La Revue Item - « La Tradition sans peur »
Suivez les activités de l'Abbé Aulagnier
Entraide et Tradition

Un appel au pape . A lire absolument.

publié dans nouvelles de chrétienté le 23 juillet 2011


23 juillet 2011
Enrico Maria Radaelli – Chiesa: un appel au pape
SOURCE – Enrico Maria Radaelli – Chiesa – 16 juin 2011

——————————————————————————–
Les maux de l’Église et la « voie surnaturelle » pour les guérir, présentés dans un manifeste choc écrit par Enrico M. Radaelli, philosophe de l’esthétique et défenseur de la Tradition. Treizième chapitre d’une discussion qui est loin d’être terminée. – par Sandro Magister

——————————————————————————–
ROME, le 16 juin 2011 – Parmi les « grands déçus » du pape Benoît XVI cités dans un article que www.chiesa a publié il y a deux mois, il en est un qui ne s’était pas encore exprimé jusqu’à maintenant. En effet cet article a été le point de départ d’une discussion savante et passionnée à propos du magistère de l’Église, de la question de savoir s’il peut ou non changer son enseignement et comment, avec une référence particulière aux tournants du concile Vatican II. Discussion dans laquelle sont intervenus des chercheurs de diverses tendances.Mais pas, jusqu’à maintenant, le professeur Enrico Maria Radaelli, philosophe de l’esthétique, disciple de celui qui a été l’un des plus grands penseurs traditionalistes du XXe siècle, le Suisse Romano Amerio (1905-1997).

Radaelli, à en juger principalement par son dernier livre, « La beauté qui nous sauve », est certainement l’un des plus « déçus » par le magistère des papes du concile et de l’après-concile, y compris le pape actuel.

Radaelli reproche à ces papes et à la hiérarchie catholique dans son ensemble d’avoir abdiqué le plein exercice du magistère, fait de définitions et de condamnations claires, au nom d’une vague « pastorale » qui aurait laissé libre cours à la confusion et aux erreurs.

Cependant cette déception n’empêche pas Radaelli de continuer à espérer un retour de l’Église à la plénitude de son « munus docendi », en premier lieu grâce au pape Joseph Ratzinger.

Dans le texte reproduit ci-dessous – par lequel il met fin à son silence dans le présent débat – Radaelli condense à la fois son diagnostic des maux de l’Église d’aujourd’hui et la « voie surnaturelle » qui peut les guérir, avec une proposition qu’il fait au « Trône le plus élevé », c’est-à-dire au pape.

C’est une proposition dont Radaelli dit qu’elle est à la fois « de Tradition et d’audace » et qu’il intègre désormais dans son livre « La beauté qui nous sauve », comme sa contribution essentielle.

——————————————————————————–
Une proposition pour les cinquante ans de Vatican II

Je me joins très volontiers à cet appel. Il ressemble fort, du reste, à l’appel de l’abbé de Nantes.

PA

LA VOIE SURNATURELLE POUR RAMENER LA PAIX ENTRE L’AVANT ET L’APRÈS CONCILE

par Enrico Maria Radaelli

Une discussion entre écoles de pensée différentes et opposées est actuellement en cours sur le site internet de Sandro Magister, pour savoir si le concile œcuménique Vatican II est en continuité ou en discontinuité avec la Tradition. Or non seulement cette discussion me met directement en cause depuis ses débuts, mais elle touche de près certaines pages préliminaires de mon récent livre « La beauté qui nous sauve ».

Le point de loin le plus significatif de cet essai est l’identification prouvée des “origines de la beauté” avec les quatre qualités substantielles – vrai, un, bon, beau – dont saint Thomas d’Aquin dit que ce sont les noms du Fils unique de Dieu : identification qui devrait mettre en évidence une fois pour toutes le lien fondamental et incontournable qui existe entre un concept et son expression, autrement dit entre le langage et la doctrine qui l’utilise.

