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Entretien avec le Général NOUGAYREDE

Entretien avec le Général NOUGAYREDE

publié dans doctrine politique le 26 juillet 2010


13 juillet 2010
Entretien avec le Général NOUGAYREDE

CIVITAS : Mon Général, pourriez-vous prendre la peine de vous présenter ?

Vous commencez par la question la plus difficile et je n’ose pas m’en sortir par cette boutade : Qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ? Je suis moi, je suis là et je rentre chez moi. Pourtant cette suite de réponses (de Pierre Dac qui n’est pas de nos idées mais qui ne manque pas de pertinence) est plus profonde qu’il n’y parait.

Je suis, en effet, ce que je suis, héritier d’une culture transmise par une famille unie ancrée dans les vieilles traditions françaises originaire du Sud-ouest paysan et catholique, plutôt à droite, par mon père et d’un savant mélange de Lyonnais matinée de Rémois, artistes et d’un centrisme convenable par ma mère. Rien de bien original dès lors que je suis né en 1952, époque où la société était encore ordonnée et les familles stables.

Bien que pur produit de l’école « laïque et obligatoire », j’ai le souvenir d’instituteurs (et d’institutrices) et de professeurs de grandes qualités tant morales que pédagogiques avant comme après mai 68 que j’ai vécu intensément à Paris à l’âge des premiers émois et des premiers engagements. Mais ils n’ont été qu’un feu de paille, car, depuis les temps de prime jeunesse, la vocation militaire, assez originale dans ma famille si l’on excepte les périodes de guerres mondiales, m’attirait vers Saint-Cyr et une carrière de soldats que j’espérais digne de mes grands anciens d’Indochine et d’Algérie dont les exploits ont bercé mon adolescence et suscité les rêves de gloire les plus fous.

Cependant n’oublions pas les premiers prémisses de la « crise de l’Eglise » que j’ai vécue comme une fidélité aux principes que j’avais appris aux scouts et au catéchisme et comme une marque d’indépendance face au conformisme ambiant et, somme tout assez ridicule (nous nous sommes fait « chasser » de notre paroisse pour avoir critiqué les messes des jeunes, le service de l’autel par les jeunes filles et les horribles chemises rouges que l’on nous imposait). J’ai eu alors la chance de connaître tous les « Grands » de la traditions du début des années 70 et, plus intimement, monsieur l’Abbé Choulot, curé de Négrepelisse, qui m’a profondément marqué. Voilà fondamentalement ce que je suis.

Maintenant mon parcours est indiscutablement marqué par 35 ans de vie militaire avec sa grandeur (je m’en doutais) et ses servitudes (je les ai découvertes). En fait toute une vie d’homme passée sous les drapeaux au service de la France dans des postes de commandement au sein des unités de la légion Etrangère et dans les états-majors, essentiellement opérationnels, en France métropolitaine, outre-mer et à l’étranger. Une vie bien remplie, passionnante mais très prenante, où confronté à des situations de crise, voire de guerre ouverte comme en Irak en 1990, je n’ai même pas eu le temps, et peut-être le goût, de m’interroger sur le bien fondé de nos interventions. En revanche, ces « interventions » m’ont confirmé ce que mes lectures et réflexions passées m’avaient enseigné sur la forme de guerre à laquelle l’occident est confronté. Nous sommes, sous une forme qui a évolué, en face de guerres, même larvées, de type subversive, voire pour certaines révolutionnaires.

