réservé à un nombre restreint de spécialistes. Cette année, pour sa cinquième édition, il a ouvert ses portes au grand public. Près de 200 personnes – dont le cardinal Burke, Mgr Schneider et Mgr Viganò, ancien nonce apostolique aux États Unis – ont pu écouter pendant les deux jours les conférences qui se sont suivies avec un rythme assez serré dans l’amphithéâtre de l’Angelicum.

Après les discours d’ouverture de John-Henry Westen, directeur du site LifeSiteNews et modérateur de la journée, et du Directeur de l’Angelicum, le père Michal Paluch, le congrès a commencé le 17 mai par une intervention très érudite du père Thomas Crean OP, professeur de théologie issu de l’Institut catholique de Toulouse. Après avoir rappelé la notion thomiste de la conscience et critiqué les distorsions subies par cette notion dans la théologie contemporaine, le dominicain – en s’appuyant surtout sur la question 88 de la IIaIIæ de la Somme théologique et sur le traité De veritate – a essayé d’imaginer ce que répondrait saint Thomas d’Aquin à certaines objections contre la culpabilité d’une conscience erronée très répandues aujourd’hui, en visant en particulier des déclarations récentes d’un archevêque américain et d’un article de la Revue thomiste. Sollicité par une question qui lui demandait une application de ces principes à la situation actuelle, il a ajouté que si les autorités ecclésiastiques, par des organes magistériels non infaillibles, professaient une position erronée et déjà condamnée par l’Église, un catholique serait en conscience tenu de les refuser, comme c’est le cas pour Amoris lætitia.

Isobel Camp, professeur de philosophie à l’Angelicum, a ensuite parlé de la crise contemporaine de la vraie notion de conscience en suivant l’encyclique Veritatis splendor du pape Jean-Paul II. Elle a conclu en suscitant de vifs applaudissements de la part des auditeurs, rappelant qu’il était impossible, à la lumière de la doctrine catholique, d’accéder à la communion pour qui vit en situation d’adultère.

Ce fut ensuite le tour de John Smeaton, représentant de la Society for the Protection of Unborn Children, de prendre la parole. Celui-ci a rappelé d’une manière claire et incisive l’histoire de la bataille pour la vie en Irlande. Dans ce pays d’ancienne tradition catholique, se sont en effet tenus deux référendums – en 1992 et en 2002 – visant à approuver une loi légalisant l’avortement, mais dans les deux cas les défenseurs de l’avortement ont subi une défaite retentissante. Monsieur Smeaton a cependant dénoncé la scandaleuse attitude des évêques dans ces circonstances, lesquels, à quelques exceptions près, tout en laissant les catholiques libres d’agir « selon leur conscience », les ont invités à voter en faveur de cette loi homicide sous prétexte qu’elle garantissait un meilleur contrôle de l’avortement. Il a également raconté avoir personnellement contacté le cardinal Alfonso López Trujillo, à l’époque président du Conseil pontifical pour la famille, pour protester contre cette prise de position, sans recevoir la moindre réponse. Quelques années plus tard, cependant, il eut l’occasion de le rencontrer personnellement et d’entendre de sa bouche les paroles suivantes : « Vous aviez raison, pleinement raison. Mais si je m’étais exprimé publiquement comme vous le demandiez, il y aurait eu une fracture énorme dans l’Église ». En conclusion, il a invité à prier pour le référendum du 25 mai 2018, par lequel les irlandais ont dû s’exprimer une fois de plus sur la question de la légalisation de l’avortement. « Si en 2018 l’Irlande, pays que tout le monde considère catholique, défie la loi de Dieu, cela sera perçu comme une défaite de l’Église catholique toute entière et la même chose pourra également arriver dans d’autres pays », a conclu Mr Smeaton.

L’abbé Linus Clovis, aumônier de l’association Family Life International, a ensuite pris la parole à propos de l’apparition de Notre-Dame des « Tre fontane » et ses liens avec les apparitions de Fatima. A ce sujet, il a considéré que les autorités ecclésiastiques actuelles étaient trop sceptiques, et que, par conséquent, elles méprisaient le message de Fatima. L’après-midi du 17 a été marqué par la conférence très attendue de Mgr Athanasius Schneider, lequel, à l’appui d’un grand nombre de citations tirées des Pères de l’Eglise, de saint Ignace, saint Thomas d’Aquin, du cardinal Newman et des papes (surtout Léon XIII, saint Pie X et Pie XII) a expliqué que la vie chrétienne ici-bas est un combat, car la religion catholique est la seule vraie, ce qui réclame une lutte contre les ennemis de l’Église. L’évêque s’est surtout attardé sur l’analyse de la crise de la foi et des principes de la société moderne dressée par Saint Pie X, et en la rapportant à celle de Jean XXIII dans le discours d’ouverture de Vatican II, il a commenté ainsi : « Comment Jean XXIII, étant donné que la situation à son époque avez même empiré par rapport au temps de Saint Pie X, a-t-il pu manifester autant d’optimisme ? Cela restera toujours pour moi un mystère».

