La Revue Item - « La Tradition sans peur »
Suivez les activités de l'Abbé Aulagnier
Entraide et Tradition

Histoire de la messe interdite (3)

publié dans un disciple le 4 décembre 2017


Histoire de la messe interdite

Livre 1

Chapitre 3

La Messe célébrée « face au peuple »

 

 

Cette période conciliaire et post-concilaire est une période, avons-nous dit, de grand désordre, d’indiscipline, de subversion. Nous l’avons montré dans les deux chapitres précédents, en parlant du problème du latin, (chapitre 1), de la distribution de la communion dans la main (chapitre 2). Nous allons le montrer encore, dans ce chapitre 3,  en étudiant le problème de la célébration de la messe face au peuple. Aucun texte n’y oblige, ni dans les textes  du Concile, ni dans les prescriptions romaines et épiscopales.  On parle simplement  de » possibilité »….L’étude de M l’abbé Luc Lefebvre le démontre clairement…Malgré tout, la mode s’est imposée, malgré  les implications doctrinales très graves.Elle peut faire perdre le sens profond de la Messe comme sacrifice et la transformer en un simple repas… dit le pape Benoît XVI.  Nous le montrerons en nous appuyant sur la pensée du cardinal Ratzinger qui deviendra le pape Benoît XVI et la pensée du professeur Gamber. Malgré tous les efforts du Pape, ses arguments, ses livres, sa volonté, il ne put se faire obéir. Période de subversion. L’esprit conciliaire » est plus fort que tout…Aujourd’hui encore, malgré les efforts du cardinal Sarah, tous les autels, sauf dans le monde de la Tradition, restent orientés face au peuple. C’est que l’exemple vient de haut, du pape Paul VI lui-même. Nous le montrerons dans le chapitre 4. C’est lui qui fut le grand inspirateur de la subversion…

Section I : la pensée de M l’abbé Luc Lefebvre

 

 » Messe face au peuple « ,  » messe à l’envers « , comme disait Paul Claudel. De plus en plus, depuis une vingtaine d’années et surtout depuis le Concile, – très souvent en souvenir des messes des maquis et des camps -, les maîtres-autels sont démolis et remplacés par de simples tables, que l’on dit provisoires. Et, par suite, logique ou non, les messes sont obligatoirement célébrées  » face au peuple  » ou « Vers le peuple « , même quand il n’y a aucun assistant, aucun participant ni actif ni même passif. Ces habitudes nouvelles ont pu déplaire et peuvent déplaire encore au prêtre célébrant ainsi qu’à l’assistance, ou, tout au moins, à une très grande partie de l’assistance. Elles peuvent, par ailleurs, assure-t-on, donner satisfaction à tous.  » On aime ou on n’aime pas… « . Des goûts et des couleurs on ne discute point. Nous ne nous permettrons pas ici de présenter des réactions personnelles. Stériles seraient les discussions, et les  » polémiques « , comme on dit, ne doivent jamais être engagées lorsqu’il s’agit de l’Eglise, de la vie de l’Eglise et des prescriptions du Concile dans le domaine de la Liturgie.

§1 Le Concile et « l’esprit du Concile »

Mais la question, nous a-t-il semblé, peut être posée : Quelles sont les prescriptions conciliaires et post -conciliaires auxquelles on se réfère pour rendre obligatoire la  » messe face au peuple « , non seulement dans les paroisses des grandes villes, mais dans les plus humbles églises de nos campagnes et non seulement chez nous en France, mais dans toutes les parties du monde ?

A ceux qui interrogent, s’ils sont laïcs ou prêtres, la réponse est toujours la même : « les ordres viennent d’en haut« .

Les  » ordres  » sont-ils écrits ? sont-ils publiés ? sont-ils à l’usage de tous, qui sont, sans exception aucune, membres du Peuple de Dieu ?

Il n’est que de recourir aux textes, aux textes connus de nous, parce qu’ils sont officiels.

 

  1. La Constitution sur la Liturgie, promulguée le 4 décembre 1963: pas un mot, ni dans le chapitre II : Le mystère de l’Eucharistie; ni dans le chapitre VII : L’Art sacré et le matériel du culte. Pourtant, au no 124, nous devons relever ces quelques lignes :  » Dans la construction des édifices sacrés, on veillera soigneusement à ce que ceux-ci se prêtent à l’accomplissement des actions liturgiques et favorisent la participation active des fidèles « . Ces lignes sont peut-être lourdes de sens pour les interprétations à venir, mais elles sont brèves et ne concernent nullement nos églises et nos oratoires dans le présent.
  2. Le Motu proprio Sacram Liturgiam du 25 janvier 1964. Pas un mot.
  3. L’Instruction Inter Oecumenici du 26 septembre 1964. Au chapitre V, n° 91 : L’autel majeur :
     » Il est bien de construire l’autel majeur séparé du mur, pour qu’on puisse en faire facilement le tour et
    qu’on puisse y célébrer vers le peuple, et il sera placé dans l’édifice sacré, de façon à être véritablement le centre vers lequel l’attention de l’assemblée des fidèles se tournera spontanément.
     » Dans le choix des matériaux destinés à sa construction et à sa décoration, on observera les règles du droit.

     » En outre, le sanctuaire qui entoure l’autel sera assez vaste pour permettre d’accomplir commodément les rites sacrés « .

    No 92.  » Le siège pour le célébrant et les ministres, selon la structure de chaque église, sera placé de telle façon que les fidèles puissent bien le voir et que le célébrant lui-même apparaisse véritablement comme présidant toute l’assemblée des fidèles.
     » Cependant si le siège est placé derrière l’autel, on évitera la forme d’un trône qui convient uniquement à l’évêque ».

    Dans ces numéros 91 et 92, nous relevons l’expression «  qu’on puisse y célébrer vers le peuple « . L’Instruction de 1964 prévoit donc le cas où la messe sera célébrée versus populum. Mais elle ne dit nullement que toutes les Messes doivent être célébrées « face au peuple « .
    Au n° 95, où il est parlé de la conservation de la Sainte Eucharistie, nous lisons :
     » Il est permis
    de célébrer la messe face au peuple, même s’il y a sur l’autel un tabernacle, petit sans doute, mais convenable ».
    La permission est donc ici, une fois encore formulée. Mais nous devons noter que, dans ce cas, le prêtre célèbre non seulement  » face au peuple « , mais aussi  » face à Notre-Seigneur présent dans le tabernacle « . Le texte parle d’un authentique tabernacle  » solide et inviolable, placé au milieu de l’autel « . Il ressort donc de ce texte que les caissettes en bois blanc mobiles doivent être interdites.
  4. Documents de l’Episcopat français

a) Lettre pastorale de l’épiscopat français sur la sainte liturgie (14 janvier 1964). Pas un mot, ni la moindre allusion.

b) Première Ordonnance de l’épiscopat français réglant les premières applications de la Constitution  » De sacra liturgia  » (D. C. 16 février 1964). Il n’en est rien dit.

c) Deuxième Ordonnance de l’épiscopat français (D.C. ler novembre 1964). Rien.

d) Troisième Ordonnance de l’épiscopat français sur la liturgie (24 novembre 1964). Rien.

e) Directives pratiques de la Commission épiscopale française de liturgie (20 juillet 1965. D. C. 19 septembre 1965). Sur le renouveau liturgique et la disposition des églises. Le texte distingue nettement deux cas : 1) l’aménagement d’une église existante ; 2) l’aménagement des églises à construire.

Dans la première partie, la Commission dit le devoir de respecter la propriété d’autrui : le curé, on le rappelle, n’est pas propriétaire de son église ; il n’a donc pas le droit d’agir comme s’il en était le maître unique et définitif.  » Leur destruction [des éléments précieux du patrimoine religieux et national], leur aliénation, leur transformation inconsidérée et indue peuvent constituer de véritables actes de vandalisme… Il serait regrettable que de pareilles fautes individuelles soient attribuées à l’influence de la réforme liturgique et servent à la déconsidérer « .

La commission dit aussi qu’il faut respecter des ensembles existants, même médiocres  » qui peuvent réaliser une certaine harmonie, une justesse de proportions, d’éclairage et de couleurs que nous risquons d’endommager par des suppressions partielles ou hâtives « .

