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Entraide et Tradition

« Amoris laetitia »: la gravité du problème!

publié dans magistère du pape François le 1 décembre 2016


Un nouveau concile, comme il y a seize siècles

Il existe un précédent aux conflits que provoque actuellement « Amoris lætitia »: les controverses christologiques qui eurent lieu vers la fin de l’empire romain et qui furent résolues par le concile œcuménique de Chalcédoine. Un universitaire propose, depuis le Chili, de parcourir le même chemin

par Sandro Magister

ROME, le 28 novembre 2016 – Par le fait même qu’il s’est abstenu de répondre à l’appel des quatre cardinaux qui lui avaient demandé de faire la clarté à propos des points les plus controversés d’ »Amoris lætitia », le pape François a fait comprendre au moins une chose. C’est qu’il a l’inébranlable certitude que le processus qu’il a mis en route par son exhortation post-synodale est une bonne chose, précisément en raison de l’ambigüité calculée de ce texte, qui a ouvert la voie à de très nombreuses interprétations et applications, dont certaines sont indiscutablement nouvelles par rapport à l’enseignement multiséculaire d de l’Église.

Ce n’est pas la première fois, dans l’histoire du christianisme, que se présente une situation de ce genre, dans laquelle des déclarations du magistère, volontairement peu claires, laissent cohabiter plusieurs interprétations qui se contredisent, y compris à propos de points essentiels du dogme.

Cela s’est déjà produit au cours de la première phase des controverses trinitaires et christologiques qui eurent lieu au IVe siècle.

Dans le texte que l’on pourra lire ci-dessous, un spécialiste de ces très anciennes controverses montre dans quelle mesure la dynamique de celles-ci ressemble au conflit qui est actuellement en cours au sein de l’Église catholique à propos des sacrements du mariage et de l’eucharistie.

Au IVe siècle, l’hérésie qui se propageait était celle d’Arius, qui s’attaquait à la divinité de Jésus. Tandis que ce qui est en danger actuellement, c’est l’indissolubilité du mariage chrétien.

L’auteur du texte ci-dessous, Claudio Pierantoni, a fait à Rome des études de philologie classique et d’histoire du christianisme, à l’Université « La Sapienza » et à l’Augustinianum. Il a eu comme professeur le grand patrologue Manlio Simonetti et il est devenu un spécialiste d’une part des controverses christologiques du IVe siècle et d’autre part de saint Augustin.

Pierantoni, qui est marié et père de deux filles, vit depuis 1999 à Santiago du Chili. Dans cette ville il a d’abord enseigné l’histoire de l’Église ainsi que la patrologie à la Pontificia Universidad Catolica et il est actuellement professeur de philosophie médiévale à l’Universidad de Chile.

Au Chili il s’est lié d’amitié avec d’autres universitaires catholiques émigrés dans ce pays, tels que l’Autrichien Josef Seifert et le Vénézuélien Carlos Casanova, qui sont l’un et l’autre engagés dans l’actuelle controverse à propos d’ »Amoris lætitia ». Il fait partie des signataires de ce que l’on appelle le « document des 45 », c’est-à-dire la pétition qui a été envoyée, l’été dernier, aux cardinaux et aux patriarches afin que ceux-ci demandent au pape de faire la clarté à propos des points les plus controversés de l’exhortation apostolique.

L’essai du professeur Pierantoni a été publié en langue anglaise, ces jours derniers, dans la revue allemande « AEMAET – Wissenschaftliche Zeitschrift für Philosophie und Theologie », sur le site de laquelle il peut être téléchargé en format PDF :

> The Arian crisis and the current controversy about « Amoris Laetitia »: a parallel

Le texte intégral de l’essai, traduit en italien, est déjà disponible sur cette autre page de www.chiesa :

> La crisi ariana e la controversia attuale su « Amoris laetitia »: un parallelo

Ci-dessous on peut lire le début et la partie finale de l’essai. Le tableau qui y est dressé est sombre, mais on y trouvera un certain espoir que la crise actuelle puisse être dépassée de manière positive. Peut-être au moyen d’un nouveau concile œcuménique, tel que celui qui eut lieu, il y a de cela bien des siècles, à Chalcédoine (photo).