Mais comment adapter ce combat à la situation d’aujourd’hui ? Comment rester fidèles à Pierre, si Pierre lui-même n’est pas fidèle au Christ ? À cette question posée par l’un des auditeurs, Mgr Schneider a invité à maintenir un regard surnaturel sur l’Église et même sur la papauté. Le pape, a-t-il expliqué, est sans doute le vicaire du Christ, mais il est également, lui aussi, un baptisé et a donc les mêmes devoirs que tous les baptisés : renoncer à Satan, professer la foi…. Quand il n’accomplit pas – ou qu’il l’exerce d’une manière infidèle – sa charge de successeur de Pierre, si nous lui résistons, il ne faut pas nous considérer comme des « ennemis » du pape, mais bien plus comme ceux qui l’aident, tout comme les fils d’un père égaré l’aideraient à accomplir fidèlement sa charge. « Si vos pasteurs ne vous confirment pas dans la foi », a-t-il conclu, « dites-leur simplement : “Excellence, Saint-Père, je suis catholique et prêt à mourir pour ma foi. Êtes-vous prêt à mourir avec moi ?” »

La matinée du 18 a été marquée par une intervention magistrale du professeur Roberto de Mattei, qui a rappelé – en se basant sur l’enseignement de saint Paul, de saint Thomas d’Aquin et du Magistère constant de l’Eglise – en quoi consiste la vrai notion catholique de l’obéissance et ses limites. La licéité, dans certains cas, de la désobéissance, loin d’être un refus de l’obéissance due aux autorités légitimes, est précisément fondée sur la vertu d’obéissance comprise dans sa vraie signification. L’historien n’a pas manqué de mentionner des exemples tirés de l’histoire de l’Église, tels ceux de la Vendée en France et des Cristeros au Mexique, mais aussi la déposition de rois et des empereurs infidèles de la part des papes, qui les considéraient déchus de leur autorité en raison de l’usage illégitime de leur propre autorité, comme le fit saint Pie V avec Elisabeth Ire en Angleterre. « Si saint Pie V avait suivi les principes que Jean XXIII et Paul VI ont suivi avec l’Union Soviétique », a-t-il commenté, il « aurait dû agir bien autrement. Mais, lui, oui, gouvernait l’Eglise en se fondant sur des principes surnaturels ».

Mais aujourd’hui, a-t-il poursuivi, nous vivons un drame bien majeur que celui des siècles passés, car aujourd’hui les ordres illicites viennent des évêques et du pape lui-même. Comment doivent se comporter les fidèles dans une telle situation ? La réponse du professeur est très nette : tout comme saint Paul résista à saint Pierre, qui lui était pourtant supérieur, ainsi nous avons le devoir de résister, même publiquement, au successeur de saint Pierre. Le concile Vatican II et le post-concile, a-t-il expliqué, posent aux catholiques de vrais problèmes de conscience. Dans ce contexte, nous avons le droit et le devoir de nous en tenir à ce que l’Église a toujours enseigné et pratiqué : « Aucun prêtre – a-t-il précisé – ne peut être légitimement obligé de célébrer la nouvelle messe ni empêché de célébrer l’ancienne, tout comme personne ne peut être obligé à se résoudre à un accord avec un régime communiste (hier la Russie, aujourd’hui la Chine). Si, ce faisant, on nous accuse d’être schismatiques, il faut retourner l’accusation à l’envoyeur ». Dans les réponses aux différentes questions, le professeur de Mattei a finalement exhorté les gens à se séparer des mauvais pasteurs, à ne plus fréquenter des paroisses où on enseigne des fausses doctrines et à aller à la recherche de prêtres fidèles qui transmettent la doctrine de toujours.

Ce fut ensuite le tour de Matthew McCusker, spécialiste en histoire de l’Église, d’intervenir. Il a exposé les limites de l’obéissance à l’autorité pontificale à la lumière de l’enseignement du cardinal Newman. « Ce qui au XIXe siècle était considéré comme undeliramentum », a-t-il dit, « à savoir la liberté de conscience, est devenu aujourd’hui la normalité». Il a également précisé qu’il ne s’agit nullement de mettre en question le rôle central de la papauté dans l’Église, mais simplement, de la situer dans son juste contexte et ses justes limites, que nous constatons spécialement à partir du Concile Vatican II. Et il a conclu en citant la fameuse maxime de Newman: « Je boirais à la santé du pape, croyez-le bien, mais à la conscience d’abord, et ensuite au pape ».

