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Au sujet du Synode sur la famille, le Pape émérite prend aussi la parole

publié dans nouvelles de chrétienté le 4 décembre 2014


Au synode sur la famille le pape émérite prend lui aussi la parole

Il a réécrit la conclusion de l’un de ses articles, publié en 1972, que le cardinal Kasper avait cité à l’appui de ses propres prises de position. Voici le texte intégral de sa « retractatio », dans laquelle il réaffirme et explique l’interdiction de communier imposée aux divorcés remariés

par Sandro Magister

Étude fort intéressante pour qui suit l’actualité religieuse

ROME, le 3 décembre 2014 – En ce qui concerne l’accès des divorcés à la communion, la position de Joseph Ratzinger est bien connue. Il l’a exprimée à plusieurs reprises, en tant que cardinal préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi puis en tant que pape.

Mais voici qu’il revient maintenant sur ce sujet avec un nouveau texte, qui vient tout juste d’être publié en Allemagne dans la collection de ses Opera Omnia [Œuvres Complètes].

Ce texte est reproduit ci-dessous dans son intégralité. Mais il est indispensable d’en expliquer la genèse.

Dans ses Opera Omnia, Ratzinger est en train de publier à nouveau – avec l’aide du préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, Gerhard Ludwig Müller – tous les textes théologiques qu’il a écrits, regroupés par thèmes. Dans le dernier des neuf volumes publiés jusqu’à ce jour en allemand par l’éditeur Herder – il compte près de 1 000 pages et est intitulé « Introduction au christianisme. Profession, baptême, vie religieuse » – on trouve un article de 1972, relatif à la question de l’indissolubilité du mariage, publié cette année-là en Allemagne dans un livre à plusieurs auteurs consacré au mariage et au divorce.

Cet article publié par Ratzinger en 1972 a été exhumé par le cardinal Walter Kasper qui l’a utilisé, au mois de février dernier, dans le discours qu’il a prononcé pour ouvrir le consistoire des cardinaux convoqué par le pape François afin de débattre sur le thème de la famille en vue du synode des évêques programmé pour le mois d’octobre :

> Kasper change le paradigme, Bergoglio applaudit

Pour plaider en faveur de l’accès des divorcés remariés à la communion eucharistique, Kasper a déclaré :

« L’Église des premiers temps nous donne une indication qui pourrait être utile et à laquelle le professeur Joseph Ratzinger avait déjà fait allusion en 1972. […] Ratzinger avait suggéré de reprendre de manière nouvelle la prise de position de Basile. Il semblerait que ce soit une solution appropriée et elle est également à la base de mes réflexions ».

En effet, dans cet article de 1972, Ratzinger, alors âgé de quarante-cinq ans et professeur de théologie à Ratisbonne, affirmait que le fait de donner la communion aux divorcés remariés apparaissait, si l’on respectait certaines conditions particulières, comme étant « tout à fait en ligne avec la tradition de l’Église » et en particulier avec « ce type d’indulgence que l’on voit apparaître dans l’œuvre de Basile, selon qui, après une période prolongée de pénitence, le « digamus » (c’est-à-dire celui qui vit en secondes noces) se voit concéder l’accès à la communion sans que son second mariage ait été annulé : dans la confiance en la miséricorde de Dieu, qui ne laisse pas sans réponse la pénitence ».

Cet article de 1972 a été la première et la dernière manifestation par Ratzinger d’une « ouverture » à l’accès des divorcés remariés à la communion. Par la suite, en effet, non seulement il a pleinement adhéré à la position rigoriste, consistant à leur interdire de communier, qui a été réaffirmée par le magistère de l’Église au cours du pontificat de Jean-Paul II, mais il a également, en tant que préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, contribué dans une mesure déterminante à l’argumentation déployée en faveur de cette interdiction.