Je crois devoir intervenir et apporter ainsi quelques éclaircissements à ceux qui veulent reconstruire cette « Cité de la beauté » qu’est l’Église et reprendre ainsi l’unique voie (c’est la thèse de mon essai) qui puisse nous conduire au bonheur éternel, c’est-à-dire qui puisse nous sauver.

Je complèterai mon intervention en indiquant qu’il vaudrait la peine de demander au Saint-Père que, puisque 2015 marquera, je le rappelle avec Mgr Brunero Gherardini, le cinquantième anniversaire du concile (cf. « Divinitas », 2011, 2, p. 188), l’Église tout entière profite de cet événement extraordinaire pour restaurer la plénitude de ce « munus docendi », de ce magistère, qui a été suspendu il y a cinquante ans.

En ce qui concerne le sujet de la discussion en cours, la question a été bien résumée par le théologien dominicain Giovanni Cavalcoli : « Le nœud du débat est ici. En effet nous sommes tous d’accord pour estimer que les doctrines déjà définies [par le magistère dogmatique de l’Église d’avant le Concile] qui sont présentes dans les textes conciliaires sont infaillibles. Ce qui est en discussion, c’est le point de savoir si les développements doctrinaux, les nouveautés du concile, sont également infaillibles ».

Le dominicain constate en effet qu’il est nécessaire de « répondre affirmativement à cette question, parce que, sinon, qu’en serait-il de la continuité, tout au moins telle que l’entend le pape ? ». Et parce qu’il ne peut pas affirmer, comme il est évident, ce qu’il voudrait pourtant affirmer, le père Cavalcoli transforme ces affirmations en questions opposées, auxquelles je donnerai ici la réponse qu’elles recevraient si l’on suivait la logique « aléthique », fondée sur la vérité, qui nous est enseignée par la philosophie.

Première question : Est-il admissible que le développement d’une doctrine de foi ou proche de la foi déjà définie soit faux ?

Cher père Cavalcoli, en vérité vous auriez bien voulu dire : « Il n’est pas admissible que le développement d’une doctrine de foi ou proche de la foi déjà définie soit faux ». Et pourtant la réponse est : oui, ce développement peut être faux, parce qu’une prémisse vraie ne conduit pas nécessairement à une conclusion vraie ; elle peut également conduire à une ou plusieurs conclusions fausses. C’est ainsi que tous les conciles du monde – y compris les conciles dogmatiques – ont donné lieu, justement en raison de cette possibilité, à la confrontation des opinions les plus contradictoires. Pour obtenir le développement en continuité des vérités révélées par grâce que l’on espère, il ne suffit pas d’être théologien, évêque, cardinal ou pape. Il faut demander l’aide spéciale, divine, que le Saint-Esprit ne donne qu’aux conciles qui, leur caractère dogmatique ayant été proclamé solennellement et indiscutablement dès leur ouverture, se sont formellement assuré cette aide divine. Dans ces cas surnaturels, le développement donné à la doctrine surnaturelle sera garanti comme véridique autant que ses prémisses ont déjà été divinement garanties comme véridiques.

Cela n’a pas été le cas au dernier concile, dont le caractère strictement pastoral a été formellement affirmé à trois reprises au moins : à son ouverture, qui est ce qui compte, puis à l’ouverture de sa seconde session et enfin à sa clôture. Voilà pourquoi, dans cette assemblée, on a parfois pu, à partir de prémisses vraies, aboutir aussi à des conclusions au moins discutables (à des conclusions qui, canoniquement parlant, rentrent dans le IIIe degré de contrainte magistérielle, celui qui, traitant des questions à caractère moral, pastoral ou juridique, demande uniquement le « respect religieux ») quand elles n’étaient pas « carrément erronées », comme le père Cavalcoli lui-même le reconnaît, en contradiction avec sa thèse principale, « et en tout cas pas infaillibles », et qui, par conséquent, « peuvent également être modifiées », de sorte que, même si, malheureusement, elles ne lient pas formellement mais « seulement » moralement le pasteur qui les enseigne, même dans les cas de création incertaine, providentiellement elles n’impliquent pas obligatoirement l’obéissance des fidèles.

