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Dom Gérard et la messe

Dom Gérard et la messe

publié dans regards sur le monde le 16 septembre 2009


 

Jean Madiran, dans un article de Présent, du 28 août 2009, intitulé « Une évidence de 21 ans » prend la défense, toujours avec panache, de son ami estimé Dom Gérard, concernant sa position sur la messe « tridentine ». Il refuse de voir quelques faiblesses de cet illustre père abbé en cette « affaire » liturgique. « La fermeté de Dom Gérard face à la nouvelle messe » est, dit-il, évidente. Les fondations de Bédouin puis du Barroux en sont la preuve : « Dom Gérard avait en 1970 entrepris une vie d’ermite puis fondé un monastère justement pour y maintenir, à l’encontre de l’apostasie immanente, la liturgie, la théologie, la règle monastique antérieures aux désordres post-conciliaires. Cette œuvre de Dom Gérard fut et demeure non pluribus impar, elle se poursuit par une abbaye et ses fondations qui vivent, qui expliquent, qui font aimer la piété, la doctrine, les rites, l’esprit traditionnels. Les faits sont là. Les plus brillants raisonnements théoriques ne peuvent rien contre l’évidence des faits. Une évidence de vingt et un ans ». Il avait déjà dit cela dans un article de Présent du jeudi 17 avril 2008 : « Dom Gérard et la messe »

Les constitutions du monastère du Barroux, « approuvées et confirmées », le 16 mars 1989 par le Saint Siège vont tout à fait dans ce sens. On peut y lire : « Plus de vingt ans après l’ouverture du Concile, au milieu de tant d’incertitudes et d’angoisses qui troublent même les catholiques fidèles, les moines du Monastère Sainte Madeleine veulent joindre, à la fidélité à (leur) héritage monastique, la fidélité à la tradition liturgique de la sainte Eglise, notamment au Missel romain promulgué en 1570 par saint Pie V, sur l’ordre du concile de Trente (….) Vie monastique, selon la Règle de saint Benoît et les coutumes léguées par nos anciens, office divin et liturgie de la messe célébrés, dans la langue latine : telles sont les deux sources qui ont donné naissance à la communauté du Barroux et constituent sa raison d’exister. »

Ces paroles sont tirées du « le Livre Blanc » du Barroux à la page 19 : « Livre Blanc reconnaissance canonique du Monastère. 1970-1990 »

Jean Madiran, dans son article d’avril 2008, cite seulement le deuxième paragraphe. Le premier est tout aussi important.

Voilà ce qu’a voulu dès le début et pour toujours Dom Gérard, en la matière liturgique.

Honneur à lui. Comme le dit joliment Jean Madiran dans un autre article de Présent : Dom Gérard est « un héritier ». Il veut marcher sur les traces des anciens, de saint Benoît tout particulièrement, par « piété filiale » : « Ainsi commença Bédoin au mois d’août 1970. Mais attention. Si la démarche initiale, écrit-il, est radicale, elle n’est pas une rupture, elle n’est pas un « repartir à zéro ». Elle est au contraire le refus de la dévastatrice rupture ambiante avec le patrimoine naturel et surnaturel qui avait été reçu en héritage ». C’est merveilleux !

Jean Madiran cite également dans son article d’avril 2008, des passages d’une lettre très importante que Dom Gérard a cru devoir écrire à ses moines quelques temps avant que le Bon Dieu le rappelle à Lui. Presque un an avant. On est content d’en connaître quelques extraits. Jean Madiran n’en donne pas la date. Je peux la préciser. Cette lettre est du 9 mars 2006.

La teneur de cette lettre peut laisser supposer une situation un peu difficile au sein du monastère. Les quelques concélébrations dans le « rite nouveau » que Dom Gérard avait pensé devoir concéder à l’extérieur du monastère, sous la pression des événements, pouvaient semble-t-il, avoir occasionné quelques confusions parmi les moines, certains en prenant occasion pour désirer introduire le « nouveau rite » dans les célébrations conventuelles, en en réclamant même le « droit ».

Dom Gérard réagit avec vigueur. Jean Madiran en site, vous dis-je, quelques passages: « Je regrette infiniment, écrivait Dom Gérard, que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit. »

C’est une belle protestation. Elle nous réjouit profondément.

Gravement, il ajoutait, à ce sujet, nous dit encore Jean Madiran : « Il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées .»

Aussi suppliait-il le 4 mars 2006, je peux l’ajouter, « à deux genoux, pour l’unité de la communauté de tabler fermement sur notre droit propre. En 1997, il y a 9 ans, en réunion de prêtres, c’était la ligne définie par le Père Abbé pour la communauté. Merci mon cher Père Abbé de bien vouloir continuer ». Ce mot est souligné dans le texte. Il s’adressait au RP Louis Marie, son successeur à la tête du monastère.

