UNE ATTEINTE AU DROIT DES FIDÈLES
publié dans flash infos le 23 mars 2012
« Paix liturgique » du 20 mars 2012 publie cette lettre et ces remarques. C’est à lire:
UNE ATTEINTE AU DROIT DES FIDÈLES : L’EXIGENCE ABUSIVE DE LEUR LISTE NOMINATIVE DES DEMANDEURS DE LA MESSE EN FORME EXTRAORDINAIRE
C’est un sujet délicat mais qui revient suffisamment régulièrement pour que nous nous risquions à l’affronter à l’occasion du courrier que nous a adressé la responsable d’une demande de messe selon la forme extraordinaire du rite romain : il arrive régulièrement que les autorités ecclésiastiques demandent communication de la liste nominative (nom, prénom, adresse et parfois téléphone et signature) des personnes demandant l’application du Motu Proprio. Nous vous présentons ci-dessous l’essentiel du courrier de notre lectrice suivi de nos réponses. Nous recueillerons volontiers tout autre témoignage sur ce sujet.
I – LE COURRIER DE NOTRE LECTRICE
« (…) Demandant, depuis plus de deux ans désormais, l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum dans ma paroisse (32 villages !), j’ai enfin obtenu de mon curé une réponse autre que : » Mais vous ne vous rendez pas compte ! Vous savez bien que j’ai déjà du mal à assurer toutes mes messes ! » Sans doute lassé par mon insistance, il s’est retourné vers le diocèse qui va » étudier la demande » mais souhaite avoir communication de la liste des personnes composant notre groupe de demandeurs (nom, prénom et adresse).
Cette requête ne figurant ni dans le texte du Motu Proprio ni dans celui de l’instruction Universæ Ecclesiæ, je ne sais pas trop qu’en penser… Dans votre rubrique » Faire une demande « , vous indiquez que » ce n’est pas notre rôle de diffuser le listing d’amis ou de fidèles qui ne nous ont pas mandaté pour cela » mais nous invitez néanmoins à éclairer « avec charité et prudence » le curé.
Dans notre cas, nous sommes une douzaine de familles avec enfants et une dizaine de personnes isolées ou en couple soit plus de 80 âmes. Et, si personne ne refuserait de se présenter au curé – sauf à craindre un savon ! – beaucoup n’ont pas envie de donner leur nom au diocèse, par crainte d’être » fichés » comme me l’a dit une amie qui est professeur dans le privé et qui a peur de pressions dans son collège. (…)
Bref, je ne sais pas trop quoi faire et vous remercie de vos conseils. »
II – LA REPONSE DE PAIX LITURGIQUE
1) D’ABORD CE QUE DISENT LES TEXTES
Comme le relève notre lectrice, ni le Motu Proprio ni l’instruction Universæ Ecclesiæ ne prévoient la fourniture d’une liste comportant le nom et l’adresse des demandeurs. Le Motu Proprio parle de « groupe stable » à l’article 5.1 et précise « groupe de fidèles laïcs » à l’article 7. Ce « groupe stable de fidèles laïcs » est défini ainsi au paragraphe 15 de l’instruction : « Un cœtus fidelium pourra se dire stable (stabiliter exsistens), au sens où l’entend l’art. 5 § 1 de Summorum Pontificum, s’il est constitué de personnes issues d’une paroisse donnée qui, même après la publication du Motu Proprio, se sont réunies à cause de leur vénération pour la liturgie célébrée dans l’usus antiquior et qui demandent sa célébration dans l’église paroissiale, un oratoire ou une chapelle ; ce cœtus peut aussi se composer de personnes issues de paroisses ou de diocèses différents qui se retrouvent à cette fin dans une église paroissiale donnée, un oratoire ou une chapelle. » À aucun moment il n’est requis de fournir le « pedigree » des demandeurs (la seule condition, fixée à l’article 19, étant qu’ils ne remettent en cause ni la validité ni la légitimité de la forme ordinaire et qu’ils ne s’opposent pas au pape) ni même, d’ailleurs, un nombre minimal de fidèles pour rendre légitime la demande. C’est à la prudence, au zèle pastoral et à l’esprit d’accueil généreux du curé qu’est laissée l’appréciation de la demande (article 17) – en son temps Mgr Perl de la commission Ecclesia dei reconnaissait qu’une trentaine de personnes constituait un groupe tout à fait suffisant pour être considéré comme un groupe » stable » et suffisant de demandeurs car il avait conscience que l’immense majorité des personnes concernées ne jugerait pas opportun de se » marquer » davantage.