Il est bon de connaître tous ces textes : n’y voyons-nous pas que les fidèles sont en plein accord avec l’Episcopat français, quand ils déplorent les scandaleuses transformations de leurs églises ? Et c’est pourtant eux que l’on ose présenter comme des  » révoltés  » ! Révoltés, peut-être… Mais contre qui ? mais contre quoi ? Contre le Concile et sa Constitution ? Contre les ordonnances épiscopales ?–Certainement pas.

Dans la deuxième partie, dans laquelle il est question des ensembles à créer, il est parlé, d’une manière explicite de l’implantation de l’autel. La référence à l’Instruction (v. no 3) est d’abord rappelée et de sages  » directives  » sont alors données

 » L’Instruction ne se contente pas de permettre l’adaptation de l’autel en vue de la célébration face au peuple, elle déclare explicitement qu’il est préférable (PRAESTAT) de le construire séparé du mur, afin de faciliter une telle célébration. Et pour lever l’obstacle posé par les décrets de la Sacrée Congrégation des Rites en date du ler juin 1957, elle permet (LICET) d’adapter l’autel à cette célébration, même si on doit y placer un tabernacle,  » petit sans doute, mais convenable  » (Art. 95).

 » Si le prêtre doit pouvoir célébrer face au peuple, il n’est pas indispensable qu’il le fasse tous les jours. Quand il célèbre en semaine, sans assemblée, il peut légitimement souhaiter célébrer sans avoir les yeux sur une nef vide. Aussi convient-il de prévoir des deux côtés de l’autel un marchepied assez vaste pour qu’on puisse célébrer dans les deux positions « .

On retiendra qu’il est toujours parlé de permission et non d’obligation; et qu’il est explicitement dit que la célébration face au peuple n’est pas indispensable. Combien nombreux sont les prêtres qui seraient heureux de savoir que la Commission leur donne entièrement raison, quand ils refusent. d’aller chaque matin à une table tournée vers la nef que ne remplit aucune assemblée de fidèles…

 » Les ordres viennent de haut, de très haut « , nous a-t-on répété. Ces ordres, nous ne les avons trouvés nulle part dans les textes officiels, qui sont mis à la disposition de tous. Nous nous refusons à les chercher ailleurs.

Par contre, d’autres textes sont multipliés qui émanent, eux, des plus hautes autorités, soucieuses de faire respecter, par tous, les prescriptions conciliaires et post -conciliaires et d’apaiser les inquiétudes d’un nombre grandissant de fidèles… qui ne comprennent plus rien … ! Nous en donnerons quelques-uns, qui tiennent un langage fort différent du langage tenu – dans la pratique quotidienne – par les  » pilotes « , comme on dit, qui font la loi et l’imposent brutalement en usant de moyens, merveilleusement et mystérieusement efficaces.

§ 2 S. E. le Cardinal Liénart : Allocution adressée au clergé de Lille, le 18 mai 1965 (Semaine Religieuse du diocèse de Lille, 30 mai 1965. cf. D. C. no 1451, 4 juillet 1965, col. 1183-1184).

Il commence par les applications qui doivent être faites en liturgie puis il traite de l’aménagement des églises, « mettant en garde contre un danger d’excès « 

 » La nouvelle liturgie invite à modifier la disposition des lieux. Cependant, il faut voir les différents aspects de la question. D’abord, je rappelle un principe il n’est pas obligatoire de dire la messe face au peuple. Ce qui est obligatoire, c’est de dire la partie de la messe qui est le ministère de la Parole face au peuple. Quant à l’autre partie de la messe, on peut la dire face au peuple, mais on n’y est pas obligé, et il ne faut pas, sous prétexte de le faire quand même, tout saccager dans une église. Il y a des églises qui s’y prêtent ; d’autres qui ne s’y prêtent pas. Si elles s’y prêtent, on le fera, mais là encore, attention ! Il ne faut pas, tout d’un coup, sacrifier les maitres-autels qui peuvent avoir leur valeur, supprimer inconsidérément ce qui existe pour le remplacer par des improvisations qui n’ont pas été étudiées.

 » -Poser un autel portatif ou un autel secondaire sur lequel on dira la messe face au peuple, ce peut être très bien ; ce peut être aussi une faute au point de vue de l’art et du goût. Il ne faut pas qu’un zèle intempestif, une précipitation irréfléchie, nous mènent à saccager nos églises. Je vous demande d’agir posément, comme l’Eglise le demande, pour que nous ne sacrifions rien de ce qui avait une valeur, soit artistique, soit religieuse. Cela suppose une certaine modération « .

§ 3 S. E. le Cardinal Lefebvre : un communiqué paru dans  » La vie catholique du Berry « , 23 juillet 1966.

 » S. Em. le Cardinal fait siennes les directives suivantes adressées par le Cardinal Lercaro, présidant le Consilium pour l’application de la Constitution sur la Liturgie, aux Evêques d’Afrique du Nord (D. C. no 1470, ler mai 1966, col. 805). Ces directives valent pour toutes les paroisses et communautés du diocèse.

(Il est certain que l’autel face au peuple rend plus vraie et plus communautaire la célébration eucharistique et facilite la participation. Mais même ici, il est nécessaire que la prudence guide le renouveau.

(D’abord, pour une liturgie vivante et participée, il n’est pas nécessaire que l’autel soit face au peuple. Toute la liturgie de la parole, dans la messe, se célèbre au siège ou à l’ambon, face au peuple par conséquent. Pour la liturgie eucharistique, les installations de microphones, désormais courantes, aident suffisamment à la participation.

(De plus, il faut tenir compte de la situation architecturale et artistique, laquelle, en bien des pays, est d’ailleurs protégée par de sévères lois civiles. Et qu’on n’oublie pas que bien d’autres facteurs, tant de la part du célébrant que des ministres et de l’ambiance, doivent jouer leur rôle pour une célébration vraiment digne.

(D’autre part, les autels provisoires, construits en avant de l’autel majeur, en vue de la célébration face au peuple, devraient petit à petit disparaître, pour laisser place à une organisation fixe convenable du sanctuaire) ».

Le Cardinal Lercaro n’a pas précisé quels sont ces  » autres facteurs « , à propos de la messe face au peuple, qui  » doivent jouer leur rôle pour une célébration vraiment digne « . Il est peut-être permis de penser que le Cardinal envisage ici – entre beaucoup d’autres – le cas du célébrant qui n’est point  » photogénique « , comme on dit, qui, atteint par les misères de la maladie ou de l’âge, exhibe ses grimaces et ses tics… Il y a aussi le célébrant de très petite taille dont seule la tête apparaît derrière la table… Est-il bien certain que l’officiant doive alors s’imposer à la vue de ceux qui, n’ayant plus de livre en mains et ne devant plus s’agenouiller pour se recueillir la tête dans les mains, demeurent debout, les yeux fixés sur lui, l’observant, le dévisageant et se… distrayant…

Est-ce vraiment favorable à une célébration digne ? On comprend que le Consilium, instruit par les expériences de tous les diocèses du monde, et tenant compte des réactions saines et saintes des fidèles, rappelle que ce qui importe principalement, c’est la dignité de la célébration.

Pour terminer, nous donnerons, entre beaucoup d’autres témoignages de théologiens, celui d’un des plus célèbres représentants des Universités allemandes, le Professeur Dr Josef Ratzinger, de Tübingen. Il ne s’agit pas d’un article de Revue, ni d’un extrait d’un cours. Au Katholikentag, réuni à Bamberg au mois de juillet 1966, c’est le Dr Ratzinger qui a donné le cours magistral sur  » Le Catholicisme après le Concile  » : 1) Le renouveau liturgique; 2) L’Eglise et le monde; 3) L’ouverture à l’oecuménisme. Sans faire totalement’ nôtres les réflexions du théologien allemand, nous retenons quelques remarques qui ont trait à notre sujet.

L’auteur a commencé par dénoncer, à propos du renouveau liturgique, les deux excès dans lesquels beaucoup ont pu tomber : l’archaïsme et la modernisation outrancière.