Par ailleurs, si à des degrés différents de magistère on ne fait pas correspondre des degrés différents d’assentiment des fidèles, on ne comprend pas à quoi servent les différents degrés de magistère. Les différents degrés de magistère sont dus aux différents degrés de proximité de connaissance qu’ils ont avec la réalité première, avec la réalité divine révélée à laquelle ils se réfèrent, et il est évident que les doctrines révélées directement par Dieu requièrent un respect totalement contraignant (Ier degré), ainsi que les doctrines connexes à celles-ci si elles sont présentées à travers des définitions dogmatiques ou des actes définitifs (IIe degré). Aussi bien les premières que les secondes se distinguent des autres doctrines qui, ne pouvant appartenir au premier groupe, pourront être incluses dans le second seulement lorsque l’on aura déterminé par des arguments nombreux, prudents, clairs et irréfutables leur connexion intime, directe et évidente avec celui-ci dans le respect le plus total du principe énoncé par Vincent de Lérins (« quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditum est »), garantissant ainsi au fidèle qu’elles se trouvent elles aussi en présence de la connaissance la plus proche de Dieu. Tout cela, comme on peut le comprendre, ne peut être obtenu que dans l’exercice le plus conscient, le plus voulu et le plus demandé par et sur l’Église du « munus », du magistère dogmatique.

La différence entre les doctrines de Ier et IIe degré et celles de IIIe degré est indiquée par le caractère certainement surnaturel des premières, caractère qui au contraire n’est pas garanti dans le troisième groupe : peut-être existe-t-il, mais peut-être aussi n’existe-t-il pas. Ce qui doit être retenu, c’est que le « munus » dogmatique est : 1) un don divin, donc 2) un don qui doit être demandé expressément et 3) un don qui, s’il n’est pas demandé, n’offre aucune garantie de vérité absolue, ce manque de garantie dégageant le magistère de toute obligation d’exactitude et les fidèles de toute obligation d’obéissance, tout en leur demandant le respect religieux. Dans le IIIe degré il pourrait y avoir des indications et des conjectures de souche naturaliste, et l’examen permettant de vérifier si, une fois épurées d’éventuelles contaminations microbiennes, elles peuvent être élevées au degré surnaturel, ne peut être réalisé qu’en les soumettant au feu dogmatique : la paille brûlera, mais le fer divin, s’il y en a, resplendira certainement de tout son éclat.

C’est ce qui est arrivé aux doctrines de l’Immaculée Conception et de l’Assomption, qui sont aujourd’hui des dogmes, c’est-à-dire des articles de foi appartenant de droit au deuxième groupe. Jusqu’à 1854 et 1950 respectivement, elles ont appartenu au troisième groupe, celui des doctrines discutables, auxquelles on ne devait rien d’autre que le « respect religieux », au même titre que ces doctrines nouvelles, mentionnées ici en un inventaire bref et sommaire que l’on trouvera plus loin, qui se sont entassées dans l’enseignement le plus récent de l’Église à partir de 1962. Mais en 1854 et en 1950 le feu du dogme les a entourées de sa marque divine et particulière, il les a enflammées, il les a examinées, il les a imprimées et enfin il les scellées pour l’éternité telles qu’elles étaient déjà « ab initio » dans leur réalité la plus intime : des vérités tout à fait certaines et universellement démontrées, appartenant donc de droit à la souche surnaturelle (la seconde) même si, jusqu’alors, elles n’avaient pas été formellement reconnues sous cette forme splendide. Heureuse reconnaissance, et on veut souligner ici justement que ce fut une reconnaissance de ceux qui étaient là, en premier lieu le pape, et pas du tout une transformation du sujet : comme lorsque les critiques d’art, après l’avoir étudiée à tous les points de vue et en utilisant tous les indices permettant de la confirmer ou de la démentir – certificats de provenance, de changement de propriétaire, tests de pigmentation, de patine, de repentirs, radiographies et réflectographies – reconnaissent l’indiscutable et éclatante authenticité d’un tableau de maître.