Sous forme de confidence, je peux vous avouer qu’il m’a fallu relire l’excellent livre de Jean de Viguérie (Les deux patries) et que j’en ai vraiment compris le sens et mesuré la portée sur ma propre vie qu’une fois avoir posé le sac. Ce qui n’était qu’ambiguïté dans le feu de l’action est devenu limpide dans le calme de la réflexion. Mais nous reviendrons sans doute sur cette opération de subversion de la notion de Patrie qui m’apparaît comme une donnée fondamentale de l’explication de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Enfin, pour revenir à ma modeste personne, comme mon Bon Ange m’a volé ma télévision il y a plus de 20 ans, j’ai succombé, sans aucune mesure, à un vice qui n’était alors qu’embryonnaire : les livres. Et depuis lors, je navigue dans une bibliothèque de quelques 7000 ouvrages où se côtoient une grande documentation sur la guerre d’Algérie, nos auteurs classiques (Brasillach, Béraud, Maurras, Daudet, Bainville, La Varende, Jacques Perret …), les classiques de demain (Raspail, Blondin, Brigneau…), la crise de l’Eglise et bien sûr des livres sur la guerre car on ne peut renier 35 ans d’une vie. Cette passion est si prenante que j’ai décidé de la faire partager en proposant des livres d’occasion sur catalogue. Je suis donc aujourd’hui libraire « spécialisé » dans ce qui m’a fait tel que je suis et dans ce que j’aime.

Pour être complet, il me faut répondre à la question où vais-je ? Et bien la réponse est simple, je m’efforce d’être dans les meilleures conditions possibles pour rejoindre la « maison du père » en essayant de me rendre utile pour ce qui me reste d’existence.

Ah oui, j’oubliais (mauvaise déformation du militaire : métier d’abord), et je suis impardonnable car c’est sans aucun doute, la meilleure chose qui me soit arrivée : nous avons, mon épouse et moi, 8 enfants dont une petite dernière de 9 ans.

CIVITAS : Comment définiriez-vous la subversion ? Pourriez-vous donner des exemples précis pour illustrer cette définition et éclairer nos lecteurs ?

Décidément toutes vos questions sont difficiles car je ne voudrais pas tomber dans la réponse type question de cours, il y a, pour cela, des ouvrages de référence qui sont remarquables.

La subversion, c’est un peu comme Obélix et sa potion magique, nous sommes tombés dedans quand nous étions petits. Elle est dans la nature du « monde », Satan l’a introduit dans la pensée des hommes. Il y a indiscutablement un grand complot utilisant les techniques de subversion, celui du prince de ce monde pour nous détourner de notre véritable vocation. Mais ceci étant dit je n’ai pas répondu à votre question sauf pour vous dire que la subversion est vieille comme le monde. Pour tenter une définition je dirais que la subversion est une technique qui consiste, par l’entrisme, à pervertir progressivement les valeurs surnaturelles de l’homme jusqu’à les détourner de leurs véritables fins afin de les inverser. C’est une technique douce, homéopathique, qui ne nie pas frontalement la Vérité, attitude qui peut conduire au rejet de la méthode, mais qui modifie, progressivement et subrepticement, les références culturelles, morales et spirituelles qui conditionnent l’accès à la Vérité. C’est tout le système immunitaire de la conscience qui est alors touché, l’homme est ainsi très malade, en danger de mort spirituelle, et il ne s’en rend même pas compte. Elle est d’autant plus redoutable qu’elle ne crée pas de nouveau concepts mais joue sur les mots pour transformer radicalement les concepts anciens et usuels.

Amusez-vous à prendre une liste de mots (force, ordre, guerre, Patrie, par exemple) et faites la comparaison entre le sens donné il y a encore quelques temps, sa forme usuelle, et celui qu’il convient de lui donner aujourd’hui dans le jargon de notre « élite », vous y constaterez des différences considérables inversant la perception des concepts. Force est confondu avec brutalité ; l’un est une vertu, l’autre un défaut. Ordre est confondu avec inégalité ; l’un est une protection, l’autre une oppression ; Guerre est confondue avec conflit, l’un est un état extra-naturel, l’autre est dans la nature de l’homme depuis le péché originel ; Patrie est confondu avec valeurs ; l’un est une réalité concrète, l’autre est une abstraction artificielle. Et il en va ainsi de beaucoup de mots qui conditionnent notre vie en société et nos attitudes face à des évènements. Cette démarche n’est pas innocente et, contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire, elle n’est pas due à une évolution naturelle du langage. Elle vise à affaiblir notre capacité de résistance.