Le témoignage du professeur Stéphane Mercier fut un des plus touchants. Celui-ci a relaté son histoire personnelle : il était encore il y a un an professeur de philosophie à l’Université catholique de Louvain et dans une école gérée par des jésuites. Ensuite, l’Université catholique (sic !) de Louvain le destitua de sa charge en avril 2017 pour avoir invité ses étudiants à réfléchir sur un argumentaire philosophique contre l’avortement, puisque – ce furent les incroyables paroles des représentants de l’Université – « nous ne croyons pas qu’on puisse affirmer que tout avortement est un homicide » et qu’ils estimaient inopportun d’aborder un sujet si délicat. Les jésuites pour leur part l’ont renvoyé de leur école après avoir appris qu’il avait cosigné la «Correctio filialis» adressée au Souverain Pontife. Ainsi, jeune marié et bientôt père d’un enfant, il se retrouve aujourd’hui, malgré ses titres et sa brillante carrière, sans travail pour avoir soutenu que l’avortement était un crime et que ceux qui vivaient en concubinage n’avaient pas le droit de recevoir la communion : « Comme vous le savez, a-t-il ironisé, la miséricorde coûte cher ! ». Il s’est attaqué alors aux évêques de son pays, qui ont appuyé la décision de l’Université : « Les évêques actuels n’ont pas d’épine dorsale. Aujourd’hui, ne pas dénoncer le mal signifie en être complice. Nous n’avons pas besoin de pasteurs lâches. Nous avons besoin de pasteurs prêts à lutter comme David contre Golias. Mais où sont les David ? Ils sont trop peu nombreux ! En tant que catholique romain, je me sens trahi par tous ces évêques qui après soixante années de sécularisation, nous parlent encore de liberté religieuse, qui appuient les mouvements LGBT… de ces Papes qui interdisent la messe de nos aïeux, qui baisent le Coran… ! Moi, qui suis-je ? Je suis un des petits dont parle Jésus dans l’Évangile, un de ces petits scandalisés par les pasteurs». A ce moment-là, tous les présents se sont levés et ont manifesté leur solidarité par une véritable ovation.

Les travaux de la dernière demi-journée ont débuté par une intervention de Mgr Livio Melina, professeur de théologie morale et disciple du cardinal Caffarra. Le professeur a stigmatisé le « changement de paradigme » pour lequel se battent les progressistes en matière de morale, ainsi que ce qu’il a appelé « l’herméneutique du discernement au cas par cas » qui s’est diffusée depuis Amoris lætitia pour discréditer l’enseignement des papes précédents, car « Amoris lætitia représente un enseignement partiel, puisqu’il contient des expressions qui doivent être intégrées, interprétées et même corrigées ». « La voie de la casuistique ainsi entendue, la voie du cas par cas, c’est la voie des pharisiens », a-t-il conclu : « Ce n’est donc pas d’un changement de paradigme que nous avons besoin, mais d’une conversion du cœur afin que notre conscience s’ouvre à la vérité et la réalise dans nos actions ».

Le congrès a été clos par l’intervention du cardinal Raymond Leo Burke sur « le Règne du Christ à travers son Sacré-Cœur ». Le Cardinal a critiqué une fausse idée très répandue aujourd’hui : la conscience, a-t-il expliqué, n’est pas formée des désirs et des opinions de chaque individu, mais de la vérité, qui purifie les désirs et les opinions de chaque individu. « La royauté du Christ n’est pas seulement pour certains fidèles, mais bien pour tous, ni non plus seulement pour les catholiques, mais pour tous les hommes. Il y a un devoir social de professer la religion et un devoir moral vis-à-vis de la vraie religion ». Et cette vérité, a-t-il ajouté, vaut même encore plus dans une société pluraliste, car « la vérité n’est pas pluraliste. La vérité est unique. La royauté sociale du Christ est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Le pluralisme n’appartient pas à notre Credo ». Et quoiqu’on en dise aujourd’hui, « la liberté de religion ne consiste pas en la liberté de pratiquer des fausses religions ».

Dans les réponses aux questions, le cardinal Burke s’est livré à quelques considérations sur le prochain Synode sur la jeunesse : « S’il n’y a pas une conversion des cœurs, il est probable qu’il y aura de nouveaux problèmes. Et si on doit en juger d’après sa préparation, il a y raison de craindre que ce sera le cas. Les jeunes eux-mêmes qui ont participé à sa préparation ont l’impression d’avoir été instrumentalisés avec la diffusion de sondages selon lesquels ils auraient besoin de nouveaux changements dans la doctrine morale de l’Église. Mais des sondages plus véridiques nous révèlent que c’est d’autres choses que les jeunes ont besoin : par exemple, les jeunes demandent la Messe tridentine ». (Abbé Angelo Citati FSSPX)

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