Ces deux doctrines se sont révélées l’une comme l’autre de création divine, et de la plus précieuse. Si donc l’une de ces doctrines plus récentes provient de la même main très haute, on le constatera paisiblement par le plus splendide des moyens.

Deuxième question : Le nouveau domaine dogmatique peut-il être en contradiction avec l’ancien ?

Évidemment non, il ne le peut en aucune manière. En effet, après Vatican II, nous n’avons aucun « nouveau domaine dogmatique », selon l’expression du père Cavalcoli, même si beaucoup de gens voudraient faire passer pour tel les nouveautés conciliaires et postconciliaires, alors que Vatican II est un « domaine pastoral » simple tout en étant solennel et extraordinaire. Aucun des documents évoqués par dom Basile Valuet dans sa note 5 n’attribue au concile une autorité plus grande que celle dont il a été investi dès le début : rien d’autre qu’une assemblée “pastorale” solennelle et universelle, c’est-à-dire œcuménique, qui s’était donné comme objectif d’apporter au monde quelques indications uniquement pastorales, se refusant clairement et ostensiblement à donner des définitions dogmatiques ou à lancer des anathèmes.

Tous les leaders néo-modernistes ou simplement novateurs que l’on pourrait citer qui furent (comme le remarque le professeur Roberto de Mattei dans son livre « Le concile Vatican II. Une histoire jamais écrite ») actifs dans l’Église dès le temps de Pie XII – théologiens, évêques et cardinaux de la « théologie nouvelle » comme Bea, Câmara, Carlo Colombo, Congar, de Lubac, Döpfner, Frings et son expert, Ratzinger ; König et le sien, Küng ; Garrone et le sien, Daniélou ; Lercaro, Maximos IV, Montini, Suenens, et, formant presque un groupe, les trois leaders de ce que l’on appelle l’école de Bologne : Dossetti, Alberigo et aujourd’hui Melloni – ont enjambé grâce à toutes sortes d’expédients, pendant et après Vatican II, la rupture avec les doctrines antérieures détestées en partant du même présupposé, c’est-à-dire en équivoquant sur l’indiscutable solennité de la réunion extraordinaire ; c’est pourquoi tous ces gens ont réalisé de fait une rupture et une discontinuité tout en parlant de permanence et de continuité. Qu’il y ait eu de leur part et aujourd’hui de manière généralisée un désir de rupture avec la Tradition, cela apparaît au moins : 1) dans la plus terrible destruction jamais perpétrée sur les splendeurs des autels anciens ; 2) dans le refus actuel de tous les évêques du monde, à l’exception d’un tout petit nombre, d’accorder la moindre place au rite tridentin ou grégorien de la messe, ce qui est une désobéissance bornée et affichée aux directives du motu proprio « Summorum Pontificum ». « Lex orandi, lex credendi » : si tout cela n’est pas un rejet de la Tradition, alors qu’est-ce que c’est ?

Malgré ces faits et leur gravité, on ne peut encore parler en aucune manière de rupture : l’Église est « tous les jours » sous la divine garantie donnée par le Christ dans les promesses qui figurent en Matthieu 16, 18 (« Portæ inferi non prævalebunt ») et Matthieu 28, 20 (« Ego vobiscum sum omnibus diebus »), ce qui la met métaphysiquement à l’abri de toute crainte à cet égard, même si le danger est toujours à nos portes et s’il y a souvent des tentatives en cours. Mais ceux qui affirment qu’une rupture a eu lieu – ce que font certains des leaders précédemment cités, mais également les sédévacantistes – tombe dans le naturalisme.