Poursuivons notre petite étude : Si la force est une forme exacerbée de la brutalité, pourquoi admettre qu’une partie d’entre nous soit dépositaire de la force ? Donc plus d’armée et plus de police. Si l’ordre oppresse et ne libère pas, pourquoi admettre qu’il existe une hiérarchie et que celle-ci doit être respectée ? Si la guerre n’est qu’un conflit, pourquoi contraindre et non rechercher systématiquement la négociation ? (A noter qu’à l’inverse si le conflit c’est la guerre, alors pourquoi ne pas contraindre son voisin à penser et agir comme nous ?). Enfin si la Patrie n’est qu’une somme de valeurs alors pourquoi ne pas envisager une patrie universelle libérée des contingences culturelles propres à chaque pays ? La modification de la compréhension de simples mots peut conduire très loin dans le sens voulu par la Révolution.

Toutefois, il faut maintenant faire la différence entre Subversion et Révolution. La Révolution, au contraire de la Subversion, en s’appuyant sur une idéologie exogène à la société (la lutte des classes, le matérialisme, le communautarisme, universalité des droits de l’homme, le progrès, la lutte pour la sauvegarde de la planète), mais plausible bien que contraire à la Vérité, et dont l’acceptation de principe est préparée par un conditionnement résultat de la Subversion, impose la modification des concepts par la méthode des conflits dialectiques (voire les pages 117 et suivantes de l’excellent livre de Jean-pierre Nicolas sur la guerre révolutionnaire pour y puiser les exemples). Elles sont donc, en fait, inséparables et agissent de conserve car elles sont rigoureusement identiques dans leur finalité. Elles s’avèrent stratégiquement complémentaires même si les tactiques semblent souvent s’opposer.

Qu’en est-il de la guerre ? « La guerre est un prolongement de la politique par d’autres moyens », moyens que nous qualifierons de plus radicaux. La subversion et la révolution dans leur forme permanente s’inscrivent dans le cadre du conflit politique ; en revanche, face à une opposition radicale, elles peuvent basculer dans un cadre tactiquement plus ouvert celui que leur offre l’état de guerre (voir mon petit exposé dans le numéro 34 de la revue Civitas).

CIVITAS : Pour créer une élite intelligente et sérieuse dans le but de changer la donne politique, il faut plus ou moins 25 ans. Le pays peut-il attendre toutes ces années ? De même, comment former les jeunes générations quand nous voyons la faillite de l’éducation nationale ?

Personnellement, je ne crois pas à la création d’une élite sorte de phalange capable d’influer sur les évènements soit par entrisme, soit par un activisme direct. En revanche, je crois à la formation des élites naturelles.

Je m’explique. Je crois que Dieu a mis chaque homme à sa place en lui donnant les moyens d’accomplir sa tâche (les fameux talents de l’Evangile). Sans créer de hiérarchie de valeur, Il a posé comme principe fondamental que certains hommes possèdent les dons nécessaires au commandement et qu’il leur appartient de les faire éclore puis fructifier (tout pouvoir donné sur la terre vient de Dieu). Cette charge ne doit pas être considérée comme un privilège qui donne des droits pour accumuler les biens de ce monde mais comme un service de charité contraignant pour faire en sorte que chacun puisse s’épanouir c’est-à-dire que chacun puisse disposer des biens de ce monde pour parvenir le plus sûrement possible au degré final de son épanouissement : la vie éternelle. Pour y parvenir, l’homme a besoin d’ordre, d’harmonie et d’équilibre dans ses rapports avec les autres (son prochain) et d’un certain confort matériel qui lui est indispensable pour vivre. C’est, à mon sens l’objet, de la politique, en tout cas, celle que nous devons promouvoir.