 » Chez les théologiens, il y a un certain archaïsme qui voudrait restaurer la forme classique de la liturgie romaine telle qu’elle était avant les proliférations de l’époque carolingienne et du Moyen Age. On ne se demande pas – comment la liturgie doit-elle être ? Mais: comment était-elle autrefois ? Bien que le passé nous apporte une aide indispensable pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui, il n’est pas purement et simplement le critère qui doit fonder la réforme. Savoir comment a fait Grégoire le Grand, c’est bien, mais cela n’oblige pas à faire de même. Avec cet archaïsme, on s’était souvent coupé la route vers ce qui est légitime… « 

Nous sommes en train de créer un nouveau ritualisme, remarque J. Ratzinger. Un ritualisme fait de nouvelles formes ingénieuses qui cachent l’essence des choses. Il y a aujourd’hui, déclare-t-il des exagérations et des étroitesses qui sont irritantes et déplacées :

 » Toute messe doit-elle vraiment être célébrée en se tournant vers le peuple ? Est-il si important de pouvoir voir la figure du prêtre ? N’est-il pas souvent bon de penser qu’il est un chrétien avec les autres et que, par conséquent, il a tous les motifs de se tourner avec eux vers Dieu et de dire ainsi Notre Père avec eux tous. Le tabernacle est séparé du maître-autel, et il y a pour cela de bonnes raisons [l’auteur ne les précise pas …]. Mais on peut se sentir indisposé de voir sa place prise maintenant par le siège du célébrant, et s’exprimer ainsi dans la liturgie un cléricalisme qui peut être pire que celui d’autrefois. Le développement liturgique qui a fait écarter le siège du célébrant et signifier par la place du tabernacle que le Seigneur présidait lui-même la liturgie, n’avait-il pas quelque chose de bon qu’aujourd’hui nous commençons à redécouvrir progressivement ? Le fait d’abaisser le siège du célébrant et d’élever le tabernacle n’était-il pas aussi le signe que l’on prenait davantage conscience que la maison de Dieu est polarisée sur le Christ et que la liturgie chrétienne ne connaît qu’un président: le Christ ? « 

Beaucoup de prêtres et de fidèles ont regretté une recherche exagérée de la simplicité et ils souffrent de voir l’autel du saint sacrifice réduit à une table, trop souvent misérable. Le Dr Josef Ratzinger, expert remarqué du Concile, se fait ici l’écho de ces regrets et de ces souffrances

 » … L’aspiration radicale à la simplicité conduit à écarter toute somptuosité esthétique, afin de mieux sentir la puissance originelle de la parole et de la réalité qui nous saisissent ; cela est juste et même nécessaire. En ce domaine, l’Eglise doit toujours revenir à la simplicité des origines pour faire l’expérience de ce qui est l’essentiel derrière toutes les structures et le communiquer. Mais en même temps, il ne faut pas oublier que célébrer la Cène du Seigneur est de sa nature une fête, et qu’à la fête convient également la beauté festive. Le  » praeclarus calix  » remonte à l’heure de la Cène et si toute la liturgie s’efforce d’être un beau calice, un vase précieux et étincelant qui évoque pour nous la magnificence de l’autel, elle ne doit être gênée par aucun purisme, par aucun archaïsme. Cette beauté ne peut-elle pas être un service plus désintéressé que cette passion des structures qui se complaît dans des idées liturgiques toujours nouvelles  » (D. C. no 1478, 18 septembre 1966, col. 1564, 1565).

Nous avons posé la question : quels sont les textes conciliaires et postconciliaires qui prescrivent la messe face au peuple ? et la destruction des autels ?

Après l’examen des textes publiés, force nous est de conclure qu’il n’y a aucune prescription officielle qui intéresse l’Eglise universelle.

Et pourtant l’affirmation est de plus en plus clamée :  » Les ordres viennent de haut. Respectons le Concile « .

Que d’absurdités, que de contre-vérités sont chaque jour attribuées au Concile depuis des années… même avant la première Session d’octobre 1962 ! L’Eglise, par la voix du Souverain Pontife, par celle des Congrégations Romaines et par celle de nos Evêques, ne cesse de protester, sans réussir hélas à faire taire des  » autorités parallèles  » qui se manifestent, ouvertement ou non, dans la plupart des nations…

Nous devons insister dans notre conclusion sur tant d’actes insensés, auxquels ont été conduits, comme malgré eux, ceux qui ont décidé de transformer, à tout prix, leur église pour la célébration face au peuple.

Encore une fois, ce n’est pas le bon peuple qui juge. On l’a vu dans les textes que nous avons reproduits : le reproche sévère est adressé aux uns et aux autres, plus ou moins responsables, de mettre à sac leur église, de la saccager, et de se livrer à des actes de vandalisme.

Retenons qu’il ne s’agit pas ici des interventions, si légitimes en pays civilisé, des Beaux-Arts ou des représentants de la Loi… fort nombreuses il est vrai, mais des cris d’alarme qui viennent des chefs de l’Eglise.

C’est aussi les chefs de l’Eglise qui ont reproché à tant et tant de zelanti la transformation de leurs églises en salles de conférence, en temples vides et morts, sous prétexte de pauvreté… et de simplicité !

Que les terribles  » inquisiteurs  » des milieux paroissiaux n’accablent donc pas les fidèles, s’ils se font, à leur rang de plus en plus modeste, les fidèles échos de la Hiérarchie dans leur plainte, dans leur souffrance.

Le peuple souhaite de voir entretenir la beauté de la Maison de Dieu et respecter la beauté de l’Autel du Sacrifice de Notre-Seigneur, quand il entend son prêtre proclamer avec tremblement : INTROIBO AD ALTARE DEI.

 

Section 2- La pensée du cardinal Ratzinger dans son livre « l’Esprit de la liturgie »

 

Offrir le Saint Sacrifice de la Messe en direction de l’est, c’est-à-dire du soleil levant, symbole du Christ, et jamais face au peuple, (sauf dans certaines basiliques romaines comme à Saint Pierre à Rome – mais parce que pour des raisons topographiques, l’abside est orientée à l’ouest -) était la chose la plus commune et la plus universelle dans l’Eglise catholique avant le Concile. C’est une tradition apostolique. Le cardinal Ratzinger le dit clairement  dans son livre « L’esprit liturgique » – publié en 2000 et traduit en français en 2001 aux Editions « ad Solem » : ce mode « est de tradition depuis l’origine du christianisme » (p. 63). Pour justifier une façon de faire contraire, on ne peut même pas invoquer la célébration de la sainte Cène. Là,  le Christ ne faisait pas face à ses Apôtres, ni ne se trouvait au milieu d’eux. Il était sur la droite, tous du même côté de la table comme nous le démontre la mosaïque de la Cène de saint Appolinaire-le- Neuf à Ravenne qui date à peu près de l’an 500. Pour prouver son jugement, le cardinal invoque la science liturgique du Père Bouyer : « L’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fut chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis ou allongés sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait pu survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était accentué bien plutôt par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table » (p. 49-50).

 

Le Cardinal  reconnaît que l’on a malheureusement perdu, en Occident,  le sens symbolique de cette orientation « ad orientem », l’Orient étant le symbole de la lumière se levant, symbole du Christ, Lumière du monde. Les expressions populaires le laissent clairement entendre. «  Comment comprendre autrement   – cette perte de sens – lorsque l’on parle de « célébration vers le mur » ou de « tourner le dos au peuple » pour désigner l’orientation commune de la prière du prêtre et du peuple telle que la Tradition  nous l’a transmise ? » (p.  67). C’est pourquoi, semble-t-il, cette mode de célébrer la messe « versus populum » et non plus « ad orientem » s’est imposée si facilement dans l’Eglise après le Concile Vatican II.  Et c’est pourquoi on disposa partout de nouveaux autels, tant et si bien que l’orientation de la célébration « versus populum » a pu paraître être la conséquence du renouveau liturgique voulu par le Concile Vatican II. Mais ce dernier  ne mentionne même pas dans sa Constitution « Sacro Sanctum Concilium » de « se tourner vers le peuple ».

 

Or cette orientation nouvelle est lourde de conséquences théologiques, nous dit le cardinal Ratzinger, le futur pape Benoît XVI, qui a maintenant la « garde obligée de la foi ».

 

A- Cette nouvelle orientation implique d’abord, dit-il,   une conception  nouvelle de l’essence liturgique, celle de la célébration d’un repas en commun.