Voici qui est clair. Voici ce qu’il faut retenir. Voici quel est, en quelque sorte, son testament. Ceci, connu, fera l’unité du monastère. Et surtout affermira la fidélité du monastère à la liturgie romaine. Jean Madiran le confirme dans la conclusion de son article du 28 août 2009 : « Cette œuvre de Dom Gérard … se poursuit par une abbaye et ses fondations qui vivent, qui expliquent, qui font aimer la piété, la doctrine, les rites, l’esprit traditionnels. Les faits sont là. Les plus brillants raisonnements théoriques ne peuvent rien contre l’évidence des faits. Une évidence de vingt et un ans. »

Je le souhaite vraiment.

Toutefois, il faut reconnaître, me semble-t-il, que Dom Gérard eut parfois des attitudes « équivoques » et très « politiques », au sens « d’arrivisme », dans ce « combat » pour la messe dite de saint Pie V. C’est, à mon avis, la raison des difficultés connues à l’intérieur du monastère l’obligeant d’écrire ces dernières lettres, dont nous venons de parler, sous mode de testament.

C’est ainsi que je lui reproche d’avoir signé le protocole entre la Centre Monastique de France (C.M.F) et l’abbaye du Barroux, en 1998.

En voici le texte :

« En vue du vote d’admission de l’abbaye du Barroux comme membre de la conférence monastique de France, il a paru nécessaire aux membres du bureau de cette Conférence, réunis le 14 octobre 1998, – faites attention à la date, nous sommes à quelques jours seulement du pèlerinage à Rome du 24 octobre 1998 où Dom Gérard prendra la parole que nous critiquerons un peu plus bas – d’inviter un représentant de ce monastère afin de préparer avec lui un protocole pouvant servir de base à ce vote. Le Père abbé du Barroux a délégué pour cela le P. Basile Valuet, préfet des études. »

Le père Basile est le père qui a écrit un article savant, parce que nourri de mille citations, dans la Nef, intitulé « Le cardinal dit le droit » (n° 101 de janvier 2000) – il s’agit du Cardinal Medina, qui fut préfet de la Congrégation pour le culte – où il soutient la thèse que « la messe traditionnelle serait juridiquement interdite » au bénéfice de la nouvelle messe. Un moine du Barroux écrivant cela et, qui plus est,  un « préfet des études » au monastère du Barroux… c’est, là, chose étrange et dangereuse pour l’avenir ! Cet article que j’ai analysé dans mon livre « L’enjeu de l’Eglise : la Messe » révèle ,de la part de l’auteur,  un esprit « faux », savant, mais faux, et il négocie au nom de Dom Gérard !

Le texte continue :

« Il parait d’abord utile de prendre en compte l’histoire de ce monastère, son cheminement aussi bien avant qu’après sa réconciliation avec l’Eglise en 1988, le contexte familial de nombreux moines issus des milieux proches d’Ecône, et donc les ruptures avec leurs familles, leurs amis et même au sein de la communauté, souvent occasionnées par cette réconciliation.

« Il convient d’ajouter que l’abbé et la communauté du Barroux n’ont jamais mis en doute la validité de la messe célébrée selon le rite de Paul VI, et que par ailleurs, suite à une étude approfondie du Concile Vatican II (notamment sur la liberté religieuse), – il s’agit de l’étude du même père Basile qui a consacré à ce sujet un livre de plus de 800 pages…. – ils adhèrent désormais unanimement à sa doctrine. Ceci permet d’augurer une évolution des moines de cette communauté, qu’il faut laisser se poursuivre à son rythme (par exemple dans le domaine de la concélébration).

« Ceci étant, le Père Abbé accepte :

-de concélébrer ou d’envoyer son représentant concélébrer avec l’évêque diocésain à la messe chrismale, partout où son monastère est ou sera implanté

-que les moines prêtres de son monastère puissent, s’ils le désirent, concélébrer à la messe conventuelle dans les communautés où ils seront en visite. (C’est ce que fit le nouveau père abbé alors en visite à Solesmes…)

-Enfin, il faut noter que les prêtres en visite à l’abbaye du Barroux peuvent, s’ils le souhaitent, célébrer, voire concélébrer, la messe selon le rite de Paul VI »

Au bas du document, vous trouvez la signature du Président du CMF, le RP Etienne Ricaud et du RP abbé Dom Gérard, OSB.