Cette élite nécessaire existe, il faut la détecter et lui donner les moyens d’accomplir sa vocation. L’histoire de France est semée d’êtres exceptionnels qui semblent sortir du néant pour sauver le pays. Si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit très vite qu’ils ont été formés à cette tâche.

L’idéal serait donc de pouvoir donner à tout le monde en général et à chacun en particulier les moyens de prendre sa place dans la société telle qu’elle est voulue par Dieu. Mais à l’impossible nul n’est tenu, alors formons ceux qui nous sont les plus proches en espérant qu’il y a parmi eux les élites de demain et que par les grâces que dieu voudra bien leur donner ils seront en mesure de remplir leur mission. Ce sera long car je reste persuadé, et ma petite démonstration sur la subversion semble nous le prouver, que le combat est aujourd’hui culturel et spirituel pour rectifier les erreurs et redonner aux mots leur véritable sens compris et accepté par tous. Il faut, dans ce domaine, rendre hommage aux familles et à tous ceux qui œuvrent dans nos écoles, sans pour autant jeter l’anathème sur l’ensemble des professeurs de notre éducation dite nationale. Mais il faut aussi souligner le rôle que doivent jouer les instituts de type Civitas et la place qu’ils doivent prendre dans cette lourde responsabilité : la formation des jeunes et des moins jeunes, « En politique, le désespoir est une sottise absolue » (Charles Maurras). Il ne nous appartient pas de fixer les échéances même si chacun espère voir un jour le renouveau de notre Patrie. « Les gens d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire » (sainte Jeanne d’Arc). Notre rôle est de « nous dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté » (prière des scouts) d’autant que nous sommes sûrs de la victoire.

CIVITAS : En 1905, les officiers qu’ils soient catholiques ou non, ont dans une écrasante majorité participé à la deuxième spoliation de l’Eglise. Comment l’expliquez-vous ?

Il faut se garder de tout anachronisme et ne pas juger les hommes qui ont fait l’histoire en dehors du contexte. De plus, « l’écrasante majorité » n’est pas, pour nous, une référence absolue. Nous savons qu’une petite minorité peut racheter l’ensemble en sauvant l’honneur et en « brisant son épée ». Ce qui fût le cas.

Si j’en crois Raoul Girardet dans son ouvrage de référence « la société militaire de 1815 à nos jours », et je le tiens pour un spécialiste sérieux et bien documenté, l’affaire n’a pas été aussi simple. C’est une armée épurée et conditionnée par les quatre années passées par le fameux général André au ministère de la guerre qui se trouve confrontée à ce véritable problème de conscience. Enfin, pour certains, car, il ne faut pas oublier que l’avancement dans les grades supérieurs est, à cette époque, conditionné par le niveau de conscience républicaine (affaire des fiches) et que pour les officiers des grades subalternes, destinés à la mise en œuvre des mesures de spoliation, l’honneur militaire qu’ils assimilent à l’obéissance est à peu tout ce qui leur reste. Il faut les comprendre surtout si l’on tient compte du nombre important de démissions qui ont été recensées de leur part après avoir rempli la mission.

Enfin, il ne faut pas faire d’angélisme et bien comprendre que le corps des officiers n’est pas parfait par nature et qu’il ressemble, en moins accentué peut-être, à la société. Ainsi un officier peut écrire en 1911 : « Les conversions à l’idéal nouveau furent aussi nombreuses que foudroyantes ! Les néophytes brûlèrent ce qu’ils avaient adoré, cessèrent de paraître à l’église, encombrèrent les loges maçonniques, courtisèrent la République ». Dans un autre livre, « L’armée qui soufre » publiée en 1908, l’auteur fait dire à un de ses personnages : « En France où la faveur a tout gâté, lorsqu’un homme atteint une haute dignité civile ou militaire, il a généralement perdu toute énergie et toute volonté ; de concession en concession, de défaillance en défaillance, il a dépouillé une à une toutes les qualités qui font la beauté du caractère et la noblesse de l’âme. Il est marqué du risque de la servitude…Il est incapable désormais d’un acte loyal et d’une attitude fière, car il a contracté les habitudes de bassesse dont il ne peut se défaire ». Ce jugement, qui peut paraître sévère, est bien intemporel. Ceci explique cela même si ce n’est pas une excuse.