Toutefois on ne peut pas non plus parler de permanence, c’est-à-dire de continuité avec la Tradition, parce que tout le monde peut constater que les doctrines les plus diverses qui sont nées du concile et après lui – ecclésiologie ; panœcuménisme ; rapports avec les autres religions ; similitude du Dieu adoré par les chrétiens, par les juifs et par les musulmans ; correction de la “doctrine du remplacement” de la Synagogue par l’Église en “doctrine des deux saluts parallèles” ; unicité des sources de la Révélation ; liberté religieuse ; anthropologie anthropocentrique et non pas théocentrique ; iconoclasme ; ou celle dont est issu le « Novus Ordo Missæ » au lieu du rite grégorien (aujourd’hui remis à côté du premier, mais dans une position subordonnée) – sont toutes des doctrines qui, prises une par une, ne soutiendraient pas l’épreuve du feu du dogme, si l’on avait le courage d’essayer de les présenter comme dogmes : feu qui consiste à leur donner une substance théologique par une demande précise d’aide du Saint-Esprit, comme ce fut le cas en son temps pour le « corpus theologicum » sur lequel reposent l’Immaculée Conception ou l’Assomption de la Vierge Marie.

Ces doctrines fragiles sont vivantes uniquement parce qu’aucune barrière dogmatique n’est dressée pour empêcher leur conception et leur utilisation. Mais ensuite on leur attribue une fausse continuité avec le dogme pour essayer d’obtenir en leur faveur l’assentiment de foi nécessaire à l’unité et à la continuité (cf. les pages 70 et suivantes, 205 et 284 de mon livre cité ci-dessus « La beauté qui nous sauve ») et, de ce fait, elles restent toutes sur une dangereuse et « fragile frontière entre continuité et discontinuité » (p. 49), mais toujours en deçà de la limite dogmatique qui déterminerait en effet leur fin si on l’appliquait. Même l’affirmation selon laquelle il y a continuité entre ces doctrines et la Tradition pèche, à mon avis, par naturalisme.

Troisième question : si nous nions l’infaillibilité des développements doctrinaux du concile qui partent de doctrines de foi précédentes ou proches de la foi, est-ce que nous n’affaiblissons pas la thèse de la continuité ?

Bien sûr que vous l’affaiblissez, cher père Cavalcoli, ou plutôt vous l’anéantissez. Et vous donnez de la force à la thèse inverse, comme de juste, à savoir qu’il n’y a pas de continuité.

Pas de rupture, mais pas non plus de continuité. Alors quoi ? Une porte de sortie est suggérée par Romano Amerio (1905-1997) avec ce que l’auteur de « Iota unum » appelle « la loi de la conservation historique de l’Église », reprise à la p. 41 de mon essai, selon laquelle « l’Église ne se perd pas si elle n’’équilibre’ pas la vérité, mais si elle ‘perd’ la vérité ». Et quand l’Église n’équilibre-t-elle pas la vérité ? Quand ses enseignements l’oublient, ou l’embarrassent, la troublent, la mélangent, comme cela s’est produit (ce n’est ni la première ni la dernière fois) depuis le concile jusqu’à aujourd’hui. Et quand perdrait-elle la vérité ? (Au conditionnel : on a vu qu’elle ne peut en aucune manière la perdre). Seulement si elle la frappait d’anathème, ou si inversement elle faisait un dogme d’une doctrine fausse, ce que pourrait faire le pape et lui seul, si (dans l’hypothèse métaphysiquement impossible selon laquelle) ses lèvres formulant des dogmes et des anathèmes n’étaient pas surnaturellement scellées par les deux promesses de Notre Seigneur citées précédemment. Je voudrais insister sur ce point, qui me paraît décisif.