 

Il écrit : « En fait l’orientation « versus populum » est l’effet le plus visible d’une transformation qui ne touche pas seulement l’aménagement extérieur de l’espace liturgique, mais implique une conception nouvelle de l’essence de la liturgie : la célébration d’un repas en commun » (p 65) alors que la messe est d’abord essentiellement un sacrifice, le sacrifice du Christ. C’est sa première critique.  Il dit encore : «Il n’y a pas d’autre explication au fait que le repas – de surcroît le repas conçu en termes modernes – soit devenu l’idée normative de la célébration liturgique chrétienne » (p. 67).

Cette critique est très grave. Qu’on mesure bien le mot : l’idée de repas est devenu  «l’idée normative de la célébration liturgique chrétienne ».  Mgr Gamber l’avait déjà exprimée dans son livre « Tournés vers le Seigneur ». Dans son avant-propos, il écrivait : « A la base de cette nouvelle position (du prêtre par rapport à l’autel c’est-à-dire face au peuple et la célébration orientée vers ce dernier) – et  il s’agit ici sans nul doute d’une innovation et non d’un retour à une pratique de l’Eglise primitive  il y a une conception nouvelle de la messe : celle qui en fait une « communauté de repas eucharistique ». Ce qui primait jusqu’ici, la vénération cultuelle et l’adoration de Dieu, ainsi que le caractère sacrificiel de la  célébration considérée comme représentation mystique et actualisation de la mort et de la résurrection du Seigneur, passe au second plan. De même, la relation entre le sacrifice du Christ et notre sacrifice de pain et de vin n’apparaît plus qu’à peine » (p. 4)

 

B- De  plus cette orientation « versus populum » – c’est la deuxième critique du cardinal-  a permi que se développe  une « cléricalisation » comme jamais il n’en a existé auparavant.

« Le prêtre ou plutôt « l’animateur liturgique », comme on préfère l’appeler maintenant, est devenu, écrit-il,  le véritable point de référence de la célébration liturgique. Tout se rapporte à lui. Il faut le regarder, suivre ses gestes, lui répondre ; c’est sa personnalité qui porte toute l’action. Pour encadrer ce « one man show », on a confié à des « équipes liturgiques » l’organisation « créative de la liturgie ; on a ainsi distribué  des fonctions liturgiques à des laïcs dont le désir et le rôle sont souvent de se faire valoir eux-mêmes. Dieu, cela va sans dire, est de plus en plus absent de la scène. L’important c’est d’être ensemble, de faire quelque chose qui échappe à un « schéma préétabli » (p. 67-68).

 

C- Le futur pape Ratzinger  fait encore une autre remarque des plus importantes – c’est la troisième remarque particulièrement critique  : cette nouvelle orientation de la célébration « versus populum » a fait de l’assemblée priante « une communauté fermée sur elle-même ». « Celle-ci n’est plus ouverte ni sur le monde à venir, ni vers le Ciel…Un cercle fermé n’est donc pas une forme capable de traduire l’élan commun qui s’exprime dans une même direction de prière » (p. 68-69), ce que permet la célébration de la messe, le prêtre et les fidèles tournés « ad orientem ».

 

D- Ainsi cette nouvelle orientation de la prières et de la célébration à l’autel face au peuple  a pour conséquence de « changer l’essence de la liturgie chrétienne » (p. 70). En effet « la prière vers l’orient…exprim(ait)  la spécificité de la synthèse chrétienne qui intègre cosmos et histoire, passé et monde à venir dans la célébration du mystère du salut. Dans la prière vers l’Orient nous exprimons donc notre fidélité au don reçu dans l’Incarnation et l’élan de notre marche vers le second avènement ».

 

E- Pour  le pape  « l’important (dans la liturgie) n’est pas de regarder le prêtre mais de tourner un regard commun vers le Seigneur » (p69).  « Cette orientation vers l’ « est » pendant le canon est essentielle. Il ne s’agit pas d’un élément accidentel de la liturgie…Il n’est plus question ici de dialogue mais d’une commune adoration, de notre marche vers Celui qui vient » (p. 69).

 

Voilà l’essence de la liturgie chrétienne. Voilà ce qu’il faut « redécouvrir ». Le mot est du Cardinal.  Voilà ce qu’il est urgent de faire. Voilà pourquoi il préfaça en particulier le livre de Mgr Ganber « Tournés vers le Seigneur » publié aux Editions sainte Marie Madeleine du Barroux, en 1993. Là il écrit : « L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtres et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : Tournons nous vers le Seigneur ! »

 

Pour toutes ses raisons qui touchent à  l’essence même de la liturgie, – c’est en dire l’importance –  on comprend que le cardinal  ait exprimé souvent et clairement son désir de voir la liturgie latine et romaine revenir à cette coutume « immémoriale » de l’orientation de la prière commune prêtres et fidèles « ad orientem ».

C’est ainsi, de fait, qu’il termine sa préface du livre de Mgr Gamber : « Cet appel s’adresse à nous tous, et montre, au-delà même de son aspect liturgique, comment il faut que toute l’Eglise vive et agisse pour correspondre à la mission du Seigneur ».

 

F- La « réforme de la Réforme ».

 

Aussi faut-il  s’attendre à ce que, dans les documents qui vont prochainement être publiés par la Congrégation pour le  culte divin et de la discipline des sacrements sur « la réforme de la Réforme » liturgique, nous ayons des prescriptions concernant l’orientation de l’autel dans nos églises. Et là où cela  sera possible, l’ordre sera donné, n’en doutons pas,  de retirer ces autels face au peuple – « monstrueux » à tous points vue, tant esthétique que liturgique – et de retrouver l’autel « majeur » et de célébrer de nouveau le sacrifice « ad orientem ». Mais là où cela ne sera pas possible en raison des bouleversements intervenus dans l’Eglise suite au « renouveau conciliaire », nous reverrons tout de même les crucifix et les chandeliers sur l’autel. C’est ce que nous avons vu lors de la messe célébrée sur la place des Invalides par le pape Benoît XVI lors de sa venue en France.  Et c’était très heureux. L’autel n’était plus une « table nue », celle du repas,  – celle sur laquelle célèbrent encore tous nos évêques  -,  mais elle était bien un autel, le crucifie lui redonnant son sens, son sens sacrificiel. N’oublions pas  qu’un autel se réfère toujours à un sacrifice offert par un prêtre.

 

C’est aussi  la solution qu’exprimait déjà le cardinal Ratzinger dans son livre que nous analysons : « L’esprit de la liturgie ». Il répond à une objection, la plus importante pour lui. Elle est d’ordre pratique : « Faut-il à nouveau tout changer, tout réarranger, alors que rien n’est plus dommageable à la liturgie que cet activisme constant, même s’il a pour but une rénovation authentique ? ».

Voici sa solution : « Je vois pour ma part une solution qui m’a été suggérée par les travaux d’Erik Peterson. L’orientation vers l’est, nous l’avons  vu, fut mise en rapport avec  le « signe du Fils de l’homme », la Croix, qui annonce la seconde venue du Seigneur. L’ « est » fut ainsi relié très tôt avec le signe de la Croix. Là où l’orientation commune vers l’ « est » n’est pas possible, la Croix pourrait servir d’ « est intérieur ». Elle devrait se trouver au milieu de l’autel et représenter le point focal commun pour le prêtre et les fidèles en prières. Nous obéissons ainsi à l’antique injonction qui inaugurait la liturgie eucharistique : « Conversi ad Dominum » – « Tournez vers le Seigneur ». Ainsi nous regarderions ensemble vers Celui dont la mort a déchiré le rideau du Temple, Celui qui pour nous se tient devant le Père, et nous prend dans ses bras pour faire de nous le nouveau Temple vivant. Je compte, parmi les manifestations les plus absurdes des dernières décennies d’avoir mis la croix de côté pour libérer la vue sur le prêtre. La croix est-elle gênante pendant la messe ? Le prêtre est-il plus important que le Seigneur ? On devrait remédier à cela le plus vite possible, cela ne requiert d’ailleurs aucune nouvelle transformation. Le Seigneur est le point de référence. Il est le Soleil levant de l’histoire. C’est pourquoi il pourrait s’agir aussi bien de la Croix de la Passion, signe du Seigneur souffrant, au flanc transpercé d’où s’écoulent pour nous le sang et l’eau  – l’eucharistie et le baptême – , comme de la Croix glorieuse qui, évoquant le retour du Christ, dirige notre regard vers Lui. Car c’est toujours le même et unique Seigneur : le Christ hier, aujourd’hui et à jamais » (HE 13 8) » (p.71).