CIVITAS : De manière plus générale, est-il possible de servir un régime qui promeut la mort et tolère l’aspiration de 250 000 enfants dans le ventre de leur mère chaque année ?

Il est vrai que l’avortement est un des crimes les plus affreux de notre époque. Crime contre l’individu car dès la conception le petit homme existe même s’il vit dans un autre environnement que l’air libre (il ne viendrait à personne l’idée de ne pas reconnaître une nature humaine à l’enfant qui doit rester en couveuse quelques temps et pourtant il ne vit pas dans le même environnement que nous), crime contre la famille puisqu’il est aujourd’hui acquis qu’un tel acte déstabilise la famille toute entière, crime contre la Patrie qui a besoin de tous ces fils et filles pour prospérer, crime contre l’humanité puisqu’il y a une volonté délibérée de sacrifier une partie de cette humanité pour assurer le bien être de l’autre partie, enfin crime contre Dieu en s’arrogant le pouvoir de réguler Sa création. Certes, il y a d’autres crimes mais celui-ci n’a pas d’excuse, il est non seulement odieux, contre nature, mais également suicidaire.

Ceci étant dit sans ambiguïté, il faut bien reconnaître qu’il y a un problème à résoudre surtout si la question se pose réellement dans les termes que vous avez choisis. C’est un peu la question que pose Jean de Viguerie dans son livre cité dans la réponse à la première question. Lui ne fait pas référence à l’avortement mais à l’inversion radicale du concept de Patrie. Peut-on servir une patrie qui n’est pas, ou qui n’est plus, la nôtre ? Il est dans son rôle d’historien des idées lorsqu’il pose la question comme le moraliste est dans son rôle d’historien des mœurs quand il pose une question comme la vôtre. Leur fonction n’est pas d’exiger une réponse sans ambages, ils ne sont pas là pour juger les hommes mais pour provoquer la réflexion. La réponse appartient à la conscience et, comme nos officiers subalternes de 1905, l’obéissance à un engagement pris, que nous appelons aussi devoir d’état, est une indiscutablement une forme de réponse.

Je ne veux pas fuir votre question, ou plutôt les deux questions si l’on prend en compte celle posée implicitement par Jean de Viguerie, et je vais m’efforcer d’être clair. Dans le feu de l’action la réponse est oui car le problème ne se pose pas en ces termes. Il se résume à savoir si nous sommes utiles à notre pays et à notre prochain sans aller, en ce qui nous concerne, contre la volonté du Créateur. Il ne s’agit pas de s’abaisser à toutes les compromissions pour parvenir aux postes de responsabilité mais de remplir au mieux la mission qui nous est confiée. Et puis on se motive en se disant que le régime n’est pas le pays (ce qui est vrai car nous savons qu’il y a le pays légal et le pays réel), que l’influence, même minime, que nous exerçons est mieux que rien (ce qui est également vrai par la valeur de l’exemple), enfin on se dit que la responsabilité est individuelle, qu’elle n’est pas collective (ce qui est aussi vrai car nous ne sommes redevables que de nos actes).

Tout cela permet de vivre et travailler sereinement mais rien ne peut gommer totalement les tiraillements de la conscience. Ainsi, dans le confort de sa bibliothèque, au moment de la réflexion et du bilan, la réponse appartient uniquement à celui qui doit s’interroger sur sa vie et elle peut être tout autre. Mais quelque soit la réponse, elle ne peut en aucun cas servir de référence pour celui qui prendra sa place dans la grande chaîne des serviteurs du pays. La réponse lui incombe en propre et en particulier.

CIVITAS : L’Etat ne donne plus aux policiers les moyens de se défendre et d’assurer correctement leurs missions. Quel est votre avis sur cet état de fait ?