Ici on avance des hypothèses mais – comme je le dis dans mon livre (p. 55) – « en confiant à la compétence des pasteurs toutes les vérifications du fait et toutes les conséquences ultérieures, par exemple pour savoir si quelqu’un, et éventuellement qui et dans quelle mesure, s’est engagé ou s’engage actuellement » dans les actes qui ont eu lieu. Dans les toutes premières pages de mon livre j’explique notamment comment on ne peut pas élever les bords du fleuve d’une beauté salvatrice sans débarrasser l’esprit de toute équivoque, de toute erreur ou de tout malentendu : la beauté est accompagnée uniquement par la vérité (p. 23) et on ne peut pas recommencer à produire du beau dans l’art, tout au moins dans l’art sacré, sans travailler dans le vrai de l’enseignement et de l’acte liturgique.

Ce qui est perpétré dans l’Église depuis cinquante ans, selon moi, c’est un amalgame recherché entre continuité et rupture. C’est le gouvernement étudié des idées et des intentions fausses en lequel l’Église s’est changée sans la changer, sous le couvert (ce que Mgr Gherardini a clairement montré dans ses derniers livres) d’un magistère volontairement suspendu – à partir du discours d’ouverture du concile « Gaudet mater ecclesia » – sous une forme pas du tout naturelle et complètement inventée, qualifiée, avec une imprécision théologique recherchée, de “pastorale”. L’Église s’est vidée des doctrines peu ou pas adaptées à l’œcuménisme et pour cette raison mal vues par les leaders d’opinion cités plus haut et elle s’est remplie de leurs idées œcuméniques. Cela s’est fait sans toucher en aucune manière à leur forme métaphysique, qui est dogmatique par nature (cf. p. 62), c’est-à-dire surnaturelle par nature, mais en travaillant uniquement sur ce domaine de son magistère qui agit uniquement sur sa « conservation historique ».

Autrement dit, il n’y a pas de rupture formelle et d’ailleurs pas non plus de continuité formelle, uniquement parce que les papes des cinquante dernières années se refusent à ratifier sous la forme dogmatique de IIe degré les doctrines de IIIe degré qui, sous leur pontificat, dévastent et vident l’Église (cf. p. 285). Cela veut dire que, de cette façon, l’Église n’équilibre plus la vérité, mais qu’elle ne la perd pas non plus, parce que les papes, même à l’occasion d’un concile, se sont formellement refusé aussi bien à élever au rang de dogmes les nouvelles doctrines qu’à frapper d’anathème les doctrines antérieures, même si celles-ci étaient déconsidérées (ou corrigées ou manipulées).

Comme on le voit, on pourrait également considérer que cette situation très fâcheuse constitue un péché du magistère, un péché grave, à la fois contre la foi et contre la charité (p. 54) : en effet il ne semble pas que l’on puisse désobéir au commandement du Seigneur d’enseigner les nations (cf. Matthieu 28, 19-20) avec toute la plénitude du don de connaissance qui nous a été accordé, sans par ce fait « dévier de la rectitude que l’acte – c’est-à-dire ‘l’‘enseignement éducatif de la juste doctrine – doit avoir » (Summa Theologiae I, 25, 3, ad 2). Péché contre la foi parce que celle-ci est mise en danger, et en effet l’Église, au cours des cinquante dernières années, s’étant vidée de doctrines vraies, s’est vidée de ses fidèles, de ses religieux et de ses prêtres, devenant l’ombre d’elle-même (p. 76). Péché contre la charité parce que l’on enlève aux fidèles la beauté de l’enseignement magistériel et visuel dont seule la vérité resplendit, comme je le montre dans tout le second chapitre de mon livre. Ce serait un péché par omission : le péché d’ »omission du caractère dogmatique propre à l’Église » (pp. 60 et suivantes), par lequel l’Église, volontairement, ne scellerait pas surnaturellement et donc ne garantirait pas les indications qu’elle nous donne à propos de la vie.

Cet état de péché dans lequel tomberait la sainte Église (on entend toujours par là : quelques hommes de la sainte Église, ou bien l’Église dans sa composante historique), s’il était constaté, devrait cesser et être lavé au plus tôt par la pénitence puisque, comme le cardinal José Rosalio Castillo Lara l’écrivait au cardinal Joseph Ratzinger en 1988, son actuel maintien obstiné et coupable « favoriserait la tendance blâmable […] à un gouvernement équivoque dit ‘pastoral’ qui, au fond, n’est pas pastoral parce qu’il conduit à négliger le nécessaire exercice de l’autorité au détriment du bien commun des fidèles » (pp. 67 et suivantes).

