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Entraide et Tradition

Comment un catholique, fut-il pape, peut-il « honorer » Luther?

publié dans regards sur le monde le 18 février 2017


Dans  une série d’articles, la « Lettre à nos amis prêtres » de décembre 2016, de la FSPPX,  étudie sobrement quelques thèses  de la doctrine  de Luther. En cinq articles, elle montre, sans le dire – c’est moi qui le dit – combien est étrange, erronée et scandaleuse au sens propre du mot,  l’attitude actuelle  du Pape François à l’égard de Luther…

L’ennemi de la grâce du Christ (1)


En 2017, va être célébré le cinq centième anniversaire de l’affichage par le moine augustin Martin Luther, sur une église de Wittenberg, de 95 thèses qui, en particulier, condamnent la pratique des indulgences, telle que l’enseigne l’Église, mais également d’autres points touchant à la foi, comme le Purgatoire.

Cet acte public est considéré usuellement comme le début de ce qu’on appelle communément, mais faussement, la « Réforme », alors qu’il s’agit en vérité d’une révolution, d’une destruction de la véritable foi, d’une apostasie et d’une révolte contre Dieu et son Christ. Dès 1517, en réalité, et malgré les péripéties qui suivront, Martin Luther a rompu de cœur avec l’Église du Christ, et ne suit plus que ses vues personnelles erronées.

Le moine Martin Luther

Pourtant, Martin Luther fut auparavant un moine pieux et zélé. Né en 1483 d’une bonne famille chrétienne, Martin est attiré très tôt par la religion, le rapport avec Dieu, plus tard la théologie. Alors que son père souhaite qu’il devienne juriste, il décide de se faire moine augustin, entrant dans cet ordre en 1505. Ordonné prêtre en 1507 (il était déjà diplômé en philosophie), il obtient le doctorat en théologie en 1512. A partir de cette date, sa vie sera celle d’un enseignant et d’un prédicateur.
Luther avait reçu une formation assez poussée, et il a certainement été influencé sur le plan intellectuel par la lecture de plusieurs grands auteurs, qu’il s’agisse d’Aristote, de Guillaume d’Ockham ou de Gabriel Biel. Mais il est clair que Luther recevait ces influences selon son propre tempérament, qui était très affirmé, comme sa carrière subséquente le montrera. Il est donc peu probable que le contact avec ces écrivains ait réellement été déterminant dans son évolution.

Un grand passionné

En fait, Luther était doté un tempérament riche et passionné, celui qui fait les grands hommes quand ceux qui en jouissent acceptent de le mettre au service de la vérité et du bien. Il possédait une nature réaliste et lyrique à la fois, puissante, impulsive, courageuse et douloureuse, sentimentale et presque maladivement impressionnable. Ce violent avait de la bonté, de la générosité, de la tendresse. Avec cela, un orgueil indompté, une vanité pétulante, une obstination coriace.
L’intelligence comme aptitude à saisir l’universel, à discerner l’essence des choses, à suivre les nuances du réel, n’était pas très forte chez lui : ce n’était pas un spéculatif, un métaphysicien. En revanche, il avait à un degré étonnant l’intelligence du particulier et du concret, une ingéniosité astucieuse et vivace, une capacité à discerner les forces et les faiblesses d’autrui, un art consommé de trouver les manières de se tirer d’embarras : c’était un remarquable esprit pratique.
Le corollaire d’un tel tempérament, ce sont les fortes tentations dont Luther était l’objet, sans doute en ce qui le concerne tentations contre la chasteté, attrait pour la bonne chère, propension à la colère, esprit d’indépendance, penchant à l’orgueil. Lorsqu’on affronte ces tentations et qu’avec la grâce du Christ on les surmonte, non seulement elles ne nous font pas déchoir, mais ce combat nous vaut des mérites, et la puissance de la passion maîtrisée vient donner de l’énergie à l’homme. C’est le sens de la parole de Hegel : « Rien de grand ne s’est fait sans passion ».