Dom Gérard n’aurait pas du signer un tel document. Il acceptait ainsi le bi ritualisme pour ses moines, même dans son propre monastère. Je ne parle pas ici de sa position sur le Concile Vatican II qui surprendra plus d’un, mais seulement de la liturgie. Il ne levait plus « une franche objection » face au nouveau rite, d’une « fabrication artificielle », comme le dit Benoît XVI, « pernicieux par son caractère évolutif et œcuménique ». Ce ne sont pas les moindres des défauts de ce « nouveau rite ».

Mais honneur à Dom Gérard qui, dans sa lettre du 9 mars 2006, à ses moines, écrit : « je le regrette maintenant (ces concélébrations) puisque certains d’entre vous le considèrent comme un précédent, chose que je ne voulais absolument pas ».

Certes ! Mais on peut difficilement le leur reprocher !

Fallait-il pour avoir une reconnaissance dans un diocèse aller jusque là… ? J’ai toujours préféré la mâle attitude de Mgr Lefebvre…que j’ai cherchée à appliquer, dans la FSSPX, de nombreuses années et que je poursuis. C’est pourquoi je me suis tellement opposé à Mgr Hyppolite Simon, mon évêque de Clermont qui, un jour, m’adressant mon « celebret » voulait que je ne célèbre la messe « de toujours » que « privativement ». Nous étions le 28 avril 2006. Un peu plus d’un an avant la publication du Motu Proprio de Benoît XVI reconnaissant enfin le bon droit de cette messe tridentine et reconnaissant qu’elle pouvait être célébrée devant le peuple chrétien. Je lui ai fortement reproché ce « privatim » dans un article d’Item : « Vous avez dit privatim Monseigneur ». (cf Regard sur le monde du 23 mai 2006, n°90) La publication du Motu Proprio, un an après, le gênant un peu, je présume, il me demanda de le retirer de mon site. Vous imaginez ma réponse. Non ! J’ai horreur des gouvernements arbitraires et injustes, fussent-ils des gouvernements ecclésiastiques. Depuis, il a eu à cœur de demander, à la commission « Ecclesia Dei », mon ex-cardination du diocèse de Clermont sous prétexte, en plus, que, dans mon site Item, je critiquais le pape? Je n’ai pas accepté cette ex-cardination…pour ces raisons invoquées. Je l’ai écrit à Mgr Perl, ex vice président de la dite commission…voilà plusieurs mois. Depuis silence ! Les modifications qui viennent de toucher la Commission « Ecclesia Dei » en doivent être la cause.

Mais revenons à la convention signée par Dom Gérard. Il se fonde sur « son bon droit » dit-il

Il me paraît fragile, en cette affaire liturgique, de s’appuyer sur son « droit propre », fut-il reconnu par Rome…On sait ce qu’il en a coûté aux autres communautés « Ecclesia Dei». Elles ont bien failli être « englouties » malgré leur « droit propre » inhérent, disaient-ils, à leurs Constitutions. (cf Mon livre : l’enjeu de l’Eglise : la messe, Livre IV l’affaire de la Fraternité saint Pierre p. 393 et sv, aux Ed. Héligolande. BP 2 27290 Pont-Authou. A commander chez l’auteur : 80 rue de Normandie 92400 Courbevoie). Il vaut mieux s’appuyer sur la Bulle Quo Primum Tempore, non abolie, qui donne un droit perpétuel, un privilège à perpétuité, à tout prêtre pour célébrer cette messe tridentine. C’est un droit universel. C’est plus fort.

Je dois dire que je regrette aussi qu’il ait accepté de « recevoir » le Motu Proprio « Ecclesia Dei » du 2 juillet 1988. Il est vrai que l’Eglise s’engageait, dans ce texte, à « respecter le désir spirituel de tous ceux qui se sentaient liés à la tradition liturgique latine en faisant une application large et généreuses des directives données en leur temps par le Siège Apostolique pour l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962 ». C’était très tentant ! Il est vrai.
Mais quelles étaient donc les directives romaines en cette affaire liturgique, à cette époque, sinon celles précisées par la lettre du 3 octobre 1984, la lettre « Quattuor abhinc annos ». La note 9 y renvoyait, du reste, expressément. Il aurait du le voir.

Or cette lettre obligeait, pour bénéficier de l’usage de la liturgie de 1962, de reconnaître la « légitimité et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le Pontife romain Paul VI ». C’est le « a » de la lettre du 3 octobre 1984.