 

Mais les évêques n’ont pas dû prendre encore le temps de lire ce beau passage !

 

Le pape Benoît XVI pourtant tient à cette idée. Il la reprenait dans son discours conclusif du colloque qui s’est tenu à Fontgombault, les 22-24 juillet 2001 : « Le troisième problème est la célébration versus populum. Comme je l’ai écrit dans mes livres, je pense que la célébration vers l’orient, vers le Christ qui Vient,  est une tradition apostolique. Cependant je suis contre la révolution permanente dans les églises ; on a restructuré maintenant tant d’églises, que recommencer de nouveau en ce moment ne me semble pas du tout opportun. Mais s’il y avait toujours sur les autels une croix , une croix bien en vue, comme point de référence pour tous, pour le prêtre et pour les fidèles, nous aurions notre orient, parce que finalement le Crucifié est l’orient chrétien ; et, sans violence, on pourrait, me semble-t-il, faire ceci : donner comme point de référence le Crucifié, la Croix, et ainsi une nouvelle  orientation à la liturgie. Je pense que ce n’est pas une chose purement extérieure : si la liturgie se réalise en un cercle clos, s’il y a seulement le dialogue prêtre-peuple, c’est une  fausse cléricalisation et l’absence d’un chemin commun vers le Seigneur vers lequel nous nous tournons tous. Donc avoir le Seigneur comme point de référence pour tous, le prêtre et les fidèles, me semble une chose importante et tout à fait faisable et réalisable ». (p. 181)

 

Les temps changent ! Il faut aider le pape à initier sa « réforme de la Réforme » et la lancer enfin dans le monde catholique. La crise de l’Eglise est venue par la liturgie. Elle prendra fin par la « redécouverte de l’essence de la liturgie chrétienne »  (p. 70). La célébration de la messe « ad orientem » en est un élément constitutif.

 

NB : Malheureusement, Benoît XVI a dû donner sa démission…ce qui arrêta toute « réforme liturgique», le Pape François ne soutenant pas les mêmes idées en matière liturgique.

 

C’est pourquoi nous étudierons  plus profondément encore, les raisons liturgiques et historiques qui justifient  cette orientation. Mgr Gamber nous  les donne dans son livre « Tounés vers le Seigneur » publié aux éditions Sainte Madeleine, en 1993..

 

Section 3 :La pensée de Mgr Gamber dans son livre « Tournés vers le Seigneur »

 

Tournés vers le Seigneur

Ce livre a été de nouveau  préfacé par le cardinal Ratzinger. Il en dit l’importance et conclut : « Ce qui fait l’importance de ce livre, c’est surtout le substrat théologique mis à jour par ces savantes recherches. L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles  – dont la forme symbolique était généralement en direction de l’est, c’est-à-dire du soleil levant – était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtres et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : Tournons nous vers le Seigneur ». Et il terminait, nous le savons, par ces mots : «  Cet appel s’adresse à nous tous, et montre, au-delà même de son aspect liturgique, comment il faut que toute l’Eglise vive et agisse pour correspondre à la mission du Seigneur ».

Il écrivait cette préface, le 18 novembre 1992.

Mgr Gamber, tout comme le cardinal, constate que depuis une quarantaine d’années, dans l’Eglise latine, le prêtre célèbre face au peuple et non plus face à l’Orient comme cela s’est pourtant  toujours fait selon la tradition de l’Eglise.

 

§ 1:Condamnation des autels face au peuple.

 

Il condamne très fortement cette façon de faire. Il écrit dans son « avant-propos » : « personnellement, je tiens l’introduction des autels face au peuple et la célébration orientée vers ce dernier pour beaucoup plus graves et génératrices de problèmes pour l’évolution future que le nouveau missel ». Il en donne la raison : « Car à la base de cette nouvelle position du prêtre par rapport à l’autel, il y a une conception nouvelle de la messe : celle qui en fait une « communauté de repas eucharistique ». Le cardinal dit la même chose, nous l’avons vu. Mais c’est un des caractères fondamentaux du « Novus Ordo Missae ». Les dangers sont graves, doublement graves. Nous le verrons plus bas dans notre critique du Novus ordo Missae.

 

C’est pourquoi Mgr Gamber,  comme le cardinal Ratzinger, voudrait que l’on revienne à l’usage constant de l’Eglise: célébrer la messe « ad orientem ».

Notre recherche est donc particulièrement importante. Il faut justifier notre choix.C’est l’objet de son livre. Il répond à  12 questions après une introduction générale.

 

§ 2: La liturgie céleste, l’archétype de la liturgie terrestre

 

Dans son  introduction, il rappelle un principe fondamentale : la liturgie céleste est l’archétype de la liturgie terrestre. Il rappelle la doctrine de saint Paul exposée dans l’Epître aux Hébreux : le Temple de Jérusalem – et son autel – est «  l’image du sanctuaire » qui est au Ciel et dans lequel le Christ, éternel grand prêtre, est entré. Et c’est pourquoi la liturgie terrestre doit s’inspirer de la liturgie céleste. Or l’Apocalypse nous dit dans son chapitre 8 verset 3 : « Survint un autre ange qui se plaça devant l’autel, un encensoir d’or à la main. On lui remit quantité de parfums à offrir, avec les prières de tous les saints, devant l’autel d’or qui fait face au trône ». Cette place de l’ange devant l’autel face au trône  a toujours « déterminé l’agencement et la position du prêtre devant lui dans la liturgie terrestre, nous dit Mgr Gamber.

 

Les choses ont changé. On pense ainsi avoir fait « revivre un usage de la chrétienté primitive » (p 20). C’est faux, enseigne Mgr Gamber.  Il va le prouver: « il n’y a jamais eu, ni dans l’Eglise d’Orient ni dans celle d’Occident, de célébration « versus populum », mais toujours tous se tournaient vers l’Orient pour prier « ad Dominum » (vers le Seigneur).

 

§ 3: Le prêtre face au peuple, une idée de Martin Luther

 

Ce face à face avec l’assemblée remonte non point à la pratique de l’Eglise primitive mais  bel et bien au 16 siècle, avec le protestantisme luthérien. C’est une idée de Martin Luther qui, dans son livre « la messe allemande et l’ordonnance du culte divin », au début du chapitre « Du dimanche pour les laïcs » notait : « Nous conserverons les ornement sacerdotaux, l’autel, les lumières jusqu’à épuisement, ou jusqu’à ce que cela nous plaise de  les changer. Cependant nous laisserons faire ceux qui voudront s’y prendre autrement. Mais dans la vraie messe, entre vrais chrétiens, il faudrait que l’autel ne restât pas ainsi et que le prêtre se tournât toujours vers le peuple comme sans aucun doute Christ l’a fait lors de la Cène. Mais cela peut attendre ». Nous étions en 1526.

 

§ 4: En a-t-il été ainsi lors de la Cène ? C’est la première question que se pose Mgr Gamber : « Quelle était la situation dans l’Eglise primitive ? Les fidèles n’étaient-il pas alors assis avec le président à la « table du Seigneur » ?

 

Mgr Gamber écrit qu’il faut bien distinguer entre la célébration de « l’agape », repas fraternel et celle de l’eucharistie qui primitivement faisait suite à l’agape. « Alors que pour le repas en commun, l’agape, on était assis à des tables, – Mgr Gamber le prouve en citant l’épître aux Galates (2 11-12) où l’apôtre Paul reproche à Pierre de s’être attablé avec les juifs convertis, à l’écart des païens convertis –  pour la célébration de l’eucharistie, on se levait et on allait se placer derrière le célébrant qui se tenait à l’autel ». Il cite la Didascalie des Apôtres, une instruction du IIe –IIIe siècle exigeant qu’on se tournât strictement vers l’Orient.

 

Il est de plus impossible pour justifier la célébration de l’Eucharistie face au peuple de s’inspirer comme le fait Martin Luther, de la sainte Cène. Elle prouve le contraire. Certes les représentations habituelles de la Cène au I6 siècle figuraient  Jésus debout ou assis au milieu d’une grande table, les Apôtres l’entourant à sa droite et à sa  gauche.