L’obsession du salut

Dans sa vie spirituelle, Luther veut sauver son âme, conformément à la parole de Jésus-Christ : « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? » (Lc 9, 25). C’est en soi une excellente chose. Pour cela, Luther veut éviter le grand ennemi du salut qui est le péché, la souillure morale. Mais, sur cette terre, à cause des suites malheureuses du péché originel, il est impossible de se prémunir contre toutes les tentations, et même contre tous les péchés, au moins véniels. C’est pourquoi un dicton spirituel inspiré de l’Écriture (Pr 24, 16) affirme très justement : « Le juste pèche sept fois par jour ».
Luther souffre des assauts de ces tentations, même s’il les repousse. Il voudrait, comme saint Pierre lors de la Transfiguration, être déjà parvenu à la vie céleste, avoir déjà « revêtu le Christ », se trouver dès maintenant dans un état de rectitude parfaite qui n’appartient pas à cette vie terrestre, sauf exceptions très particulières.
Luther étant doué d’une nature impatiente et impérieuse, son désir passionné de perfection, de sainteté immédiate, assurée et tranquille, provoque de continuels retour sur lui-même, et un profond sentiment de malaise intérieur. Il oublie, d’une part, qu’à tous les moments de sa vie il peut compter sur Jésus et sur sa grâce secourable et souveraine ; d’autre part, qu’en se reconnaissant humblement pécheur, en luttant chaque jour avec courage et persévérance, en recourant aux sacrements, en faisant pénitence, en priant la Vierge, bref en usant des moyens de salut toujours efficaces, il peut, avec la grâce de Dieu, progresser et se sanctifier.
A cause de cette discordance entre son désir du salut et la vie « militante » du chrétien sur cette terre, une certaine obsession du salut l’envahit, plus exactement l’obsession de la certitude de son salut : et parce que les tentations continuent à le harceler, créant chez lui un sentiment de culpabilité, il finit en quelque sorte par désespérer de la vie chrétienne, de l’efficacité de la grâce et des moyens ordinaires de la recevoir et de la conserver (prières, sacrements, jeûnes, etc.).

Préférer les consolations de Dieu au Dieu des consolations 

L’une des causes de cette sorte de désespoir est que Luther semble avoir recherché avant tout, dans sa vie spirituelle, ce que les auteurs appellent les « consolations sensibles », qu’il paraît s’être attaché trop fortement à ce goût expérimental de la piété, à ces assurances ressenties que Dieu donne quand il veut attirer une âme à lui, mais dont il la prive également quand il le juge opportun, car il n’y a là que des moyens pour aimer Dieu, et non des buts de la vie spirituelle.
Pour Luther, au contraire, tout le problème est de se sentir en état de grâce, de savourer sa propre sainteté. Il a dû ressentir certaines grâces mystiques, ces fruits cachés de la grâce du Christ, et il en garde une violente nostalgie, surtout lorsqu’il se trouve confronté aux tentations ordinaires, mesquines, agaçantes, humiliantes, de la vie chrétienne et religieuse.
Pour retrouver à tout prix cette sensation intérieure de joie et de plénitude, et c’est une autre cause de sa déviation, il s’appuie davantage sur ses forces personnelles, sur ses efforts, sur ses pénitences, que sur la grâce toute-puissante : il met en quelque sorte toute sa fougue naturelle à rechercher la perfection surnaturelle.
Il pratique, en réalité, une forme subtile de pélagianisme, comptant sur ses propres œuvres. Et lorsque Dieu lui montre la vanité d’une telle démarche, dans le cadre des purifications que toute âme qui veut trouver Dieu doit subir, lorsqu’il voit mieux l’étendue de son péché par la lumière divine, alors son édifice de perfection semble chavirer, s’effondrer.
Ce pourrait être pour lui la nuit purificatrice si, comme le proposait saint Augustin, patron de son ordre religieux, il se quittait alors lui-même pour se jeter en Dieu comme dans l’océan de sainteté capable de laver tous les péchés de l’homme : « Vis fugere a Deo, fuge in Deum », « Veux-tu fuir devant Dieu (à cause de ton péché) ? Fuis en Dieu même ». Mais au lieu de cela, il quitte la prière et se réfugie dans l’action extérieure pour y trouver des consolations : la réussite, la gloire, etc.