Or cela, Dom Gérard ne pouvait pas l’accepter s’il avait suivi, comme il le devait, par exemple, un père Calmel OP. Et pourtant il chantait sa gloire…Que la nouvelle messe soit valide, nul ne l’a jamais nié ni contesté. Surtout pas le Père Calmel, l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre, M Salleron ni Jean Madiran…mais tous ont contesté la rectitude doctrinale de cette réforme liturgique. Ce fut la raison même de leur résistance. C’était la conclusion de la lettre de présentation signée par le cardinal Ottaviani, le Cardinal Bacci au Pape Paul VI. C’est l’objet du Bref Examen Critique. M l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre contestaient même la « légitimité canonique » du Novus Ordo Missae en ce sens qu’ils constataient les irrégularités canoniques dans sa publication.

Et voilà pourquoi j’ai tant critiqué Dom Gérard – ce que me reproche gentiment Jean Madiran dans son article du 28 août 2009 – d’avoir prononcé en 1998, le 24 octobre 1998, le mot « orthodoxie » devant le cardinal Ratzinger pour justifier sa concélébration avec le Pape Jean-Paul II, en 1995. J’ai toujours compris ce mot dans le sens de « rectitude doctrinale ».
C’est en ce sens, du moins, que je l’interprétais et qu’il fallait, je crois, l’interpréter.

Le cardinal Ratzinger lui-même venait de parler, le premier, en ce 24 octobre 1998, « d’orthodoxie ». Il en donnait la définition. Il disait : « Il est bon de rappeler ici ce qu’a constaté le Cardinal Newman qui disait que l’Eglise, dans toute son histoire, n’avait jamais aboli ou défendu des formes liturgiques orthodoxes, ce qui serait tout à fait étranger à l’Esprit de l’Eglise. Une liturgie orthodoxe, c’est-à-dire qui exprime la vraie foi, n’est jamais la compilation faites selon des critères pragmatiques de diverses cérémonies dont on pourrait disposer de manières positivistes et arbitraires – aujourd’hui comme ça et demain autrement …».

Tout de suite après, Dom Gérard prenait la parole et disait : « Le scandale de la division doit cesser, pour être remplacé par la concorde, la concertation et l’unité. C’est dans cet esprit de paix et de concorde que le 27 avril 1995, j’ai accepté de concélébrer avec le saint Père, désirant montrer par là que nous tous qui militons pour le maintien de l’ancien missel, nous croyons à la validité et à l’orthodoxie du nouveau rite ».

Mais précisément cette nouvelle messe exprime-t-elle la vraie foi ? Est-elle conforme en tous points, – je pose la question dans mon livre l’enjeu de l’Eglise : la messe -, à la doctrine catholique ? Ne s’éloigne-t-elle pas de la foi catholique, du moins par son équivocité? Elle est équivoque, nous disait le Père Calmel. Mais enfin tout de même, le cardinal Ottaviani a dit que cette nouvelle messe s’éloignait de la doctrine catholique telle que définie pour toujours par le concile de Trente en sa session 22ème.
Et voilà pourquoi j’ai trouvé légitime et je trouve encore légitime de protester contre cette affirmation de Dom Gérard. Et si « orthodoxie » dit la même chose que « validité » pourquoi avoir ajouté « orthodoxie » ? N’oublions pas que dix jours avant, Dom Gérard signait le texte avec les bénédictins de France…pour se faire reconnaître!

Pour conclure, je dirais que je reconnais tout à fait la noble figure de Dom Gérard. Il a marqué son temps. Il l’a marqué par son influence, son rayonnement, par sa foi, par ses œuvres qu’il nous laisse : le Barroux, par son attachement à la vie monastique, bénédictine. Mais je lui reproche, quant à moi, ses attitudes équivoques qui lui permirent d’arriver « discrètement » à son but. Mais à quelle condition ? C’est, je pense, ce que je devais sentir dans sa personnalité et ce qui devait me gêner dans mes relations avec lui alors que je m’occupais en France de la FSSPX et de son rayonnement sous la protection vaillante, enthousiaste et libre de Mgr Lefebvre. C’était la belle période heureuse et joyeuse des années 1976 à 1994, les plus belles années de ma vie sacerdotale.

NB :Je recommande très volontiers la lecture du bel article de Jean Madiran écrit dans Présent après le décès de Dom Gérard et que vous trouverez dans les archives d’Item : Les Nouvelles de Chrétienté, n° 126 : « témoignage de Jean Madiran : Mémoire de Dom Gérard », ainsi que l’article que j’ai écrit aussi après les obsèques de Dom Gérard au Barroux, le 3 mars 2008 , que vous trouverez toujours dans les mêmes archives d’Item dans la rubrique « Regard sur le monde » au 4 avril 2008.

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