Mais ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. « Cela aurait contrevenu aux usages domestiques de l’époque » (p 21) dit Mgr Gamber : « Au temps de Jésus, et encore des siècles plus tard, on utilisait soit une table ronde soit une table en forme de sigma(en demi cercle). Le devant de celle-ci demeurait libre pour permettre le service des plats. Les convives étaient assis ou allongés derrière le demi-cercle de la table. A cet effet, ils utilisaient des divans ou un  banc, en forme de sigma. La place d’honneur ne se trouvait pas, comme on pourrait le croire, au milieu mais à droite (in cornu dextro). La seconde place d’honneur lui faisait face » (p21)

« On trouve, poursuit Mgr Gamber, cette disposition des sièges de façon constante dans les plus anciennes représentations de la Cène de Jésus et jusqu’au cœur  du Moyen âge. Le Seigneur est toujours allongé ou assis du côté droit de la table ». Il cite la fameuse Mosaïque de saint Appolinaire-le-Neuf à Ravenne vers 500. La représentation est claire. Et c’est cette disposition qui permet de comprendre l’attitude de Marie Madeleine lors du repas du Seigneur chez le pharisien Simon. Autrement elle n’eut pu arroser de ces larmes les pieds de Jésus.  Ou de Saint Pierre faisant signe à saint Jean de demander à Jésus qui était le traite annoncé.

Ce n’est que vers le XIII siècle qu’un nouveau type de représentation artistique commence à s’imposer : Jésus est désormais placé derrière la table, au milieu des Apôtres qui l’entourent. Ainsi de la représentation de léonard de Vinci…. « C’est cette image que Luther avait devant les yeux » (p21). « Elle a effectivement les apparences d’un célébration versus populum. Pourtant il ne s’agit en réalité de rien de semblable puisque le « peuple » vers lequel le Seigneur aurait du se tourner était, on le sait, absent de la salle de la Cène. Ce qui enlève toute valeur à l’argumentation de Luther ».

 

§ 5 : Mais alors comment se fait-il que les « autels face au peuple aient été introduits pratiquement dans le monde entier ? ». Ne serait-ce pas  la volonté expresse du Concile ? C’est la deuxième question que se pose Mgr Gamber.

 

Il répond clairement : « On chercherait en vain dans la Constitution sur la liturgie promulguée par le deuxième Concile du Vatican, une prescription exigeant de célébrer la sainte messe tourné vers le peuple » (p. 24). Certes,  il y eut bien l’instruction de la Congrégation des Rites « Inter oecumenici » de 1964 qui a inspiré par la suite le nouveau missel, où il est dit « Il est bien de construire l’autel majeur séparé du mur pour qu’on puisse en faire facilement le tour et qu’on puisse y célébrer vers le peuple, et il y sera placé dans l’édifice sacré de façon à être véritablement le centre vers lequel l’attention de l’assemblée des fidèles se tourne spontanément » (N° 91). Mais c’est là une possibilité. Ce n’est pas un ordre. Ce n’est pas une prescription proprement dite. Que l’autel doive être écarté du mur c’est tout à fait conforme à la tradition liturgique. Mais que l’on célèbre la messe face au peuple cela va contre la tradition des églises orthodoxes. C’est fortement préjudiciable à une époque de dialogue œcuménique… De tout temps et en Orient et même en Occident, on cherchait plutôt a dissimuler l’autel, pour en magnifier la sainteté et le sacré : c’est le sens  de l’iconostase chez les orthodoxes, des rideaux chez les arméniens et même en Occident, du baldaquin précieux reposant sur quatre colonnes, des courtines étant fixées aux quatre côtés certainement en référence au rideau du Temple de Jérusalem qui séparait le Saint des saints du sanctuaire ainsi que Dieu l’avait prescrit à Moïse. Et Mgr Gamber de conclure : « Alors qu’ainsi l’Eglise en ses débuts dissimulait l’autel autant qu’elle le pouvait, tout en l’ornant de tissus précieux et d’antependiums, voici qu’aujourd’hui cet autel se trouve placé, nu, au milieu de l’église exposé à tous les regards. Sa sainteté en tant que lieu de l’offrande du sacrifice s’en trouve-t-il mieux soulignée ? Sûrement pas. A moins qu’on ne veuille, contre toute tradition, prendre en considération que sa fonction de table du repas et la rendre ainsi manifeste. Alors bien sûr il ne me reste qu’à m’incliner…. » . Mais avant de s’incliner – et il ne s’incline pas – il invoque au préalable Pie XII qui,  dans son encyclique « Mediator Dei » affirmait « combien se fourvoierait celui qui voudrait redonner à l’autel son ancienne forme de « mensa » (table) (n° 49)  (p.24) et de faire remarquer que « dans ce cas il ne s’agit plus de rendre présent ici-bas le monde de l’au-delà : il ne s’agirait  plus que de l’homme et de son univers. L’univers de Dieu, des anges et des saints deviendrait marginal ; à peine toucherait-il le nôtre. Peut-être s’intéressera-t-on malgré tout encore à un homme nommé Jésus et à quelques pages soigneusement sélectionnés de son Evangile » (p. 27). La critique est amère ! Terriblement amère !

 

§ 6 -: Mgr Gamber  constate que dans bien des églises on a mis un autre autel en plus du maître autel ou qu’on a purement et simplement supprimé le maître autel. Cette pratique ne peut-elle invoqué une tradition moyenâgeuse ? « N’y- avait-il pas, dit-il, au Moyen Âge un autel destiné, en plus du maître-autel comme de nos jours ?  C’est la troisième question.

 

Sans doute, dit-il. Cela se voyait dans les églises cathédrales et dans les monastères. Depuis  la fin de l’époque romane, il y avait, de fait, un autel placé devant le jubé.  C’était l’autel que l’on appelait « l’autel de la croix ». C’est sur cet autel que, dans ces églises, on célébrait la messe pour le peuple, mais toujours dos au peuple, ainsi que toute messe destinée à des assistances nombreuses. De plus on prêchait du haut du jubé. Seules les messes conventuelles (solennelles) étaient célébrées dans le chœur. Les jubés ont aujourd’hui disparu, sauf exception, comme à la Chaise-Dieu en Haute Loire. Et  dans la plupart des cas, l’ancien-maître autel avec son tabernacle ne sert plus qu’à conserver la sainte communion. Ce qui oblige le prêtre, qui se tient à l’autel face au peuple de tourner constamment le dos au tabernacle « sur lequel jusqu’ici, les yeux des fidèles en prières étaient fixés ». Et cela ne gêne personne ! Même quelque fois, c’est la chorale paroissiale qui  s’installe sur les marches du maître-autel, les chanteurs tournant le dos au tabernacle. Et cela ne dérange personne…Faut-il qu’on ait perdu le sens de l’Eucharistie. Souvent aussi, le maître-autel a disparu ainsi que les retables, alors on conserve l’Eucharistie dans un tabernacle mural latéral. Ou dans une chapelle latérale de sorte qu’il est difficile de trouver le tabernacle et de venir l’adorer

Ainsi «  aucune de ces solutions n’est satisfaisante » au yeux de la foi eucharistique. Et de plus  « en installant un nouvel autel, on a fait disparaître le centre de gravité spatial que constituait le maître-autel aux yeux de l’architecte qui avait conçu l’église » (p 30). Mais nul ne s’en soucie. ! Le « centre de gravité spatial »… ! Mais c’est l’autel, c’est le tabernacle qu’il ne fallait dissocier de l’autel,  rappelle Pie XII.

 

§ 7 : Notre auteur en arrive à l’argument que l’on croit absolu, celui de l’autel de saint Pierre au Vatican. « Le pape ne célèbre-t-il pas depuis des temps immémoriaux tourné vers le peuple et n’y a-t-il pas dans saint Pierre de Rome un autel isolé sur un podium, comme dans la plupart des églises modernes ? »

 

Il faut le reconnaître : l’autel papal sous son fameux baldaquin, le Bernin, « se trouve isolé au milieu de l’Eglise, juste au dessous de la coupole central qui surplombe la confession avec le tombeau de saint Pierre » et le pape y célèbre non pas devant l’autel mais derrière, face au peuple. De là à conclure que la célébration du sacrifice de la messe  face au peuple était  la manière de célébrer dans  l’église primitive, il n’y a qu’un pas. Il fut franchi, de fait. On entend aujourd’hui encore  l’argument. Mais c’est oublier que l’église de saint Pierre, pour des raisons typographiques, n’a  pas, comme dans  la majorités des églises anciennes, l’abside à l’est mais à l’ouest ». (p. 33). De sorte que lorsque le pape célèbre à l’autel de saint Pierre, il ne célèbre pas face au peuple, il célèbre face à l’Orient., tourné face à l’Orient.