N’ayant pas les informations nécessaires et pour éviter la discussion du café du commerce, m’est-il possible de ne pas avoir d’avis autorisé sur les moyens donnés aux policiers ?

En revanche, ayant réfléchi sur la notion d’ordre liée à la Subversion, à la Révolution et aux guerres qui s’y rattachent, il me semble qu’aujourd’hui nous confondons aisément la justice et l’ordre. Jacques Bainville disait : « Le désordre profite parfois aux riches, jamais aux pauvres ». L’ordre, et la sécurité qui s’y greffe, sont, en effet, des biens précieux que les Pouvoirs Publics doivent assurer pour le bien-être des populations. C’est une obligation régalienne qui légitime l’autorité de l’état et qui justifie les contraintes qu’il impose en limitant la liberté individuelle. Cependant, si la fonction d’ordre doit être juste, applicable à tous sans aucune distinction, elle doit être dissociée de la justice. L’ordre se situe au niveau des principes alors que la justice est contingente. Dans l’ordre des priorités, l’ordre précède la justice. L’ordre est préventif, la justice est curative. Le maintien de l’ordre, surtout dans les circonstances où la société est devenue délétère, peut donc se résumer aussi : faire courir au délinquant potentiel un risque supérieur au bénéfice qu’il peut escompter de son délit ou de son crime. L’équité et la vertu de prudence veulent que le risque ne soit pas disproportionné tout en restant dissuasif. Il appartient ensuite à la justice de définir le degré de la sanction en fonction de la loi, des circonstances et de la personnalité des auteurs.

Les difficultés rencontrées aujourd’hui me semblent moins dus à un manque de moyens qu’à l’adhésion des responsables politiques à une philosophie permissive qui nie la nécessité de l’ordre.

CIVITAS : Depuis les émeutes de 2005, certains observateurs n’hésitent plus à évoquer le terme de guerre civile. D’autres parlent de climat révolutionnaire. Ces analyses vous paraissent-elles justifiées ou hors de propos ?

Il faut se méfier des termes employés par les observateurs car ils sont pour la plupart dévoyés de leurs sens originel et employés comme une arme de combat. Comme je le suggère dans une réponse précédente, le conflit n’est, à mon sens, pas de même nature que la guerre. Le premier, inhérent à la nature humaine, trouve sa solution dans la négociation, voire le compromis dès lors qu’il est possible et acceptable ; alors que la guerre, état transitoire qui se situe, par la violence développée, aux extrêmes des actions humaines, ne peut trouver sa conclusion que dans la contrainte issue de la volonté la plus forte. La confusion des mots, conflit et guerre, évoquée plus haut tend à banaliser la notion de guerre civile et ainsi à la rendre acceptable. Or c’est sans aucun doute, la pire des guerres qui ne peut servir que les intérêts de la Révolution et tout doit être mis en œuvre pour l’éviter.

Mais s’agit-il réellement d’une guerre civile ? Je ne le pense pas. Les réponses sont toujours du domaine politique et s’inscrivent dans le cadre des opérations de maintient de l’ordre tout au moins tant qu’une puissance étrangère ne s’impliquera pas dans le conflit. Nous risquons alors d’avoir affaire à une vraie guerre révolutionnaire.

Par contre, parler de climat révolutionnaire me semble plus fondé même si ce climat n’est pas nouveau puisqu’il remonte, sous une forme ou sous une autre, à la grande révolution de 1789. Comme nous l’avons vu, ce qui caractérise un climat révolutionnaire c’est la modification des concepts de vie en commun par une dialectique contraignante d’une partie de la population qui impose sa vision des choses à une autre partie. Cette situation peut également mener à la guerre (révolutionnaire) dès lors que la situation politique est bloquée et que les antagonismes sont exacerbés. Mais nous n’en sommes pas encore à cette situation extrême et dans ce domaine également tout doit être mis en œuvre pour redresser la situation par une affirmation sans complexe de notre identité nationale, par une refondation de nos liens sociaux et par l’esprit de charité car, qu’on le veuille ou non, nous sommes condamnés à vivre ensemble sous une loi commune qui ne peut être que celle qui a fondé et pérennisé la France.