Un nouveau système religieux sur la base de son expérience 

Touché de cette sorte de désespoir, au lieu de réformer lui-même, de modifier humblement ses conceptions personnelles erronées avec l’aide d’un guide spirituel éprouvé, de retrouver ainsi la voie de la sanctification et de la perfection, il va élaborer une nouvelle théologie.
C’est donc par rapport à lui-même, sur la base de sa vie intérieure personnelle, de son expérience spirituelle intime, que Luther va bâtir ce système religieux inédit, qui n’aura plus rien à voir avec l’enseignement de l’Écriture et de l’Église, ni avec la vérité du christianisme.
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La nouvelle théologie luthérienne(2)

En 1515, Luther commence, dans le cadre de son enseignement, à commenter les épîtres de saint Paul, et notamment la première d’entre elles selon l’ordre de la Bible, l’épître aux Romains, d’une immense richesse, d’une fulgurance incroyable, mais aussi d’une difficulté redoutable de compréhension. A partir de ce qu’il croit comprendre de ce texte, uniquement selon son sens propre et sans se référer à la tradition ecclésiastique, et principalement en fonction de son problème inté- rieur (« Puis-je être sauvé alors que je ressens encore des tentations ? »), Luther élabore une nouvelle théologie chrétienne qui, dès ce moment, est radicalement incompatible avec celle de l’Église catholique, même si la rupture extérieure et publique va prendre un certain temps.

La doctrine catholique de la grâce

Selon la doctrine catholique, en effet, grâce aux mérites du Christ, l’homme qui accepte la Révélation divine par la foi et qui, mû par l’espérance du salut divin, veut se repentir de ses péchés et se tourner vers Dieu, obtient par la grâce que ses péchés lui soient ôtés, que son âme soit régénérée et sanctifiée en sorte qu’il devient, selon le mot de saint Pierre, « participant de la nature divine » (2 P 1, 4). Le chrétien qui vit de la charité est donc, ainsi que le dit souvent saint Paul, un « saint », parce qu’il a été purifié, sanctifié intérieurement, et qu’il est devenu l’ami de Dieu par une ressemblance effective. Et, étant l’ami de Dieu, il fait spontanément les œuvres de Dieu, les bonnes œuvres de la vertu, qui lui méritent, par la grâce du Christ présente en lui, le salut du Paradis.

La nouvelle doctrine luthérienne de la «foi-confiance»

Luther rejette cette vérité. Pour lui, selon qu’il le ressent psychologiquement, le fait d’avoir embrassé la foi et la vie chrétienne n’ôte pas de l’âme le péché [en réalité, il s’agit de la tentation, qui n’est pas péché si l’on n’y consent point]. Pour Luther, le chrétien reste, en fait, toujours pécheur et ennemi de Dieu, son âme demeure tout à fait corrompue. Mais comme le Christ a mérité par la croix le salut pour les hommes, si par la « foi » (qui consiste selon Luther en une confiance dans ce salut obtenu par le Christ), je crois fermement que je suis sauvé, alors le manteau des mérites du Christ recouvre les souillures de mon âme, et le Père, voyant ce manteau sur moi, m’agrée pour le Paradis. Les bonnes œuvres n’ont donc aucun pouvoir de mérite, puisque l’homme reste toujours pécheur, mais elles encouragent le chrétien à persévérer dans la « foi-confiance ».

Le rejet de l’Église 

Tel est le cœur de ce que Luther appelle « la vérité de l’Évangile ». De là découle naturellement le reste de son système. Et en premier lieu, la remise en cause de l’Église institutionnelle. Celle-ci n’est pas divine, d’abord parce qu’elle prétend que l’homme peut se sauver par les bonnes œuvres, alors que, comme Luther en a fait l’expérience, ces bonnes œuvres sont incapables d’ôter le péché [redisons-le, il s’agit de la tentation, qui n’est pas péché si l’on n’y consent point] ; ensuite parce qu’elle a abandonné la « vérité de l’Évangile », à savoir le salut par la seule « foi-confiance ».

Par circularité, ce rejet de l’Église justifie la démarche luthérienne, à qui l’on pourrait reprocher d’inventer un nouvel Évangile, ce qui est la définition de l’hérétique. Mais puisque l’Église elle-même a trahi la « vérité de l’Évangile », il est logique et nécessaire que Luther, par un « libre examen » de l’Écriture, retrouve cette vérité et la transmette au peuple de Dieu égaré par une hiérarchie illégitime. « A moins qu’on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l’Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu’il est évident qu’ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l’Écriture que j’ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien » (déclaration de 1521 devant la Diète de Worms présidée par Charles-Quint).