De plus parce que le prêtre s’est mis à célébrer face au peuple, il a fait enlever croix et cierges. C’est aller contre les prescriptions même du Novus Ordo Missae (NOM). Dans l’ « institutio generalis » du nouveau missel, il est écrit : « de même, sur l’autel ou à proximité, il y aura une croix bien visible par l’assemblée » (n° 270).  (p33) C’est sa réponse à la cinquième question.

 

§ 8 : Mais n’était-ce pas inconvenant que le prêtre ait prié, jusqu’ici,  en direction du mur ? C’est qu’en même bien mieux de le voir tourné vers l’assemblée ? C’est la sixième question.

 

Il n’est pas question de prier en direction du mur. Il est question de prier «  en direction du Seigneur » .Voilà la réponse de notre auteur : « Lorsqu’il se tient devant l’autel, le prêtre ne prie pas en direction d’un mur, mais tous ceux qui sont présents prient ensemble en direction du Seigneur. D’autant plus que jusqu’ici, ce qui importait, ce n’était pas de réaliser une communauté, mais de rendre un culte à Dieu par l’intermédiaire du prêtre représentant des participants et unis à eux » (p. 34). Ce qui est hautement traditionnel. Ainsi le demandait Saint Augustin. « Quand nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient (ad orientem convertimur) Ainsi le réclamait Tertullien. Et l’on peut même penser que saint Paul dans 2 Cor 5, 6-8  souhaitait ardemment de se tourner vers le Seigneur. Ce serait, du reste, le sens de la réponse des fidèles : « Habemus ad Dominum » (Nous le tournons vers le Seigneur) au prêtre leur demandant d’élever leur cœur : « Sursum corda » (Elevons nos cœur). Il fait remarquer qu’il en fut toujours ainsi, même chez les Juifs. Même chez les Romains. Il cite le romain Vitruve qui écrit dans son étude sur l’architecture : « Les temples des dieux doivent être tournés de telle sorte que…l’image qui est dans le temple regarde vers le couchant, afin que ceux qui iront sacrifier soient tournés vers l’Orient et vers l’image, et qu’ainsi, faisant leurs prières, ils voient  tout ensemble et le temple et la partie du ciel qui est au levant et que les statues semblent se lever avec le soleil pour regarder ceux qui les prient dans les sacrifices » (p 35). N’oublions pas la finalité théocentrique de la liturgie.

 

§ 9 : Et quand le prêtre se trouvait placé « derrière » l’autel dans les églises ayant leur abside « occidentée » comme saint Pierre de Rome, ou à Saint Clément de Rome n’aboutissait-on pas malgré tout à une célébration face au peuple ?  C’est la huitième question, neuvième et dixième questions.

 

Non, répond-il, car « pendant la prière eucharistique, non seulement le célébrant mais aussi les fidèles étaient tournés vers l’Orient » (p. 37). En effet« Tous regardaient en direction des portes ouvertes de l’église par où pénétrait la lumière du soleil levant, symbole du Christ ressuscité qui revient ». Cela était possible parce que « à l’origine, les fidèles se tenaient non pas dans la nef mais dans les bas-côtés ». Il le prouve en invoquant l’exemple de l’église saint Clément de Rome. L’espace central devant l’autel est en effet occupé par la schola cantorum (enceinte réservé aux chanteurs) et par les deux ambons pour la lecture de l’épître, du graduel et de l’évangile. C’était la même chose pour l’église de Sabratha en Lybie. « Dans les basiliques à bas côtés multiples, ayant l’abside orientée vers l’est, les participants à la messe se trouvaient au début, eux aussi, la plupart du temps, dans les bas-côtés ainsi que dans la partie arrière de la nef. Ils formaient de la sorte, écrit-il, un demi-cercle ouvert vers l’orient, le célébrant se trouvant au point de convergence de ce dernier » (p43). Cette disposition symbolisait merveilleusement l’attente des fidèles de la venue du Seigneur qui, monté au ciel vers l’Orient,  en reviendrait lors de son retour en gloire. (Mt 24 27 ; Act 1, 11). « C’est ainsi, écrit-il que lorsqu ‘une personnalité éminente est attendue, on écarte les rangs pour former un demi cercle, afin d’y accueillir l’hôte d’honneur en son centre » (p. 43) Et de citer saint Jean Damascène : «  Lors de son Ascension, il monta vers l’Orient et c’est ainsi que les Apôtres l’adorèrent, et c’est ainsi qu’il reviendra, de la même manière qu’ils le virent monter au ciel comme le Seigneur lui-même l’a dit :Tel l’éclair qui jaillit de l’Orient et brille jusqu’à l’Occident, tel sera le retour du Fils de l’homme ». Parce que nous l’attendons, nous l’attendons tournés vers l’Orient. C’est là une tradition non écrite des Apôtres » (p 44) Et cette idée  explique la représentation dans de nombreuses églises orientées, « depuis le VI siècle de l’Ascension du Seigneur, sous la voûte principale de l’abside : en haut de l’image, le Christ en gloire porté par deux anges, au dessous Marie représentant l’Eglise » (p. 44) Alors il conclut cette très belle idée par ces mots qui donne tout le sens de la liturgie : « Regardez vers l’est, ce n’est pas seulement regarder vers le Seigneur transfiguré au ciel et revenant à la fin des temps, mais c’est aussi le désir de la manifestation ultime, de la révélation de la gloire future ». (p.45)

 

§  10 : Il faut le reconnaître, l’homme moderne n’est plus très sensible à ce symbolisme de l’orientation de la prière vers l’Orient.  « Pour les chrétiens d’aujourd’hui, c’est quand même la communauté de table qui prime » (p. 48).

C’est la onzième question ou objection. Il ne faut pas se décourager. Il faut insister et rappeler le symbolisme liturgique : «  De toute façon, l’usage pour tous ceux qui sont présents d’être orientés tous ensemble vers le Seigneur est intemporel et garde aujourd’hui encore tout son sens » (p. 49) Ce qu’il faut rappeler et enseigner : « la Liturgie n’est pas une « offre » comme l’est la liturgie de la Parole qui doit être célébrée face au peuple. Elle est un événement sacré au cours duquel le ciel et la terre s’unissent et où le Dieu de grâces s’incline vers nous ». Comme le dit Origine, cité par Gamber, «  la liturgie est un symbole, celui de l’âme regardant vers le lever de la vraie lumière » « dans l’attente de la bienheureuse  espérance et de la glorieuse manifestation de son grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ». La célébration face au peuple oublie tout cela pour centrer toute l’attention des fidèles sur le prêtre. Cette nouvelle liturgie a entraîné une « clérification » de l’acte liturgique. C’est horrible ! Sans parler des aspects sociologiques du nouveau mode  de célébrer qui ne sont pas toujours flatteurs !.

 

§ 12 :Enfin voila la dernière question, la dernière interrogation. La réfutation de la raison la plus importante de ce problème : célébrer la messe le prêtre tourné vers le peuple permet d’accentuer l’aspect repas et de mettre à l’ombre l’aspect sacrificiel.