CIVITAS : Est-ce que les catholiques doivent s’engager en politique ? Si oui comment ?

Je pense que oui. Mais encore faut-il s’entendre sur les mots. J’ai essayé de vous montrer que les mots ont une importance capitale dès lors que faire de la politique c’est convaincre et faire adhérer pour mettre en œuvre des mesures applicables et les faire aboutir. Pour faire de la politique, il faut d’abord se comprendre et donc parler le même langage. Or les mots n’ont plus, pour tous, le même sens, il faut donc revenir à une base culturelle saine et commune. Le combat politique est aujourd’hui, plus encore qu’hier, culturel. Il doit porter sur notre identité nationale dans sa forme traditionnelle. Sans ambiguïté, notre combat est contre révolutionnaire (en un seul mot). Il peut se résumer aux directives données par le Colonel Château-Jobert : la formation des esprits ; la reconstitution des liens sociaux et l’adaptation des institutions à l’ordre social chrétien. Il n’est pas défensif mais offensif. Nous ne sommes pas uniquement contre le règne des hommes sans Dieu mais pour le règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ et tant pis si nous donnons l’impression de prêcher à contre temps :

« Ce sont nos villages, nos autels, nos tombeaux tout ce que nos pères ont aimé avant nous. Notre Patrie, c’est notre foi, notre terre, notre Roi. Mais leur Patrie à eux, qu’est ce que c’est ? Vous le comprenez vous ? Ils l’ont dans le cerveau. Nous l’avons sous les pieds. Il est vieux comme le diable le monde qu’ils disent nouveau et qu’ils veulent fonder dans l’absence de Dieu. On dit que nous sommes des suppôts de vieilles superstitions : faut rire ! Mais en face de ces démons qui renaissent de siècle en siècle sommes une jeunesse. Messieurs ! Sommes la jeunesse de Dieu. La jeunesse de fidélité ! » Disait Charette.

Nous devons travailler avec toutes les bonnes volontés mais nous, Catholiques, nous avons des atouts considérables qui ne peuvent pas rester stériles, souvenez-vous de notre Sainte Jeanne d’Arc: nous ne sommes pas seuls puisque nous avons les sacrements et les grâces qui s’y rattachent, l’Eglise et la tradition nous guident dans nos démarches et surtout nous savons où nous allons, même si le chemin est difficile.

CIVITAS : Quel sera votre mot de la fin ?

Ainsi vous ne trouvez pas que j’en ai assez dit ! Mais puisque vous insistez, je vous dirai que je crois en les vertus de la lecture, du bon livre en particulier. C’est encore le meilleur moyen de se cultiver en profondeur, en suivant son rythme entre la lecture et la réflexion. Choisir un livre c’est déjà décider et faire un acte volontaire qui engage. L’acheter c’est se compromettre et, sans adhérer systématiquement, accepter le dialogue avec un auteur. L’ouvrir c’est s’extraire des précipitations du monde et faire une halte sur la route. Le lire c’est faire un effort et ainsi faire travailler son intelligence. Le finir c’est aller jusqu’au bout de sa démarche intellectuelle et ainsi se cultiver. Enfin en parler autour de soi c’est faire un acte de charité, créer une occasion de dialogue et ainsi participer au combat culturel. C’est bien grâce à mon expérience d’homme d’action que je peux affirmer que l’action et la réflexion vont de pair et que la seconde est plus difficile que la première. C’est pourquoi j’ai décidé d’y consacrer une partie de mon temps en lançant cette librairie d’occasion avec l’unique ambition d’être utile.

Propos recueillis par Franck ABED pour l’Institut CIVITAS en juillet 2010

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