La ruine de la Chrétienté (3)

SOURCE – Lettre à Nos Frères Prêtres – décembre 2016


Puisque l’Église institution (ce que Luther appelle avec mépris « la papauté ») n’existe plus comme prolongement du Christ, le croyant (par la foi-confiance) se trouve seul devant Dieu.
Il est éclairé extérieurement par la Bible (qu’il doit évidemment lire personnellement, d’où la nécessité de Bibles en langue vulgaire), et intérieurement par le Saint-Esprit, qui lui permet de discerner infailliblement dans la Bible ce qui convient à sa propre vie chrétienne. Comme l’écrit justement Boileau, « tout protestant fut pape, une Bible à la main».

Le combat contre l’Église catholique

L’Église catholique romaine est pour sa part, aux yeux de Luther, « la grande prostituée de Babylone », et il faut l’attaquer et l’annihiler par tous les moyens. Luther va ainsi multiplier les pamphlets, souvent orduriers, contre le pape et l’Église. Juste avant de brûler publiquement la bulle Exsurge qui condamne quarante et une de ses fausses propositions, il publie Contre l’exécrable bulle de l’Antéchrist. Les écrits : De la papauté romaine ; Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église ; Le discours contre la papauté qui est à Rome ; Contre la papauté romaine fondée par le diable ; L’image de la papauté (illustré de scènes grivoises par le peintre Lucas Cranach, ami de Luther, dont celle du « pape-âne ») peuvent pour leur part être résumés par ce mot de 1529 : « Sous le papisme, nous étions possédés par cent mille diables ».
Un certain nombre de ses disciples, poussant jusqu’au bout ses principes erronés, vont détruire systématiquement les monuments catholiques, torturer et assassiner les évêques, les prêtres, les religieux et de très nombreux fidèles, sans compter les guerres atroces qu’ils déclencheront.

La déchristianisation de la société

Puisque la « hiérarchie » de l’Église est abolie par Luther, ses successeurs remettront en cause progressivement les autres pouvoirs humains : le protestantisme est d’essence révolutionnaire. Par ailleurs, chacun étant renvoyé à sa propre intériorité, sans médiation ecclésiale, il est logique de séparer radicalement la vie religieuse de la vie politique, par la laïcisation. Il n’est donc pas étonnant que, dans l’établissement de la République laïque en France, dans la mise en place de l’école sans Dieu, dans la montée de l’anticléricalisme, dans la séparation radicale de l’Église et de l’État en 1905, finalement dans la déchristianisation systématique, on trouve nombre de protestants, voire de pasteurs, au premier rang desquels Ferdinand Buisson, collaborateur de Jules Ferry.

L’Europe à feu et à sang, par la faute de Luther

Lorsque Martin Luther meurt, le 18 février 1546, l’Europe est à feu et à sang pour de longues années, à cause de lui. Des millions d’âmes ont apostasié de la foi catholique et quitté la voie du salut en raison de ses fausses doctrines et de ses exemples pernicieux. Même si l’Église va connaître, dans les années qui vont suivre, un magnifique renouveau grâce à une pléiade de saints et au grand mouvement réformateur dont le concile de Trente est le symbole ; même si d’immenses foules vont entrer dans l’Église grâce à un splendide travail missionnaire ; malheureusement, des nations entières, aveuglées, auront suivi les erreurs et mensonges de l’ancien moine augustin, et ne reviendront pas à la vérité salutaire.