Juridiquement, il est donc parfaitement clair que la fourniture de la liste nominative des demandeurs n’est pas une condition de l’application du Motu Proprio. On ne doit jamais oublier que le Motu Proprio définit un « droit des fidèles du Christ », qu’ils soient Christi fideles prêtres (ils peuvent toujours célébrer en privé la messe en forme extraordinaire sans avoir à demander aucune permission) ou Christi fideles laïcs (ils peuvent demander en groupe à leur curé la célébration de la messe en forme extraordinaire dans leur paroisse). La loi (le Motu Proprio explicité par l’Instruction d’application) expose très clairement les modalités de la demande, lesquelles ne sauraient en aucune manière être « aggravées » arbitrairement par le curé ou l’évêque. Le fait pour une autorité paroissiale ou diocésaine de rajouter à une loi universelle une condition plus « onéreuse » comme disent les canonistes (en l’espèce, exiger les noms et adresses des demandeurs), est un abus caractérisé.
2) UN AVIS SUR LE FOND
Si cette demande d’informations nominatives crée une polémique, c’est qu’elle intervient dans un contexte général d’opposition au Motu Proprio ou au mieux dans celui d’une simple tolérance pragmatique. Il va de soi que si la plupart des évêques de France avait donné l’exemple en célébrant eux mêmes la forme extraordinaire du rite romain dans leurs cathédrales ou lui avait donné une vraie place dans leurs séminaires diocésains, si ces mêmes évêques avaient encouragé leurs prêtres diocésains à célébrer dans l’une et l’autre forme de l’unique rite romain lorsque des demandes sérieuses et incontestables se faisaient connaitre, ou ne s’y étaient seulement pas opposés… cette nouvelle exigence de liste nominative serait passée pour une simple formalité administrative et non pas comme une énième condition posée pour, au final, ne pas appliquer le Motu Proprio.
3) POURQUOI SOMMES-NOUS PLUS QUE RÉSERVÉS À PROPOS DE CES DEMANDES DE » FICHAGE » ?
À l’expérience, nous y sommes plus que réservés pour au moins quatre raisons.
a) Ces listes sont surtout utilisées pour faire pression négativement sur les demandeurs
Parce que l’expérience nous dit que, trop souvent, les coordonnées des demandeurs sont utilisées pour exercer des pressions à leur encontre. Soit directes (appel téléphonique ou interpellation à la sortie de la messe de la part d’un laïc ou d’un ecclésiastique), soit indirectes : réflexions hostiles distillées lors du catéchisme, du scoutisme, d’activités caritatives ou à l’école, et ce aussi bien aux parents qu’aux enfants… Ainsi par exemple, à Reims, l’évêque Monseigneur Jordan a-t-il pris son téléphone lui-même pour appeler directement la centaine des demandeurs qui avaient donné leurs coordonnées. (Ce qui lui a permis d’estimer que ces demandeurs n’étaient pas crédibles… sauf que lorsqu’il accepta de tolérer une fois par mois cette messe » Extraordinaire » à Reims, ce furent 150 fidèles qui chaque fois assistèrent à cette messe… ce qui démontre que seule une expérience bienveillante peut permettre à l’autorité de se faire une opinion sérieuse et honnête). À N. dans le diocèse de Versailles, c’est Madame R. qui nous raconte comment elle s’est fait agresser à son club de tennis (!) par des dames de la paroisse ayant appris qu’elle avait cosigné la demande d’application du Motu Proprio et qu’en cela elle avait provoqué la zizanie et la division. L’objectif ultime est chaque fois le même : faire pression pour… parvenir à ne rien faire.
