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Amoris laetitia: premières réflexions sur un document catastrophique

publié dans regards sur le monde le 11 avril 2016


 

L’Exhortation post-synodale Amoris laetitia premières réflexions sur un document catastrophique

 

 

 

(de Roberto de Mattei: Correspondance  européenne)) 

 

Par l’Exhortation post-synodale Amoris laetitia, publiée le 8 avril, le pape François s’est prononcé officiellement sur les problèmes de morale conjugale en discussion depuis deux ans.

 

Au Concistoire des 20-21 février 2014, François avait confié au cardinal Kasper la tâche d’introduire le débat sur ce thème. La thèse du cadinal Kasper, selon laquelle l’Eglise doit changer sa praxis sur le mariage, a constitué le leit motiv des deux Synodes sur la famille de 2014 e 2015 et constitue aujourd’hui le point central de l’exhortation du pape François.

 

Au cours de ces deux ans, d’illustres cardinaux, évêques, théologiens et philosophes sont intervenus dans le débat pour démontrer qu’entre la doctrine et la paxis de l’Eglise il doit y avoir une intime cohérence. La pastorale en effet se fonde sur la doctrine dogmatique et morale. « Il ne peut y avoir de pastorale qui ne soit en accord avec les vérités de l’Eglise et sa morale, ni en opposition avec ses lois, et ne soit orientée à atteindre l’idéal de la vie chrétienne!» a révélé le cardinal Velasio De Paolis, dans son discours inaugural au Tribunal Ecclésiastique de l’Ombrie le 27 mars 2014. Cette idée de détacher le Magistère d’une praxis pastorale qui pourrait évoluer selon les circonstances, modes et passions, est, selon le cardinal Sarah, «une forme d’hérésie, une dangereuse pathologie skyzophrène » (La Stampa, 24 février 2015).

 

Dans les semaines qui ont précédé la parution de l’Exhortation post-synodale, les interventions publiques et privées des cardinaux et évêques auprès du pape se sont multipliées, afin de conjurer la promulgation d’un document bourré d’erreurs, relevées par les très nombreux amendements auxquels la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a procédé sur la première épreuve. François n’a pas reculé, mais il semble qu’il ait confié la dernière réécriture de l’Exhortation, ou du moins certains passages clés, aux mains de théologiens de sa confiance, qui ont tenté de réinterpréter saint Thomas à la lumière de la dialectique hégélienne. Il en est sorti un texte qui n’est pas ambigu, mais clair dans son indétermination. La théologie de la praxis exclut en effet toute affirmation doctrinale, laissant à l’histoire le soin de tracer la ligne de conduite des actes humains. C’est pourquoi, comme l’affirme François, « il est compréhensible » que, sur le thème crucial des divorcés remariés, «(…) on ne doive pas attendre du Synode ou de cette Exhortation une nouvelle norme générale de type canonique, applicable à tous les cas » (§300). Si on est convaincu que les chrétiens, dans leur comportement, ne doivent pas se conformer à des principes absolus, mais se mettre à l’écoute des « signes des temps », il serait contradictoire de formuler des règles, quelles qu’elles soient.

 

Tous attendaient la réponse à une question de fond : ceux qui, après un premier mariage, se remarient civilement, peuvent-ils s’approcher du sacrement de l’Eucharistie ? A cette question l’Eglise a toujours répondu un non catégorique. Les divorcés remariés ne peuvent recevoir la communion parce que leur condition de vie est en contradiction objective avec la vérité naturelle et chrétienne sur le mariage, signifiée et rendue présente par l’Eucharistie (Familiaris Consortio, § 84).

 

La réponse de l’Exhortation post-synodale est au contraire : en règle générale non, mais «dans certains cas» oui (§305, note 351). Les divorcés remariés doivent en effet être « intégrés » et non exclus (§299). Leur intégration « peut s’exprimer dans divers services ecclésiaux : il convient donc de discerner quelles sont, parmi les diverses formes d’exclusion actuellement pratiquées dans les domaines liturgique pastoral, éducatif et institutionnel, celles qui peuvent être dépassées » (§ 299), sans exclure la discipline sacramentelle (§ 336).

 

 

 

Le constat est le suivant : l’interdiction pour les divorcés remariés de s’approcher de la communion n’est plus absolue. Le pape n’autorise pas, en règle générale, la communion des divorcés remariés, mais ne l’interdit pas non plus. « On touche ici la doctrine. Inévitablement. – avait souligné le cardinal Caffarra contre Kasper. – On peut aussi dire qu’on ne le fait pas, mais on le fait. Et pas seulement. On introduit une habitude qui à la longue détermine cette idée parmi le peuple, et pas seulement chrétien : il n’y a aucun mariage absolument indissoluble. Et c’est certainement contre la volonté du Seigneur. Il n’y a là aucun doute » (Interview dans Il Foglio, 15 mars 2014).

 

Pour la théologie de la praxis, ce ne sont pas les règles qui comptent, mais les cas concrets. Et ce qui n’est pas possible dans l’absolu, l’est dans le concret. Mais, comme l’observe à juste titre le cardinal Burke: « Si l’Eglise permettait la réception des sacrements (même dans un seul cas) à une personne qui se trouve dans une union irrégulière, cela signifierait soit que le mariage n’est pas indissoluble et donc que la personne ne vit pas dans un état d’adultère, soit que la sainte communion n’est pas communion au corps et au sang du Christ, qui au contraire requiert la droite disposition de la personne, c’est-à-dire le regret du péché grave et la ferme résolution de ne plus pécher » (Interview accordée à Alessandro Gnocchi dans Il Foglio, 14 octobre 2014).