Il y a contribué, en particulier, lorsqu’il a signé la lettre adressée aux évêques le 14 septembre 1994, dans laquelle le Saint-Siège repoussait les thèses favorables à l’accès des divorcés remariés à la communion qui avaient été soutenues au cours des années précédentes par quelques évêques allemands, parmi lesquels figurait Kasper :

> « L’Année internationale de la Famille… »

Et de nouveau par un texte publié en 1998 par la congrégation pour la doctrine de la foi et qui a fait l’objet d’une nouvelle publication dans « L’Osservatore Romano » du 30 novembre 2011 :

> La pastorale du mariage doit se fonder sur la vérité

Sans compter que par la suite, en tant que pape, il a confirmé à nouveau et motivé à plusieurs reprises l’interdiction de communier, dans le cadre de la pastorale pour les divorcés remariés.

Il n’est donc pas surprenant que Ratzinger ait considéré comme inapproprié qu’au mois de février dernier Kasper ait cité, à l’appui de ses propres thèses, son article de 1972, comme si, depuis cette année-là, il ne s’était rien produit.

C’est de là que vient la décision prise par Ratzinger, lors de la republication dans ses Opera Omnia de l’article de 1972, d’en réécrire et d’en développer la partie finale, qui a ainsi été mise en conformité avec sa pensée ultérieure et actuelle.

Le texte qui suit est la traduction de la nouvelle partie finale de l’article comme il apparaît dans le volume des Opera Omnia qui a été remis à l’imprimeur par le pape émérite Benoît XVI au mois de mars 2014 et qui est depuis peu disponible en librairie.

Immédiatement après ce texte, on pourra lire la reproduction de la partie qui a été remplacée, c’est-à-dire le texte original que Kasper a cité à l’appui de ses thèses lors du consistoire du mois de février dernier.

Dans la réédition de 2014 il est précisé que « la contribution a été complètement revue par l’auteur ».

__________

1. LA « RETRACTATIO »

La nouvelle conclusion de l’article de 1972, réécrite par Joseph Ratzinger en 2014

L’Église est Église de la Nouvelle Alliance, mais elle vit dans un monde dans lequel cette « dureté de […] cœur » (Mt 19, 8) à cause de laquelle Moïse a légiféré continue à exister sans aucun changement. Que peut-elle donc faire de concret, en particulier à notre époque où la foi devient de plus en plus édulcorée, y compris au sein de l’Église, et où les « choses que recherchent les païens », contre lesquelles le Seigneur met ses disciples en garde (cf. Mt 6, 32), menacent de devenir de plus en plus la norme ?

Avant tout et essentiellement, elle doit annoncer le message de la foi de manière convaincante et compréhensible et chercher à ouvrir des espaces où elle puisse être vécue véritablement. La guérison de la « dureté de cœur » peut être obtenue seulement par la foi et c’est seulement là où celle-ci est vivante qu’il est possible de vivre ce que le Créateur avait destiné à l’homme avant le péché. Voilà pourquoi la chose principale et vraiment fondamentale que l’Église doit faire est de rendre la foi vivante et forte.

En même temps, l’Église doit continuer à s’efforcer de sonder les limites et l’ampleur des paroles de Jésus. Elle doit rester fidèle aux commandements du Seigneur et elle ne peut même pas trop les étirer. Il me semble que ce que l’on appelle les « clauses de fornication », que Matthieu a ajoutées aux paroles du Seigneur transmises par Marc, reflètent déjà un tel effort. Un cas particulier que les paroles de Jésus ne concernent pas est mentionné.

Cet effort a été poursuivi au cours de toute l’Histoire. L’Église d’Occident, sous la conduite du successeur de Pierre, n’a pas pu suivre le chemin emprunté par l’Église de l’empire byzantin, qui s’était rapprochée de plus en plus du droit temporel, affaiblissant par là même la spécificité de la vie dans la foi. Cependant, elle a mis en lumière à sa manière les limites de l’applicabilité des paroles du Seigneur, définissant ainsi leur portée de manière plus concrète.

Il y a surtout deux situations qui sont apparues, chacune d’elles étant ouverte à une solution spécifique fournie par l’autorité ecclésiastique.

1. Saint Paul déclare aux Corinthiens (1 Cor 7, 12-16) et, à travers eux, à l’Église de tous les temps – ce faisant, il apporte une indication qui lui est personnelle, qui ne provient pas du Seigneur mais qu’il se sait autorisé à donner – que, dans le cas d’un mariage entre une personne chrétienne et une qui ne l’est pas, ce mariage peut être dissous si la personne non-chrétienne fait obstacle à la vie de foi de l’autre. À partir de cette indication, l’Église a élaboré ce que l’on appelle le « privilegium paulinum » [privilège paulin], en continuant à l’interpréter dans sa tradition juridique (cf. CIC, canons 1143-1150).