L’ennemi de la grâce du Christ

Luther aura ainsi vraiment été l’ennemi de la grâce du Christ, qu’il prétendait pourtant honorer. Ce qui nous sépare de lui est donc beaucoup plus important que ce qui pourrait nous unir à lui. C’est pourquoi aucun catholique conscient de ce qu’il doit au Christ et à l’Église ne pourra jamais louer ou honorer en quoi que ce soit Luther.
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La destruction de la morale (4)


D’une façon générale, pour Luther, l’essentiel n’est pas d’éviter le péché, de combattre les tentations (c’est ce qu’il a fait durant sa période catholique, mais il estime, à tort, qu’il a échoué), puisque de toute façon l’homme reste intérieurement pécheur. Ce qui compte, c’est de s’agripper au manteau des mérites du Christ pour s’en envelopper et échapper ainsi, quoique toujours ennemi de Dieu, à la colère divine, Dieu voyant sur nous les mérites de son Fils bien-aimé.

« Pèche fortement »

C’est tout le sens de la maxime de Luther à Philippe Melanchthon, dans sa lettre du 1er août 1521 : Pecca fortiter, sed fortius fide (« Pèche fortement, mais crois plus fortement encore »). Voici d’ailleurs ce célèbre texte dans son intégralité : « Sois pécheur et pèche fortement, mais confie-toi et réjouis-toi plus fortement dans le Christ, vainqueur du péché, de la mort et du monde. Tant que nous serons ici-bas, il faut que le péché existe… Il nous suffit d’avoir reconnu l’Agneau qui porte les péchés du monde ; alors le péché ne pourra nous détacher de lui, irions-nous avec des femmes mille fois en un jour, ou y tuerions-nous mille de nos semblables ». Luther s’applique d’ailleurs à luimême cette doctrine : les bonnes œuvres, notamment les vœux monastiques, étant inutiles, il se
marie dès 1525 avec une ancienne religieuse, Catherine de Bora, dont il aura six enfants.

La bigamie de Philippe de Hesse

Il appliqua également ces principes à Philippe, landgrave de Hesse. En 1523, celui-ci s’était marié à Christine de Saxe, qui lui avait donné sept enfants. Mais il souhaitait faire un « second mariage légitime », c’est-à-dire pratiquer la bigamie. Philippe demanda donc aux chefs de la Réforme (il en était l’un des principaux soutiens) une autorisation écrite en ce sens. De nombreux indices montrent que Luther avait souvent donné oralement des autorisations de ce genre ; suivant son expression, c’étaient là des « conseils de confession ». En revanche, une autorisation écrite lui répugnait. Mais, en raison de la place que possédait dans la Réforme celui que les luthériens appelaient « le Magnanime », Luther signa avec Melanchthon, le 10 décembre 1539, cette autorisation de bigamie, que Bucer et d’autres contresignèrent ensuite. Le 4 mars 1540, le second mariage fut célébré en présence de Melanchthon, de Bucer et d’un représentant de l’électeur de Saxe.
Mais trop de personnes étaient dans le secret, en sorte que le bruit se répandit que Luther avait autorisé une bigamie en échange d’un tonneau de vin. Luther s’affaira pour qu’on ne reconnaisse rien, et qu’on nie l’existence de l’autorisation écrite. Le 15 juillet, il déclara aux conseillers du landgrave : « Quel mal y aurait-il à ce que, pour un plus grand bien, et en considération de l’Église chrétienne, on fit carrément un bon mensonge ? » Puis, dans une lettre à Philippe de Hesse luimême
: « S’il faut en venir à écrire, je saurai fort bien me tirer d’affaire et laisser Votre Grâce s’embourber » (cf. sur cet épisode, par exemple, Robert Grimm, Luther et l’expérience sexuelle, Labor et Fides, 1999, p. 305-311 – ouvrage publié grâce à une subvention de l’Église reformée évangélique du Canton de Neuchâtel et de l’Union synodale réformée évangélique Berne-Jura).

 

L’inutilité des bonnes œuvres, et en général de la morale 

 

On peut rapprocher de cette mise de côté de la morale la plus élémentaire le pamphlet qu’il avait publié en 1520, sous le titre La captivité de Babylone : « Tu vois comme le chrétien est riche ; même en le voulant, il ne peut perdre son salut par les plus grands péchés, à moins qu’il ne refuse de croire. L’incrédulité mise à part, il n’y a pas de péchés qui puissent le damner. Si la foi retourne aux promesses que Dieu a faites au baptisé, ou qu’elle ne s’en écarte pas, en un instant tous les péchés sont absorbés par elle, ou plutôt par la véracité divine ; car si tu confesses Dieu et que tu t’abandonnes avec confiance à ses promesses, il ne peut se renier lui-même ».
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La haine du prêtre apostat contre la messe (5)


Selon la théologie de Luther, puisque l’âme du chrétien n’est pas transformée par la grâce, les sacrements n’opèrent plus rien de réel en elle.