 

En outre l’exception est destinée à devenir une règle, parce que le critère de l’accès à la communion est laissé, dans Amoris laetitia, au “discernement personnel” des particuliers. Le discernement se fait au travers de « l’entretien avec le prêtre, dans le for interne » (§300), “au cas par cas”. Mais quels sont les pasteurs des âmes qui oseront interdire l’accès à l’Eucharistie, si «l’Évangile lui-même nous demande de ne pas juger et de ne pas condamner » (§308) et s’il faut «intégrer tout le monde » (§297), et « valoriser les éléments constructifs dans ces situations qui ne correspondent pas encore ou qui ne correspondent plus à son enseignement sur le mariage » (§292)? Les pasteurs qui voudraient rappeler les commandements de l’Eglise, risqueraient de se comporter, selon l’Exhortation, « comme des contrôleurs de la grâce et non comme des facilitateurs » (§310). « Par conséquent, un Pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations “irrégulières”, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. C’est le cas des cœurs fermés, qui se cachent ordinairement derrière les enseignements de l’Église “pour s’asseoir sur la cathèdre de Moïse et juger, quelquefois avec supériorité et superficialité, les cas difficiles et les familles blessées” » (§305).

 

Ce langage inédit, plus dur que la dureté de cœur qu’il reproche aux “contrôleurs de la grâce”, est le trait distinctif d’Amoris laetitia que, lors de la conférence de presse du 8 avril, le cardinal Schönborn a qualifié, et non par hasard, d’« évènement linguistique ». «Ma grande joie quant à ce document », a dit le cardinal de Vienne, réside dans le fait qu’il « surmonte avec cohérence l’artificieuse, extérieure et nette division entre régulier et irrégulier ». Le langage, comme toujours, exprime un contenu. Les situations que l’Exhortation post-synodale désignent comme « dites “irrégulières”» sont celles de l’adultère public et des cohabitations extramatrimoniales. Pour l’Amoris laetitia elles réalisent l’idéal du mariage chrétien, même si c’est « au moins en partie et par analogie » (§292). « À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église » (§305), « dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements » (note 351).

 

Selon la morale catholique, les circonstances, qui constituent le contexte dans lequel se déroule l’action ne peuvent modifier la qualité morale des actes, en rendant bonne et juste une action intrinsèquement mauvaise. Mais la doctrine des absolus moraux et de l’intrinsece malum est discréditée par l’Amoris laetitia, qui se conforme à la “nouvelle morale” condamnée par Pie XII dans de nombreux documents et par Jean-Paul II dans Veritatis Splendor. La morale de la situation laisse aux circonstances et, en dernière analyse, à la conscience subjective de l’homme, le soin de déterminer ce qui est bien et ce qui est mal. L’union sexuelle en dehors du mariage n’est pas considérée comme intrinsèquement illicite, mais, en tant qu’acte d’amour, à évaluer selon les circonstances. De façon plus générale, il n’existe pas de mal en soi comme il n’existe pas de péché grave ou mortel. La mise sur le même plan des personnes en état de grâce (situations “régulières”) et des personnes en état de péché permanent (situations “irrégulières”) n’est pas uniquement linguistique : il semble que lui est sous-jacente la théorie luthérienne de l’homme simul iustus et peccator, condamnée par le Décret sur la justification du Concile de Trente (Denz-H, nn. 1551-1583).

 

L’Exhortation post-synodale Amoris laetitia est bien pire que la relation du cardinal Kasper, contre lequel ont été à juste titre émises de nombreuses critiques dans des livres, des articles, des interviews. Le cardinal Kasper avait posé certaines questions; l’Exhortation Amoris laetitia, offre la réponse : elle ouvre la porte aux divorcés remariés, canonise la morale de la situation et met en route un processus de normalisation de toutes les cohabitations more uxorio.

 

Etant donné que ce nouveau document fait partie du magistère ordinaire non infaillible, il est à souhaiter qu’il fasse l’objet d’une analyse critique approfondie, de la part de théologiens et pasteurs de l’Eglise, en écartant l’illusion de pouvoir lui appliquer l’“herméneutique de la continuité”.

 

Si le texte est catastrophique, il est plus catastrophique encore qu’il ait été signé par le Vicaire du Christ. Mais pour qui aime le Christ et son Eglise, c’est là une bonne raison de parler, et non de se taire. Faisons donc nôtres les paroles d’un évêques courageux, Mgr Athanasius Schneider: «“Non possumus!”. Je n’accepterai pas un discours nébuleux ni une porte secondaire habilement occultée pour profaner le Sacrement du Mariage et de l’Eucharistie. De la même manière, je n’accepterai pas qu’on se joue du sixième Commandement de Dieu. Je préfère être ridiculisé et persécuté plutôt que d’accepter des textes ambigüs et des méthodes non sincères. Je préfère “l’image cristalline du Christ de Vérité à l’image du renard ornée de pierres précieuses” (St Irénée), parce que “je connais en qui j’ai cru”, “Scio cui credidi” (II Tm 1, 12)» (Rorate Coeli, 2 novembre 2015). (de Roberto de Mattei) 

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