Bonne lecture !

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La crise arienne et la controverse actuelle à propos d’ »Amoris lætitia »: un parallèle

par Claudio Pierantoni

Les réflexions qui suivent tirent leur origine d’une coïncidence assez curieuse. Au début du mois d’avril de cette année, en effet, à la faculté de théologie de l’Université Catholique de Santiago du Chili, un groupe d’étude consacré à la controverse arienne a été lancé.

Au cours de la première réunion de ce groupe, nous avons réfléchi à la rapidité extraordinaire avec laquelle la controverse suscitée en 318 ou 319 par Arius, prêtre d’Alexandrie, qui semblait avoir été apaisée par la condamnation de celui-ci par l’évêque de cette métropole, Alexandre, s’était au contraire rapidement répandue en Palestine et de là, en quelques années, avait enflammé tout l’Orient romain, ce qui avait amené l’empereur Constantin à convoquer un concile œcuménique afin de mettre un terme à cette controverse. Apparemment il s’agissait seulement de deux phrases imprudentes concernant la relation du Fils avec le Père, mais elles mirent à découvert de profondes différences doctrinales qui existaient au sein de l’épiscopat et elles déclenchèrent une polémique qui était évidemment latente depuis très longtemps.

Or il se trouve que c’est au même moment de ce mois d’avril 2016 qu’a été publiée l’exhortation apostolique « Amoris lætitia », qui a été suivie, peu de temps après, […] des réactions du cardinal Burke et de celles du cardinal Müller, et la polémique a commencé. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que l’on comprenne que l’incendie qui était en train de se propager rapidement, tout à fait comme au temps d’Arius, était d’une grande ampleur, bien que son point de départ ait été apparemment modeste puisqu’il s’agissait seulement de deux imprudentes notes en bas de page, des notes dont le pape affirmait ne même pas se souvenir.

Il m’a donc semblé naturel de commencer à faire une comparaison entre les deux crises. […] Les deux moments, en effet, peuvent être envisagés comme étant analogues parce que, dans les deux cas, une intervention importante du magistère est perçue par beaucoup de catholiques comme étant en conflit avec la doctrine précédente. De plus, dans les deux cas, on perçoit un silence assourdissant de la hiérarchie de l’Église catholique, bien évidemment avec des exceptions.

Pour ce qui est du contenu, les deux crises sont certainement différentes : dans le premier cas, le sujet de la controverse est strictement théologique, étant donné qu’il concerne la base de la doctrine chrétienne à propos de Dieu un et trine, alors que, dans le second cas, le sujet est théologico-moral, étant donné qu’il concerne de manière centrale le thème du mariage.

Cependant, l’élément principal qui rapproche les deux crises est, me semble-t-il, le fait que l’une et l’autre concernent un des piliers du message chrétien et que, si ce pilier est détruit, le message lui-même perd sa physionomie fondamentale. […]

I. Parallèle entre les deux crises, dans les documents doctrinaux

En ce qui concerne les documents doctrinaux, l’élément de parallélisme qui retient le plus l’attention est le caractère d’ambigüité qui est présent dans les formules arianophiles des années 357-360.

En effet, […] la minorité arianophile, bien qu’étant au pouvoir, ne se hasarde pas à proposer une prise de position qui s’oppose trop clairement à la manière de voir traditionnelle. Elle ne dit pas expressément que le Fils est inférieur au Père, mais elle utilise une formulation générale, « semblable » au Père, qui peut se prêter à différents degrés de subordination. En bref, bien qu’elle soit au pouvoir, elle cherche à se dissimuler.

De manière analogue, l’actuelle exhortation apostolique « Amoris lætitia », dans son chapitre VIII désormais très connu, ne nie pas ouvertement l’indissolubilité du mariage  ; bien au contraire, elle l’affirme de manière explicite. Toutefois, en pratique, elle nie les conséquences qui découlent nécessairement de l’indissolubilité du mariage. Mais elle le fait en s’exprimant de manière sinueuse et alambiquée, en employant des formulations qui recouvrent toute une gamme de prises de position diverses, dont certaines sont plus extrêmes et d’autres sont plus modérées.

Par exemple, elle dit que “dans certains cas” il serait possible d’apporter l’“aide des sacrements” aux personnes qui vivent des unions “dites irrégulières”. De quels cas il s’agit, elle ne l’indique pas, ce qui fait qu’il est possible de donner au moins quatre interprétations du texte, dont les plus restrictives sont évidemment incompatibles avec les plus larges. Afin de parvenir à une interprétation claire, il est donc utile de les classer en fonction de leur différent degré d’amplitude, en partant de la plus restrictive pour aller jusqu’à la plus étendue :

1.    Sur la base du principe de continuité herméneutique, l’expression “dans certains cas” devrait être interprétée comme se référant aux cas qui sont spécifiés dans les documents du magistère actuellement en vigueur, comme « Familiaris consortio », qui dit que l’on peut donner l’absolution et la communion eucharistique dans les cas où les personnes qui cohabitent promettent de vivre ensemble comme frère et sœur.

Cette interprétation a pour elle un principe herméneutique fondamental, qui pourrait sembler irréfutable, mais elle est contredite par la note 329, qui affirme de manière explicite que ce comportement (celui qui consiste à cohabiter comme frère et sœur) serait potentiellement nuisible et qu’il faudrait donc l’éviter.

2.    L’expression “dans certains cas” peut être interprétée, de manière plus large, comme faisant référence à la certitude subjective que le mariage précédent est nul, en supposant que, pour des raisons particulières, il ne soit pas possible de prouver cette nullité devant un tribunal.

Dans de tels cas, il se pourrait certainement que, dans le secret de la conscience, il n’y ait pas de faute dans la nouvelle union : on pourrait considérer que, sur le plan de la doctrine morale, cette manière de voir est en accord avec « Familiaris consortio ». Cependant il reste une différence fondamentale sur le plan ecclésiologique : l’eucharistie est un acte sacramentel, public, dans lequel on ne peut pas prendre en considération une réalité qui est en elle-même invisible et impossible à contrôler publiquement.

3.     L’expression « dans certains cas” peut être interprétée, de manière encore plus large, comme faisant référence à une responsabilité subjective moindre ou même nulle, due à l’ignorance de la norme ou à l’incapacité de comprendre celle-ci ; ou bien à la “force majeure”, dans laquelle une quelconque circonstance particulière peut être tellement forte qu’elle “contraint” deux personnes à une cohabitation « more uxorio » qui, de ce fait, ne constituerait pas une faute grave ; au contraire, selon le document, la renonciation à la cohabitation pourrait même constituer une faute encore plus grave.

Ici, nous sommes déjà confrontés à de sérieux problèmes, y compris en termes de théologie morale. L’ignorance et l’incapacité de comprendre peuvent en effet limiter la responsabilité personnelle : mais il apparaît incongru, pour ne pas dire contradictoire, d’invoquer de tels motifs dans ce contexte, où il est question d’un cheminement et d’un discernement « accompagné » : des processus qui devraient justement avoir comme objectif de surmonter cette ignorance et cette incapacité de comprendre.

En ce qui concerne la force majeure, il n’est pas du tout évident, il est même contraire à toute la tradition et à d’importantes déclarations dogmatiques, qu’elle puisse justifier le manquement à l’accomplissement de la loi divine. Il est vrai que l’on ne peut pas exclure a priori qu’il puisse y avoir des circonstances particulières dans lesquelles la situation peut changer la nature morale d’un acte extérieurement semblable, même s’il est conscient et volontaire : par exemple, l’acte consistant à soustraire un bien à quelqu’un peut constituer non pas un vol, mais un acte de premier secours à l’égard d’une personne, ou bien un acte destiné à éviter un mal plus grand. Mais même s’il est admis, et non pas concédé, que cela puisse s’appliquer à l’adultère, il y a une chose qui s’oppose indiscutablement à une justification de ce genre  : c’est le caractère durable du comportement objectivement négatif. En effet ce qui est justifiable dans un moment ponctuel, d’urgence, ne peut pas l’être dans une situation stable, choisie consciemment.

De toute manière, le principe ecclésiologique selon lequel ce qui, par nature, appartient au secret de la conscience ne peut en aucun cas être rendu visible par magie au niveau public reste valable dans ce cas aussi.

4.    L’expression “dans certains cas” peut, dans l’interprétation la plus large de toutes, être étendue de manière à inclure tous ces cas – qui sont d’ailleurs des cas réels, concrets et fréquents, que nous connaissons tous – dans lesquels on a affaire à un mariage peu heureux, qui échoue en raison d’une série de malentendus et d’incompatibilités et qui est suivi par une cohabitation heureuse, stable dans le temps, avec une fidélité réciproque, etc. (cf. AL 298).

Dans ces cas-là, il semblerait que le résultat pratique, en particulier la longue durée et le caractère heureux de la nouvelle union par opposition à la courte durée et au caractère malheureux de la précédente union, puisse être interprété comme une sorte de confirmation du fait que la nouvelle union est quelque chose de bon et donc de légitime. Dans ce contexte (AL 298), on ne parle pas du tout de la validité du mariage précédent, ni de l’incapacité de comprendre, ni de la force majeure. Et en effet, lorsque, un peu plus loin dans le texte (AL 300), on en vient à examiner le genre de discernement qui devra être pratiqué dan ces cas-là, il apparaît encore plus clairement que les sujets qui seront pris en considération dans l’examen de conscience et dans le repentir correspondant, seront uniquement le bon ou le mauvais comportement face à l’insuccès du premier mariage et la réussite de la nouvelle union.

Il est clair, ici, que le “repentir” dont il doit être question ne concerne pas du tout la nouvelle union en présence d’une précédente union légitime ; au contraire il concerne le comportement pendant la crise précédente et les conséquences (qui ne sont pas précisées davantage) de la nouvelle union sur la famille et sur la communauté.

Il est donc évident que le document veut aller au-delà non seulement des cas dans lesquels on a la certitude subjective de l’invalidité du lien précédent, mais également au-delà des cas d’ignorance, de difficulté à comprendre, de force majeure, ou d’impossibilité présumée de se conformer à la loi.

Maintenant, il est suffisamment clair que si l’instrument de mesure valide pour juger du caractère licite de la nouvelle union est, en fin de compte, la réussite pratique de cette union, le bonheur visible, empirique, qu’elle procure, par opposition à l’insuccès et à la vie malheureuse du précédent mariage – caractère licite qui est bien évidemment présupposé pour pouvoir recevoir l’absolution sacramentelle et l’eucharistie – la conséquence inévitable est que le mariage précédent est implicitement considéré, y compris publiquement, comme étant désormais sans effet et donc dissous : par conséquent, on considère que le lien matrimonial peut être dissous. C’est ainsi que, dans les faits, le divorce est introduit dans l’Église catholique tandis que, en paroles, celle-ci continue à affirmer l’indissolubilité du mariage.

De même il est suffisamment clair que, si la réussite du nouveau mariage est suffisante pour établir le caractère licite de celui-ci, cela implique que pratiquement tous les cas de nouvelle union sont justifiés, En effet, si l’on constate que la nouvelle union n’est pas une réussite, l’élément favorable permettant de la justifier disparaît et l’on passera plutôt à une nouvelle union, dans l’espoir d’une plus grande réussite. Or la logique du divorce, c’est précisément cela, et pas autre chose.

De ce que l’on vient de dire on peut tirer une autre conclusion  : la discussion à propos des cas que l’on pourrait qualifier d’“intermédiaires”, c’est-à-dire ceux qui se situent entre la manière de voir traditionnelle et celle qui est la plus large – cette dernière incluant en fait tous les cas, comme nous l’avons montré – si elle permet à beaucoup de gens, plus modérés, de se reconnaître dans l’un ou l’autre des degrés et si, par conséquent, elle peut avoir une valeur de “tranquillisant”, en revanche elle finit par être, au point de vue pratique, bien peu significative. En somme, le document pontifical, en raison de son caractère très général, donne en effet carte blanche pour résoudre la grande majorité des situations réelles au moyen d’un critère qui est beaucoup plus simple et en ligne avec la mentalité prédominante dans notre civilisation : en un mot, un critère qui est parfaitement en ligne avec l’idéologie du divorce.

*

Pour en revenir à notre parallèle, tout cela rappelle de très près la politique de l’empereur Constance, qui recherchait une formulation suffisamment générale grâce à laquelle il se proposait de satisfaire les partisans des nombreuses manières de voir différentes. Le caractère général de l’expression “semblable au Père selon les Écritures” employée dans la controverse relative à l’arianisme trouve un équivalent parfait dans le caractère général de l’expression “dans certains cas” que nous trouvons dans « Amoris lætitia ». En théorie, presque toutes les manières de voir peuvent s’y reconnaître.

Par conséquent, les situations sont également analogues en ce qui concerne le résultat pratique. De même que la quasi-totalité de l’épiscopat de l’empire accepta la formule de Rimini-Constantinople en 359-60, de même aujourd’hui la très grande majorité de l’épiscopat a accepté sans rien dire le nouveau document pontifical, tout en sachant que celui-ci légitime, dans les faits, une série de prises de position qui sont incompatibles entre elles et dont certaines sont manifestement hérétiques.

Actuellement beaucoup d’évêques et de théologiens apaisent leur conscience en disant, aussi bien en public qu’à eux-mêmes, que le fait d’affirmer que, “dans certains cas”, les divorcés remariés peuvent recevoir les sacrements n’est pas erroné en soi et que cela peut être interprété, dans une herméneutique de la continuité, comme étant en ligne avec le magistère précédent. Tout à fait de la même manière, les évêques du IVe siècle considéraient qu’il n’était pas erroné en soi d’affirmer que “le Fils est semblable au Père selon les Écritures”.

Cependant, dans les deux cas, même si une large gamme de prises de position peut se retrouver dans l’une et dans l’autre formulation prise isolément, en revanche il est très clair que, dans le contexte des documents respectifs, la prise de position orthodoxe, véritablement en ligne avec le magistère précédent, est précisément celle qui est nettement exclue. […]

Dans le cas d’ »Amoris lætitia », cela se réalise :

– par le démenti donné à la formulation de « Familiaris consortio » relative à l’abstention de la cohabitation « more uxorio » en tant que condition pour accéder aux sacrements ;
– par l’élimination des limites nettes établies précédemment entre la certitude de la conscience et les normes ecclésiologiques sacramentelles ;
– par l’instrumentalisation des préceptes évangéliques relatifs à la miséricorde et au fait qu’il ne faut pas juger, qui sont utilisés pour affirmer que, dans l’Église, il ne serait pas possible d’appliquer des censures générales à certains comportements objectivement illicites ;
– et enfin, mais ce n’est pas le point le moins important, par la censure sévère qui est appliquée à tous ceux qui auraient la prétention “mesquine” et “pharisaïque” de faire appel à des normes juridiques précises pour juger n’importe quel cas individuel, alors que, au contraire, celui-ci doit absolument être laissé au discernement et à l’accompagnement personnel.

Ainsi, alors même que l’on cherche avec bonne volonté à respecter un principe herméneutique certainement valide, celui de la continuité par rapport aux documents antérieurs, on risque d’en oublier un autre qui est encore plus important et plus évident : celui du contexte immédiat dans lequel une proposition est formulée.

Si on lit chacune des affirmations contenues dans « Amoris lætitia » non pas isolément, mais dans son contexte, et si ensuite on lit ce même document dans son contexte historique immédiat, on constate sans peine que la « mens » générale qui le guide est essentiellement l’idée du divorce, à quoi s’ajoute l’idée, très répandue aujourd’hui, de ne pas établir de frontières claires entre un mariage légitime et une union irrégulière. […]

II. Parallèle entre les deux crises, quant à leur développement historique

On peut également remarquer un parallèle évident en ce qui concerne le développement historique de l’hérésie arienne. On assiste à la préparation de celle-ci au cours de la seconde moitié du IIIe siècle ; s’étant manifestée au grand jour, elle est condamnée par le concile de Nicée, mais celui-ci fait en Orient l’objet d’un refus très répandu ; cependant, dans une première phase, ce refus du concile de Nicée est plus modéré et l’arianisme proprement dit est seulement toléré, comme étant un moindre mal. Toutefois cette tolérance lui permet de reprendre progressivement de la vigueur jusqu’au moment où, les circonstances politiques lui étant devenues favorables, il parvient au pouvoir. Bien qu’étant détenteur du pouvoir, l’arianisme ressent tout de même le besoin de se masquer : il ne s’exprime pas de manière franche et directe, mais de manière indirecte et en s’appuyant sur la pression et sur l’intimidation politique. Toutefois le fait même que l’arianisme s’impose, alors qu’il est minoritaire, à une majorité craintive et indécise, l’expose de toute façon à être réfuté de manière beaucoup plus forte et plus claire par la partie la plus orthodoxe et la plus consciente de l’épiscopat qui, au cours des deux décennies suivantes, prépare peu à peu mais inexorablement la défaite définitive de l’hérésie.

De même, dans le cas de l’hérésie actuelle, que nous pouvons appeler “kaspérienne”, du nom de son principal représentant, nous avons assisté à sa lente préparation, à partir de la seconde moitié du XXe siècle. S’étant manifestée au grand jour, elle est ensuite condamnée dans les documents rédigés par Jean-Paul II (surtout « Veritatis splendor » et « Familiaris consortio »). Mais ces documents sont rejetés de manière plus ou moins ouverte et radicale par une partie de l’épiscopat et de la théologie savante, et la pratique orthodoxe est laissée de côté dans de vastes et importantes régions du monde catholique. Ce refus est largement toléré, au niveau théorique aussi bien qu’au niveau pratique ; et à partir de là il acquiert de la force, jusqu’au moment où, étant donné que les circonstances politiques et ecclésiastiques lui sont favorables, il parvient au pouvoir. Cependant, bien qu’elle soit arrivée au pouvoir, l’erreur s’exprime non pas de manière franche et directe, mais à travers des activités synodales (2014-2015) qui ne sont pas claires du tout ; elle aboutit alors à un document apostolique exemplaire par son caractère tortueux. Toutefois le fait même qu’elle soit parvenue à se manifester dans un document magistériel suscite une indignation morale et une réaction intellectuelle beaucoup plus fortes et plus dynamiques. Cela oblige quiconque dispose des outils intellectuels nécessaires à repenser la doctrine orthodoxe, de manière à la formuler de manière encore plus profonde et claire, afin de préparer une condamnation définitive non seulement de l’erreur précise que l’on examine, mais également de toutes les erreurs qui y sont associées, parce qu’elles vont avoir un impact sur toute la doctrine sacramentelle et morale de l’Église. Cela permet en outre, et ce n’est pas peu de chose, de mettre à l’épreuve, de reconnaître et de réunir ceux qui adhèrent véritablement et solidement au dépôt de la foi.

Nous pouvons dire que c’est précisément dans cette phase que nous nous trouvons en ce moment. Elle vient tout juste de commencer et elle s’annonce pleine d’obstacles. Nous ne pouvons pas prévoir combien de temps elle va durer, mais nous devons avoir la certitude de la foi, que Dieu ne permettrait pas cette crise très grave si ce n’était pas en vue d’un bien supérieur des âmes. C’est certainement le Saint-Esprit qui nous donnera la solution, en éclairant ce pape ou son successeur, peut-être même par la convocation d’un nouveau concile œcuménique. Mais en attendant, chacun de nous est appelé, dans l’humilité et dans la prière, à donner son témoignage et sa contribution. Et le Seigneur demandera des comptes à chacun d’entre nous.

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Traduction française par Antoine de Guitaut, Paris, France.

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