La tradition de l’Église a déduit de ce qu’affirme saint Paul que le mariage entre deux baptisés est le seul qui constitue un sacrement authentique et par conséquent absolument indissoluble. Les mariages entre non-chrétiens et chrétiens sont certes des mariages selon l’ordre de la création et ils sont donc définitifs par eux-mêmes. Cependant ils peuvent être dissous au bénéfice de la foi et d’un mariage sacramentel.

La tradition a fini par donner davantage d’extension à ce « privilège paulin », aboutissant ainsi à ce que l’on appelle le « privilegium petrinum » [privilège pétrinien]. Celui-ci signifie que le successeur de Pierre est mandaté pour décider, en ce qui concerne les mariages non sacramentels, quels sont les cas dans lesquels la séparation est justifiée. Cependant ce « privilège pétrinien » n’a pas été introduit dans le nouveau Code, contrairement à ce qui était prévu initialement.

Cela s’explique par le désaccord existant entre deux groupes d’experts. Le premier groupe soulignait que l’objectif de tout le droit élaboré par l’Église, son instrument de mesure interne, est le salut des âmes. Il en résulte que l’Église a la possibilité et l’autorisation de faire ce qui est utile pour atteindre cet objectif. L’autre groupe, au contraire, était d’avis que les mandats correspondant au ministère pétrinien ne devaient pas être trop élargis et qu’il était nécessaire de rester à l’intérieur des limites reconnues par la foi de l’Église.

Étant donnée l’impossibilité de parvenir à un accord entre ces deux groupes, le pape Jean-Paul II décida de ne pas introduire dans le Code cette partie des coutumes juridiques de l’Église, mais de continuer à la confier à la congrégation pour la doctrine de la foi qui, en même temps que la pratique concrète, doit examiner continuellement les bases et les limites du mandat attribué à l’Église dans ce domaine.

2. Au fil du temps, on a pris conscience, de plus en plus clairement, du fait qu’un mariage qui a été contracté de manière apparemment valide peut, en raison de vices juridiques ou réels, ne pas s’être véritablement concrétisé et que par conséquent il peut être nul. Dans la mesure où l’Église a développé son propre droit en matière de mariage, elle a également défini de manière détaillée les conditions de validité et les motifs d’éventuelle nullité.

La nullité du mariage peut provenir d’erreurs concernant la forme juridique, mais également et surtout d’une conscience insuffisante. En ce qui concerne la réalité du mariage, l’Église a reconnu très rapidement que le mariage est constitué en tant que tel à travers le consentement des deux partenaires, qui doit aussi être exprimé de manière publique sous une forme définie par le droit (CIC, canon 1057 § 1). Le contenu de cette décision commune, c’est le don réciproque, effectué à travers un lien irrévocable (CIC, canon 1057 § 2 ; canon 1096 § 1). Le droit canonique présuppose que les personnes adultes savent par elles-mêmes, en raison de leur nature, ce qu’est le mariage, et par conséquent qu’elles savent également qu’il est définitif ; le contraire devrait être expressément démontré (CIC, canon 1096 § 1 et § 2).

En ce qui concerne ce point, de nouvelles questions sont apparues au cours des dernières décennies. Peut-on encore, aujourd’hui, présumer que les gens soient conscients « par nature » du caractère définitif et de l’indissolubilité du mariage et qu’ils y consentent lorsqu’ils prononcent leur oui ? Ou bien est-ce qu’il ne s’est pas produit dans la société actuelle – ou tout au moins dans les pays occidentaux – un changement de la conscience qui fait plutôt présumer le contraire ? Peut-on considérer comme un fait acquis la volonté de dire un oui définitif ou ne faut-il pas, plutôt, s’attendre au contraire, c’est-à-dire au fait que, avant même de dire oui, les époux sont déjà prédisposés au divorce ? Au cas où le caractère définitif serait consciemment exclu, le mariage au sens de la volonté du Créateur et de l’interprétation du Christ ne serait pas véritablement réalisé. Cela permet de comprendre à quel point une préparation correcte au sacrement est devenue importante aujourd’hui.

L’Église ne connaît pas le divorce. Cependant, après ce qui vient tout juste d’être indiqué, elle ne peut pas exclure la possibilité de mariages nuls. Les procès en annulation doivent être menés dans deux directions et avec beaucoup d’attention. Ils ne doivent pas aboutir à un divorce camouflé. Ce serait malhonnête et contraire au caractère sérieux du sacrement. D’autre part, ils doivent examiner aussi consciencieusement que nécessaire les problèmes posés par l’éventuelle nullité et, dans le cas où il y aurait de justes motifs en faveur de l’annulation, ils doivent formuler le jugement correspondant, ouvrant ainsi aux personnes concernées une nouvelle issue.

À notre époque, de nouveaux aspects du problème de la validité sont apparus. J’ai déjà fait remarquer ci-dessus que le fait d’être naturellement conscient de l’indissolubilité du mariage est devenu problématique et qu’il en résulte que de nouvelles tâches doivent être accomplies par la procédure de jugement. Je voudrais indiquer rapidement deux autres éléments nouveaux :

a. Le canon 1095 n° 3 a inscrit la problématique moderne dans le droit canonique lorsqu’il dit que les personnes qui « pour des causes de nature psychique ne peuvent assumer les obligations essentielles du mariage » sont incapables de contracter un mariage. Aujourd’hui, les problèmes psychiques des gens, précisément face à une réalité aussi importante que le mariage, sont perçus plus clairement que dans le passé. Cependant il est bon de lancer une mise en garde contre le fait de construire de manière inconsidérée la nullité à partir des problèmes psychiques. Si l’on procède ainsi, en réalité, il serait trop facile de prononcer un divorce sous l’apparence de la nullité.

b. Aujourd’hui une autre question se pose de manière très sérieuse. Il y a actuellement un nombre croissant de païens baptisés : je veux dire par là des gens qui sont devenus chrétiens parce qu’ils ont reçu le baptême, mais qui ne croient pas et qui n’ont jamais connu la foi. Il s’agit là d’une situation paradoxale : le baptême fait d’un être humain un chrétien, mais celui-ci, n’ayant pas la foi, n’est, de toute façon, rien d’autre qu’un païen baptisé. Le canon 1055 § 2 affirme qu’ »entre baptisés, il ne peut exister de contrat matrimonial valide qui ne soit, par le fait même, un sacrement ». Mais que se passe-t-il si un baptisé non croyant ne connaît pas du tout le sacrement ? Il pourrait même avoir la volonté de l’indissolubilité, mais il ne voit pas ce qui fait la nouveauté de la foi chrétienne. L’aspect tragique de cette situation apparaît de manière évidente surtout lorsque des baptisés païens se convertissent à la foi et commencent à mener une vie totalement nouvelle. Cela fait naître des questions pour lesquelles nous n’avons pas encore de réponse. Il est donc encore plus urgent de les approfondir.

3. De tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant il résulte d’une part que l’Église d’Occident – l’Église catholique – sous la conduite du successeur de Pierre, sait qu’elle est étroitement liée à ce que le Seigneur a dit à propos de l’indissolubilité du mariage, mais d’autre part qu’elle a également cherché à discerner quelles étaient les limites de cette indication afin de ne pas imposer aux gens plus de contraintes que nécessaire.

C’est ainsi que, en partant de la suggestion faite par l’apôtre Paul et en s’appuyant en même temps sur l’autorité du ministère pétrinien, elle a en outre élaboré, pour les mariages non sacramentels, la possibilité de divorcer pour le bien de la foi. De la même manière, elle a examiné sous tous les aspects la question de la nullité d’un mariage.

L’exhortation apostolique « Familiaris consortio » de Jean-Paul II, publiée en 1981, a franchi un pas supplémentaire. Il est écrit, au numéro 84 : « Avec le Synode, j’exhorte chaleureusement les pasteurs et toute la communauté des fidèles à aider les divorcés en faisant en sorte, avec une grande charité, qu’ils ne se sentent pas séparés de l’Église […]. Que l’Église prie pour eux, qu’elle les encourage et se montre à leur égard une mère miséricordieuse et qu’ainsi elle les soutienne dans la foi et dans l’espérance ».

C’est ainsi qu’une mission importante est attribuée à la pastorale, mission qui n’a peut-être pas encore été suffisamment transposée dans la vie quotidienne de l’Église. Certains détails sont indiqués dans l’exhortation elle-même. Il y est dit que ces personnes, dans la mesure où elles sont baptisées, peuvent participer à la vie de l’Église et même qu’elles ont le devoir de le faire. Une liste des activités chrétiennes qui leur sont ouvertes et nécessaires est donnée. Peut-être, cependant, faudrait-il souligner avec davantage de clarté ce que peuvent faire leurs pasteurs et leurs frères dans la foi afin que ces personnes puissent ressentir véritablement l’amour de l’Église. Je pense qu’il faudrait leur reconnaître la possibilité de s’engager dans les associations ecclésiales et également celle d’accepter d’être parrain ou marraine, ce que le droit ne prévoit pas pour le moment.

Il y a un autre point de vue qui s’impose à moi. Si l’impossibilité de recevoir la sainte eucharistie est perçue comme tellement douloureuse, c’est notamment parce que, de nos jours, presque toutes les personnes qui participent à la messe s’approchent aussi de la table du Seigneur. Ce qui fait que ceux qui sont frappés par cette impossibilité apparaissent également comme étant publiquement disqualifiés en tant que chrétiens.

Je pense que l’avertissement que nous lance saint Paul, quand il nous invite à nous examiner nous-mêmes et à réfléchir au fait qu’il s’agit ici du Corps du Seigneur, devrait être de nouveau pris au sérieux : « Que chacun, donc, s’éprouve soi-même et qu’alors il mange de ce pain et boive de ce calice ; car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation » (1 Cor 11, 28 s.) Un sérieux examen de soi, qui peut même conduire à renoncer à la communion, nous ferait en outre sentir d’une manière nouvelle la grandeur du don de l’eucharistie et il représenterait en même temps une forme de solidarité avec les divorcés remariés.

Je voudrais ajouter à cela une autre suggestion pratique. Dans beaucoup de pays on a vu s’installer la coutume selon laquelle les personnes qui ne peuvent pas recevoir la communion (par exemple celles qui appartiennent à d’autres confessions) s’approchent de l’autel, mais en gardant les mains sur la poitrine. Elles font comprendre, par ce comportement, qu’elles ne reçoivent pas le saint sacrement, mais qu’elles demandent une bénédiction, qui leur est donnée en tant que signe de l’amour du Christ et de l’Église. Il est certain que cette forme pourrait être également choisie par les personnes qui vivent un second mariage et qui, par conséquent, ne sont pas admises à la table du Seigneur. Le fait que cela rende possible une communion spirituelle intense avec le Seigneur, avec tout son Corps, avec l’Église, pourrait être pour elles une expérience spirituelle qui leur donnerait de la force et les aiderait.

__________

2. LE TEXTE ORIGINAL

L’ancienne conclusion de l’article écrit par Joseph Ratzinger en 1972

L’Église est Église de la Nouvelle Alliance, mais elle vit dans un monde dans lequel la « dureté de […] cœur » (Mt 19, 8) de l’Ancienne Alliance continue à exister sans changement. Elle ne peut pas arrêter d’annoncer la foi de la Nouvelle Alliance mais, très souvent, elle est obligée de commencer sa vie concrète un peu en-dessous du seuil des Écritures.

Voilà pourquoi, dans des cas qui sont de manière évidente des situations d’urgence, elle peut faire des exceptions limitées, dans le but d’éviter une aggravation de la situation. Le critère d’utilisation de cette façon de procéder devrait être le suivant : les limites de l’action contre « ce qui est écrit » consistent en ce que cette action ne peut pas mettre en discussion la forme fondamentale elle-même, dont l’Église vit. Par conséquent ce critère est lié au caractère de solution exceptionnelle et d’aide dans une situation de besoin urgent, telles que l’ont été, par exemple, la situation transitoire missionnaire mais également la situation d’urgence concrète de l’union des Églises.

Toutefois on est ainsi amené à se poser une question pratique : est-il possible de citer une telle situation d’urgence dans l’Église actuelle et d’indiquer une exception qui corresponde à ces paramètres ? Je voudrais tenter, avec toute la prudence nécessaire, de formuler une proposition concrète qui me paraît rentrer dans ce cadre.

Dans le cas où un premier mariage est détruit depuis très longtemps et de manière irréparable pour chacune des deux parties ; où, au contraire, on peut constater qu’un second mariage, contracté ultérieurement, a constitué pendant une longue période une situation vertueuse et qu’il a été vécu dans un esprit de foi, notamment en ce qui concerne l’éducation des enfants (de sorte que la destruction de ce mariage causerait la destruction de quelque chose de vertueux et provoquerait un préjudice moral), à travers un parcours extrajudiciaire, sur la base du témoignage du curé de la paroisse et de celui des membres de la communauté, il faudrait accorder à ceux qui vivent leur second mariage de cette manière la permission d’accéder à la communion.

Il me semble qu’une telle réglementation est justifiée par la tradition pour deux raisons :

a. Il est nécessaire de rappeler expressément la marge de pouvoir discrétionnaire qui existe dans tout procès d’annulation. Cette marge discrétionnaire et la disparité d’opportunités qui résulte immanquablement du niveau culturel des personnes impliquées, mais aussi de leurs possibilités financières, devraient mettre en garde contre l’idée que, de cette manière, il est possible de satisfaire parfaitement la justice. À cela il faut ajouter qu’il existe un très grand nombre de choses qui ne sont tout simplement pas jugeables, même lorsqu’elles sont bel et bien réelles. Les questions posées lors du procès doivent nécessairement être limitées à ce qui est juridiquement démontrable mais, précisément pour cette raison, elles peuvent négliger des faits décisifs. Mais surtout, en procédant ainsi, les critères formels (erreurs de forme ou forme ecclésiale volontairement omise) deviennent tellement prédominants que cela peut conduire à des injustices. Dans l’ensemble, au point de vue juridique, le fait de déplacer la question sur l’acte qui fonde le mariage est inévitable ; cependant cela constitue une limitation du problème qui ne peut pas rendre pleinement justice à la nature de l’action humaine. Le procès d’annulation indique concrètement un groupe de critères qui permettent de décider si les paramètres du mariage entre croyants ne sont pas applicables à un mariage déterminé. Mais il n’épuise pas le problème et par conséquent il ne peut pas émettre la prétention d’avoir cette rigoureuse exclusivité qu’il a fallu lui attribuer en raison de la domination d’une forme donnée de pensée.

b. Le fait de reconnaître que le second mariage a bien constitué, pendant une longue durée, une situation vertueuse et qu’il a été vécu dans un esprit de foi, correspond en fait à ce type d’indulgence que l’on voit apparaître dans l’œuvre de Basile, selon qui, après une période prolongée de pénitence, le « digamus » (c’est-à-dire celui qui vit en secondes noces) se voit concéder l’accès à la communion sans que son second mariage ait été annulé : dans la confiance en la miséricorde de Dieu, qui ne laisse pas sans réponse la pénitence. Lorsque le second mariage a fait naître des obligations morales envers les enfants, envers la famille et aussi envers l’épouse et qu’il n’existe pas d’obligations analogues découlant du premier mariage ; lorsque donc, pour des raisons morales, la cessation du second mariage est inadmissible et que, d’autre part, l’abstinence n’est pas, en pratique, une possibilité réelle (« magnorum est », dit Grégoire II), l’ouverture de la communion eucharistique, après un temps d’épreuve, semble être indiscutablement juste et tout à fait en ligne avec la tradition de l’Église : dans ce cas, la concession de la « communio » ne peut pas dépendre d’un acte qui serait immoral ou, en fait, impossible.