Pour rendre à l’Église l’égalité avec la vérité, comme elle lui a été rendue à chaque fois qu’elle s’est trouvée dans de telles difficultés dramatiques, il n’y a pas d’autre moyen que de revenir à la plénitude de son « munus docendi », en faisant passer au crible du dogme à 360 degrés toutes les fausses doctrines dont elle est aujourd’hui imprégnée, et de reprendre comme « habitus » de son enseignement le plus ordinaire et le plus pastoral (au sens strict du terme : « transmission de la Parole divine dans les diocèses et les paroisses du monde entier ») l’attitude dogmatique qui l’a conduite de manière surnaturelle au cours des siècles jusqu’à maintenant.

En restaurant la plénitude magistérielle qui a été suspendue, on rendrait à l’Église historique l’essence métaphysique qui lui a été virtuellement retirée et ainsi on ferait revenir sur terre sa beauté divine dans toute sa fragrance la plus reconnue et la plus savourée.

Pour conclure, une proposition

Il faut de l’audace. Et il faut la Tradition. En vue de l’échéance de 2015, cinquantième anniversaire du concile de la discorde, il faudrait pouvoir adresser une forte et large demande au Trône le plus élevé de l’Église pour que, dans sa bonté, ne négligeant pas l’occasion vraiment spéciale que constitue cet anniversaire exceptionnel, il considère qu’il y a un seul acte qui pourrait réconcilier l’enseignement et la doctrine donnés par l’Église avant et après la fatale assemblée. Cet acte unique, héroïque, très humble, est d’approcher du feu surnaturel du dogme les doctrines évoquées ci-dessus et qui sont mal vues par les fidèles de tendance traditionaliste, et celles qui en sont l’opposé : ce qui doit brûler brûlera, ce qui doit resplendir resplendira. D’ici à 2015, nous avons plus de trois ans devant nous. Il faut les utiliser au mieux. Les prières et les intelligences doivent être portées à la pression maximale et chauffées à blanc. Sans tension, on n’obtient rien, comme à Laodicée.

Cet acte que l’on propose d’accomplir, le seul qui pourrait réunir à nouveau en un corps unique, comme cela doit être, ces deux âmes puissantes qui palpitent dans la sainte Église et dans le même être, reconnaissables l’une dans les hommes « fidèles spécialement à ce qu’est l’Église », l’autre dans les hommes dont l’esprit est davantage tourné vers son avenir, est l’acte qui, mettant fin par une belle décision à cinquante ans d’une situation plutôt contraire à la charité et également dénuée de sincérité, résume en un gouvernement surnaturel les saints concepts de Tradition et d’audace. Pour reconstruire l’Église et produire à nouveau de la beauté, le concile œcuménique Vatican II doit être lu selon la grille de la Tradition avec l’audace enflammée du dogme.

Il faut donc que tous les traditionalistes de l’Église, à quelque ordre et degré et à quelque tendance idéologique qu’ils appartiennent, sachent se réunir autour d’une seule demande, d’un seul projet : arriver à 2015 avec l’invitation la plus vaste, la mieux guidée et définie afin que cet anniversaire soit pour le Trône le plus élevé la meilleure occasion pour restaurer le divin « munus docendi » dans sa plénitude.
———-
Le livre d’Enrico Maria Radaelli « La bellezza che ci salva [La beauté qui nous sauve] » (préface d’Antonio Livi, 2011, 336 pages, 35,00 euros) peut être commandé directement à l’auteur (enricomaria.radaelli@tin.it) ou à la Librairie Hoepli de Milan (www.hoepli.it).

Revue-Item.com

 

 

partager cette page

bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark