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Histoire de la messe interdite (22)

publié dans un disciple le 3 mars 2018


Histoire de la messe interdite (22)

Livre 3

Chapitre 11

Analyse

de l’article 1 § 1

du Motu Proprio Sumorum Pontificum

« Déprécier » le Novus Ordo Missae, est-ce possible ?

 

Rome demande aux prêtres de l’Institut du Bon Pasteur de vivre des richesses de la messe « ancienne » romaine et même de savoir les transmettre, mais sans pour autant « déprécier » les richesses de la nouvelle messe, sa « beauté et sa sainteté ».

Ce désir semble se généraliser aujourd’hui. On pourrait le résumer ainsi : vous avez le droit de l’ancienne messe, acceptez en échange la nouvelle messe et ses richesses. Donnant-donnant !

Plusieurs représentants de la hiérarchie parlent dans ce sens. C’est ainsi que Mgr Rey déclarait, dans son récent entretien publié dans La Nef, annonçant la tenue du colloque à Rome fin juin de Sacra Liturgia 2013 qu’il préside, vouloir célébrer à cette occasion les deux formes de l’unique rite romain : « Les divisions entre les adeptes de la « forme extraordinaire » du rite romain et ceux de la « forme ordinaire » n’ont plus de raison d’être… les deux formes de l’unique rite romain ont chacune une place légitime dans la vie de l’Église, et l’on ne peut refuser l’une ou l’autre ». Il vient de reprendre cette idée, dans son homélie d’ouverture du 25 juin 2013 :  « Il (Benoît XVI) nous a démontré qu’il ne doit y avoir aucune opposition entre les formes anciennes et nouvelles du rite romain – qui ont toutes les deux leur place dans l’Eglise de la nouvelle évangélisation ».

Toutes ces personnalités se fondent sur l’enseignement de Benoît XVI, celui exprimé dans son Motu Proprio (MP) SummorumPontificum. En effet, Mgr Rey se justifie en disant : « Benoît XVI a, d’une certaine façon, résolu cette question et nous nous mettons à son école : à Sacra Liturgia 2013, nous célèbrerons les deux formes liturgiques avec notamment les cardinaux Canizares et Brandmülle, comme Benoît XVI l’a dit très clairement » dans son Motu Proprio.

La messe « nouvelle » ne poserait donc plus de « problèmes » théologiques ni pastoraux. Il faudrait l’accepter purement et simplement, sans plus demander corrections, réforme, encore moins abrogation. Il faudrait s’en tenir dorénavant inclus à l’article 1§1 du Motu Proprio SummonrumPontificum:

« Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la « lex orandi » de l’Église catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par S. Pie V et réédité par le bienheureux Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même « lex orandi » de l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Église n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Église ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain.

Il est donc permis de célébrer le Sacrifice de la Messe suivant l’édition type du Missel romain promulgué par le bienheureux Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, en tant que forme extraordinaire de la Liturgie de l’Église ».

Dans le prolongement de cet esprit, on nous demande même de ne pas « déprécier » le nouveau rite, pas plus, (pour les autres)  du reste que le rite « antiquior ».

C’est Mgr Di Noia (op) un temps secrétaire de la commission Ecclesia Dei qui le demande et l’écrit.

Je lui ai envoyé mon livre « La réforme liturgique de Benôit XVI », il me répondait le 9 septembre 2013 :

« Cher Monsieur l’abbé,

En réponse à ma lettre du 15 avril dernier, vous m’avez aimablement offert un exemplaire de l’ouvrage que vous avez publié l’an dernier, La réforme liturgique de Benoît XVI, Etats des lieux, et je vous en remercie.
Vous faisiez également état de votre perplexité face à la demande de ne « pas déprécier » les richesses de la forme ordinaire de la liturgie romaine et vous demandiez s’il existait une contradiction dans l’enseignement de la hiérarchie.

Les textes du motu proprio Summorum Pontificium de Sa sainteté le Pape Benoît XVI et de l’instruction Universae Eccleiae, approuvée par le même Pontife, ont précisément cherché à montrer qu’il n’existait aucune contradiction de cet ordre.

Les deux formes de l’unique rite romain y sont bien présentées comme étant d’égale dignité, et tout prêtre catholique peut, l’âme en paix, célébrer une messe que célèbrent quotidiennement des centaines de milliers de ses confrères, à commencer par le Saint Père lui-même. C’est pourquoi il aura à cœur de ne pas déprécier aucune des deux formes.

Formant pour vous les meilleurs vœux, je vous prie d’agréer, Cher monsieur l’abbé, l’expression de mes sentiments fraternels et dévoués.

J. Augustine Di Noia, o.p.

Cette lettre émane de la Congrégation pro Doctrina Fidei et de la Commission Ecclesia Dei »

Prot. Sous le n° 80 /2006

Que faut-il penser de tout cela ? Le MP SummorumPontificum exprime-t-il vraiment un jugement définitif de Benoît XVI ? N’est-il pas plutôt l’œuvre d’un compromis qui a fait l’objet de longues discussions ? De ces discussions, il en parle par deux fois dans sa lettre d’accompagnement transmettant aux évêques ce document : tout au début : « Ce document est le fruit de longues réflexions, de multiples consultations et de la prière » et un peu plus loin, il écrit : « …au cours des discussions sur ce Motu Proprio… ».

Ces « consultations », ces « discussions » ont-elles abouti à un compromis, à ce compromis, celui de l’article 1§1 ? Des pressions se sont-elles exercées sur Benoît XVI pour l’obtenir ?

Ce sont ces questions que je voudrais aborder ici.

Tout d’abord, je voudrais « discuter », dans une première partie, le jugement de Rome, de celui exprimé par Mgr Rey et par Mgr Di Noia.

Ne doit-on plus « critiquer » le nouveau rite ? Est-il devenu idoine, au fil du temps, comme par enchantement ?

Puis, dans une deuxième partie, je voudrais aborder la pensée liturgique de Benoît XVI telle qu’il l’a exprimée dans de nombreux ouvrages, mais aussi dans son Motu Proprio SummorumPontificum qui nous a tant réjouis puisqu’il redonnait à l’Eglise l’usage libre de la messe « tridentine », mais  qui nous a aussi « étonnés » puisqu’il exigeait de nous tous, dans « sa lettre d’accompagnement aux évêques », la « reconnaissance de (la) valeur et de (la) sainteté » de ce rite nouveau qu’il a si souvent pourtant « critiqué » lui-même. C’est bien lui qui a parlé le premier de la nécessaire« réforme de la réforme »…

Je n’invoquerai pas ici l’autorité de nos Maîtres parce qu’ils sont contestés par l’autorité ecclésiale – à tort certainement, mais contestés tout de même… Je ne parlerai donc pas de l’enseignement de Mgr Lefebvre, ni de Mgr de Castro Mayer, ni du R.P.Calmel, ni de M. l’abbé Dulac. Je ne parlerai pas non plus des autorités laïques comme celle de M. Louis Salleron ou de M. Jean Madiran qui nous ont laissé un enseignement tellement riche et expli­cite sur cette réforme liturgique issue du Concile Vatican II. Je passerai sous silence leur autorité et leur enseignement ne voulant pas faire œuvre « polémique ».

Je ne parlerai ici que des études de membres « reconnus » de la hiérarchie catholique. J’invoquerai essentiellement les études des cardinaux Ottaviani et Bacci, les nombreuses conférences, si peu connues, du cardinal Stickler, les nombreux livres ou articles du cardinal Ratzinger et de Mgr Gamber, liturgiste tellement recommandé par le cardinal Ratzinger. Je n’omettrai pas d’invoquer aussi l’autorité de Benoît XVI. Il y a beaucoup à dire sur son MP SummorumPontificum.

Telles seront les autorités citées. Je reprendrai donc beaucoup d’analyses que vous avez lues plus haut…Mais, cette fois, non pas pour connaître leurs pensées, mais   pour justifier mon analyse et mon étonnement devant l’article 1 § 1 du Motu Proprio de Benoît XVI.

Sur les analyses de ces auteurs et avec elles, je pense pouvoir ne pas suivre totalement le jugement de Rome  et continuer de « dépré­cier » le Novus Ordo Missae. Et dire mon non possumus à sa célébration. Car ces autorités ont, elles aussi, « déprécié » le nouveau rite. En ce sens, nous ne faisons que suivre leurs arguments et raisonnements, même si nous nous éloignons de leur position pratique. Á Rome d’en prendre acte et de reconsidérer la question.

Première partie : La critique du Nouvel Ordo Missae.

§1- Les cardinaux Ottaviani et Bacci.

Commençons tout de suite par les autorités des cardinaux Ottaviani et Bacci.

Le 3 avril 1969, après la publication de la constitution apostolique Missale romanum de Paul VI donnant à l’Eglise un nouvel Ordo Missae– ce qui était en son pouvoir et donc, sous ce rapport, parfaitement légitime –, les cardinaux Ottaviani et Bacciont écrivent au Souverain Pontife, à peine six mois plus tard, le 3 septembre 1969, une lettre présentant une étude approfondie intitulée Bref Examen Critique du Nouvel Ordo Missae. Dans cette lettre, ils ne craignaient pas d’écrire : « Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente lequel, en fixant définitivement les « Canons » du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du mystère ».

Il est difficile de « déprécier » plus clairement le« nouveau rite », celui « créé de toute pièce » par le Concilium institué par Paul VI, ayant à sa tête le cardinal Lercarro, comme président et Mgr Bugnini, comme secrétaire.

Ils « déprécient » tellement la nouvelle messe qu’ils ne craignent pas de parler de« rupture » dans la transmission de la foi. Ils écrivent : « Tant de nouveautés apparaissent dans le nouvel Ordo Missae, et en revanche tant de choses éternelles s’y trouvent reléguées à une place mineure ou à une autre place – si même elles y trouvent encore une place –, que pourrait se trouver renforcé et changé en certitude le doute qui, malheureusement, s’insinue dans de nombreux milieux, selon lequel des vérités toujours crues par le peuple chrétien pourraient changer ou être passées sous silence sans qu’il y ait infidélité au dépôt de la doctrine auquel la foi catholique est liée pour l’éternité ».

Les cardinaux font ici allusion à toutes les suppressions, ou mieux, l’amoindrissement des gestes concernant la présence réelle et substantielle de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l’Eucharistie, suppression des génuflexions, des signes de croix… ; concernant aussi la spécificité du prêtre dans l’offrande du Sacrifice, le prêtre jouissant d’un sacerdoce essentiellement distinct de celui des fidèles lui permettant seul d’offrir le sacrifice du Christ. Mais ils veulent surtout faire allusion au fameux article 7 de l’Institution generalis publiée dans la constitution Missale Romanum du 3 avril 1969. Là, nous trouvons une définition de la messe :« La messe, ou repas du Seigneur, est l’assemblée du peuple de Dieu, qui se réunit présidée par le prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi la promesse du Christ s’applique éminemment au rassemblement local de la sainte Église : « Là où deux ou trois sont réunis en mon Nom, Je suis au milieu d’eux » ».Cette définition ne contient, à l’évidence, aucun élément constitutif de ce qu’est la messe catholique, à savoir« le vrai Sacrifice propitiatoire de Notre-Seigneur Jésus-Christ renouvelé sur l’autel ». A lire l’article 7, il semblerait que la messe ne soit qu’un mémorial de la Cène, ou encore une « banale »assemblée faisant mémoire de la Pâques du Seigneur. Cet article 7 est si éloigné de la doctrine catholique sur la messe qu’il fallut en modifier intégralement le texte. Or, c’est sur cette définition de l’article 7, première formule, que le Concilium et Mgr Bugnini en particulier, ont élaboré le nouveau rite. Le nouveau rite ne serait-il pas ainsi frappé d’une « légitime suspicion » ? Il fut, de plus, élaboré dans un esprit réellement œcuménique où il s’agissait d’enlever « tout ce qui pouvait déplaire aux Protestants ». Vous vous souvenez du chapitre où j’ai parlé des principes qui ont animé la réforme liturgique, en particulier l’œcuménisme…

Aussi il n’est pas étonnant de voir, en conclusion de leur lettre, les cardinaux Ottaviani et Bacci demander rien moins que« l’abrogation » du nouveau rite, ou du moins que ne soit pas enlevée à la chrétienté la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond missel romain de saint Pie V ».

Je crois qu’il est difficile d’être plus clair.

Or le Bref Examen Critique n’a jamais été réfuté. Et de fait, M. l’abbé Claude Barthe le fait remarquer dans son texte de présentation du Bref Examen Critique, nouvellement publié par Renaissance Catholique : « Un examen critique en attente de réponse » (p. 21). Mieux encore, Mgr Schneider, évêque au Kazakhstan, archevêque de Karaganda, a fait de ce Bref Examen Critique un éloge évident. Dans sa conférence du 15 janvier 2012 à Paris, il deman­dait que le nouvel offertoire du nouveau rite soit remplacé par l’Offertoire de l’ancien Missel…ce nouvel offertoire ne correspondant pas à la doctrine catholique…N’est-ce pas« déprécier » le nouveau rite ? (Cf Article de Mgr Schenider, in fine)

§2 –Le cardinal Stickler.

Mais c’est aussi le cardinal Stickler qui prit la défense du Bref Examen Critique lors de sa réédition par Renaissance Catholique en 2004. C’est lui qui en a écrit la préface.

C’est un canoniste reconnu qui a été membre des commissions préparatoires du Concile Vatican II, puis expert auprès des différentes commissions conciliaires, en particulier la Commission liturgique.

On ne peut avoir meilleur témoin de la pensée conciliaire, surtout en matière liturgique.

Or, au sujet du Bref Examen Critique, il parle d’un texte « important » qui « n’a rien perdu de sa valeur » ni malheureusement de son « actualité ». Au sujet de la réforme liturgique, s’il ne parle pas, lui, de « rupture » comme les cardinaux Ottaviani et Bacci, il parle bien de « bouleversements » dans la vie liturgique de l’Eglise. La différence n’est pas grande ! Il en parle en connaissance de cause puisqu’il fut, vous dis-je, « expert en liturgie au IIe Concile duVatican » : « Le décret Sacro sanctum Concilium suggérait une réforme, comme on l’entend au sein de l’Eglise catholique, dit-il, et non un bouleversement accompagné d’une fabrication hâtive de nouveaux rituels ». N’est-ce pas, là aussi, parler de « dévastation » de l’Eglise occasionnée par cette réforme. C’est ce qu’avaient annoncé Ottaviani et Bacci. « Ce fut le mérite des cardinaux Ottaviani et Bacci de découvrir très vite que la modification des rites aboutissait à un changement fondamental de la doctrine ». Aussi, en conclusion, loue-t-il les responsables de Renaissance Catholique de procéder à la réédition de cette étude fon­damentale et toujours actuelle : « Il est donc louable et utile… de faire de nouveau entendre, trente-cinq ans après, la voix de ces deux princes de l’Eglise, défenseurs de la doctrine, de la Tradition catholique et de la papauté » (p. 8).

Cette préface n’est pas la seule intervention du cardinal Stickler sur la réforme liturgique issue du Concile Vatican II, loin s’en faut.

Un petit livre « blanc » publié par le Centre International d’Etudes Liturgiques (CIEL) en mai 2000, contient en effet un grand nombre d’interventions du cardinal en cette matière. Il est fort intéressant de suivre sa pensée.

Le 20 mai 1995, à l’invitation de l’association Christifideles,il donna une conférence à Fort Lee dans le New Jersey. Le titre de la conférence était « Les bienfaits de la messe triden­tine ». Le titre est déjà tout un enseignement ! Après avoir étudié les grandes affirmations du Concile de Trente sur la doctrine de la messe, après en avoir rappelé le caractère sacrificiel, après avoir exposé le sens de l’usage de la langue latine comme langue sacrée, et après avoir ainsi pu comparer la messe de saint Pie V et la messe de Paul VI, il conclut sa conférence par ces mots : « Pour résumer nos réflexions, nous pouvons dire que les bienfaits théologiques de la messe tridentine correspondent aux déficiences théologiques de la messe issue de Vati­can II ». Mais parler de « déficiences » de la messe nouvelle, n’est-ce pas « déprécier » devant l’auditoire présent, la nouvelle messe (p. 22) ?

Mais c’est surtout dans sa conférence donnée à l’« Internationalen Théologischen Sommer­akademie » en août 1997 que le cardinal Stickler exprima ouvertement sa pensée, il l’intitula : « Souvenirs et expériences d’un expert de la Commission conciliaire sur la liturgie ».

La conférence est assez longue, elle fait une trentaine de pages du petit livre. Mais quel intérêt !

Le cardinal Stickler tout d’abord se présente. Il a été professeur de droit canon « à l’Université salésienne », puis pendant huit ans, de 1958 à 1966, « recteur de cette université ». En cette qualité, il a été nommé « consulteur » de la Congrégation Romaine pour les Séminaires et les Universités, ensuite nommé expert de la Commission pour le clergé. Puis, grâce au cardinal Laraona, il fut nommé à la Commission conciliaire pour la liturgie. « C’est, dit-il, par cette fonction non recherchée que j’ai vécu le Concile Vatican II depuis ses débuts puisque, comme on le sait, la liturgie fut le premier sujet inscrit à l’ordre du jour. Je fus ensuite affecté à la sous-commission qui devait rédiger les modifications apportées aux trois premiers chapitres et aussi préparer l’ultime formulation des textes qui devaient être soumis, pour discussion et approbation, à la commission réunie en plénière avant d’être présentés dans l’aula conciliaire ». Dans le cadre de ces travaux, il put se faire une idée exacte « de ce que souhaitaient les Pères conciliaires ainsi que du sens réel des textes votés et adoptés par le Concile ».

Ces précisions me semblent importantes pour notre sujet. Elles fondent du moins l’autorité du cardinal et sa connaissance du texte conciliaire en la matière liturgique. Nous ne pouvons donc avoir meilleur « critique »lorsqu’il nous donne son jugement sur « l’édition définitive » du nouveau Missel « Romain ».

Or, lorsqu’il eut connaissance de l’édition définitive du Nouveau Missel « Romain », il dit avoir été« obligé de constater que, sur bien des points, son contenu ne correspondait pas aux textes conciliaires qui m’étaient si familiers, que beaucoup de choses avaient été changées ou élargies, ou allaient même directement au rebours des instructions données par le Concile ».

N’est-ce pas déprécier la réforme liturgique ?

Il demanda une audience au cardinal Gut qui, le 8 mai 1968, était devenu préfet de la Congrégation des Rites, et lui dit dans cette audience, son « étonnement », son« malaise croissant »et même sa« fureur devant certaines contradictions particulières » (avec le texte conciliaire), « ses inquiétudes », surtout considérant les conséquences nécessairement graves que l’on pouvait en attendre.

Aussi ne sommes-nous pas  étonnés du thème de sa conférence : il veut juger « de la concor­dance ou de la contradiction entre les dispositions conciliaires et la réforme effectivement appliquée » (p. 35).

Ce thème pour nous est important. Il est en plein dans notre sujet.

Les grands principes liturgiques rappelés par le Concile.

Tout au début, le Cardinal rappelle quelques grands principes liturgiques heureusement soulignés par la Constitution Sacro sanctum Concilium. Il nous rappelle l’article 2 qui affirme que, dans la liturgie, « tout ce qui est humain doit être subordonné et soumis au divin, le visible à l’invisible, l’action à la contemplation, le présent à la cité divine future que nous recherchons » (p. 35).

Or les réformateurs ont tout simplement échoué, écrit-il, dans l’application de ce principe évident. Bien au contraire, la nouvelle liturgie a souvent« soumis le divin à l’humain, le mystère invisible au visible, la contemplation à l’activisme, l’éternité future au présent humain quotidien » (p. 64).

Le Cardinal fait tout simplement un constat d’échec, un échec total. N’est pas « déprécier » la réforme liturgique ? N’est-ce pas la raison de la perte de piété qu’a si souvent regrettée le cardinal Ratzinger dans ces ouvrages écrits alors qu’il était préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi ?

La première réforme aurait donc échoué ?

« C’est précisément parce que l’on se rend toujours plus clairement compte de la situation actuelle (NDLR de la « déconfiture » de la réforme liturgique et de son infidélité à la pensée conciliaire… Mais à qui la faute ?…) que se renforce l’espoir d’une éventuelle restauration que le cardinal Ratzinger voit dans un nouveau mouvement liturgique qui éveillera à une vie nouvelle le véritable héritage du Concile Vatican II ».

Et il cite le livre du Cardinal, Ma Vie, particulièrement ce passage : « Je suis convaincu, dit le cardinal Ratzinger, que la crise de l’Eglise que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie qui est parfois même conçue de telle manière– etsi Deus non daretur (comme si Dieu n’existait pas) – que son propos n’est plus du tout de signifier que Dieu existe, qu’il s’adresse à nous et nous écoute. Mais si la liturgie ne laisse plus apparaître une communauté de foi, l’unité universelle de l’Eglise et de son histoire, le mystère du Christ vivant, où l’Eglise manifeste-t-elle donc encore sa nature spirituelle ? Alors la communauté ne fait que se célébrer elle-même. Et cela n’en vaut pas la peine. Et parce qu’il n’existe pas de communauté en soi, mais qu’elle jaillit toujours et seulement du Seigneur lui-même, par la foi, comme unité, la désagrégation en toutes sortes de querelles de clochers, les oppositions partisanes dans une Eglise qui se déchire deviennent ainsi inéluctables. C’est pourquoi nous avons besoin d’un nouveau mouvement liturgique qui donne le jour au véri­table héritage du Concile Vatican II » (Ma vie, p. 135).

N’est-ce pas parler à mots couverts d’un échec de la réforme liturgique ?

Le cardinal Stickler survole encore et résume quelques articles fondamentaux du texte conciliaire. Des rappels tout à fait évidents et traditionnels :

— Les articles 21 et 23 qui affirment qu’il ne faut rien changer – en matière liturgique « avant que ne soit élaborée une soigneuse étude théologique, historique, pastorale, en s’assurant d’un développement organique harmonieux ».

Ce principe est capital. L’Eglise est apostolique.

— L’article 33 rappelle la finalité de la liturgie : « La liturgie est principalement le culte de la majesté de Dieu ». À la bonne heure !

— Les articles 34 et 54 sur la langue latine. Là, le Cardinal donne son témoignage. C’est fort instructif !« Au bout de quelques jours de débats au cours desquels tous les arguments pour ou contre furent vivement discutés, on en est arrivé à la conclusion bien claire – tout à fait en accord avec le Concile de Trente, qu’il fallait conserver le latin comme langue cultuelle du rite latin, mais que des exceptions étaient possibles, et même souhaitables » (pp. 38-39).

—Sur le chant grégorien, sur les orgues, le Cardinal rappelle l’article 116 de la Constitution : « Le grégorien est le chant propre de la liturgie catholique romaine depuis l’époque de Grégoire le Grand et qu’en tant que tel, il doit être conservé » (p. 39).

— Il rappelle l’article 108 qui souligne spécialement l’importance des fêtes du Seigneur, et surtout celles du « propre du Temps », lequel doit avoir la priorité sur les fêtes des saints pour ne pas affaiblir la pleine efficacité de la célébration des mystères du salut (p. 39). Mais c’était l’enseignement qu’à Écône, Dom Guillou, professeur de liturgie, dispensait aux séminaristes avec énergie et conviction – pour toujours.

C’est à la lumière de ces principes rappelés que le Cardinal va poursuivre son exposé et sa « critique » de la réforme liturgique et de la nouvelle messe.

Au sujet du « développement harmonieux » de la liturgie, il rappelle le principe liturgique si important :Lex orandi, lex credendi(La loi de la prière est la loi de la foi). Il écrit :« La liturgie contient et exprime la foi de façon juste et compréhensible » (p. 40). De sorte que « la pérennité de la liturgie participe de la pérennité de la foi, elle contribue même à la préserver ». Et comme la foi est immuable, la liturgie qui l’exprime l’est aussi. « C’est pourquoi il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale dans aucun des rites chrétiens, catholiques, y compris dans le rite romain latin » (pp. 40-41). L’évolution litur­gique, dès lors, est lente, comme celle d’un vivant, « organique » ; c’est pourquoi il faut parler, comme le fait si souvent le cardinal Ratzinger d’une évolution nécessairement « organique ».

« Dans tous les rites, la liturgie est quelque chose qui s’est développée et continue de croître lentement ; partie du Christ et repris par les Apôtres, elle a été organiquement développée par leurs successeurs, en particulier par les figures les plus marquantes tels les Pères de l’Église, tout cela en préservant consciencieusement la substance, i.e. le corpus de la Litur­gie en tant que tel ».

Dom Guillou, professeur à Ecône, nous enseignait la même chose ! En la fête de la Pentecôte 1975, il écrivait un texte merveilleux qui constitue la préface du livre Le livre de la Messe, édité par Philippe Héduy, ce grand poète :« La Messe est d’institution divine et apostolique. Mais elle ne nous est pas parvenue telle que les Apôtres l’ont célébrée (bien qu’elle n’ait jamais été une pure imitation de la Cène…), elle est maintenant la fleur d’une croissance ‘’sui generis’’. Ses éléments constitutifs se sont développés sans évolution, ni changement (substantiel) au cours des siècles… sous la conduite de l’Esprit Saint dont l’assistance a été promise à l’Église » (pp. 17-18).

J’aime cette expression du Cardinal : « C’est pourquoi, il n’y a jamais eu de rupture, de re-création radicale… dans le rite latin romain », « à l’exception, toutefois, dit-il, de la liturgie post-conciliaire actuelle, en application de la réforme… bien que le Concile… ait toujours réaffirmé que cette réforme devait préserver absolument la tradition » (pp. 40-41).

Dire que le Cardinal ne « déprécie » pas la liturgie réformée, c’est ne pas comprendre le sens des mots ni la pensée exprimée !

« Jamais de rupture… à l’exception de la liturgie post-conciliaire actuelle » !

Mais c’était l’enseignement du cardinal Ottaviani.

Il écrivait à Paul VI :« Le Nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloignent de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe Session du Concile de Trente ».

Pour ces prélats, c’est donc bien à une rupture à laquelle on assiste avec le Nouvel Ordo Missae, « une rupture avec la Tradition », contrairement à ce que souhaitait le Concile. Du reste, le cardinal Ottaviani utilise lui-même le mot :« Les raisons pastorales avancées pour justifier une si grave rupture ».

Le cardinal Stickler, lui, parle « d’une véritable et radicale nouveauté ». Il affirme sans nuance : « L’Ordo Missae (est) radicalement nouveaualors que toutes les réformes anté­rieures adoptées par les papes et, tout particulièrement, celle entreprise sous l’impulsion du Concile de Trente et mis en œuvre par le pape Pie V et jusqu’à celles de Pie X, de Pie XII et de Jean XXIII, ne furent pas des révolutions, mais uniquement des corrections qui ne touchaient pas l’essentiel, des ajustements et des enrichissements » (p. 41).

Nous n’avons rien de tel avec l’Ordo de Paul VI. Nous avons un Novus Ordo Missae. Rien de comparable.

Et le Cardinal va montrer ces « nouveautés » :« Nous allons maintenant présenter quelques exemples marquants (sans vouloir être exhaustif) de ce qui a été créé dans la réforme post­conciliaire et, en particulier, dans son cœur : l’Ordo Missae est radicalement nouveau » (p. 41).

Alors le Cardinal passe en revue le Nouvel Ordo. Il feuillette le Nouvel Ordo. Il n’insiste pas sur l’introduction de la Messe. Elle est « nouvelle », dit-il (p. 42) et surtout comporte de « multiples variantes » (id.), ce qui souvent aboutit à une diversité presque illimitée…ce que reconnaît aussi le cardinal Ratzinger et son Maître, Mgr Gamber. Il en vient, tout de suite, à l’Offertoire.

Là, il parle à ce sujet de « révolution ». On ne peut être plus critique. Cette critique sera reprise par Mgr Schneider, le 15 janvier 2012 dans sa conférence à Paris (Cf La réforme litur­gique de Benoît XVI, éd. Godefroy de Bouillon, pp.87et suiv.. Cf. Voir sa conférence à la fin de cet article).

« L’Offertoire, dans sa forme et sur le fond, constitue une révolution : il n’est, en effet, plus prévu d’offrande préalable des dons mais simplement une préparation des oblats avec une teneur nettement humaniste mais qui, en fin de compte, donne tout de suite une impression de dépassé » (p. 42).

Il poursuit : « Quant aux signes hautement loués par le Concile de Trente et exigés par le Concile Vatican II, tels que les nombreux signes de croix qui renvoient à la Très Sainte Trinité, les baisers de l’autel et les génuflexions, de tout cela, on a fait table rase » (p. 42).

Il parle ensuite du Sacrifice qui est l’essence de la Messe.

Il écrit : « Le centre essentiel de la Messe qui était précisément l’action sacrificielle elle-même, a été déplacé au profit de la communion,[…]le Sacrifice de la Messe a été trans­formé en un repas eucharistique. Ce faisant, si l’on considère les termes utilisés, la commu­nion est devenue, dans la conscience des fidèles, la seule partie de la Messe ayant un effet intégrateur en lieu et place dela partie essentielle qui est l’action sacrificielle de la trans­substantiation »« Il est faux de faire de l’Eucharistie un repas, ce qui se produit presque toujours dans la nouvelle liturgie » (p. 43).

Qui donc « déprécie » la nouvelle messe ? Cette nouvelle Messe est-elle un sacrifice ou un repas ? L’un est-il l’autre ? Si le sacrifice n’est pas un repas, ni le repas un sacrifice, pourquoi donc le cardinal Castrillon-Hoyos nous demande de ne pas « contra­poser » les deux rites…Pourquoi Benoît XVI nous dit-il que le « rite ancien » et le « rite modernus », comme s’exprime Mgr Gamber, « sont deux mises en œuvre de l’unique rite romain » ?(SP art1§1).

Et pourtant, le Bref Examen Critique enseigne que « La définition de la Messe est réduite à celle de la Cène et cela apparaît continuellement (aux nos 8 – 48-55-56). Cette Cène est, en outre, caractérisée comme étant celle de l’Assemblée présidée par le prêtre, celle de l’assemblée réunie afin de réaliser « le mémorial du Seigneur », qui rappelle ce qu’Il fit le Jeudi-Saint ». « Tout cela n’implique ni la Présence réelle, ni la réalité du Sacrifice, ni le caractère sacramentel du prêtre qui consacre, ni la valeur intrinsèque du Sacrifice eucharis­tique indépendamment de la présence de l’Assemblée ». En un mot, cette nouvelle définition, l’article 7, ne contient aucune des données dogmatiques qui sont essentielles à la Messe et qui en constituent la véritable définition. L’omission, en un tel endroit de ces données dog­matiques, ne peut qu’être volontaire. Une telle omission volontaire signifie leur dépassement et, au moins en pratique, leur négation » (Bref examen critique).

Le cardinal Stickler poursuit sa critique « Ainsi, sont posés les fondements d’un autre détour­nement de fonction : à la place du Sacrifice présenté à Dieu par le prêtre ordonné en tant qu’un « alter Christus », s’instaure la communauté de repas des fidèles assemblés sous la présidence du prêtre » (p. 43).

Et le Cardinal de dire : « La définition de la Messe qui, dans la première édition du N.O.M. confirmait cette conception, a pu être supprimée au dernier moment, grâce à la lettre écrite à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci : cette édition fut mise au pilon sur ordre du Pape. Pourtant, la concession de cette définition n’a entraîné aucune modification de l’Ordo Missae en lui-même » (p. 43).

Ces phrases ont bien été prononcées par le cardinal Stickler : « Quel bouleversement dans le cœur même du Sacrifice de la Messe ! ».

Il insiste. Il veut enfoncer le clou :« Ce bouleversement du cœur même du Sacrifice de la Messe fut confirmé et accentué par la célébration, « versus populum », pratique autrefois interdite et renversement de toute la tradition de la célébration vers l’Orient et dans laquelle le prêtre n’était pas l’interlocuteur du peuple mais se tenait à sa tête pour le guider vers le Christ avec le symbole du soleil levant à l’est » (p. 43).

Alors comment ne pas « contraposer » ces deux rites, celui de Trente et celui issu de Vati­can II et donc « déprécier » le rite de Paul VI ? Et comment comprendre l’article 1§1 du MP de Benoît XVI ?

Puis le Cardinal en arrive à la formule de la consécration du pain et du vin. Là, sur ce sujet, il est également très sévère. Serait-il réprimandé par le Vatican ? Lui imposerait-on le silence ?

Jugez vous-même !

Il parle de la très grave atteinte à la formule de consécration du vin en le Sang du Christ en raison de la suppression des mots « Mysterium fidei ».

« Les mots ‘’Mysterium fidei’’, en ont été supprimés pour être ajoutés à l’appel du peuple à la prière, après la consécration, ce qui fut présenté comme un gain majeur du point de vue de la « participatio actuosa » » (p. 44).

Là, le Cardinal part en « guerre ». C’est le Cardinal, recteur d’Université, archiviste, qui parle. Il enseigne. Il cite ses sources. Il démontre que « Mysterium fidei » – ces deux mots – sont d’origine apostolique. Il ne fallait en rien y toucher. Saint Basile l’enseigne. Saint Augustin aussi. Le « Sacramentarium Gelasianum » également. « Le‘’Sacramentarium Gelasianum’’ (qui est le livre de Messe le plus ancien de l’Église romaine, dans le Codex Vaticanus, Reg. Lat.316, in folio 181v, dans le texte original, il ne s’agit donc pas d’une addition postérieure) inclut clairement le mysterium fidei » (p. 45).

Il poursuit. Il cite la lettre de Jean de Lyon, en l202, au pape Innocent III et donne la réponse du Pape avec les références. C’est argumenté :« En décembre de la même année, dans une longue lettre, le Pape répondait que ces paroles et d’autres encore du Canon que l’on ne trouvait pas dans les Évangiles, devaient être crues en tant que paroles transmises par le Christ aux Apôtres et par ceux-ci, à leurs successeurs » (p. 45).

Il donne les références historiques. C’est le professeur qui enseigne. Son affirmation est incontournable. Elle est scientifique. « Vous la trouverez-là, dit-il :X, III, 41, 6 ;Friedberg III, p. 636, sq ».

C’est net.

Il continue :« Le fait que cette décrétale, qui fait partie du recueil de décrétales de Innocent III dans le grand recueil du liber X établi par Raymond de Pennafort à la demande de Grégoire IX, n’ait pas été abandonnée comme dépassée– ce qui fut le cas de bien d’autres –, mais ait continué à être transmise par la Tradition, prouve qu’une valeur durable était attribuée à cette déclaration de ce grand Pape » (p. 45).

Nul doute que l’on ne pouvait toucher à ces deux mots dans la forme de la consécration du vin, qu’on ne pouvait les supprimer, les déplacer en en changeant le sens. On ne le pouvait pas sans être infidèle à la Tradition catholique et, de toute évidence, en rupture avec elle, ainsi qu’aux prescriptions du Concile.

C’est la pensée du Cardinal.

Il invoque aussi l’autorité de saint Thomas d’Aquin. Il écrit :« Saint Thomas s’exprime clairement sur cette question dans sa ‘’Somme théologique’’ (III, 78, 3 ad nonum) à propos des paroles de consécration du vin, rappelant la nécessaire discipline secrète de l’Église ancienne dont parle aussi Denys l’Aréopagite : ‘’les paroles ajoutées éternelle et mystère de foi viennent de la tradition du Seigneur qui est parvenue à l’Église par l’intermédiaire des Apôtres’’ ; il renvoie lui-même à 1Cor, 10, 23 et 1Tim, 3, 4(p. 46).

Et puis, il invoque l’autorité du Concile de Florence, le XVIIe Concile œcuménique :« Dans la bulle d’union avec les Coptes, le Concile œcuménique de Florence complète expressément les formules de consécration de la Sainte Messe qui n’avaient pas été incluses en tant que telles dans la Bulle d’union avec les Arméniens et que l’Église romaine avait toujours utili­sées sur la base de l’enseignement et de la doctrine des Apôtres Pierre et Paul (conc. oeucu. decreta, ed Herder,1962, p. 557) » (p. 46).

C’est bien exact. Le Concile de Florence, dans le décret pour les Grecs – qui suit celui d’avec les Arméniens –cite bien expressément le mysterium fidei dans la formule de consécration. Il y est dit :« Mais parce que dans le décret des Arméniens rapporté ci-dessus, n’a pas été expliquée la formule qu’on a toujours eu coutume d’employer, dans la consécration du Corps et du Sang du Seigneur, la sacro-sainte Église romaine, affermie par la doctrine et l’autorité des apôtres Pierre et Paul, nous pensons[1] qu’il faut l’introduire dans les présentes ».

Mais ce n’est pas tout. Le Cardinal ne s’en tient pas pour satisfait… Il poursuit sa démonstra­tion de théologie positive. Là, pour le coup, il est exhaustif.

Il invoque, cette fois, le catéchisme – le catéchisme « de référence », dit-il, ce sont ses mots. Je m’attendais à voir citer le nouveau Catéchisme de l’Église catholique. Mais pas du tout ! Il cite le Catéchisme du Concile de Trente. Il donne toutes les références. Manifestement, quand il préparait sa conférence, le Cardinal est allé chercher ce catéchisme dans sa biblio­thèque. Il vous dit qu’au chapitre IX, n° 21, à propos de l’Eucharistie… « le catéchisme enseigne que les mots « mysterium fidei » et « aeterna » viennent de la Sainte Tradition qui est l’interprète et la gardienne de la vérité catholique » (p. 46).

Je regrette que le Cardinal n’ait pas poursuivi sa lecture du catéchisme car il aurait aussi rappelé qu’en changeant de place cette expression très traditionnelle, les auteurs de la réforme liturgique en changeaient le sens. Nouveauté ! Alors que le « mysterium fidei » placé dans la formule de la consécration porte sur la Présence réelle qui vient d’être réalisée par l’énoncia­tion de la formule consécratoire, le « mysterium fidei » mis après la consécration – comme acclamation populaire – dirige l’attention du peuple, non plus sur le mystère de la Trans­substantiation réalisée « hic et nunc », mais bien sur le retour en gloire du Seigneur qui est aussi, bien sûr, l’objet de notre foi :« donec veniat » mais il y a là peut-être, dans ce chan­gement de place, une malice, une duplicité, une ruse, une équivoque. La foi ici affirmée ne porte plus sur la Transsubstantiation mais sur le retour en gloire du Seigneur. Ainsi, l’atten­tion des fidèles, et leur « participatio actuosa » sont détournées de la présence du Christ réalisée par la Transsubstantiation. Ils devraient adorer la Présence réelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur l’autel, on leur fait acclamer le retour en gloire du Seigneur.

« Dépréciation ». Certes ! Cette dépréciation du rite nouveau n’est nullement subjective. Elle est basée sur la doctrine catholique la plus sûre, sur la Tradition.

Fort de cet exposé très savant, le Cardinal ne mâche pas ses mots et ses critiques contre les réformateurs. Il parle de « légèreté souveraine » d’un Lercaro, d’un Bugnini et de leurs collaborateurs. « On peut à juste titre s’interroger sur la légèreté dont ont fait preuve ici, les collaborateurs du cardinal Lercaro et du père Bugnini, avec nécessairement leur accord » (p. 46).

« Ils ont purement et simplement « ignoré », non seulement ignoré mais aussi « méprisé », l’obligation de procéder à une recherche historique et théologique exacte » (p. 46).

De cette « légèreté », nous avons vu plus haut, ce qu’en pense le père Bouyer, dans ses Mémoires.

C’est ce que réclamait expressément le Concile Vatican II dans son article23 de la Constitu­tion liturgique (cf. p. 36).

Mais rien de tel n’a été fait, et le Cardinal de conclure et de lancer la suspicion sur l’ensemble de l’œuvre réformée :« Si cela s’est produit dans ce cas, qu’en aura-t-il été de cette importante obligation pour les autres modifications » (p. 46).

C’est terriblement grave !

Enfin, laissant la théologie positive, le Cardinal s’élève à une considération doctrinale et pastorale tout à la fois que je pourrais résumer ainsi : cet oubli du « mysterium fidei » de la forme eucharistique, loin de favoriser et de développer le sens de la piété et de la vie théologale chez le peuple fidèle, favorise, au contraire, la « démystification » constatée aujourd’hui ainsi que l’« anthropomorphisation ».

Voilà l’expression du Cardinal : « Mais c’est aussi la raison pour laquelle l’exclusion du« mysterium fidei » de la formule eucharistique devient, elle aussi, le symbole de la démysti­fication et donc de l’anthropomorphisation de ce qui constitue le centre du culte divin : la Sainte Messe » (p. 47).

« Démystification », « anthropomorphisation ». Ces deux mots s’appellent. Voilà deux erreurs qui seraient, pour le Cardinal, la conséquence du retrait du « Mysterium fidei ». Il n’y a plus rien de « mystérieux » dans la nouvelle messe ! Plus rien de « transcendant » !Plus rien de « divin » ! Tout est « rationnel ». Tout est l’œuvre de la « science », tout est l’œuvre de l’homme. Tout est l’œuvre de la « fabrication » dira le cardinal Ratzinger !Quelle critique !

Le Cardinal en arrive enfin aux décisions des réformateurs quant à « la participation vivante et active des fidèles à la célébration de la Messe » (p. 47).

De la participation active des fidèles.

On sait qu’on se plaignait beaucoup, avant le Concile, du manque de participation des fidèles à la Messe. Aussi le Concile Vatican II a-t-il abordé le sujet dans deux articles importants : l’article 30 et l’article 48.

Il en a donné les principes :« Le Concile a insisté particulièrement, dit le Cardinal, sur la participation intérieure qui seule permet de rendre fructueux le culte » (p. 38).

Le Cardinal donne alors son jugement sur cette fameuse participation active telle qu’aménagée par nos réformateurs. Il est terrible. Il s’exprime avec une pointe d’humour sarcastique et légèrement méprisante… Le pauvre Bugnini n’a vraiment pas fait une œuvre excellente, lui qui pensait pourtant avoir réussi« un chef d’œuvre ».

Lisez, vous dis-je. Je ne peux me résoudre à résumer. Il faut tout citer :

« Nous en arrivons ainsi au mandat donné aux réformateurs de promouvoir la participation vivante et active des fidèles à la célébration de la Messe, un mandat qui, trop souvent, a été mal interprété et adapté à la mentalité actuelle. Comme toute la liturgie, ainsi que le dit expressément le Concile, le but principal de la Messe est le culte de la Divine Majesté. Aussi le cœur et l’âme des participants doivent-ils en premier lieu être élevés et s’élever vers Dieu. Cela n’exclut pas que la participation se manifeste concrètement à l’intérieur de la commu­nauté et vis-à-vis d’elle. Et c’est la raison pour laquelle, pour pallier l’absence de participa­tion des fidèles dont on se plaignait si souvent avant le Concile, ce dernier a instamment demandé cette « actuosa participatio ». Mais si celle-ci dégénère en un enchaînement ininterrompu de paroles et d’actions, avec une distribution des rôles aussi large que possible afin que tous aient leur part à l’action, lorsque l’on en arrive à un activisme qui relève plutôt d’un rassemblement humain purement externe et qui, pireencore, juste avant le moment le plus sacré pour les participants : dans la rencontre individuelle de chaque fidèle avec le Dieu-homme eucharistique, est plus bavarde et distrayante que jamais, la mystique contem­plative de la rencontre avec Dieu, leculte qui lui est rendu avec la crainte respectueuse, la révérence qui doit l’accompagner toujours – tout cela ne peut que mourir : alors l’humain tue le divin et emplit le cœur de vide et de désolation. Ce moment appartient au silence, qui est expressément prévu, et qui n’a gardé – difficilement – sa place qu’après l’action que constitue la distribution de la communion, comme une petite feuille de vigne sur un grand corps nu. C’est ainsi que,  reflétant la tendance actuelle de la conscience du monde à se limiter aux apparences, on voit se développer dans l’Église un agir cultuel de conception humaine et projeté vers l’extérieur ».

Voilà donc un jugement général du cardinal Stickler sur la réforme liturgique bugninienne. C’est une vraie condamnation de la réforme.

Puis le Cardinal aborde des points plus particuliers : le latin, le grégorien, l’orgue…

 

Le latin, le grégorien, l’orgue.

Le Cardinal exprime sur ce sujet – du latin comme langue liturgique – son étonnement. Il ne comprend pas comment, après ce que demandèrent les Pères conciliaires sur ce point, on en soit arrivé à la suppression générale et au triomphe des langues vernaculaires.

Ce passage de la conférence est fort intéressant. Il faut le citer aussi dans son intégralité.

Il donne un témoignage historique, puis l’enseignement magistériel, enfin les arguments théologiques. Notre Cardinal fut vraiment – durant le Concile – au cœur du problème.

Et tout d’abord, son témoignage personnel :« Á ce stade, il convient de mentionner une disposition du Concile qui a été non seulement mal comprise mais, plus encore, complète­ment répudiée : la langue cultuelle. Je me permettrai ici, une fois encore, d’étayer mon argument par un souvenir personnel. En qualité d’expert de la Commission pour les sémi­naires, on m’avait confié le rapport sur la langue latine. Il fut clair et bref et, après mûre discussion, rédigé sous une forme qui correspondait aux souhaits de tous les membres avant d’être soumis à l’aula conciliaire. C’est alors que, sans que l’on s’y attendît, le pape Jean XXIII signa en toute solennité, à l’autel de Saint-Pierre, la Lettre apostolique « Vetera Sapientia », ce qui, de l’avis de la Commission, rendait superflue la déclaration conciliaire sur le latin dans l’Église : cette Lettre présentait non seulement le rapport entre la langue latine et la liturgie, mais encore toutes les autres fonctions de cette langue dans la vie de l’Église.

Lorsque, plusieurs jours durant, la question de la langue du culte fut discutée dans l’aula conciliaire, je suivis avec beaucoup d’attention tout ce débat, ainsi d’ailleurs que la discussion, jusqu’au vote final, des différentes formulations incluses dans la Constitution sur la Sainte Liturgie. Je me rappelle très bien que, à la suite de quelques propositions radicales, un évêque sicilien se leva et adjura les Pères de procéder, sur cette question, avec prudence et intelligence car, sinon, le risque était que la Messe fût dite dans sa totalité en langue vernaculaire, ce qui fit bruyamment éclater de rire toute l’aula conciliaire. Et c’est pourquoi je n’ai jamais compris comment, dans ses Mémoires publiés en 1983, Mgr Bugnini, à propos du passage radical et complet du latin obligatoire à la langue vernaculaire comme langue cultuelle exclusive, ait pu écrire que le Concile avait pratiquement dit que la langue verna­culaire était, dans toute la Messe, une nécessité pastorale (op. cit. pp. 108-121 dans l’édition italienne originale).« À l’encontre de cela, je puis témoigner que les formulations de la constitution conciliaire sur ce point, tant dans sa partie générale (art. 36) que dans les dispositions particulières relatives au Sacrifice de la Messe (art. 54) ont été approuvées quasiment à l’unanimité dans les discussions des Pères conciliaires et surtout lors du vote final : 2152 oui et 4 non ».

Ensuite, l’enseignement magistériel de l’Eglise sur le latin :« Au cours des recherches que j’ai effectuées pour préparer le rapport sur la tradition sur lequel devait s’appuyer ce décret conciliaire sur la langue latine, j’ai constaté que toute la Tradition était absolument unanime sur ce point, jusqu’au pape Jean XXIII : elle s’est toujours prononcée clairement contre toutes les tentatives antérieures visant à renverser cet ordre des choses. Je pense ici en parti­culier à la décision du Concile de Trente, sanctionnée d’un anathème, contre Luther et le protestantisme, à Pie VI contre l’Évêque Ricci et le Synode de Pistoia, et à Pie XI qui, à propos de la langue cultuelle de l’Église, a prononcé un clair « non vulgaris » ».

Là, le Cardinal ne fait que citer, mais ses citations sont parfaitement fondées ! Jugez en effet.

Le Concile de Trente enseigne bien dans son Canon 9 dans sa XXIIe session :« Si quelqu’un dit… que la Messe ne doit être célébrée qu’en langue vernaculaire… qu’il soit anathème ».

Et dans son chapitre doctrinal – au chapitre VIII de la même session – on lit :« Bien que la Messe contienne un riche enseignement pour le peuple fidèle, il n’a cependant pas paru bon aux Pères qu’elle soit célébrée indistinctement en langue vulgaire ».

Toutefois, ordre était donné aux pasteurs d’âmes de prêcher sur le sens des belles pièces du Missel romain.

Quant au Pape Pie VI invoqué par le Cardinal, on peut, de fait, citer entre autres, la proposi­tion 66 du Synode de Pistoia :« La proposition qui affirme qu’il est contraire à la pratique apostolique et aux conseils de Dieu, de ne pas préparer au peuple des voies plus faciles pour joindre sa voix à la voix de toute l’Église, si elle est entendue en ce sens qu’il faut introduire l’usage de la langue vulgaire dans les prières liturgiques, est fausse, téméraire, perturbe l’ordre présent pour la célébration des mystères, produit facilement de nombreux maux ».

Voici qui est bien dit. Voilà la vraie tradition catholique que Mgr Bugnini et son personnel devaient défendre et respecter, et qu’ils n’ont ni défendue, ni respectée.

Vraiment, le Cardinal prouve bien son jugement :« L’Ordo Missae– celui issu du Concile Vatican II – est radicalement nouveau », ne respectant pas la tradition catho­lique. Mais dire cela, n’est-ce pas « déprécier » l’œuvre liturgique issue du Concile Vatican II ?

Enfin, il donne les raisons justifiant le nécessaire maintien du latin dans la liturgie et dans l’Église :« Il faut bien voir que la raison n’en est pas uniquement d’ordre cultuel, même si cet aspect est toujours mis en avant. C’est aussi une question de révérence, de crainte respectueuse : comme le voile recouvre les vases sacrés, le latin sert de protection contre la profanation – à la manière de l’iconostase des Églises orientales derrière laquelle s’accom­plit l’anaphore – et aussi contre le danger de vulgariser, en utilisant la langue vernaculaire, toute l’action liée au mystère, ce qui se produit effectivement souvent de nos jours. Mais cela tient aussi à la précision du latin, qui sert comme nulle autre langue, la doctrine dogmati­quement claire ; au danger d’obscurcir ou de fausser la vérité dans les traductions, ce qui d’ailleurs pourrait aussi porter gravement préjudice à l’élément pastoral, si important ; et aussi à l’unité qui est ainsi manifestée et renforcée dans toute l’Église ».

« Toujours du point de vue pastoral, l’abandon du latin comme langue liturgique, à l’encontre de la volonté expresse du Concile, engendre une deuxième source d’erreurs, plus graves encore : je veux parler de la fonction de langue universelle qu’assume le latin, qui unit toute l’Église, justement, dans le culte public, sans déprécier aucune langue vernacu­laire vivante. Et précisément à notre époque où le concept d’Église qu’on voit se développer met l’accent sur l’ensemble du peuple de Dieu considéré comme Corps mystique du Christ, aspect d’ailleurs toujours souligné dans la réforme, il se fait que, par l’introduction de l’usage exclusif des langues vernaculaires, et même de dialectes, l’unité de l’Église univer­selle est remplacée par une diversité d’innombrables chapelles populaires, jusqu’au niveau des communautés villageoises et églises paroissiales, qui sont séparées les unes des autres par une véritable différence de tension naturelle qui, entre elles, est et ne peut qu’être insur­montable. D’un point de vue pastoral, comment alors un Catholique peut-il retrouver sa Messe dans le monde entier, et comment peut-on abolir les différences entre races et peuples dans un culte commun, grâce à une langue liturgique sacrée commune, ainsi que l’a expres­sément souhaité le Concile, alors qu’il y a tant d’occasions, dans un monde devenu si petit, de prier ensemble ? Dans quelle mesure alors chaque prêtre a-t-il la possibilité pastorale d’exercer le sacerdoce suprême de la Sainte Messe n’importe où, surtout dans ce monde où les prêtres sont devenus si rares ? ».

Enfin, le Cardinal critique « l’introduction d’un cycle liturgique de 3 ans. C’est là un péché contre-nature », dit le Cardinal. « Il ne fallait pas abolir le déroulement d’un cycle annuel naturel » (p. 53). Toutes ces modifications, ces changements« ont condamné les remarquables mélodies grégoriennes valables à une mort lente ». Ce qu’il déplore :« Au mandat donné par le Concile de préserver et promouvoir le chant liturgique romain typique, très ancien, a répondu une épidémie pratiquement mortelle » (p. 53).

Comme il déplore la disparition de l’orgue« remplacé par une multitude d’instruments (qu’) ont favorisé l’introduction dans la musique religieuse d’éléments reconnus comme diaboliques » (p. 55).

Comme il déplore, enfin, les nombreuses « variantes autorisées » – vrai principe constitu­tif de la réforme liturgique – qui« risquent de mener à l’anarchie qu’avait toujours si bien maîtrisé l’ancien ordo latin » (p. 56). « C’est ainsi que le nouveau garant de l’ordre – le Cardinal veut dire : le Nouvel Ordo Missae – devient, de soi, facteur de désordre. Aussi ne faut-il pas s’étonner que chaque paroisse, pour ne pas dire chaque église, semble avoir adopté un ordo différent. C’est là une constatation que l’on peut faire partout »(p. 55). Et qui entraîne l’irrévérence actuelle, la perte du sens du sacré et la superficialité. Tout cela étant grandement dommageable à la dignité du nouveau rite.

Sur cette idée de « créativité », le cardinal Stickler est rejoint par le cardinal Ratzinger. Il disait au monastère de Fontgombault, le 24 juillet 2001 : Pour permettre une réconciliation liturgique dans l’Eglise, « le premier point serait de rejeter la fausse créativité qui n’est pas une catégorie de la liturgie. On a rappelé plus d’une fois, ce que le Concile dit réellement à ce sujet : c’est seulement l’autorité ecclésiastique qui décide, ce n’est pas le droit d’un prêtre ou de quelques personnes de changer la liturgie. Mais dans le nouveau Missel, nous trouvons assez souvent des formules comme : sacerdos dicit sic vel simili modo…ou bien : Hic sacer­dos potest dicere. Cette formule du Missel officialise en fait la créativité ; le prêtre se sent presque obligé de changer un peu les paroles, de montrer qu’il est créatif, qu’il rend présent à sa communauté cette liturgie ; et avec cette fausse liberté qui transforme la liturgie en catéchèse pour cette communauté, on détruit l’unité liturgique et l’ecclésialité de la liturgie. Donc, il me semble, ce serait déjà une chose très importante pour la réconciliation, que le Missel soit libéré de ces espaces de créativité qui ne répondent pas à la réalité profonde, à l’esprit de la liturgie. Si avec une telle « réforme de la réforme » on pouvait revenir à une célébration fidèle, ecclésiale, de la liturgie, ce serait, à mon avis, déjà un pas important, parce que l’ecclésialité de la liturgie apparaîtrait de nouveau clairement » (op cité p. 180).

Le Nouvel Ordo Missae est« critiqué » sur ce point de la créativité liturgique. Certes ! Mais par qui ? Par deux Cardinaux de la sainte Eglise.

Le cardinal Stickler, ira même jusqu’à citer, en conclusion d’une conférence une revue canadienne Precious Blood Banner où on pouvait lire : « Il apparaît toujours plus clairement que l’extrémisme des réformateurs postconciliaires a consisté, non pas à réformer la liturgie catholique depuis ses racines mais à la déraciner de son sol traditionnel ; selon cet article, ils n’ont pas restauré le rite romain, ce que leur demandait le Concile Vatican II, ils l’ont déraciné » (p. 61).

 

Cela est-il guérissable ?

Il faut reconnaître que le cardinal Stickler vers la fin de son intervention déclare : « Je m’em­presse de préciser que lorsque la nouvelle liturgie est célébrée avec révérence – ce qui est toujours le cas, par exemple, à Rome et par le Pape lui-même – les abus regrettables qui relèvent essentiellement de la divergence entre la Constitution conciliaire et le nouvel ordo, n’ont pas lieu »(pp. 57-58).

Comment pouvoir écrire cela sans contradiction ? Comment affirmer que la seule révérence dans la célébration du NOM puisse en corriger toutes les déficiences ? Là, je ne comprends plus. La langue vernaculaire reste la langue vernaculaire qu’elle soit utilisée avec révérence ou non. L’Offertoire nouveau reste l’Offertoire nouveau – le Cardinal l’a décrit comme une vraie révolution dans l’Église – qu’il soit dit avec révérence ou non. La « prédominance du repas sur le Sacrifice » demeure quelle que soit la révérence du célébrant, fût-il le Pape. La modification de la formule de consécration du vin reste ce qu’elle est : une véritable infidélité à toute la Tradition, qu’elle soit prononcée avec révérence ou non, par le Pape ou un autre célébrant, à Rome ou à Pampelune. Et pensez-vous que l’abolition du grégorien et du chant polyphonique, de l’orgue, du silence, de la contemplation intérieure, pensez-vous vraiment que tout cela favorise, nourrisse la révérence du peuple ? Pensez-vous que l’abolition des signes de croix, des baisers de l’autel, des génuflexions– ce que le Cardinal déplore – puisse favoriser plus grande révérence pour les mystères célébrés ?Ce jugement me paraît contra­dictoire.

Faut-il célébrer la Nouvel Messe sans remord, « l’âme en paix » comme nous y invite Mgr Di Noia dans sa lettre du 9 septembre 2013 pour la bonne et simple raison « que cette messe (si critiquée par le cardinal) est célébrée « quotidiennement par des centaines de milliers de mes confrères, à commencer par le pape lui-même » ? Personnellement je ne le crois pas. Le nombre ne fait pas la vérité !

Je préfère la mâle autorité du cardinal Ottaviani demandant à Paul VI – après l’exposé fait dans le Bref examen critique – l’abrogation du Nouvel Ordo Missae ou, tout au moins, « la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond Missel romain de saint Pie V ». Je trouve là plus de cohérence. Et je constate, là encore, une diversité pratique, concrète, du magistère actuel dans l’application de la réforme : certains demandent purement et simple­ment son abrogation, d’autres se contentent de demander – malgré les insuffisances doctri­nales graves – qu’il soit célébré « avec révérence ».

§3 -La pensée du cardinal Lustiger.

Pour étonnant que cela puisse paraître à certains– à moi, en particulier –,le cardinal Lustiger a lui aussi critiqué la nouvelle messe. Il l’a écrit dans ses différents livres. M. l’abbé Celier en a donné les références et les citations dans sa Lettre à nos frères prêtres de juin 2012. C’est là que je les ai trouvées. Le cardinal Lustiger rejoignait ainsi le cardinal Stickler. Il s’exprimait dans un langage différent, mais dans la même pensée :

« On a cédé à la fascination rationnelle. Dans la réforme liturgique, on a cédé à la griserie de la modernité en éliminant trop de symbolismes naturels, en estimant qu’ils étaient païens, ne voulaient rien dire et devaient faire place à un nouveau langage encore à inventer, notamment pour les jeunes. Mais ce nouveau langage peut être très décevant quand il n’a aucune dimension historique et eschatologique. On a eu trop tendance à penser que réfor­mer signifiait faire table rase des enracinements et tout réinventer à neuf » (Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, éditions de Fallois, 1987, p. 333).

N’est-ce pas un jugement dépréciatif de la réforme liturgique ? Et ne rejoint-il pas la pensée du cardinal Stickler qui, lui aussi, parle, nous l’avons vu, de« démystification » et « d’anthropomorphisation » ?

« Nous n’avons pas assisté à la première réforme liturgique de l’histoire, loin de là, mais c’est la première qui ait été aussi radicale dans le rite latin »(Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, éditions de Fallois, 1987, p. 337).

Le cardinal Lustiger semble s’en affliger !

« Ce sont des universitaires, des professeurs, qui ont conçu cette réforme. Elle a été précé­dée d’un travail scientifique très remarquable. L’érudition historique moderne sur la liturgie s’est constituée à partir du XVIIIe siècle. Peu à peu, il s’est instauré une critique historique et “génétique” des sources. Entre les années 1930 et le Concile, les spécialistes de la liturgie ont généralement donné en modèle la liturgie basilicale de la belle époque, entre les IVe et Ve siècles : c’était l’idéal qu’il fallait reconstituer ! Et on a fait de la reconstitution. C’était intelligent, mais il n’est pas sûr qu’une évolution plus lente, plus respectueuse des permanences et des continuités n’aurait pas donné aux fidèles eux-mêmes le sentiment d’un traumatisme moins grave. Si l’on avait mieux mesuré la portée des rites comme mémoire historique inscrite au cours des générations, on aurait probablement avancé plus lentement dans la réforme liturgique »(Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, éditions de Fallois, 1987, pp. 337-338).

« [La réforme de la liturgie] allait au rebours du désir majoritaire des fidèles. La plupart des gens souhaitaient finalement le silence, la musique, le rite ancré dans la mémoire. C’est une idée très volontaire que celle de la “participation active” qui a été un des objectifs du Concile. Mais fallait-il poursuivre cet objectif à la manière de la révolution culturelle de Mao, avec des obligations de participation ? Ou bien valait-il mieux la gérer avec infini­ment plus de lenteur ? Nous avons géré cette mutation d’une façon peut-être volontariste et arbitraire qui a produit l’effet opposé, et cela révèle un manque de sens historique, me semble-t-il. (…) On a donc voulu, pour rendre les rites de nouveau “performants”, leur donner plus de transparence. Souvent, on a substitué l’explication au rite, le commentaire au symbole »(Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, éditions de Fallois, 1987, p. 338).

N’est-ce pas un jugement critique de la réforme ?N’est-ce pas contester les richesses de la réforme liturgique ?

Il est vrai que le cardinal Lustiger pratiquait cependant cette nouvelle Messe… Alors…Je peux très bien apprécier le bien-fondé des critiques du Cardinal, tout en regrettant la faiblesse de son jugement pratique, son aspect contradictoire tout comme celui du cardinal Stickler…

§4 -La réforme liturgique : une liturgie « fabriquée ».

Le cardinal Stickler a parlé, nous l’avons vu, de la réforme liturgique issue du Concile Vati­can II comme ayant été « un bouleversement accompagné d’une fabrication hâtive de nouveaux rituels ». Il dit vrai et bien : « bouleversement liturgique accompagné d’une« fabrication hâtive »de nouveaux rituels ».

Le cardinal Ratzinger dira la même chose dans la préface qu’il donna, en 1992, au livre de Mgr Gamber, publié par le Monastère du Barroux dans la Collection Sainte Marie-Madeleine : La réforme liturgique en question. Il exprime cette idée par deux fois pour la condamner d’une manière la plus sévère. La première fois, il affirme catégoriquement :« On ne peut pas fabriquer un mouvement liturgique »(p. 7), et la deuxième fois il écrit : après le Concile Vatican II, « à la place de la liturgie, fruit d’un développement continu, on a mis une liturgie fabriquée. On est sorti du processus vivant de croissance et de devenir pour entrer dans la fabrication. On n’a plus voulu continuer le devenir et la maturation organique du vivant à travers les siècles, et on les a remplacés – à la manière de la production technique – par une fabrication produit banal de l’instant » (p. 8).C’est là, conclut-il, une « véritable falsification ».

Qui critique la réforme liturgique, le Novus Ordo Missae (NOM) ?

Ces deux Cardinaux parlent l’un, d’une « fabrication hâtive de nouveaux rites », l’autre, d’une « liturgie fabriquée ».

De cette « liturgie fabriquée », qu’en est-il exactement ?

On peut répondre à cette question aujourd’hui avec précision depuis la publication des Mémoires du père Bouyer. Il nous révèle en effet, lui aussi, que la réforme liturgique est le résultat d’un « bricolage hâtif ». Il en donne des preuves historiques, principalement pour le Canon II, mais aussi pour le Canon IV.

On sait que le 25 janvier 1964, par le Motu Proprio Sacram liturgiam, Paul VI fondait le Consilium, soit le « Conseil pour mettre en œuvre la Constitution conciliaire sur la liturgie ». Le 23 mai 1968, soit un peu plus de quatre ans après, la Congrégation des Rites promulguait trois nouvelles prières eucharistiques.

Dans ses Mémoires, le père Bouyer parle entre autres de la composition de la prière eucha­ristique n° 2, la plus courte et (pour cette raison) la plus utilisée.

C’est un témoignage très autorisé, il est l’un de ses auteurs.

LesMémoires (inédits) du père Bouyer

Dans cet ouvrage de 148 pages, format A4, il nous donnera, entre autres son impression sur le Concilium, au cœur de la Réforme liturgique et sur la « création » du Canon 2.

Son impression sur le Consilium

« Spécialement appelé à la sous-commission [du « Consilium pour la réforme des livres liturgiques », dont il a commencé à parler] chargée du Missel, je fus pétrifié, en y arrivant, quand je découvris les projets d’une sous-commission préparatoire inspirée principalement par dom Cipriano Vagaggini, de l’abbaye de Bruges, et l’excellent prélat Wagner, de Trêves : croyant par-là obvier à la mode venue de Hollande, des eucharisties improvisées, dans une totale méconnaissance de la tradition liturgique remontant aux origines chré­tiennes. Je n’arrive pas à comprendre par quelle aberration ces excellentes gens, assez bons historiens et esprits généralement raisonnables, avaient pu suggérer un découpage et un remembrement, également déconcertants, du Canon romain et d’autres projets se disant “inspirés” d’Hippolyte de Rome, mais guère moins farfelus. J’étais pour ma part prêt à démissionner sur-le-champ et à m’en retourner chez moi. Mais dom Botte me convainquit de rester, ne fût-ce que pour obtenir quelque moindre mal » (Mémoires [inédits], p. 130).

Dom Botte, rappelons-le pour comprendre la suite, était l’auteur érudit d’un ouvrage publié en 1963 et intitulé modestement :La Tradition apostolique de saint Hippolyte, essai de reconstitution.

L’incroyable élaboration de la Prière eucharistique II.

Après cette « mise en bouche » si l’on peut dire, voici maintenant le témoignage précis et circonstancié du père Bouyer concernant l’élaboration de la Prière eucharistique II, fondée sur Hippolyte. « On aura une idée des conditions déplorables dans lesquelles cette réforme à la sauvette fut expédiée, quand j’aurai dit comment se trouva ficelée la seconde Prière eucharistique. Entre des fanatiques archéologisant à tort et à travers, qui auraient voulu bannir de la Prière eucharistique le Sanctus et les intercessions, en prenant telle quelle l’eucharistie d’Hippolyte, et d’autres, qui se fichaient pas mal de sa prétendue Tradition apostolique, mais qui voulaient simplement une messe bâclée, dom Botte et moi nous fûmes chargés de rapetasser son texte, de manière à y introduire ces éléments, certainement plus anciens, pour le lendemain ! ».

« Par chance, je découvris dans un écrit, sinon d’Hippolyte lui-même, assurément dans son style, une heureuse formule sur le Saint-Esprit qui pouvait faire une transition, du style Vere Sanctus, vers la brève épiclèse. Dom Botte, pour sa part, fabriqua une intercession plus digne de Paul Reboux et de son « A la manière de » que de sa propre science. Mais je ne puis relire cette invraisemblable composition sans repenser à la terrasse du bistro du Transtevere où nous dûmes fignoler notre pensum, pour être en mesure de nous présenter avec lui à la Porte de Bronze à l’heure fixée par nos régents ! »(Mémoires[inédits],pp. 130-131).

« Le seul élément non critiquable dans ce nouveau Missel fut l’enrichissement apporté surtout par la résurrection d’un bon nombre de préfaces magnifiques reprises aux anciens sacramentaires et l’extension des lectures bibliques (encore que, sur ce dernier point, on allât trop vite pour produire quelque chose d’entièrement satisfaisant) (…).

« Après tout cela, il ne faut pas trop s’étonner si, par ses invraisemblables faiblesses, l’avorton que nous produisîmes [à savoir le nouveau Missel] devait susciter la risée ou l’indignation… au point de faire oublier nombre d’éléments excellents qu’il n’en charrie pas moins, et qu’il serait dommage que la révision qui s’imposera tôt ou tard ne sauvât pas au moins, comme des perles égarées…» (Mémoires [inédits], p. 131).

Comme on le voit, le père Bouyer parle surtout « des conditions matérielles et pratiques de l’élaboration de la Prière eucharistique II ». Cette élaboration s’est en réalité « déroulée » dans un incroyable climat de légèreté, d’improvisation, voire de bricolage, de « fabrication » et, certainement, de manque d’amour du patrimoine de l’Église catholique. Le pire est sans doute la hâte vraiment indécente avec laquelle ces textes ont été préparés :« à la terrasse du bistro du Transtevere où nous dûmes fignoler notre pensum, pour être en mesure de nous présenter avec lui à la Porte de Bronze à l’heure fixée par nos régents » ! Il est clair aussi que « quelques semaines seulement ont suffi pour bouleverser la tradition la plus sacrée. On reste véritablement stupéfait, et douloureusement surpris, d’un tel attentat contre la liturgie » (Abbé Celier). On assiste à une véritable « révolution liturgique », « une véritable fabrica­tion ». Le père Bouyer est très explicite : « L’édifice complet de la liturgie romaine, lente­ment élaboré en vingt siècles de tradition, a ainsi connu une refonte complète et radicale », en quelques mois.

C’est ainsi que cette réforme s’est accomplie « à travers des livres émanant d’experts « pour remplacer l’œuvre des grands contemplatifs, des génies spirituels que furent saint Léon, saint Gélase, saint Grégoire le Grand » (Abbé Celier).

Où est l’évolution lente et organique de la liturgie dont parle le cardinal Ratzinger ?

« On ne peut qu’être déconcerté, et même effrayé, devant une telle insouciance en une matière si grave et sacrée. Et le qualificatif d’avorton appliqué par le père Bouyer au résultat de cette réforme insensée, s’il paraît sévère, ne semble pas moins cruellement juste et justi­fié » (Abbé Celier).

Par ailleurs, il est clair que cette réforme est venue de « bureaux nationaux et internationaux composés essentiellement d’ecclésiastiques et de spécialistes ». Mais il est clair aussi qu’une bonne liturgie ne se crée pas en un coup. Les liturgies du passé se sont engendrées organi­quement les unes les autres. Comme le dit le cardinal Ratzinger dans sa préface du livre de Mgr Gamber. Cette réforme liturgique a été certainement dominée, comme le fait remarquer le père P.M. Gy par « un souci probablement trop poussé de rationaliser les structures litur­giques ».

Ainsi, « la réforme liturgique fut peut-être, diront certains, sérieuse, compétente, cohérente, mais elle n’a pas échappé à la froideur des liturgies issues, non de la prière même, mais de commissions spécialisées. Celles-ci eurent parfois la main lourde pour décaper signes et traditions ». C’est le père Laurentin qui écrit cela (René Laurentin, Vatican II : Acquis et déviations, Le Figaro, 23-24 novembre 1985, p. 10). Mgr Gamber, lui, parlera de « froideur luthérienne ».

Conclusion : Une liturgie meilleure que celle que vingt siècles ont formée ?

Nous emprunterons la conclusion au père Louis Bouyer :« Il était sans espoir de produire rien qui valût beaucoup plus que ce que l’on produirait [à savoir la nouvelle liturgie], quand on prétendait refaire de fond en comble, en quelques mois, toute une liturgie qu’il avait fallu vingt siècles pour élaborer peu à peu » (Louis Bouyer, Mémoires [inédits], p. 130).

Il faut d’ailleurs bien l’avouer, « une bonne dose d’illusions et de mégalomanie est néces­saire pour se croire humblement capable de forger une liturgie meilleure que celle que vingt siècles de tradition chrétienne ont lentement formée » (Guy Oury, Les limites nécessaires de la créativité en liturgie, Notitiæ131-132, juin-juillet 1977, p. 352, article repris d’Esprit et Vie-L’Ami du clergé du 28 avril 1977).

Voilà qui est bien dit !

Ainsi avons-nous démontré que des autorités de l’Eglise, et pas des moindres, ont déprécié la réforme liturgique issue du Concile Vatican II. Mgr Di Noia doit revoir sa copie !

§-5 La pensée de Mgr Schneider

C’est pourquoi nous avons aussi entendu avec beaucoup de bonheur les propos tenus par Mgr Schneider, à Paris, lors d’une réunion du 15 janvier 2012.

Ils nous laissent un immense espoir de voir cet esprit liturgie retrouvé et cette liturgie de Paul VI réformée. De cette conférence, M Jean Madiran en a fait le meilleur commentaire. Il dit tout ce qu’il faut dire. C’était dans Présent du 2 mars 2012, sous le titre :

« L’Offertoire de Paul VI »

« Le débat avance. Quel débat ? Justement, le débat refusé. Refusé dans l’Eglise depuis quarante-cinq ans ; refusé à tous ceux qui ont opposé doutes, questions, objections aux nouveautés post-conciliaires. Ce débat avance quand même. L’offertoire de la messe de Paul VI est maintenant mis en cause par une voix autorisée. Non pas quelques abus, quelques dérives, quelques excès, mais l’offertoire lui-même, dans le texte officiel de la « forme ordinaire du rite romain ».
Ce fut à Paris, le 15 janvier de cette année (2012). L’intervenant nous vient d’Asie centrale, il est secrétaire général de la Conférence épiscopale du Kazakhstan. Heureux Kazakhstan ! Il est aussi consulteur à Rome de plusieurs dicastères, notamment de la Congrégation pour la doctrine et de la Congrégation pour le culte. Il se nomme Athanasius Schneider. Il appartient à la nouvelle génération épiscopale : il n’avait que huit ans quand Paul VI décréta sa nouvelle messe. Paix liturgique a publié la semaine dernière le texte intégral de son intervention parisienne du 15 janvier (Paix liturgique, 1 allée du Bois Gougenot, 78290 Croissy-sur-Seine.)
Parmi ce qu’il appelle les cinq plaies de la « pratique liturgique dominante actuelle », Mgr Schneider pointe « les nouvelles prières de l’offertoire » :
« Elles sont une création entièrement nouvelle, elles n’ont jamais été en usage dans l’Eglise. Elles expriment moins l’évocation du mystère du sacrifice de la Croix que celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif. »
Alors que, ajoute-t-il, « dans la tradition plus que millénaire de l’Eglise d’Occident et d’Orient, les prières de l’offertoire ont toujours été axées expressément sur le mystère du sacrifice de la Croix ».
Ces nouvelles prières de l’offertoire, « il serait souhaitable, propose Mgr Schneider, que le Saint-Siège les remplace par les prières correspondantes de la forme extraordinaire ».

Qui critique, je vous prie !

Les quatre autres « plaies du corps mystique liturgique du Christ » qu’énumère Mgr Schneider ne sont pas forcément, ne sont pas explicitement imposées par le texte lui-même de la messe promulguée par Paul VI en 1969, aujourd’hui appelée « forme ordinaire du rite romain ». Ce sont :
— la plus visible : le visage du prêtre tourné vers les fidèles ;
— la communion dans la main ;
— la disparition totale du latin et du grégorien ;
— l’emploi de femmes pour le service de la lecture et celui d’acolyte.
A la différence du nouvel offertoire, ces quatre plaies-là ne figurent ni dans la messe promulguée par Paul VI, ni dans la constitution conciliaire sur la liturgie. La critique sévère qu’en fait Mgr Schneider, le refus fortement motivé qu’il leur oppose, ne mettent donc en cause ni la constitution conciliaire, ni le texte même de la forme ordinaire du rite romain.
Il n’en va pas de même pour un offertoire qui, relisons, « exprime moins l’évocation du mystère du sacrifice de la Croix que celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif ».
Un tel offertoire, avec la gravité de cette énorme déficience, est au cœur de la messe que Paul VI a signée de sa main. Mgr Schneider ne voit aucune possibilité de le réformer, de l’améliorer, il n’envisage que sa suppression pure et simple, et son remplacement radical par l’offertoire traditionnel.

 

A mesure que le débat continuera d’avancer de cette manière, il deviendra de plus en plus difficile de recommander que l’on regarde et traite avec le même respect les « deux formes » du rite romain ».

Voilà ! Tout est dit et bien dit.
Qui aurait osé affirmer cela  hier ?
Mgr Schneider l’ ose.  Rien n’est « statique » dans l’Eglise. L’Esprit Saint souffle où Il veut, quand Il veut. Notre attachement à l’Eglise est total ainsi qu’à la messe tridentine. Et à la lumière de cette histoire récente de l’Eglise en matière liturgique, cette fidélité est le meilleur des services que nous pouvons rendre au Souverain Pontife. (Mgr Lefebvre. Déclaration du 21 novembre 1974)

 

Deuxième partie : La pensée du cardinal Ratzinger

J’en arrive à la deuxième partie.

Et pourtant, malgré tout cela, Benoît XVI dans son MP SummorumPontificum affirme que « ces deux expressions de la « lex orandi » (celle de Jean XXIII et celle de Paul VI) n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Eglise ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain ». Il faut donc reconnaître la « valeur » et la « sainteté » de la nouvelle messe.

Comment justifier ce jugement de Benoît XVI sur lequel on veut fonder la « paix liturgique » dans les diocèses?

Tout d’abord, il faut remarquer que Benoît XVI, lui-même, alors qu’il était encore Préfet de la Congrégation de la foi, a fortement critiqué la réforme liturgique issue du Concile Vati­can II.

Considérations historiques.

1988 –L’Eglise « conciliaire » reste sur le choc des Sacres. Ce choc semble faire réfléchir des hommes d’Église.

 

a) Les propos nouveaux tenus par le cardinal Ratzinger au Chili.

 

Et de fait, les critiques doctrinales de la Nouvelle Messe, présentées au pape Paul VI dans le Bref Examen Critique, commencent à être prises en considération.

 

C’est ainsi que l’on peut dire que les Sacres et le Motu Proprio Ecclesia Dei adflicta de juillet 1988 qui s’en est suivi, sont à la fois le point final d’une période d’application obstinée de la réforme liturgique, et aussi le point de départ d’une nouvelle réflexion liturgique et d’une nouvelle pratique ecclésiale en matière liturgique. C’est ainsi, que cela plaise ou non. Il faut le prendre en compte.

 

L’Église « conciliaire », de fait, se trouve devant un vrai problème : le problème de la messe et de l’amour nouveau et persistant des nouvelles générations pour cette messe « ancienne ». Pour le coup, la nostalgie n’explique rien, ni les circonstances géographiques et historiques de la France, le mouvement est planétaire. Le cardinal Ratzinger le confesse publiquement au Chili devant les évêques, le 13 juillet 1988… quelques jours après les Sacres.

 

« Un fait doit nous faire réfléchir : à savoir que bon nombre de gens, hors du cercle restreint des membres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) de Mgr Lefebvre, voient en lui une sorte de guide ou, tout au moins, un allié utile. Il ne suffit pas d’évoquer les mobiles politiques, la nostalgie ou d’autres raisons culturelles secondaires, ces raisons ne suffisent pas à expliquer la faveur rencontrée, même et spécialement auprès des jeunes, dans des paystrès divers, et placés dans des conditions politiques et culturelles complètement différentes. Certes, une vision étroite, unilatérale, ressort avec évidence. Mais indubitablement, on ne pourrait imaginer un phénomène de cette ampleur s’il ne mettait pas en jeu des éléments positifs qui, en général, ne trouvent pas un espace vital suffisant au sein de l’Église aujourd’hui ».

 

Ce serait donc le cas dans l’application de la réforme liturgique et, tout particulièrement, pour la messe, le centre de la vie liturgique de l’Eglise.  Nous sommes en 1988.

 

Le langage est nouveau. La problématique aussi. C’est le début d’une nouvelle réflexion. Et de fait, on voit apparaître sous la plume, dans la bouche de certaines autorités romaines, les premières critiques, du jamais vu depuis le discours consistorial de 1976 qui voulait une application exclusive de la nouvelle messe, l’autorité pontificale engageant son autorité suprême en cette affaire.

 

b) Dans la préface du livre de Mgr Gamber(1992).

 

En 1992, dom Gérard publie un livre de Mgr Gamber, prélat, théologien allemand, spécialiste en liturgie, qu’il intitule : La réforme liturgique en question.

 

Ce livre est fort intéressant. Il contient des critiques sur la nouvelle messe très pertinentes, peut-être même jamais lues, même sous la plume d’un abbé Dulac, d’un Mgr Lefebvre.

 

Mgr Gamber écrira, par exemple, que « la réforme liturgique…s’avère être…une désolation liturgique de proportions effroyables » (p. 15) ; elle consista en « une destruction des formes de la messe qui s’étaient organiquement développées au cours des siècles »(p. 15)en « un effrayant rapprochement avec les conceptions du protestantisme…Ce qui ne signifie rien moins que l’abandon d’une tradition jusqu’à ce jour commune à l’Orient et à l’Occident »(p. 15).

 

On comprend qu’il puisse dire alors :« Pas un Catholique n’aurait pensé, il y a vingt ans que de tels changements pourraient un jour intervenir dans l’Eglise romaine, qui semblait solidement édifiée sur le roc de Pierre, et qu’on pourrait en arriver à une telle confusion des esprits » (p. 17).

 

Eh bien, malgré ces critiques, ce ne sont-là que quelques exemples, le cardinal Ratzinger ne craint pas de préfacer le livre et d’en recommander la lecture, d’en louer l’auteur.

 

Alors qui déprécie ?

 

Le Cardinal lui-même, dans la préface, critique cette réforme liturgique par son caractère « artificiel » et « fabriqué »…

 

Nous en avons vu plus haut les expressions très fortes.

 

Il poursuit son discours tout à l’honneur de Mgr Gamber :

 

« Gamber, avec la vigilance d’un authentique voyant et avec l’intrépidité d’un vrai témoin, s’est opposé à cette falsification…C’est ce qu’il exprime dans ce livre… Il nous a enseigné inlassablement la vivante plénitude d’une liturgie véritable grâce à sa connaissance incroyablement riche des sources » (p. 8).

 

« La mort de cet homme et prêtre éminent devrait nous stimuler ; son œuvre pourrait nous aider à prendre un nouvel élan »(p. 8).

 

« En cette heure de détresse, il pourrait devenir le père d’un nouveau départ » (p. 7).

 

Mais, remarquez-le bien, cet éloge est adressé à un théologien qui n’a pas craint de dire que cette réforme liturgique a mis « au second plan l’élément cultuel »(p. 13) qui est pourtant premier et qui va même jusqu’à parler de« rupture avec la tradition » :« La rupture avec la tradition est désormais consommée » (p. 14).

 

On pourrait relever dans ce livre mille jugements de même sévérité. Et malgré tout, le Cardi­nal a osé le préfacer. Il en partage le jugement !

 

Qui déprécie la nouvelle liturgie ? Nous sommes en 1992.

Si nous le faisons, avouez que nous sommes en bonne compagnie !

 

c)Dans la publication du livre « Le sel de la terre »(1994)

 

Mais ce n’est pas tout. Le Cardinal publie, en 1994, un livre de réflexions personnelles. C’est un livre d’entretiens intitulé Le sel de la terre aux éditions Flammarion/Cerf, avec Peter Seewald.

 

Ce dernier lui pose la question de la reviviscence de l’ancien rite : « Est-il possible, pour lutter contre cette manie de tout niveler et de ce désenchantement, de remettre en vigueur l’ancien rite ? »

 

Le Cardinal lui répond :

 

« Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit aujourd’hui ?…. Malheureusement, la tolérance envers des fantaisies aventureuses est chez nous presque illimitée, mais elle est pratiquement inexistante envers l’ancienne litur­gie. On est sûrement ainsi sur le mauvais chemin »(pp. 172-173).

 

Ce sont là, paroles du Préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi. Ce sont là, paroles d’un homme de gouvernement et d’un homme « libre ». Il n’a tout de même pas prononcé ces paroles sous la menace de la crainte. Il n’a pas pu ne pas mesurer les conséquences de ses paroles.

 

C’était nouveau. Rome prenait de plus en plus de distance par rapport au Consistoire de 1976 du pape Paul VI– et pourtant ses cendres fumaient encore…, de distance par rapport à « la loi de l’indult de 1984 », non seulement en raison de la pression des traditionalistes, mais aussi et surtout – c’est plus sûr – en raison des méfaits évidents de la liturgie réformée et de sa pratique dans les paroisses : « une désolation de proportion effroyable » écrivait Mgr Gamber, un homme éminent de science liturgique, directeur de l’Institut liturgique de Ratisbonne, jusqu’à sa mort le 2 juin 1989.

 

Rome s’ouvrait à cette réalité– du moins certains. Le Cardinal tenait des paroles de bon sens. Il affirmait qu’il serait très raisonnable de redonner « le droit, à ceux, du moins qui le dési­rent, de conserver l’ancien rite ».

 

Le cardinal Ratzinger ne craignait pas de renouveler de telles affirmations.

 

d) Son livre, intitulé en français, « Ma vie, Souvenirs » (éd. Fayard, Octobre 1998).

 

Particulièrement dans son nouveau livre, livre de souvenirs intitulé en français : Ma vie. Souvenirs.

 

Nous étions cette fois en 1997-1998.

 

Aux pages 132-133, le Cardinal prend l’occasion d’exposer sa pensée sur la douloureuse affaire de la réforme liturgique :

 

« Le deuxième grand événement au début de mes années à Ratisbonne fut la publication du Missel de Paul VI, assortie de l’interdiction quasi totale de missel traditionnel, après une phase de transition de six mois seulement ».

 

Le problème liturgique est bien posé.

 

« Il était heureux d’avoir un texte liturgique normatif après une période d’expérimentation qui avait souvent profondément défiguré la liturgie ».

 

C’est juste. Que d’expérimentations précédant la loi ! Que d’improvisations fantaisistes ! Le témoignage du cardinal Gut le confirmait un jour dramatiquement.

 

Le cardinal Ratzinger poursuit :

 

« Mais j’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel, car cela ne s’était jamais vu dans toute l’histoire de la liturgie. Bien sûr, on fit croire que c’était tout à fait normal. Le missel précédent avait été conçu par Pie V en 1570 à la suite du Concile de Trente. Il était donc normal qu’après quatre cents ans et un nouveau concile, un nouveau pape présente un nouveau missel. Mais la vérité historique est tout autre : Pie V s’était contenté de réviser le missel romain en usage à l’époque, comme cela se fait normalement dans une histoire qui évolue. Ainsi, nombreux furent ses successeurs à réviser ce missel, sans opposer un missel à un autre ».

 

C’est très juste. Saint Pie V n’a fait que « réviser » et« enlever les scories » qui, inévitable­ment, s’ajoutent au fil du temps. Ce n’était donc pas un autre missel, différent, mais bien le même purifié des ajouts du temps. Le Cardinal écrit en effet :

 

« Il s’agissait d’un processus continu de croissance et d’épurement sans rupture. Pie V n’a jamais créé de missel. Il n’a fait que réviser le missel, phase d’une longue évolution. La nou­veauté, après le Concile de Trente, était d’un autre ordre : l’irruption de la Réforme s’était accomplie essentiellement à la manière des « réformes religieuses ». Il n’y avait pas simple­ment une Eglise catholique et une Eglise protestante côte à côte ; le clivage de l’Eglise se produisit presque imperceptiblement, et de façon la plus visible comme historiquement la plus efficiente, par la transformation de la liturgie qui prit des formes très différentes selon les lieux ; de sorte que souvent on ne distinguait pas la frontière entre ce qui était « encore catholique » et ce qui « n’était plus catholique » ».

 

« Dans cette confusion, devenue possible par manque de législation liturgique uniforme et par l’existence d’un pluralisme liturgique datant du Moyen Âge, le Pape décida d’introduire le Missale Romanum, livre de messe de la ville de Rome, comme indubitablement catholique, partout où l’on ne pourrait se référer à des liturgies remontant à, au moins, deux cents ans. Dans le cas contraire, on pourrait en rester à la liturgie en vigueur, car son caractère catholique pourrait alors être considéré comme assuré. Il ne pouvait donc être question d’interdire un missel traditionnel juridiquement valable jusqu’alors. Le décret d’interdic­tion de ce missel[2] qui n’avait cessé d’évoluer au cours des siècles depuis les sacramentaires de l’Eglise de toujours, a opéré une rupture dans l’histoire liturgique, dont les consé­quences ne pouvaient qu’être tragiques. Une révision du missel, comme il y en avait souvent eue, pouvait être radicale cette fois-ci, surtout en raison de l’introduction des langues natio­nales ; et elle avait été mise en place à bon escient par le Concile.

 

« Toutefois, les choses allèrent plus loin que prévu ; on démolit le vieil édifice pour en cons­truire un autre, certes en utilisant largement le matériau et les plans de l’ancienne construc­tion. Nul doute que ce nouveau missel apportait une véritable amélioration et un réel enrichissement sur beaucoup de points ; mais de l’avoir opposé en tant que construction nouvelle à l’histoire telle qu’elle s’était développée, d’avoir interdit cette dernière, faisant ainsi passer la liturgie non plus comme un organisme vivant, mais comme le produit de travaux d’érudits et de compétences juridiques : voilà ce qui nous portait un énorme préju­dice.Car on eut alors l’impression que la liturgie était « fabriquée », sans rien de préétabli, et dépendait de notre décision.Il est donc logique que l’on ne reconnaisse pas les spécia­listes ou une instance centrale comme seuls habilités à décider, mais que chaque « commu­nauté » finisse par se donner à elle-même sa propre liturgie. Or, lorsque la liturgie est notre œuvre à nous, elle ne nous offre plus ce qu’elle devrait précisément nous donner : la rencontre avec le mystère, qui n’est pas notre « œuvre », mais notre origine et la source de notre vie. Un renouvellement de la conscience liturgique, une réconciliation liturgique qui reconnaîtrait l’unité de l’histoire liturgique et verrait en Vatican II non une rupture mais une étape, estd’une nécessité urgente pour l’Eglise.

 

Je suis convaincu que la crise de l’Eglise que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie qui est parfois même conçue de telle manière – etsi Deus non daretur – que son propos n’est plus du tout de signifier que Dieu existe, qu’Il s’adresse à nous et nous écoute. Mais si la liturgie ne laisse plus apparaître une commu­nauté de foi, l’unité universelle de l’Eglise et de son histoire, le mystère du Christ vivant, où l’Eglise manifeste-t-elle donc encore sa nature spirituelle ? Alors la communauté ne fait que se célébrer elle-même. Et cela n’en vaut pas la peine. Et parce qu’il n’existe pas de communauté en soi, mais qu’elle jaillit toujours et seulement du Seigneur Lui-même, par la foi, comme unité, la désagrégation en toutes sortes de querelles de clochers, les oppositions partisanes dans une Eglise qui se déchire, deviennent ainsi inéluctables. C’est pourquoi nous avons besoin d’un nouveau mouvement liturgique qui donne le jour au véritable héritage du Concile Vatican II ».

 

C’est donc que la réforme liturgique issue du Concile Vatican II ne fut pas un succès, loin de là. Il y a une parfaite communion de pensées entre le cardinal Stickler et le cardinal Ratzinger et Mgr Gamber. Quel discrédit ne jettent-ils pas tous les trois sur la réforme liturgique !

 

Mgr Gamber et le cardinal Ratzinger

 

« La réforme liturgique issue du Concile Vatican II n’est pas un succès », venons-nous de dire. Loin de là.

Mgr Gamber le disait déjà en 1974 : « Il faudrait que le nouveau rite soit amélioré par rapport à celui qui se pratique de nos jours » (La réforme liturgique en question, p. 96).

Or, le Cardinal voyait en ce prêtre un vrai liturgiste, un vrai historien de la liturgie qui pourrait être le « père » d’un nouvel élan liturgique qui doit nécessairement être mené à l’intérieur de l’Eglise, le « père » d’« un nouveau départ » liturgique (p. 7) : « Ce nouveau départ a besoin de « pères » qui soient des modèles…Qui cherche aujourd’hui de tels « pères » rencontrera immanquablement la personne de Mgr Gamber, qui nous a malheu­reusement été enlevé trop tôt ».

On peut difficilement être plus élogieux. L’estime qu’il portait à ce prélat allemand, spécia­liste de liturgie, peut être difficilement plus grande !

Aussi est-il intéressant de connaître la pensée de Mgr Gamber pour mesurer son influence sur la pensée du cardinal Ratzinger.

Mgr Klaus Gamber affirme tout d’abord que les deux formes– l’ancien et le nouveau rites –devraient subsister paisiblement côte à côte.

Mgr Klaus Gamber exprime cette idée dans  le chapitre 7 du livre La Réforme liturgique en question(Ed. Sainte Madeleine) : « Le ritus romanus et le ritus modernus devraient être tous deux considérés comme légitimes ».

Il revient sur cette idée à la fin du livre au chapitre intitulé : « En guise de Conclusion ». Il s’exprime-là d’une manière particulièrement forte : « Nous ne pouvons que prier et espérer que l’Eglise romaine reviendra à la tradition et autorisera à nouveau partout la liturgie de la messe vieille de bien plus de mille ans. Pourquoi deux formes, l’ancien et le nouveau rites, ne pourraient-elles pas subsister paisiblement côte à côte ? Comme en Orient où il y a plusieurs rites ou liturgies ; et même en Occident, aujourd’hui encore, où il y a des rites particuliers comme à Milan. Sans parler du fait qu’actuellement presque chaque curé modèle la messe à sa guise. Mais de toute façon il faudra que le nouveau rite soit amélioré par rapport à celui qui se pratique de nos jours…Il faut qu’à l’avenir le rite plus que millé­naire de la messe soit conservé dans l’Eglise catholique romaine, pas seulement pour les prêtres et les laïcs âgés, incapables de s’adapter, mais comme forme primaire de la célé­bration de la messe. Il faut qu’il redevienne la norme de la foi et le signe de l’unité des catholiques dans le monde entier, un pôle fixe pour un temps déboussolé et en perpétuel changement » (pp. 95-96).

Voilà ce que notre auteur écrivait en 1974, 1978.

C’était pourtant l’époque où régnait une véritable « tyrannie » dans l’Eglise contre les prêtres et les laïcs qui voulaient rester fidèles à la messe « tridentine ».

Il fallait une particulière force d’âme, fondée sur la vérité, pour demander que la messe tridentine puisse être encore célébrée dans l’Eglise, et dire qu’elle n’avait nullement été abrogée dans les formes canoniques, et qu’elle ne pouvait pas l’être en raison de son aspect immémorial.

En effet, le pape Paul VI, le 24 mai 1976, avait engagé toute son « autorité pontificale » pour que soit uniquement célébrée, dans l’Eglise et toutes les communautés, la Nouvelle Messe. Il le disait aux membres du Consistoire, le24 mai 1976 : « … Plusieurs fois, directement ou par l’intermédiaire de nos collaborateurs et d’autres personnes amies, nous avons appelé l’attention de Mgr Lefebvre sur la gravité de ses attitudes, l’inconsistance et souvent la fausseté des positions doctrinales sur lesquelles il fonde ces attitudes et ces initiatives, et le dommage qui en résulte pour l’Église entière. C’est donc avec une profonde amertume, mais aussi avec une paternelle espérance, que nous nous adressons une fois de plus à ce confrère, à ses collaborateurs et à ceux qui se sont laissé entraîner par eux. Oh !Certes, nous croyons que beaucoup de ces fidèles, au moins dans un premier temps, étaient de bonne foi : nous comprenons aussi leur attachement sentimental à des formes de culte et de discipline auxquelles ils étaient habitués, qui pendant longtemps ont été pour eux un soutien spirituel et dans lesquelles ils avaient trouvé une nourriture spirituelle. Mais nous avons le ferme espoir qu’ils sauront réfléchir avec sérénité, sans parti pris, et qu’ils voudront bien admettre qu’ils peuvent trouver aujourd’hui le soutien et la nourriture auxquels ils aspirent dans les formes renouvelées que le Concile Vatican II et Nous-mêmes avons décrétées comme nécessaires pour le bien de l’Église, pour son progrès dans le monde contemporain, pour son unité. Nous exhortons donc, encore une fois, tous ces frères et fils, nous les supplions de prendre conscience des profondes blessures que, autrement, ils causent à l’Église. De nouveau, nous les invitons à penser aux graves avertissements du Christ sur l’unité de l’Église (cf. Jn 17, 21 sq) et sur l’obéissance due au pasteur légitime qu’il a mis à la tête du troupeau universel, comme signe de l’obéissance due au Père et au Fils (cf. Le 10, 16). Nous les attendons le cœur grand ouvert, les bras prêts à les étreindre : puissent-ils retrouver, dans l’humilité et d’édification, pour la joie du peuple de Dieu, la voie de l’unité et de l’amour ! ».

Malgré cela, Mgr Gamber affirme qu’il « faut qu’à l’avenir le rite plus que millénaire de la messe soit conservé dans l’Eglise catholique romaine…comme rite primaire de la célébra­tion de la messe ».

 

« Rite millénaire dans l’Eglise catholique…Rite primaire de la célébration de la messe »…

 

Ces idées se retrouvent non seulement dans le livre du cardinal Ratzinger Le sel de la terre, livre d’entretiens sur la liturgie avec Peter Seewald, publié chez Flammarion en 1997– nous l’avons vu plus haut –, mais aussi dans un des derniers livres du Cardinal « Voici quel est notre Dieu. » Á la page 291, il écrit : Pour la formation de la conscience dans le domaine de la liturgie, il est important aussi de cesser de bannir la forme de la liturgie en vigueur jusqu’en 1970. Celui qui, à l’heure actuelle, intervient pour la validité de cette liturgie, ou qui la pratique, est traité comme un lépreux ; c’est la fin de toute tolérance. Elle est telle qu’on n’en a pas connue durant toute l’histoire de l’Eglise. On méprise par là tout le passé de l’Eglise… J’avoue aussi que je ne comprends pas pourquoi beaucoup de mes confrères évêques se soumettent à cette loi d’intolérance, qui s’oppose aux réconciliations nécessaires dans l’Eglise, sans raison valable » (p. 291).

 

Aussi ne faut-il pas être surpris que le cardinal Ratzinger, deux ans après son élection au siège de Pierre, reprenne tout naturellement, cette idée de la légitime célébration de l’ancienne messe dans l’Eglise. C’est l’objet de son Motu Proprio.

 

Ce sont les cinq premiers articles du Motu Proprio.Il affirme tout d’abord la libre célébration des deux rites, un qu’il appelle rite « extraordinaire », celui de Jean XXIII, l’autre qu’il appelle le rite « ordinaire », celui de Paul VI (Mgr Gamber lui parlait, nous l’avons dit, du ritus romanus pour la messe de Jean XXIII et du ritus modernus pour celui de Paul VI) ; j’aurais préféré retrouver dans le MP ces expressions de Mgr Gamber.

 

Article 1 § 2 : « Il est donc permis de célébrer le Sacrifice de la messe suivant l’édition type du Missel romain promulgué par le B. Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, en tant que forme extraordinaire de la liturgie de l’Eglise ».

 

C’est un droit purement et simplement affirmé. Ce n’est pas une « concession ». C’est un droit. Il n’est plus nécessaire de recourir préalablement à une quelconque autorité, celle du Saint-Siège ou de l’ordinaire, comme le demandait les derniers documents en la matière : Quattuor abhincannos ou Ecclesia Dei addflica. Á ce titre, ces textes sont purement et simplement abolis. C’est l’article 1 § 2 qui l’affirme : « Il est donc permis de célébrer le Sacrifice de la Messe suivant l’édition typique du Missel romain promulgué par le B. Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, en tant que forme extraordinaire de la Liturgie de l’Eglise. Mais les conditions établies par les documents précédents,Quattuor abhinc annos et Ecclesia Dei pour l’usage de ce Missel, sontabolies ».

C’est clairement repris dans l’article 2 : « Pour célébrer ainsi selon l’un ou l’autre missel, le prêtre n’a besoin d’aucune autorisation, ni du Siège apostolique ni de son ordinaire ».

Ce droit vaut pour tout prêtre diocésain, pour tout prêtre religieux, pour tous instituts de vie consacrée et de Sociétés de vie apostolique de droit pontifical. C’est l’article 3 : « Si des communautés d’Instituts de vie consacrée et de Sociétés de vie apostolique de droit pontifical ou de droit diocésain désirent, pour la célébration conventuelle ou « communautaire », célé­brer dans leurs oratoires propres la Messe selon l’édition du Missel romain promulgué en 1962, cela leur est permis. Si une communauté particulière ou tout l’Institut ou Société veut avoir de telles célébrations souvent, ou habituellement, ou de façon permanente, cette façon de faire doit être déterminée par les Supérieurs majeurs selon les règles du droit et les lois et statuts particuliers ».

L’article 5 va préciser ce droit et son exercice pour les paroisses. Voici sa formulation :

Art. 5 § 1 :« Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradi­tion liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962. Il appréciera lui-même ce qui convient pour le bien de ces fidèles en harmonie avec la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouver­nement de l’Evêque selon les normes du Canon 392, en évitant la discorde et en favorisant l’unité de toute l’Eglise ».

Art. 5 §2 :« La célébration selon le Missel du bienheureux Jean XXIII peut avoir lieu les jours ordinaires mais les dimanches et les jours de fêtes, une Messe sous cette forme peut aussi être célébrée ».

Art. 5 § 3 :« Le curé peut aussi autoriser aux fidèles ou au prêtre qui le demandent, la célé­bration sous cette forme extraordinaire dans des cas particuliers comme des mariages, des obsèques ou des célébrations occasionnelles, par exemple des pèlerinages ».

Art. 5 § 4 :« Les prêtres utilisant le Missel du bienheureux Jean XXIII doivent être idoines et non empêchés par le droit ».

Art. 5 § 5 :« Dans les églises qui ne sont ni paroissiales ni conventuelles, appartient au Recteur de l’église d’autoriser ce qui est indiqué ci-dessus ».

Mgr Gamber, dans le chapitre 7 du livre La Réforme liturgique en question, insiste sur une autre idée qui sera, là aussi, reprise par le pape Benoît XVI dans le Motu Proprio. Il affirme que les deux formes du rite, qu’il appelle ritus romanus et ritus modernus, doivent être nettement distinguées l’une de l’autre. « Ils devront être nettement distingués l’un de l’autre comme deux rites indépendants, et cela de telle manière que le missel romain utilisé jusqu’ici, ainsi que les autres livres liturgiques (rituel et pontifical), soient à nouveau impri­més  et autorisés sous leur forme préconciliaire. Les modifications du rite de l’après-Concile ne devraient être valables que pour le rite modernus. En font partie, entre autres, le changement dans les paroles de la consécration qui a scandalisé de nombreux prêtres, les nouvelles prières eucharistiques, ainsi que la nouvelle distribution des lectures qui, de toute façon étant donné ses insuffisances, devra être remplacée par une autre, meilleure » (p. 75).

Voilà une affirmation des plus importantes : la distinction des deux rites, le rite romanus et le rite modernus sont distincts. L’un n’est pas l’autre. Le prélat en profite pour ajouter deux critiques. Il ne faudrait pas introduire dans le rite romain les « modifications du rite de l’après-Concile » : en font partie la modification de la forme de la consécration du vin, l’expression mysterium fidei, les trois nouveaux Canons et enfin « la nouvelle distribution des lectures », cette dernière est « insuffisante », et « devrait être remplacée par une autre meilleure ». Voici ce qu’il dit : « Les modifications du rite de l’après-Concile ne devraient être valables que pour le rite modernus. En font partie, entre autres, le changement dans les paroles de la consécration qui a scandalisé de nombreux prêtres, les nouvelles prières eucharistiques, ainsi que la nouvelle distribution des lectures, qui, de toute façon, étant donné ses insuffisances, devra être remplacée par une autre, meilleure ».

Ces deux critiques sont  fort importantes. Elles émanent de celui que Benoît XVI nous présente comme « le père » d’un nouveau départ en matière liturgique.

Mais pourquoi donc affirmer haut et fort cette distinction des deux rites, du rite « ancien » – du rite de « toujours », comme l’aimait à dire Mgr Lefebvre – et du rite de Paul VI, du « rite modernus ». La réponse à cette question est des plus importantes :

La « continuité des formes de la messe » en est la raison première et fondamentale. Il écrit :« Il est sans intérêt de faire subir au ritus romanus traditionnel comme on l’a malheureuse­ment fait jusqu’ici, les expériences actuelles (et il faut considérer que la plupart des innova­tions en sont). Sinon on perdrait un élément important, cette continuité des formes de la messe dont nous avons plusieurs fois parlé dans les exposés qui précèdent. Tandis que si on laisse inchangé l’ancien rite et si l’on continue à l’utiliser à côté du nouveau – mais comme quelque chose de vivant et non comme une pièce de musée ! –, on aura gardé à toute l’Eglise, telle qu’elle se manifeste à travers les différents peuples, un élément important pour l’avenir : l’unité du culte » (p. 76).

Il invoque une deuxième raison :le maintien des deux rites éviterait le risque d’un schisme.« Bien des problèmes pourraient être résolus, nous dit encore Mgr Gamber,dans l’Eglise par la stricte séparation entre le rite romain et la nouvelle liturgie en langue vulgaire du ritus modernus et par la possibilité ainsi offerte aux fidèles d’utiliser les deux formes de messe. Mais surtout cela diminuerait le risque d’un schisme important, les légitimes réclamations d’innombrables catholiques– près de la moitié de ceux qui pratiquent encore – en faveur de la célébration traditionnelle de la liturgie étant satisfaites, sans que soit pour autant négligé le désir des autres d’avoir une messe « actuelle » (p. 77).

Cette idée est amplement développée dans la lettre explicative du pape Benoît XVI aux évêques. Il la présente même comme « la raison positive » de sa décision. Il leur écrit en effet : « J’en arrive à la raison positive qui est le motif qui me fait actualiser par ce Motu Proprio celui de 1988. Il s’agit de parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Eglise. En regardant le passé, les divisions qui ont lacéré le corps du Christ au cours des siècles, on a continuellement l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l’Eglise n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité ; on a l’impression que les omissions dans l’Eglise ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passé nous impose aujourd’hui une obligation : faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la retrouver à nouveau ».

Mgr Gamber expose une troisième idée qui sera largement reprise également et développée aussi par Benoît XVI : la diversité des cultes ne nuit pas à l’unité de l’Eglise. Bien au contraire !

« On pourrait objecter que la solution proposée ici de deux rites utilisés parallèlement pourrait troubler l’unité ecclésiale dans les paroisses. On répondra à cela, que dans l’ensemble de l’Eglise et surtout en Orient, il y a eu de tout temps plusieurs rites reconnus par Rome. Cela ne saurait donc être vraiment grave si, dans l’Eglise romaine également, deux formes de messe coexistaient côte à côte – au moins pour un certain temps.(1. voir annexe 3 in fine) Mais si seulement il n’y en avait actuellement que deux ! Pour l’instant il y a, comme on sait, d’innombrables rites, nombres de prêtres « arrangeant » la messe entièrement à leur guise. Il ne peut donc être vraiment question d’unité de rite » (p. 78).

Le cardinal Ratzinger reprenait en tous points cette idée dans la conférence qu’il adressait en 1998 aux membres des communautés Ecclesia Dei venus à Rome pour fêter les dix ans du Motu Proprio du même nom. Il leur disait : « Il faut encore examiner l’autre argument, qui prétend que l’existence de deux rites peut briser l’unité. Là, il faut faire une distinction entre le côté théologique et le côté pratique de la question. Pour ce qui est du côté théorique et fondamental, il faut constater que plusieurs formes du rite latin ont toujours existé, et qu’ils se sont retirés seulement lentement suite à l’unification de l’espace de vie en Europe. Jusqu’au Concile existaient, à côté du rite romain, le rite ambrosien, le rite mozarabe de Tolède, le rite de Braga, le rite des Chartreux et des Carmes et, le plus connu, le rite des Dominicains– et peut-être d’autres rites encore que je ne connais pas. Personne ne s’est jamais scandalisé, que les Dominicains, souvent présents dans nos paroisses, ne célébraient pas comme les curés, mais avaient leur rite propre. Nous n’avions aucun doute, que leur rite fût catholique autant que le rite romain, et nous étions fiers de cette richesse d’avoir plusieurs traditions diverses ».

Benoit XVI reprend de nouveau l’argument dans sa lettre aux évêques, tout en donnant un autre motif. Il leur dit :

« En second lieu, au cours des discussions sur ce Motu Proprio attendu, a été exprimée la crainte qu’une plus large possibilité d’utiliser le Missel de 1962 puisse porter à des désordres, voire à des fractures dans les communautés paroissiales. Cette crainte ne me parait pas non plus réellement fondée. L’usage de l’ancien Missel présuppose un minimum de formation liturgique et un accès à la langue latine ; ni l’un ni l’autre ne sont tellement fréquents. De ces éléments préalables concrets découle clairement le fait que le nouveau Missel restera certainement la forme ordinaire du Rite Romain, non seulement en raison de normes juridiques, mais aussi à cause de la situation réelle dans lesquelles se trouvent les communautés des fidèles ».

Cette petite étude montre réellement la parenté de pensée entre Mgr Klaus Gamber et Benoît XVI en matière liturgique, sur la coexistence  pacifique des deux rites. Il suit celui qu’il nous propose comme « maître » en liturgie et qui avait déjà exprimé toutes ces idées dès 1974-1978. On les retrouve en 2007 dans le MP SummorumPontificum.

Toutefois Benoît XVI va s’éloigner de lui dans son MP, et c’est là– je le suppose qu’il a dû subir des « pressions ». Il n’a pas pu restaurer la messe tridentine sans affirmer en même temps « la valeur et la sainteté de la Nouvelle Messe ». Ce qu’il était loin de dire pourtant à l’époque où il préfaçait, en 1992, le livre de Mgr Gamber. Les oppositions ont dû être très fortes, trop fortes. C’est ma thèse. Et ces oppositions qu’il dut subir, là et ailleurs, en ce domaine et en d’autres domaines, l’ont usé dans sa santé. C’est pourquoi il dut se retirer…

Oppositions au Vatican en cette matière liturgique ! Oui ! En cette matière liturgique, l’unité dans l’Eglise actuelle, au Vatican comme dans le corps épiscopal, est loin d’exister. Et s’il n’y a pas d’unité, il  y a de possibles affrontements…

Je m’en suis aperçu lorsque j’accompagnais les communautés Ecclesia Dei à Rome les 24 et 26 octobre 1998, à l’occasion du dixième anniversaire de la publication du MP SummorumPontificum. Le 24 octobre 1998, le cardinal Ratzinger reçoit les communautés et leur adresse un discours remarquable insistant sur la nécessité de restaurer dans l’Eglise la messe triden­tine, ce rite n’ayant pu être aboli parce que coutume immémoriale. Le retrait pratique de sa célébration dans l’Eglise a été, pour s’exprimer comme dom Guéranger, une véritable « héré­sie liturgique ».Interdire un rite orthodoxe, cela ne s’est jamais vu dans l’Eglise, dit-il : « Il est bon de rappeler ici, ce qu’a constaté le cardinal Newman qui disait que l’Eglise, dans toute son histoire, n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’esprit de l’Eglise. Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui exprime la vraie foi, n’est jamais une compilation faite selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies dont on pourrait disposer de manière positive et arbitraire – aujourd’hui comme cela et demain autrement. Les formes orthodoxes d’un rite sont des réalités vivantes, nées du dialogue d’amour entre l’Eglise et son Seigneur, – sont des expres­sions de la vie de l’Eglise où se sont condensées la foi, la prière et la vie même de généra­tions et où se sont incarnées dans une forme concrète en même temps l’action de Dieu et la réponse de l’homme. De tels rites peuvent mourir, si le sujet qui les a portés historiquement disparait, ou si ce sujet s’est inséré dans un autre cadre de vie. L’autorité de l’Eglise peut définir et limiter l’usage des rites dans des situations historiques diverses,  mais jamais elle ne les défend purement et simplement ! ».

La pensée était clairement exprimée et justifiée.

Le surlendemain, le 26 octobre 1998, ces communautés sont reçues par le Souverain Pontife, Jean-Paul II, sur les marches de la place Saint-Pierre. Il leur adresse un discours où l’on retrouve la pensée de Mgr Ré, substitut à l’époque de la 1re section de la secrétairerie d’Etat, celle qu’il exposait à M. Eric de Saventhem, président honoraire d’Una Voce :« Les diverses dispositions prises depuis 1984 (en matière liturgique) avaient pour butde faciliter la vie ecclésiale d’un certain nombre de fidèles sans pérenniser pour autant les formes liturgiques antérieures. La loi générale demeure l’usage du rite rénové depuis le Concile alors que l’usage du rite ancien relève actuellement de privilèges qui doivent garder le caractère d’exception ».

Le cardinal Ratzinger, dans sa conférence, explique pourquoi le rite tridentin doit être main­tenu dans l’Eglise. C’est même une question de foi. Mgr Ré exprime une pensée différente : ce rite ancestral  ne peut demeurer dans l’Eglise qu’à titre d’exception et pour un temps seulement : celui nécessaire pour apaiser les oppositions illégitimes.

Ces oppositions dans la hiérarchie sont présentes, aujourd’hui encore. Le cardinal Lehmann, archevêque de Cologne, en marge du Congrès eucharistique national allemand  qui s’est tenu en mai 2013, a déclaré à la revue KölnerStadt-Anzeiger son appréhension face à la croissance du nombre des messes traditionnelles : selon lui, cet engouement ne peut s’expliquer que par des raisons élitistes et esthétiques. (Paix Liturgique Juin 2013)  Et pourquoi donc pas théologiques ?

En France, c’est Mgr Pierre Raffin, évêque émérite de Metz qui est monté au créneau. Lors du colloque organisé à Paris pour les 70 ans du Service National de Pastorale Liturgique et Sacramentelle (SNPLS), à l’origine CPL (Centre de Pastorale Litur­gique), il a demandé « qu’à l’occasion des 50 ans de SacrosanctumConcilium [la constitu­tion de Vatican II sur la liturgie], le pape François dise clairement son attachement à la réforme liturgique de Vatican II ». Selon lui, le Motu Proprio Summorum Pontificum l’a en effet « fragilisée ». Et d’ajouter : « J’aimerais que le pape François évacue tout soupçon concernant l’héritage liturgique de Vatican II », car toujours selon lui « l’argumentation selon laquelle le Missel de 1570 n’aurait jamais été juridiquement abrogé est difficile à soutenir lorsqu’on lit paisiblement la constitution apostolique Missale Romanum de Paul VI » (La Croix, 29 mai 2013).(Cité par Paix Liturgique de juin 2013)

Les divisions d’hier et d’aujourd’hui en matière liturgique sont donc grandes.

Elles peuvent expliquer, à mon avis, la rédaction de l’article 1 § 1 du MP Summorum Pontifi­cum : « Ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Eglise n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Eglise ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain », ou encore les expressions que l’on trouve dans la lettre d’accompagnement aux évêques : « Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale Roma­num ». Des pressions ont pu jouer…

En effet, Mgr Gamber qui a eu une si grande influence sur la pensée du cardinal Ratzinger, lui, est très sévère sur la réforme liturgique. Il pense que la réforme liturgique n’a pas peu contribué à entretenir, voire à causer la crise de la foi, la crise des vocations, la crise sacer­dotale dans l’Eglise(voir p. 44).

Quelle dépréciation !

Il critique les rites d’ouverture de la messe en raison des multiples variations possibles : « Les rites d’ouverture dotés… de nombreuses « prescriptions de choix possibles » ouvrent une porte toute grande à l’arbitraire du prêtre célébrant. Quel bavardage les fidèles ne doivent-ils pas subir par endroits dès le début de la messe ! Tout comme c’est plus d’une fois le cas aujourd’hui dans les communautés protestantes » (pp. 45-46).

Benoît XVI, nous l’avons vu, demande lui aussi que toutes ces possibles variations soient supprimées, dans le texte même du missel nouveau. Elles ont été trop nuisibles à la sainteté de la liturgie et à sa célébration pieuse. Et pourtant dans son MP il parle, de « sainteté et de valeur » de la Nouvelle Messe. N’y a-t-il pas une incohérence ? Une contradiction entre sa pensée d’hier et celle d’aujourd’hui, lors de la rédaction de son MP ? Mais cette incohérence ne peut-elle pas s’expliquer aussi par des pressions subies lors des « discussions » pour mettre au point le texte définitif du MP ? J’allais dire : donnant-donnant. « Tu veux affirmer le droit de la messe tridentine. C’est conforme à l’être historique de l’Eglise…On peut diffi­cilement le contester. Mais il faut en même temps, pour ne pas déprécier l’autre messe, celle du Concile Vatican II et sa Réforme, en dire la « sainteté » et affirmer qu’elle ne s’éloigne en rien de la doctrine catholique, comme l’ont dit jadis, en 1969,les cardinaux Ottaviani et Bacci et comme le rappelle en 2004 encore le cardinal Stickler, celui qui a tant soutenu Benoît XVI pour cette restauration liturgique si nécessaire à la sainteté de l’Eglise ». D’où l’article 1 § 1 du MP et sa formulation surprenante…

On peut aussi invoquer sur ce même sujet, la lettre que Benoît XVI écrivait au professeur Barth et faire remarquer la  prudence que le pape recommandait au professeur d’avoir pour faire valoir les droits de ce rite tridentin : Cf la lettre : annexe 3 In fine.

Mgr Gamber  ose écrire : « Les trois nouveaux Canons constituent eux, une rupture complète avec la tradition. Ils ont été nouvellement composés d’après des modèles orientaux et gallicans et représentent, au moins de par leur style, un corps étranger dans le rite romain » (p. 49).

Et le Pape, lui, affirme dans son MP et dans sa lettre d’accompagnement qu’il n’y a pas de rupture dans le rite liturgique entre le missel de Jean XXIII et celui de Paul VI. En soi. Certainement. Mais de facto, c’est une autre chose. Mgr Gamber parle ici de « rupture complète de la tradition » à l’occasion de la publication des trois nouveaux Canons. Il est rejoint dans cette affirmation par ceux-là mêmes qui ont réalisé ces « chefs-d’œuvre » ! On se souvient du témoignage du père Bouyer. Alors où est donc la « valeur » et la « sainteté » de la nouvelle messe comme Benoît XVI l’affirme dans sa lettre ?« N’y aurait-il pas eu des pressions fortes obligeant à affirmer l’unité du rite romain de la forme ordinaire et de la forme extraordinaire… alors que Mgr Gamber, un maître en matière liturgique, exprime si fortement le contraire…Mais les« opposants  à la messe tridentine et ils sont légions, aujourd’hui encore, voyez le cardinal Lehmann, président de la conférence épiscopale alle­mande, voyez Mgr Raffin, archevêque de Metz –,lors de ces discussions, ont été contrai­gnants. Il fallait consentir à leurs exigences. Sinon les conversations se seraient peut-être prolongées et la messe tridentine serait toujours restée « abrogée »de facto, comme en 1976, comme en 1986. A cette date, le pape Jean-Paul II voulait restaurer la messe tridentine à égalité de droit avec la messe de Paul VI. (Il ne dépend pas de moi que la messe de Paul VI soit ou ne soit pas).Mais il dut y renoncer devant les oppositions qui se manifestèrent. Ma thèse a peut-être quelques vérités, du moins elle a un exemple historique…un témoignage.

Le témoignage du cardinal Stickler. Dans un entretien à Latin Mass(été 1995 en Amé­rique), le Cardinal révèle la création d’une commission de neuf cardinaux devant répondre à la question : La messe tridentine a-t-elle été abrogée ?« La réponse donnée par huit des neuf cardinaux en 1986 fut donc que, non, la messe de saint Pie V n’a jamais été interdite –j’étais moi-même l’un de ces cardinaux. Un seul était contre. Tous les autres étaient pour une libre autorisation, pour que tous puissent choisir l’ancienne messe. Je pense que le Pape a accepté cette réponse. Pourtant, là encore, lorsque certaines conférences épiscopales se sont rendues compte du danger que représentait cette autorisation, leurs représentants sont venus voir le pape et lui ont dit : « Il ne faut absolument pas que cela soit autorisé parce que cela sera l’occasion et même la cause, de controverses entre les fidèles ». Aussi le Pape s’est-il abstenu de signer cette autorisation, s’inclinant je pense devant cet argument. Et pourtant, pour ce qui est de la Commission…j’en parle en expérience personnelle –, la réponse de la grande majorité a été positive » (Témoignage d’un expert au Concile, pp. 27-28).

Et il n’y aurait donc pas de pressions qui s’exerceraient sur un pape ?

Mgr Gamber critique également la modification de la forme de la consécration du vin au Sang du Christ, du changement de place du « mysterium fidei » en changeant le sens ainsi que la traduction en langue vernaculaire du « pro multis » par « pour tous ». C’est à la page 50 de son livre. Nous avons vu, plus haut, combien le cardinal Stickler a insisté sur ces chan­gements.

Voilà des critiques importantes adressées à la nouvelle liturgie. Alors comment parler « de sainteté » de la réforme liturgique. C’est si vrai que le cardinal Arinze, à l’époque préfet de la Congrégation des rites, a cherché, à la demande de Benoît XVI, de faire modifier cette traduction. Devant son peu de succès, Benoît XVI est intervenu personnellement auprès de l’épiscopat allemand et de l’épiscopat autrichien, tout récemment encore. C’est qu’il y a un vrai problème théologique caché sous cette traduction fausse. Même si la rédemption du Christ est universelle quant à lui, elle ne l’est pas quant à nous, faut-il encore la recevoir dans la foi. Alors comment parler de « sainteté » et de « valeur » de la nouvelle liturgique, d’ « unité » entre les deux formes liturgiques ? Cela n’est pas possible à moins qu’il se soit exercé, là aussi, quelques pressions. Mais fallait-il peut-être les accepter… pour pouvoir dire enfin… contre une grande partie du corps épiscopal, que la messe tridentine n’a jamais été abolie ?

Mgr Gamber souligne l’importance de l’expression « Mysterium fidei »dans la formule de la consécration du vin au Sang du Christ. Il écrit : « Du point de vue du rite, on est frappé de voir qu’on ait pu retirer sans raison les mots mysterium fidei insérés dans les paroles de la consécration depuis environ six siècles, pour leur conférer une utilisation nouvelle : ils deviennent un appel du prêtre après la consécration. Un appel de cette sorte : Mysterium fidei ! n’a certainement jamais été en usage à l’acclamation de l’assemblée : « Nous proclamons ta mort… » ne se trouve que dans quelques anaphores égyptiennes. Elle est, en revanche, étrangère aux autres rites orientaux et à toutes les Prières eucharistiques occidentales, et ne cadre pas non plus avec le style du Canon romain. En outre, elle repré­sente une rupture abrupte dans le discours : alors qu’on s’adresse à Dieu le Père, voici qu’on s’adresse brusquement au Fils » (p. 50).

Ces justes remarques, le cardinal Stickler n’a jamais cessé de les soutenir. Le cardinal Ratzinger aussi. Alors comment parler, le 7 juillet 2007, date de la publication du MP, de « sainteté » de « valeur » du nouveau rite ? N’y aurait-il pas eu sur le Pape des pressions ? Il voulait la restauration du rite antique dans l’Eglise. Mgr Gamber, son maître,  le souhaitait vivement aussi. Le gouvernement est l’art du possible. Concéder cela pour obtenir ceci ! Pourquoi pas ?

Mgr Gamber écrit et ce sera notre dernière citation : « La liturgie reste une patrie, même quand elle continue à se développer. Et elle n’a cessé de se développer au cours de l’histoire presque bi-millénaire de l’Eglise. Mais ce qui est capital, c’est que jamais il n’y eut cette rupture avec la tradition que nous vivons maintenant d’une manière si effrayante, et cela au moment où, en outre, on remet presque tout en question dans l’Eglise »(pp. 92-93).

Le Pape a souvent soutenu la même idée et l’a exprimée avec force dans bien des endroits, alors qu’il était encore cardinal préfet de la Congrégation de la foi, et particulièrement dans la préface du livre de Mgr Gamber. Et là dans le Motu Proprio, il affirme que la nouvelle messe est la « forme ordinaire » du rite romain, que la messe tridentine en est la « forme extraordi­naire », que l’une et l’autre formes sont deux formes d’un seul et unique rite romain « expri­mant une même foi »…

Comment est-ce possible ?

Comment le comprendre sinon par des pressions lourdes exercées par le corps épiscopal qui, de toute façon, ne voyait pas d’un bon œil ce retour de la messe tridentine et qui même n’en voulait pas par crainte d’une dépréciation, dans le peuple des fidèles, de l’œuvre liturgique du Concile Vatican II. Benoît XVI a dû en prendre acte. Sous cette pression, il rédigea cet étonnant article 1 § 1 du MP SummorumPontificum.

Malgré cela, l’opposition de l’épiscopat au Motu Proprio ne désarma pas. Les concessions ne servent jamais à rien. L’application du MP fut et est toujours très difficile.

Benoît XVI sentit la résistance pour ne pas dire la désobéissance. Il se sentit de plus en plus isolé dans son ministère pétrinien, cela usa sa résistance morale et physique. L’exercice du pouvoir exige toujours un certain « consensus ». En matière liturgique, il ne l’obtint pas. Epuisé et de caractère doux et paisible, il se retira.

C’est pourquoi nous avons entendu avec beaucoup de bonheur les propos tenus par Mgr Schneider, à Paris, lors de la réunion de la mi-janvier 2012. Ils nous laissent un immense espoir de voir cet esprit liturgie retrouvé et cette liturgie de Paul VI réformée. De cette conférence, M Jean Madiran en a fait le meilleur commentaire. Il dit tout ce qu’il faut dire. C’était dans Présent du 2 mars 2012, sous le titre : « L’Offertoire de Paul VI »

Abbé Paul Aulagnier.

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Annexe 1:

Vous lirez ci-dessous la magnifique conférence que Mgr Athanasius Schneider a donnée lors de la 4e Rencontre pour l’Unité Catholiques qui s’est tenue à Paris le 15 janvier 2012. Il est l’évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Sainte Marie d’Astana, au Kazakhstan, secrétaire de la Conférence des évêques catholiques du Kazakhstan

La nouvelle évangélisation et  la sainte liturgie

par Monseigneur Schneider – 15 janvier 2012-

Pour parler correctement de la nouvelle évangélisation il est indispensable de porter tout d’abord notre regard sur Celui qui est le véritable évangélisateur, à savoir Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait Homme. Le fils de Dieu est venu sur cette terre pour expier et racheter le plus grand péché, le péché par excellence. Et ce péché par excellence de l’humanité consiste dans le refus d’adorer Dieu, dans le refus de Lui réserver la première place, la place d’honneur. Ce péché des hommes consiste dans le fait qu’on ne porte pas attention à Dieu, dans le fait qu’on n’a plus le sens des choses, voire des détails qui relèvent de Dieu et de l’adoration qui Lui est due, dans le fait qu’on ne veut pas voir Dieu, dans le fait qu’on ne veut pas s’agenouiller devant Dieu.

Face à une telle attitude, l’incarnation de Dieu est gênante, gênante également et par contrecoup la présence réelle de Dieu dans le mystère eucharistique, gênante la centralité de la présence eucharistique de Dieu dans les églises. L’homme pécheur veut en effet se mettre au centre, tant à l’intérieur de l’église que lors de la célébration eucharistique, il veut être vu, il veut être remarqué.

C’est la raison pour laquelle Jésus eucharistie, Dieu incarné, présent dans le tabernacle sous la forme eucharistique, on préfère Le placer sur le côté. Même la représentation du Crucifié sur la croix au milieu de l’autel lors de la célébration face au peuple est gênante, parce que le visage du prêtre s’en trouverait occulté. Donc l’image du Crucifié au centre aussi bien que Jésus eucharistie dans le tabernacle également au centre de l’autel, sont gênants. En conséquence la croix et le tabernacle sont déplacés sur le côté. Pendant l’office, les assistants doivent pouvoir observer en permanence le visage du prêtre, et celui-ci prend plaisir à se mettre littéralement au centre de la maison de Dieu. Et si par hasard Jésus eucharistie est quand même laissé dans son tabernacle au centre de l’autel, parce que le ministère des monuments historiques, même sous un régime athée, a interdit pour des raisons de conservation du patrimoine artistique de le déplacer, le prêtre, souvent tout au long de la célébration liturgique, lui tourne sans scrupules le dos.

Combien de fois de braves fidèles adorateurs du Christ, dans leur simplicité et leur humilité, se seront écriés : « Bénis soyez-vous, les Monuments historiques ! Vous nous avez au moins laissé Jésus au centre de notre église. »

Ce n’est qu’à partir de l’adoration et de la glorification de Dieu que l’Église peut annoncer de manière adéquate la parole de vérité, c’est-à-dire évangéliser. Avant que le monde entende Jésus, le Verbe éternel devenu chair, prêcher et annoncer le royaume, Jésus s’est tu et a adoré durant trente années. Cela reste pour toujours la loi pour la vie et l’action de l’Eglise ainsi que de tous les évangélisateurs. « C’est dans la manière de traiter la liturgie que se décide le sort dela Foiet de l’Eglise », a dit le cardinal Ratzinger, notre actuel Saint Père le Pape Benoit XVI. Le Concile Vatican II se voulait de rappeler à l’Eglise quelle réalité et quelle action devaient prendre la première place dans sa vie. C’est bien pour cela que le premier document conciliaire était consacré à la liturgie. En cela le concile nous donne les principes suivants : Dans l’Eglise, et de ce fait dans la liturgie, l’humain doit s’orienter sur le divin et lui être subordonné, de même le visible par rapport à l’invisible, l’action par rapport à la contemplation, et le présent par rapport à la cité future, à laquelle nous aspirons (cf. Sacrosanctum Concilium, 2). Notre liturgie terrestre participe, d’après l’enseignement de Vatican II, à un avant-goût de la liturgie céleste de la ville sainte de Jérusalem (cf. idem, 2)

De ce fait, tout dans la liturgie dela Sainte Messedoit servir à ce que s’exprime de façon plus nette la réalité du sacrifice du Christ, c’est-à-dire les prières d’adoration, de remerciement, d’expiation, de demande, que l’éternel Grand-Prêtre a présentées à Son Père.

Le rite et tous les détails du Saint Sacrifice de la messe doivent s’axer sur la glorification et l’adoration de Dieu, en insistant sur la centralité de la présence du Christ, que ce soit dans le signe et dans la représentation du Crucifié, ou bien dans Sa présence eucharistique dans le tabernacle, et surtout au moment de la consécration et de la sainte communion. Plus cela est respecté, moins l’homme se tient au centre de la célébration, moins la célébration ressemble à un cercle fermé, mais est ouverte même d’une façon extérieure sur le Christ, comme dans une procession se dirigeant vers Lui avec le prêtre à sa tête, plus une telle célébration liturgique reflètera de manière véritable le sacrifice d’adoration du Christ en croix, plus riches seront les fruits que les participants recevront dans leur âme venant de la glorification de Dieu, plus Dieu les honorera.

Plus le prêtre et les fidèles chercheront en vérité lors des célébrations eucharistiques la gloire de Dieu et non la gloire des hommes, et ne chercheront pas à recevoir la gloire les uns des autres, plus Dieu les honorera en laissant participer leur âme de manière plus intense et plus fertile àla Gloireet à l’Honneur de Sa vie divine.

A l’heure actuelle et en divers lieux de la terre, nombreuses sont les célébrations dela Sainte Messeoù l’on pourrait dire à leur propos les paroles suivantes, en inversant les paroles du psaume 113, verset 9 : « À nous, ô Seigneur, et à notre nom donne la gloire » et en outre à propos de telles célébrations s’appliquent les paroles de Jésus : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui revient à Dieu seul ? » (Jean 5, 44).

Le Concile Vatican II a émis, concernant une réforme liturgique, les principes suivants :
1. L’humain, le temporel, l’activité doivent, durant la célébration liturgique, s’orienter sur le divin, l’éternel, la contemplation, et avoir un rôle subordonné par rapport à ces derniers (cf. Sacrosanctum Concilium, 2).
2. Durant la célébration liturgique, on devra encourager la prise de conscience que la liturgie terrestre participe de la liturgie céleste (cf Sacrosanctum Concilium, 8).
3. Il ne doit y avoir absolument aucune innovation, donc aucune création nouvelle de rites liturgiques, surtout dans le rite de la messe, sauf si c’est pour un profit véritable et certain en faveur de l’Eglise, et à condition que l’on procède avec prudence et qu’éventuellement des formes nouvelles remplacent les formes existantes de manière organique (cf. Sacrosanctum Concilium, 23).
4. Les rites de la messe doivent être de telle sorte que le sacré soit exprimé plus explicitement (cf. Sacrosanctum Concilium, 21).
5. Le latin doit être conservé dans la liturgie et surtout dans la Sainte Messe (cf. Sacrosanctum Concilium, 36 et 54).
6. Le chant grégorien a la première place dans la liturgie (cf. Sacrosanctum Concilium, 116).

Les pères conciliaires voyaient leurs propositions de réforme comme la continuation de la réforme de saint Pie X (cf. Sacrosanctum Concilium, 112 et 117) et du serviteur de Dieu, Pie XII, et en effet, dans la constitution liturgique, c’est l’encyclique Mediator Dei du pape Pie XII qu’ils ont le plus citée.

Le pape Pie XII a laissé à l’Eglise, entre autres, un principe important de la doctrine sur la Sainte liturgie, à savoir la condamnation de ce qu’on appelle l’archéologisme liturgique, dont les propositions coïncidaient largement avec celles du synode janséniste et protestantisant de Pistoia de 1786 (cf. « Mediator Dei », n° 63-64) et qui en fait rappellent les pensées théologiques de Martin Luther.

C’est pourquoi déjà le Concile de Trente a condamné les idées liturgiques protestantes, notamment l’accentuation exagérée de la notion de banquet dans la célébration eucharistique au détriment du caractère sacrificiel, la suppression de signes univoques de la sacralité en tant qu’expression du mystère de la liturgie (cf. Concile de Trente, sessio XXII ).

Les déclarations liturgiques doctrinales du magistère, comme dans ce cas du Concile de Trente et de l’encyclique Mediator Dei, qui se reflètent dans une praxis liturgique séculaire, voire de plus d’un millénaire, constante et universelle, ces déclarations, donc, font partie de cet élément de la sainte tradition que l’on ne peut abandonner sans courir de grands dommages au plan spirituel. Ces déclarations doctrinales sur la liturgie, Vatican II les a reprises, comme on peut le constater en lisant les principes généraux du culte divin dans la constitution liturgique Sacrosanctum Concilium.

Comme erreur concrète dans la pensée et l’agir de l’archéologisme liturgique, le pape Pie XII cite la proposition faite de donner à l’autel la forme d’une table (cf. Mediator Dei n° 62). Si déjà le pape Pie XII refusait l’autel en forme de table, on imagine comment il aurait a fortiori refusé la proposition d’une célébration comme autour d’une table « versus populum » !

Si Sacrosanctum Concilium enseigne au n° 2 que, dans la liturgie, la contemplation doit avoir la priorité et que toute la célébration de la messe doit être orientée vers les mystères célestes (cf. idem n° 2 et n° 8), on y trouve un écho fidèle de la déclaration suivante du Concile de Trente qui disait : « Etant donné que la nature de l’homme est ainsi faite qu’elle ne se laisse pas élever facilement à la contemplation des choses divines sans aides extérieures,la Mère Eglise, dans sa bienveillance, a introduit des rites précis ; elle a eu recours, s’appuyant sur l’enseignement apostolique et sur la tradition, à des cérémonies tels que bénédictions empreintes de mystère, cierges, encens, vêtements liturgiques et bien d’autres choses ; tout cela devrait inciter les esprits des fidèles, grâce à des signes visibles de la religion et de la piété, à la contemplation des choses sublimes » (sessio XXII, cap. 5).

Les enseignements cités du magistère de l’Eglise et surtout celui de Mediator Dei ont sans aucun doute été reconnus par les pères conciliaires comme pleinement valides ; en conséquence ils doivent continuer aujourd’hui encore à être pleinement valides pour tous les enfants de l’Eglise.

Dans sa lettre adressée à tous les évêques de l’Eglise catholique que Benoit XVI a jointe au Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, le pape fait cette déclaration importante : «Dans l’histoire de la liturgie, il y a croissance et progrès, mais non rupture. Ce qui a été sacré pour les générations passées, doit rester sacré et grand pour nous». En disant cela, le pape exprime le principe fondamental de la liturgie que le Concile de Trente, le pape Pie XII et le Concile Vatican II ont enseigné.

Si on regarde, sans idées préconçues et de façon objective, la pratique liturgique de l’écrasante majorité des églises dans tout le monde catholique où la forme ordinaire du rite romain est en usage, personne ne peut nier en toute honnêteté que les six principes liturgiques mentionnés du Concile Vatican II ne sont pas ou alors très peu respectés, bien qu’on déclare erronément que cette pratique de la liturgie a été souhaitée par Vatican II. Il y a un certain nombre d’aspects concrets dans la pratique liturgique dominante actuelle, dans le rite ordinaire, qui représentent une rupture véritable avec une pratique liturgique constante depuis plus d’un millénaire. Il s’agit des cinq usages liturgiques suivants que l’on peut désigner comme étant les cinq plaies du corps mystique liturgique du Christ. Il s’agit de plaies, car elles représentent une violente rupture avec le passé, car elles mettent moins l’accent sur le caractère sacrificiel qui est pourtant bel et bien le caractère central et essentiel de la messe, elles mettent en avant le banquet ; tout cela diminue les signes extérieurs de l’adoration divine, car elles mettent moins en relief le caractère du mystère dans ce qu’il a de céleste et d’éternel.

Concernant ces cinq plaies, il s’agit de celles qui – à l’exception de l’une d’entre elles (les nouvelles prières de l’offertoire) – ne sont pas prévues dans la forme ordinaire du rite de la messe, mais ont été introduites par la pratique d’une mode déplorable.

La première plaie, et la plus évidente, est la célébration du sacrifice de la messe où le prêtre célèbre le visage tourné vers les fidèles, notamment lors de la prière eucharistique et de la consécration, le moment le plus haut et le plus sacré de l’adoration due à Dieu. Cette forme extérieure correspond plus par nature à la façon dont on fait cours ou dont on partage un repas. On est en présence d’un cercle fermé. Et cette forme n’est absolument pas conforme au moment de la prière et encore moins à celui de l’adoration. Or cette forme, le concile Vatican II ne l’a pas souhaitée le moins du monde et elle n’a jamais été recommandée par le magistère des papes postconciliaires. Le pape Benoit XVI écrit dans sa préface au premier tome de ses oeuvres complètes : « L’idée que le prêtre et l’assemblée doivent se regarder lors de la prière est née chez les modernes et elle totalement étrangère à la chrétienté traditionnelle. Le prêtre et l’assemblée ne s’adressent pas mutuellement une prière, c’est au Seigneur qu’ils s’adressent. C’est pourquoi dans la prière ils regardent dans la même direction : soit vers l’est comme étant le symbole cosmique du retour du Seigneur, ou alors là où cela n’est pas possible, vers une image du Christ située dans l’abside, vers une croix ou tout simplement ensemble vers le haut ».

La forme de célébration où tous portent leur regard dans la même direction (conversi ad orientem, ad Crucem, ad Dominum) est même évoquée par les rubriques du nouveau rite de la messe (cf. Ordo Missae, n. 25, n. 133 et n. 134). La célébration qu’on appelle « versus populum » ne correspond certainement pas à l’idée dela Sainte Liturgietelle qu’elle est mentionnée dans les déclarations de Sacrosanctum Concilium n°2 et n° 8.

La deuxième plaie est la communion dans la main répandue pratiquement partout dans le monde. Non seulement cette façon de recevoir la communion n’a été évoquée en aucune manière par les Pères conciliaires de Vatican II, mais bel et bien introduite par un certain nombre d’évêques en désobéissance au Saint Siège et dans le mépris du vote négatif en 1968 de la majorité du corps épiscopal. Ce n’est qu’après que le pape Paul VI l’a légitimée sous conditions particulières et à contrecoeur.

Le pape Benoit XVI, depuis la fête du Saint Sacrement 2008, ne distribue plus la communion qu’à des fidèles à genoux et sur la langue, et cela non seulement à Rome, mais aussi dans toutes les églises locales auxquelles il rend visite. Par là, il donne à l’Église toute entière un exemple clair du magistère pratique en matière liturgique. Si la majorité qualifiée du corps épiscopal, trois ans après le concile, a refusé la communion dans la main comme quelque chose de nuisible, combien plus les Pères conciliaires l’auraient également fait !