b) Ces listes constituent une exigence manifestement discriminatoire
Parce que la visée du Motu Proprio relève d’un acte de réconciliation et de justice, prenant acte du fait que la messe selon l’usus antiquior n’a jamais été abolie et en tirant les conséquences. C’est bien là le secret de ce que Mgr Le Gall appelait la « mens » pontificale dans l’entretien qu’il nous a récemment donné (voir lettre PL N° 313). Or, commencer par réclamer « Vos papiers, svp ! » sonne plus comme une sommation péremptoire que comme un geste de bonne charité chrétienne. Demande-t-on la liste nominative des personnes qui souhaitent mettre en place un groupe de prière de la Communauté de l’Emmanuel dans leur paroisse ? Une telle liste est-elle également demandée aux membres des différentes communautés linguistiques (Portugais, Polonais) qui demandent à leur curé l’instauration d’une messe dans leur langue maternelle ? La réponse est naturellement négative, et l’on perçoit bien que cette demande traduit finalement dans les faits le statut de chrétien de seconde catégorie des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rit romain. Leur anormalité présumée, leur infériorité supposée justifient une telle exigence discriminatoire.
c) Ces demandes sont impossibles à satisfaire car ontologiquement les « Silencieux »… sont silencieux
Nous ne pouvons méconnaître également que l’immense majorité des fidèles qui souhaitent voir appliquer les bienfaits du Motu Proprio Summorum Pontificum sont des » Silencieux « , c’est-à-dire des personnes discrètes et aimables… qui aiment leur paroisse… qui en aucun cas ne veulent provoquer de troubles… comme elles l’ont prouvé depuis plus de 40 ans. Aussi, la plupart d’entre elles ne voudront même pas signer une pétition ou même mettre leur nom sur une liste de demandeurs… à moins évidement que leur curé avec une attitude bienveillante ne les aient publiquement sollicité de lui indiquer leur avis. Aussi, faut-il voir que là où les demandeurs fourniront une liste de 10 familles, c’est probablement le double ou le triple de familles qui en réalité s’associent à cette demande. L’ignorer serait un déni de justice et une grave atteinte à la charité, ou alors une arme utilisée contre les demandeurs de bonne foi.
d) Un grand risque : transformer les demandeurs en pétitionnaires revendicatifs
Il y a un autre élément dérangeant dans la requête de listes de demandeurs de la part du clergé : la transformation de fidèles désireux de jouir d’un droit que le Saint-Père a accordé à l’Église universelle, en pétitionnaires paroissiaux ou diocésains. Lors de la grande campagne de soutien à Benoît XVI auprès des fidèles des paroisses, combien de fois ne nous a-t-il pas été opposé que l’Église « n’est pas une démocratie » ? Que ce n’est pas à « l’opinion des fidèles » de décider de la pastorale diocésaine ? Que nous étions «une minorité diviseuse» ? Que nous pratiquions « la guérilla liturgique » ? Et autres amabilités.
Or, il faudrait aujourd’hui devenir ce que l’on nous reprochait d’être hier, des «syndicalistes», pour aligner des noms et signatures et manifester de la sorte la «représentativité» de notre demande ?
Incohérence classique des hommes de mauvaise volonté. Qui plus est, il arrive que l’incohérence redouble : nous avons eu connaissance de cas de refus d’application du Motu Proprio justement au prétexte que les lettres de demande signées par plusieurs familles s’apparentaient à des « pétitions », procédé considéré alors comme totalement inadmissible et irrecevable. Les demandeurs n’ont pas dressé une liste ? Il est donc nécessaire qu’ils en fournissent une ! Ils en ont établi une ? C’est un procédé intolérable! Allez comprendre. Nous avons une très longue habitude : nous comprenons trop bien.
4) SORTIR D’UNE PRAXIS INQUISITORIALE
Et si cette demande de produire la liste des demandeurs était une politique réfléchie et globale d’une partie de nos pasteurs ? Ce qu’à Dieu (et au Pape) ne plaise, car une loi universelle s’applique aussi bien aux fidèles qu’aux curés ou aux évêques.