La modification de la messe et des sacrements 

En vérité, les sacrements ne transmettent plus la grâce, ils se contentent de signifier et de réchauffer la « foi-confiance » en la rémission de nos péchés. Ne doivent donc être conservés que les sacrements qui produisent cet effet psychologique. Pour Luther, le seul véritable sacrement est le baptême, même s’il admet qu’on puisse conférer la confirmation, l’extrême-onction, voire la pénitence, si on les comprend comme des « excitateurs de la foi » et non des sources de grâce.

Pour la même raison, l’idée de la messe comme renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ, qui nous en applique quotidiennement les mérites, perd toute signification. Seul sera conservé un mémorial de la Cène, pour nous faire souvenir de l’unique sacrifice du Christ sur la croix et raviver notre foi-confiance en sa rédemption. C’est ainsi que Luther va progressivement modifier la messe, d’abord en 1523 avec son Court exposé de la messe et de la communion, ensuite en 1526, avec La Messe allemande et l’ordre du service de Dieu.

Les imprécations de Luther contre la messe catholique

Toutefois, Luther ne se contente pas de cette mise à l’écart de la messe. Piètre théologien, mais doué de l’instinct des révolutionnaires, il a perçu qu’il frapperait au cœur de l’Église catholique en démolissant la messe. Prêtre en rupture de ban, moine infidèle à ses vœux, il finit par développer une haine véritablement pathologique à l’égard du saint sacrifice. Ses mots à ce sujets sont effrayants : « La messe, déclare-t-il en 1521, est la plus grande et la plus horrible des abominations papistes ; la queue du dragon de l’Apocalypse ; elle a déversée sur l’Église des impuretés et des ordures sans nom ». « C’est l’injure la plus abominable, la honte la plus effroyable que l’on puisse faire à Notre Seigneur Jésus-Christ et à Dieu le Père lui-même ». « La prêtraille va à la messe comme des cochons à leur auge ». Et il renchérit en 1524 : « Oui, je le dis : toutes les maisons de prostitution, que pourtant Dieu a sévèrement condamnées, tous les homicides, meurtres, vols et adultères sont moins nuisibles que l’abomination de la messe papistique ». Et il conclut : « Quand la messe sera renversée, je pense que nous aurons renversé toute la papauté. Car c’est sur la messe, comme sur un rocher, que s’appuie la papauté tout entière avec ses monastères, ses évêchés, ses collèges, ses autels, ses ministères et doctrines, c’est-à-dire avec tout son ventre. Tout cela s’écroulera nécessairement, quand s’écroulera leur messe sacrilège et abominable ».

La suppression du sacrifice par l’abolition de l’offertoire

Ce que veut Luther, c’est réaliser la négation pratique de la dimension sacrificielle de la messe ; et la partie qu’il vise est l’offertoire : « Nous déclarons en premier lieu que notre intention n’a jamais été d’abolir absolument tout le culte de Dieu, mais seulement de purger celui qui est en usage de toutes les additions dont on l’a souillé (…) Je parle de cet abominable Canon qui est un recueil de lacunes bourbeuses : on a fait de la messe un sacrifice, l’on a ajouté des offertoires (…). La messe n’est pas un sacrifice ou l’action du sacrificateur. Regardons-la comme sacrement ou comme testament. Appelons-la bénédiction, eucharistie, ou table du Seigneur (…). Qu’on lui donne tout autre titre qu’on voudra, pourvu qu’on ne la souille pas du titre de sacrifice ou d’action ». Et donc, quand il arrive à cet endroit dans sa description de la messe, voici ce qu’il en dit fort logiquement : « Suit toute cette abomination à laquelle on assujettit tout ce qui précède. On l’appelle offertoire, et tout ressent l’oblation (…) C’est pourquoi rejetant tout ce qui ressent l’oblation avec le Canon, nous retenons ce qui est pur et saint, et nous commençons ainsi notre messe… »
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