La troisième plaie, ce sont les nouvelles prières de l’offertoire. Elles sont une création entièrement nouvelle et n’ont jamais été en usage dans l’Eglise. Elles expriment moins l’évocation du mystère du sacrifice de la croix que celle d’un banquet, rappelant les prières du repas sabbatique juif. Dans la tradition plus que millénaire de l’Eglise d’Occident et d’Orient, les prières de l’offertoire ont toujours été axées expressément sur le mystère du sacrifice de la croix (cf. p. ex. Paul Tirot, Histoire des prières d’offertoire dans la liturgie romaine du VIIème au XVIème siècle, Rome 1985). Une telle création absolument nouvelle est sans nul doute en contradiction avec la formulation claire de Vatican II qui rappelle : « Innovationes ne fiant … novae formae ex formis iam exstantibus organice crescant » (Sacrosanctum Concilium, 23).

La quatrième plaie est la disparition totale du latin dans l’immense majorité des célébrations eucharistiques de la forme ordinaire dans la totalité des pays catholiques. C’est là une infraction directe contre les décisions de Vatican II.

La cinquième plaie est l’exercice des services liturgiques de lecteur et d’acolyte par des femmes, ainsi que l’exercice de ces mêmes services en habit civil en pénétrant dans le choeur pendantla Sainte Messe directement depuis l’espace réservé aux fidèles. Cette coutume n’a jamais existé dans l’Eglise, ou tout au moins n’a jamais été bienvenue. Elle confère à la célébration de la messe catholique le caractère extérieur de quelque chose d’informel, le caractère et le style d’une assemblée plutôt profane. Le deuxième concile de Nicée interdisait déjà, en 787, de telles pratiques en édictant ce canon : « Si quelqu’un n’est pas ordonné, il ne lui est pas permis de faire la lecture depuis l’ambon pendant la sainte liturgie » (can. 14). Cette norme a été constamment respectée dans l’Eglise. Seuls les sous-diacres ou les lecteurs avaient le droit de faire la lecture pendant la liturgie dela Messe. En remplacement des lecteurs et acolytes manquants, ce sont des hommes ou des garçons en habits liturgiques qui peuvent le faire, et non des femmes, étant donné que le sexe masculin, sur le plan de l’ordination non sacramentelle des lecteurs et acolytes, représente symboliquement le dernier lien avec les ordres mineurs.

Dans les textes de Vatican II, il n’est fait nullement mention de la suppression des ordres mineurs et du sous-diaconat, ni de l’introduction de nouveaux ministères. Dans Sacrosanctum Concilium n° 28, le concile fait la différence entre « minister » et « fidelis » pendant la célébration liturgique, et il stipule que l’un et l’autre ont le droit de ne faire que ce qui leur revient de par la nature de la liturgie. Le n° 29 mentionne les « ministrantes », c’est-à-dire les servants d’autel qui n’ont reçu aucune ordination. En opposition à ceux-là, il y aurait, selon les termes juridiques de l’époque, les « ministri », c’est-à-dire ceux qui ont reçu un ordre qu’il soit majeur ou mineur.

Par le Motu proprio Summorum Pontificum, le pape Benoit XVI stipule que les deux formes du rite romain sont à regarder et à traiter avec le même respect, parce que l’Eglise reste la même avant et après le concile. Dans la lettre d’accompagnement du Motu proprio, le pape souhaite que les deux formes s’enrichissent mutuellement. En outre, il souhaite que dans la nouvelle forme «apparaisse, plus que cela n’a été le cas jusqu’à présent, le sens du sacré qui attire de nombreuses personnes vers l’ancien rite».

Les quatre plaies liturgiques ou usages malheureux (célébration versus populum, communion dans la main, abandon total du latin et du chant grégorien et intervention des femmes pour le service de la lecture et celui d’acolyte) n’ont en soi rien à faire avec la forme ordinaire de la messe et sont en plus en contradiction avec les principes liturgiques de Vatican II. Si on mettait un terme à ces usages, on reviendrait au véritable enseignement liturgique de Vatican II. Et à ce moment-là, les deux formes du rite romain se rapprocheraient énormément, de sorte que tout au moins extérieurement, on n’aurait pas à constater de rupture entre elles, et de ce fait, pas de rupture non plus entre l’Eglise d’avant le concile et celle d’après.

En ce qui concerne les nouvelles prières de l’offertoire, il serait souhaitable que le Saint Siège les remplace par les prières correspondantes de la forme extraordinaire ou tout au moins qu’il permette leur utilisation ad libitum. Ainsi ce n’est pas seulement extérieurement, mais intérieurement que la rupture entre les deux formes serait évitée. La rupture dans la liturgie, c’est bien d’elle que la majorité des Pères conciliaires n’a pas voulu ; en témoignent les actes du concile, parce que dans les deux mille ans d’histoire de la liturgie dansla Sainte Église, il n’y a jamais eu de rupture liturgique, et que par conséquent, il ne doit jamais en avoir. Par contre, il doit y avoir une continuité comme il convient que ce soit pour le magistère.

Les cinq plaies au corps liturgique de l’Eglise évoquées ici réclament guérison. Elles représentent une rupture comparable à celle de l’exil d’Avignon. La situation d’une rupture aussi nette dans une expression de la vie de l’Eglise qui est loin d’être sans importance – autrefois l’absence des papes de la ville de Rome, aujourd’hui la rupture visible entre la liturgie d’avant et d’après le concile – cette situation donc réclame guérison.

C’est pourquoi on a besoin aujourd’hui de nouveaux saints, d’une ou de plusieurs sainte Catherine de Sienne. On a besoin de la « vox populi fidelis » réclamant la suppression de cette rupture liturgique. Mais le tragique de l’histoire, c’est qu’aujourd’hui comme autrefois au temps de l’exil d’Avignon, une grande majorité du clergé, surtout du haut clergé, se satisfait de cet exil, de cette rupture.

Avant qu’on puisse s’attendre à des fruits efficaces et durables de la nouvelle évangélisation, il faut tout d’abord que s’instaure à l’intérieur de l’Eglise un processus de conversion. Comment peut-on appeler les autres à se convertir tant que, parmi les appelants, aucune conversion convaincante vers Dieu n’ait encore eu lieu, parce que, dans la liturgie, ils ne sont pas suffisamment tournés vers Dieu, tant intérieurement qu’extérieurement. On célèbre le sacrifice de la messe, le sacrifice d’adoration du Christ, le plus grand mystère de la foi, l’acte d’adoration le plus sublime dans un cercle fermé en se regardant les uns les autres.

Il manque la « conversio ad Dominum » nécessaire, même extérieurement, physiquement. Puisque pendant la liturgie, on traite le Christ comme s’il n’était pas Dieu et qu’on ne Lui manifeste pas de signes extérieurs clairs d’une adoration due à Dieu seul, dans le fait que les fidèles reçoiventla SainteCommuniondebout et qu’en plus, ils la prennent dans leurs mains comme une nourriture ordinaire, en l’attrapant avec les doigts et en se la mettant eux-mêmes dans la bouche. Il y a ici le danger d’une sorte d’arianisme ou d’un semi-arianisme eucharistique.

Une des conditions nécessaires d’une fructueuse nouvelle évangélisation serait le témoignage suivant de toute l’Eglise sur le plan du culte liturgique publique, observant au moins ces deux aspects du Culte divin, à savoir :
1) Que sur toute la terre, la Sainte Messe soit célébrée, même dans la forme ordinaire, dans la « conversio ad Dominum », intérieurement et nécessairement aussi extérieurement.
2) Que les fidèles plient le genou devant le Christ au moment de la Sainte communion, comme saint Paul le demande, évoquant le nom et la personne du Christ (cf. Phil. 2, 10), et qu’ils Le reçoivent avec le plus grand amour et le plus grand respect possible, comme il Lui revient en tant que Dieu véritable.

Dieu soit loué, le pape Benoit XVI a entamé, par deux mesures concrètes, le processus de retour d’exil avignonnais liturgique, à savoir par le Motu proprio Summorum Pontificum et par la réintroduction du rite de communion traditionnel.

Il est encore besoin de beaucoup de prières et peut-être d’une nouvelle sainte Catherine de Sienne afin que suivent les autres pas, de façon à guérir les cinq plaies sur le corps liturgique et mystique de l’Église et que Dieu soit vénéré dans la liturgie avec cet amour, ce respect, ce sens du sublime, qui ont toujours été le fait de l’Église et de son enseignement, notamment à travers le concile de Trente, le pape Pie XII dans son encyclique Mediator Dei, le concile Vatican II dans sa constitution Sacrosanctum Concilium et le pape Benoit XVI dans sa théologie de la liturgie, dans son magistère liturgique pratique et dans le Motu proprio précité.

Personne ne peut évangéliser s’il n’a d’abord adoré, voire même s’il n’adore pas en permanence et ne donne pas à Dieu, le Christ Eucharistie, la vraie priorité dans la façon de célébrer et dans toute sa vie. En effet, pour reprendre les mots du cardinal Joseph Ratzinger : « C’est dans la manière de traiter la liturgie que se décide le sort dela Foiet de l’Eglise ».

Monseigneur Athanasius Schneider,
Réunicatho, le 15 janvier 2012

Merci Mgr pour ce très beau texte et de la force de votre foi.. Il nous permet de dire que, dans l’agitation de la mer,   Dieu n’abandonne pas son Eglise.

Annexe 2 :

Les commentaires de Jean Madiran dans Présent:

L’Offertoire de Paul VI

Le débat avance. Quel débat ? Justement, le débat refusé. Refusé dans l’Eglise depuis quarante-cinq ans ; refusé à tous ceux qui ont opposé doutes, questions, objections aux nouveautés post-conciliaires. Ce débat avance quand même. L’offertoire de la messe de Paul VI est maintenant mis en cause par une voix autorisée. Non pas quelques abus, quelques dérives, quelques excès, mais l’offertoire lui-même, dans le texte officiel de la « forme ordinaire du rite romain ».

Ce fut à Paris, le 15 janvier de cette année. L’intervenant nous vient d’Asie centrale, il est secrétaire général de la Conférenceépiscopaledu Kazakhstan. Heureux Kazakhstan ! Il est aussi consulteur à Rome de plusieurs dicastères, notamment de la Congrégationpourla doctrine et de la Congrégationpourle culte. Il se nomme Athanasius Schneider. Il appartient à la nouvelle génération épiscopale : il n’avait que huit ans quand Paul VI décréta sa nouvelle messe. Paix liturgique a publié la semaine dernière le texte intégral de son intervention parisienne du 15 janvier (Paix liturgique, 1 allée du Bois Gougenot, 78290 Croissy-sur-Seine.)

Parmi ce qu’il appelle les cinq plaies de la « pratique liturgique dominante actuelle », Mgr Schneider pointe « les nouvelles prières de l’offertoire » :

« Elles sont une création entièrement nouvelle, elles n’ont jamais été en usage dans l’Eglise. Elles expriment moins l’évocation du mystère du sacrifice de la Croix que celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif. »

Alors que, ajoute-t-il, « dans la tradition plus que millénaire de l’Eglise d’Occident et d’Orient, les prières de l’offertoire ont toujours été axées expressément sur le mystère du sacrifice de la Croix ».

Ces nouvelles prières de l’offertoire, « il serait souhaitable, propose Mgr Schneider, que le Saint-Siège les remplace par les prières correspondantes de la forme extraordinaire ».

Les quatre autres « plaies du corps mystique liturgique du Christ » qu’énumère Mgr Schneider ne sont pas forcément, ne sont pas explicitement imposées par le texte lui-même de la messe promulguée par Paul VI en 1969, aujourd’hui appelée « forme ordinaire du rite romain ». Ce sont :

— la plus visible : le visage du prêtre tourné vers les fidèles ;

— la communion dans la main ;

— la disparition totale du latin et du grégorien ;

— l’emploi de femmes pour le service de la lecture et celui d’acolyte.

A la différence du nouvel offertoire, ces quatre plaies-là ne figurent ni dans la messe promulguée par Paul VI, ni dans la constitution conciliaire sur la liturgie. La critique sévère qu’en fait Mgr Schneider, le refus fortement motivé qu’il leur oppose, ne mettent donc en cause ni la constitution conciliaire, ni le texte même de la forme ordinaire du rite romain.

Il n’en va pas de même pour un offertoire qui, relisons, « exprime moins l’évocation du mystère du sacrifice dela Croixque celle d’un banquet rappelant les prières du repas sabbatique juif ».

Un tel offertoire, avec la gravité de cette énorme déficience, est au cœur de la messe que Paul VI a signée de sa main. Mgr Schneider ne voit aucune possibilité de le réformer, de l’améliorer, il n’envisage que sa suppression pure et simple, et son remplacement radical par l’offertoire traditionnel.

A mesure que le débat continuera d’avancer de cette manière, il deviendra de plus en plus difficile de recommander que l’on regarde et traite avec le même respect les « deux formes » du rite romain.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 7552
du Vendredi 2 mars 2012

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Depuis la fête, en 2008, du Saint-Sacrement

Dans son exposé critique des « cinq plaies » de la « forme ordinaire » (du rite romain) telle qu’elle est célébrée aujourd’hui « dans l’écrasante majorité des églises », Mgr Schneider n’a pas omis, le 15 janvier, de s’exprimer sur la communion dans la main, « répandue partout dans le monde » :

« Non seulement cette façon de recevoir la communion n’a été évoquée en aucune manière par les Pères conciliaires de Vatican II, mais bel et bien introduite par un certain nombre d’évêques en désobéissance au Saint-Siège et dans le mépris du vote négatif en 1968 de la majorité du corps épiscopal. Ce n’est qu’après, que le pape Paul VI l’a légitimée sous conditions particulières et à contre-cœur. »

Mgr Schneider recommande alors de suivre l’exemple de Benoît XVI :

« Le pape Benoît XVI, depuis la fête du Saint-Sacrement 2008, ne distribue plus la communion qu’à des fidèles à genoux et sur la langue, et cela non seulement à Rome, mais aussi dans toutes les Eglises locales auxquelles il rend visite. Par là, il donne à l’Eglise tout entière un exemple clair du magistère pratique en matière liturgique. »

On aura remarqué les premiers mots de cette dernière citation : « depuis la fête du Saint-Sacrement 2008 », le Pape « ne distribue plus » la communion dans la main. Il l’a fait jusqu’à cette date mémorable et précise : en 2008, la fête du Saint-Sacrement. C’est-à-dire le 22 mai 2008, énoncé sous sa forme liturgique la plus solennelle. Ce jour-là il s’est passé quelque chose, et ce n’était pas une hésitation ni une alternance ; ce n’était pas un changement occasionnel et provisoire ; c’était une décision sans retour.

En 2005, Benoît XVI avait reçu la charge d’une Eglise où, au premier rang des anomalies et inconvenances les plus visibles, il y avait cette communion dans la main qui s’était partout imposée. Il avait commencé par reprendre son souffle. Il a médité durant trois années les possibilités pratiques, extrêmement limitées, d’intervenir efficacement à contre-courant. Il a finalement pris la décision, silencieuse et ferme, de ne plus jamais donner la communion dans la main. Il n’a pour le moment pas fait davantage sur ce point, mais il a ainsi manifesté ce qu’il en pense et il a daté sa décision. Cela nous révèle peut-être un aspect de ce qu’est, non pas toujours, mais souvent, l’action de Benoît XVI dans l’Eglise d’aujourd’hui ; cela nous révèle peut-être à quel point il juge cette Eglise quasiment ingouvernable.

Sur la communion dans la main comme sur les autres « plaies » liturgiques, l’argumentation de Mgr Schneider se fonde sur le concile de Trente condamnant, dit-il, « l’accentuation exagérée de la notion de banquet dans la célébration eucharistique au détriment du caractère sacrificiel » ; elle se fonde également sur l’encyclique Mediator Dei de Pie XII et sur la constitution liturgique Sacrosanctum concilium de Vatican II. Cette dernière se trouve ainsi recadrée dans une continuité cohérente, celle de la doctrine et de la coutume catholiques. Telle est en somme la manière personnelle de Mgr Schneider, impérieuse et dynamique, d’interpréter Vatican II à la lumière dela Tradition.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 7553
du Samedi 3 mars 2012

Annexe 3 : la lettre du cardinal Ratzinger au professeur  Heinz-Lothar BARTH du 23 juin 2003 

 

Le 23. 6. 2003, le cardinal RATZINGER a écrit la lettre suivante à Heinz-Lothar BARTH, auteur théologique réputé, docteur ès lettres et maître de conférences à la chaire des lettres classiques de l’université de Bonn.

Le cardinal RATZINGER dit que dans l’avenir l’église romaine doit avoir un seul rite. Le rite romain devra être un seul et unique rite, entièrement dans la tradition du rite classique.

 

Très estimé Monsieur le Docteur Barth,

Je vous remercie de votre lettre du 6 avril, à laquelle je ne réponds que maintenant, faute de temps. Vous me demandez de m’engager pour l’autorisation plus élargie du rite romain ancien. Vous savez déjà que j’accueille bien une telle demande, vu que mon engagement dans cette affaire est maintenant connue par tout le monde.

Si le Saint Siège “autorisera le rite ancien de nouveau mondialement et sans limitation” -comme vous le souhaitez et l’avez entendu par rumeur- n’est pas si facile à dire : Trop de catholiques partagent encore une attitude négative -endoctrinée depuis des années- envers la liturgie traditionnelle, laquelle ils appellent orgueilleusement “pré conciliaire”, et beaucoup d’évêques s’opposeraient massivement à une autorisation générale du rite ancien.

La situation est différent si on n’envisage qu’une autorisation limitée ; car la demande de la liturgie ancienne est limitée. Je sais que sa valeur ne dépends point de la demande, mais le nombre des prêtres et laïcs intéressés a cependant une certaine importance. En plus, une telle mesure ne peut être réalisée progressivement aujourd’hui, une 30aine d’année après la réforme liturgique du Pape Paul VI ; chaque nouvelle précipitation ne produira pas de bons résultats.

Mais je crois que dans l’avenir l’église romaine ne devra avoir qu’un seul rite ; l’existence de deux rites est difficilement “gérable” pour les évêques et les prêtres. Le rite romain de l’avenir devrait être un seul rite, célébré en latin ou en langue populaire, mais basée entièrement dans la tradition du rite ancien ; il pourrait intégrer quelques nouvels éléments qui ont fait leurs preuves, quelques préfaces, des lectures plus larges -plus de choix qu’avant, mais pas trop- une “Oratio fidelium”, cela veut dire une litanie de prières d’intercession après l’Oremus avant l’offertoire, ou est sa place primitive.

Très estimé Dr Barth, si vous vous engagez ainsi pour la question liturgique, vous ne serez pas seul et vous préparez “l’opinion publique de l’église” à des mesures éventuelles en faveur d’un usage plus large des manuels liturgiques anciens. Il faut cependant être prudent quant à l’excitation des espoirs trop grands, maximaux, auprès des fidèles attachés à la tradition.

Je me sers de cette occasion de vous remercier de votre engagement appréciable en faveur de la liturgie de l’église romaine, dans vos livres et conférences, même si je souhaiterais ici et là plus d’amour et compréhension pour le magistère du Pape et des évêques. Que la semence, que vous semez, grandisse et porte des fruits pour une nouvelle vie renouvelée de l’église, dont la “source et sommet”, son véritable cœur, est et sera cette liturgie.

Je vous donne volontiers la bénédiction demandée par vous, cordialement

Votre Josef Cardinal RATZINGER

 



[1]  en latin :« illampraesentibusduximusinserendam ». « Duximus », c’est le parfait duverbe « ducere ». Il vaudrait mieux traduire : nous estimons, nous commandons. « Nous pensons » me paraît un peu faible. « Ducere », c’est le commandement, c’est le chef qui affirme.

[2]  Le missel tridentin n’a jamais fait l’objet d’un décret d’interdiction. Dans son discours du Consistoire de 1976, Paul VI a tout au plus manifesté son intention de ne voir célébrer dans les communautés catholiques de rite latin que la messe nouvelle, mais un discours n’a pas l’autorité d’un décret.

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