Non seulement la lettre de la loi, mais l’esprit de la loi, à savoir le service de la paix liturgique, exigent de sortir de cette atmosphère du décompte inquisiteur. Voilà près de dix ans que sondage après sondage, les instituts professionnels révèlent qu’environ un tiers des pratiquants assisteraient à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans leur paroisse (et la majorité des autres ne voient aucun inconvénient à cette célébration). Le curé qui exige noms et adresses feint d’ignorer qu’au moins un assistant sur trois à ses messes dominicales participerait volontiers à la messe traditionnelle. Un paroissien dominical sur trois est un demandeur potentiel (et pratiquement 4/5 estiment que ce serait normal de le leur accorder). Le curé veut des listes ? Qu’il n’insiste pas trop : il pourrait les avoir et devenir l’arroseur arrosé.
III – LES CONCLUSIONS DE PAIX LITURGIQUE
Nous conclurons par trois réflexions :
1 – Si les demandes de listes sont honnêtes, pourquoi ne pas appliquer avec bienveillance le Motu Proprio lorsque, une fois ces listes fournies, les faits attestent que la demande est bien réelle, légitime et suffisamment importante pour être reconnue ? Nous nous trouvons ici devant des cas célèbres : celui de Notre Dame de Versailles où les signatures de plus de 400 familles représentant plus de 1500 fidèles avaient été recueillies par les demandeurs (cas d’autant plus intéressant que les signataires avaient pris soin de proposer deux listes : celle demandant l’application du Motu Proprio pour le signataire et les personnes qu’il représentait, et une autre prenant acte du désir du signataire d’accepter la forme extraordinaire du rit romain dans la paroisse même s’il n’était pas nécessairement intéressé pour lui-même ; cette deuxième liste était baptisée » liste de bon accueil « ), ou bien encore celui de Saint-Germain-en-Laye où plus de 200 familles ont signé une demande d’application du Motu Proprio.
2 – En allant plus loin encore, oser parler de la légitimité de » listes » si l’on est de bonne foi, serait accepter implicitement que, une fois cette liste fournie avec un nombre suffisant de fidèles, la célébration soit accordée. Or, nous constatons en France que, dans près de 100 paroisses, la messe est célébrée soit une fois par bimestre, soit une fois par mois en semaine, soit un dimanche sur deux, sur trois, sur quatre ou même sur cinq. Lors de ces célébrations, les fidèles, par leur présence et indépendamment de toute liste, attestent qu’il existe bien dans cette paroisse un groupe stable de demandeurs… qui n’en est pas pour autant écouté ou entendu. Où est donc la bonne foi ?
Les exemples sont légions en France et dans tout l’univers catholique. Contentons-nous d’évoquer le cas de Rambouillet (200 fidèles un dimanche par mois), Reims (150 fidèles un dimanche par mois), Saint Georges à Paris (25 fidèles chaque mercredi), etc.
3 – La solution n’est-elle pas d’agir avec bonté et charité ? de pratiquer honnêtement la vrai réconciliation ? Tous les curés qui ont accepté de jouer ce jeu en sont satisfaits et ont fait progresser l’unité paroissiale ainsi que la réflexion sur le sens de la liturgie dominicale. Citons notamment le cas de Sainte Jeanne de Chantal à Paris ou bien encore de la paroisse du Pradet dans le diocèse de Fréjus Toulon. Ces exemples, comme bien d’autres, devraient inspirer ceux qui se voilent la face et n’osent pas avancer avec confiance et charité sur le chemin de la réconciliation.
Pour cela, ce ne sont pas les listes qui sont nécessaires mais un peu de charité, de franchise et de tentative.
Bien sûr, certains ecclésiastiques diront qu’ils ne sont pas mandatés pour » faire des expériences » ou d’autres » qu’il y aurait de GROS risques de voir ces expériences polluées par la venue en masse de fidèles étrangers » pour bourrer les rangs en quelque sorte…
Mais cela n’est guère possible car le curé saurait très bien qui sont ces personnes et gageons que presque à chaque fois le curé découvrira avec le sourire ou avec surprise que ceux qui participent à ces célébrations sont en fait LEURS PROPRES PAROISSIENS parfaitement connus et identifiables, comme le montrent tous nos sondages en France et en Europe.