La distinction établie en confrontant la première thèse avec la seconde devrait également correspondre à la prudence tridentine, même si, en tant que règle concrète, elle va au-delà : l’anathème contre une doctrine qui prétend faire de la forme fondamentale de l’Église une erreur, ou tout au moins une coutume pouvant être dépassée, subsiste dans toute sa rigueur. Le mariage est « sacramentum », il a la forme fondamentale non éliminable de la décision prise jusqu’au bout. Toutefois cela n’exclut pas que la communion eucharistique de l’Église comprenne également les personnes qui reconnaissent cette doctrine et ce principe de vie, mais qui se trouvent dans une situation d’urgence d’une nature spéciale, dans laquelle elles ont particulièrement besoin de la pleine communion avec le Corps du Seigneur. De cette manière aussi, la foi de l’Église restera un signe de contradiction : c’est ce qu’elle considère comme essentiel et, précisément en cela, elle sait qu’elle marche à la suite du Seigneur, qui a annoncé à ses disciples qu’ils ne devaient pas avoir la prétention d’être au-dessus du Maître, qui a été rejeté par les dévots et les libéraux, par les juifs et les païens.

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Le titre de l’article de 1972, conservé dans la réédition de 2014, est « Zur Frage nach der Unauflöslichkeit der Ehe. Bemerkungen zum dogmengeschichtlichen Befund und zu seiner gegenwärtigen Bedeutung (À propos de la question de l’indissolubilité du mariage. Observations sur ce que montre l’histoire des dogmes sur son importance actuelle) ».

Cet article a été publié à Munich en 1972 dans un ouvrage à plusieurs auteurs intitulé « Ehe und Ehescheidung. Diskussion unter Christen (Mariage et divorce. Débat entre chrétiens) » et réalisé sous la direction de Franz Henrich et Volker Eid.

La réédition de l’article, dont la conclusion a été entièrement réécrite, a été publiée à l’automne de 2014 dans le volume suivant de l’édition allemande des Opera Omnia :

J. Ratzinger – Benedikt XVI, « Einführung in das Christentum. Bekenntnis, Taufe, Nachfolge », Joseph Ratzinger Gesammelte Schriften, Band 4, Verlag Herder, Freiburg, 2014.

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DU PAPE ÉMÉRITE AU PAPE RÉGNANT

En ce qui concerne l’opinion du pape François à propos de la question « re-traitée » par son prédécesseur dans le texte reproduit ci-dessus, une déclaration intéressante a été faite par le cardinal Angelo Scola, archevêque de Milan, dans une interview qui a été publiée par le « Corriere della Sera » le 2 décembre :

> Scola: « Ai divorziati niente comunione. Credo che il papa deciderà così »

Voici le passage central de cette interview :

D. – En ce qui concerne la question de l’accès des divorcés remariés à la communion, quelle est votre opinion ?

R. – J’en ai discuté de manière approfondie, en particulier avec les cardinaux Marx, Danneels, Schönborn, qui faisaient partie du même “ groupe de travail” que moi, mais je n’arrive pas à percevoir les bonnes raisons d’une opinion qui, d’une part, affirme l’indissolubilité du mariage comme quelque chose d’indiscutable, mais qui, d’autre part, semble la nier dans les faits, presque comme si elle opérait une séparation entre la doctrine, la pastorale et la discipline. Cette manière de soutenir l’indissolubilité réduit celle-ci à une sorte d’idée platonique, située dans le monde céleste et qui n’entre pas dans la vie concrète. Et elle pose un grave problème d’éducation : comme pouvons-nous dire à des jeunes qui se marient aujourd’hui et pour qui le “pour toujours” est déjà très difficile, que le mariage est indissoluble, s’ils savent que, en tout état de cause, il y aura toujours un moyen d’en sortir ? C’est une question qui est peu abordée, ce qui m’étonne beaucoup.

D. – Donc, au synode, vous avez voté avec la minorité ?

R. – Plutôt avec la majorité, même si je ne raisonne pas de cette manière : en ce qui concerne les propositions qui n’ont pas recueilli les deux tiers des voix, il peut y avoir eu un vote transversal. Ce qui est sûr, c’est que l’opinion exprimée par le magistère m’a paru être nettement la plus suivie dans les rapports présentés par les “groupes de travail”.

D. – Et si, à la fin du synode, le pape prenait une position avec laquelle vous ne soyez pas d’accord ?

R. – Je crois vraiment qu’il ne le fera pas.

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