C’est cela que les « réformateurs veulent. Alors que toute la tradition demande la célébration « ad orientem » pourquoi ne supprime-t-on pas les « tables du repas » « érigées avec une étonnante unanimité dans le monde entier » ?  La réponse tombe de la plume de notre auteur comme un couperet : « Bien probablement parce qu’elles répondent davantage que l’ancienne pratique à la nouvelle conception de la messe et de l’Eucharistie » (p. 53) « Il est très net que l’on voudrait aujourd’hui éviter de donner l’impression que la « sainte table » puisse être un autel du sacrifice. « L’autel » doit rester la table du repas » (p 53). « Certains théologiens catholiques modernes ne nient pas directement le caractère sacrificiel de la messe, mais ils aimeraient le faire passer à l’arrière plan afin de pouvoir d’autant mieux souligner le caractère de repas de la célébration. Cela le plus souvent à cause de considérations œcuméniques en faveur des protestants »

 

Mais à l’église, nous avons l’autel du sacrifice. Or « on se tient devant l’autel du sacrifice. On ne se tient pas derrière. Il en était déjà ainsi pour le prêtre sacrificateur chez les païens. Dans le sanctuaire, son regard se dirigeait vers la représentation de la divinité à qui le sacrifice était offert. Il en était de même dans le Temple de Jérusalem, où le prêtre chargé d’offrir la victime se tenait devant la « table du Seigneur » (cf. Mal 1 12), comme on appelait le grand autel de l’holocauste dans la cour du Temple, face au temple intérieur abritant l’arche d’alliance dans le Saint des saints, le lieu où habite le Très Haut. Un repas se déroule sous la présidence du père de famille, au milieu du cercle familial ; en revanche, dans toutes les religions, c’est un liturge désigné à cet effet qui accomplit le sacrifice, et cela dans ou devant un sanctuaire (qui peut-être aussi un arbre sacré) Le liturge est séparé de la foule et se tient devant elle, devant l’autel, tourné vers la divinité. De tout temps les hommes qui offraient un sacrifice se sont tournés vers celui auquel ce sacrifice était destiné et non pas vers les participants à la cérémonie »  » (p. 53)

 

Et la conclusion de notre auteur est drastique : « Seuls l’élimination de la table du repas et le retour à la célébration au maître autel pourront amener un revirement dans la conception de la messe et de l’Eucharistie, à savoir la messe comprise comme acte d’adoration et de vénération de Dieu, comme acte d’action de grâces pour les bienfaits, pour notre salut et notre vocation au royaume céleste, et comme représentation mystique du sacrifice de la croix du Seigneur »(p. 54) « Cela n’exclut pas que la liturgie de la parole soit célébrée non à l’autel mais au siège ou à l’ambon, comme elle l’était autrefois lors de la messe épiscopale. Mais les prières, elles, doivent toutes être dites vers l’Orient, c’est-à-dire vers l’image du Christ à l’abside et vers la croix sur l’autel » (p. 54)

 

Concluons, avec Mgr Gamber en disant : « Ce qui est décisif pour la place du prêtre à l’autel c’est le caractère sacrificiel de la messe. Le sacrificateur se tourne vers celui à qui le sacrifice est offert. C’est pourquoi il se tient devant l’autel « ad Dominum », vers le Seigneur. Or on le sait la messe est plus qu’une communauté de repas faisant mémoire de Jésus de Nazareth. L’important n’est pas la constitution d’une communauté et ce qu’elle vit – quoi que cela ne soit pas à être sous estimé – mais bien le culte rendu à Dieu. C’est Dieu qui doit toujours être le point de référence et non l’homme. D’où, dès l’origine, l’orientation de tous vers Lui et non un face à face entre le prêtre et l’assemblée ». (p. 59)

 

« Il nous faut en tirer la conséquence et reconnaître franchement que la célébration « versus populum » est une erreur. Car elle est en définitive orientation vers l’homme et non vers le Seigneur ».

Merveilleuse justification de la coutume immémoriale de l’Eglise. Célébrer les saints mystères tous « tournés vers le Seigneur »!

 

Section 4 : Conclusion.

 L’ attente du Seigneur ordonne et les fidèles et les prêtres, l’Eglise toute entière, vers l’ORIENT. Car d’une part, le Seigneur se présente dans l’Apocalypse comme « l’étoile brillante du matin » : « C’est moi qui suis le rejeton et le fils de David, l’étoile brillante du matin » (Ap 22 16). Fils de David, Il l’est. Ainsi le présenta à Marie, l’ange de l’Annonciation : « Voici que vous concevrez en votre sein et vous enfanterez un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera grand. On l’appellera le Fils du Très Haut, le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son Père » (Lc 1 30)

 

Il est aussi « l’étoile brillante du matin ». Il est donc à l’ORIENT. La lumière se lève à l’Orient. Il est même l’ORIENT : « O ORIENS  – O orient, splendeur de la lumière éternelle et soleil de justice. L’Orient, d’où naît la lumière,  symbolise le Christ Seigneur. Il est la lumière. Saint Jean, dans son prologue, est formel.

 

Mais, d’autre part, Il est Celui qui doit revenir dans la gloire à la fin des temps et son retour se fera, là encore, de l’ORIENT : « Car comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme » ( Mat 24 27)

Or, nous qui sommes dans cette attente fébrile de la venue de la Lumière, nous devons dans notre liturgie, pour qu’elle soit vraie, où nous exprimons cette attente vibrante, être tournés « ad Orientem » d’où naît la lumière, d’où jaillit la vie, d’où reviendra le Christ en gloire.

Que serait une assemblée qui se dirait dans l’attente de son maître et qui tournerait le dos à sa venue. Lorsque j’attends quelqu’un, je me dirige vers le lieu où il doit venir. C’est le plus élémentaire bon sens. Si je lui tourne le dos, n’exprimerais-je pas quelque mépris, quelque indifférence. Mon orientation toute tendue à l’accueil de celui qui doit venir exprime mon impatience, ma joie de recevoir celui que j’attends, celui qui doit venir.

 

Il est urgent de garder le symbolisme liturgique – de le reprendre, de le réapprendre – à savoir l’orientation de notre prière, l’orientation de nos autels « ad orientem », tous tournés vers le Seigneur, prêtres et fidèles, unis dans une même foi, dans une même espérance, dans une même charité en Celui qui est la lumière, notre vie.

 

Me permettrez-vous de vous rappeler l’enseignement du cardinal Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI. Nous qui, longtemps, fûmes considérés, faussement, comme des désobéissants au Pontife romain, nous voilà, de fait, devenus ses plus fermes artisans, le soutenant dans son désir de procéder à la réforme de la Réforme. En effet, notre souhait ardent de voir revivre dans l’Eglise, la bonne orientation de la prière, la bonne orientation de la célébration eucharistique, est en pleine conformité à la pensée de Benoît XVI. Il écrivait dans son livre « l’Esprit de la liturgie », dans son chapitre 3 de la deuxième partie : « l’autel et l’orientation de la prière : « La prière vers l’Orient est de tradition depuis l’origine du christianisme. Elle exprime la spécificité de la synthèse chrétienne qui intègre cosmos et histoire, passé et monde à venir dans la célébration du mystère du salut. Dans la prière vers l’orient nous exprimons donc notre fidélité au don reçu dans l’Incarnation et l’élan de notre marche vers le second avènement » (p 63)

 

Il écrivait encore dans la préface du livre de Mgr Gamber : « Tournés vers le Seigneur » ceci : « L’orientation de la prière commune aux prêtres et aux fidèles – dont la forme symbolique était généralement en direction de l’est, cad du soleil levant – était conçue comme un regard tourné vers le Seigneur, vers le soleil véritable. Il y a dans la liturgie une anticipation de son retour ; prêtres et fidèles vont à sa rencontre. Cette orientation de la prière exprime le caractère théocentrique de la liturgie ; elle obéit à la monition : «  tournons nous vers le Seigneur » et il conclut : « cet appel s’adresse à nous tous et montre, au-delà même de son aspect liturgique, comment il faut que toute l’Eglise vive et agisse pour correspondre à la mission du Seigneur » Il écrivait cela le 18 novembre 1992

 

N’oublions pas que la liturgie céleste est l’archétype de la liturgie terrestre, de la liturgie de l’Eglise Et en ce sens, la liturgie céleste et la liturgie terrestre ne font qu’un. Or dans l’Apocalypse, je vois que « survint un autre ange qui se plaça devant l’autel un encensoir d’or à la main. On lui remit quantité de parfums à offrir, avec les prières de tous les saints, devant l’autel d’or qui fait face au trône » (AP 8 3) « l’ange…devant l’autel d’or qui fait face au trône de Dieu ». Ainsi la conception selon laquelle l’autel d’ici bas était une image de l’autel céleste devant le trône de Dieu a toujours déterminé son agencement et sa position du prêtre devant Lui : l’ange à l’encensoir d’or se tient devant l’autel, devant le trône de Dieu.

Malheureusement une coutume contraire, depuis Vatican II, mais pas selon Vatican II qui n’a donné aucune prescription en ce sens, même tout le contraire – s’est installée dans l’Eglise où l’on voit la célébration eucharistique vers le peuple, « versus populum »

Et le cardinal Ratzinger dénonce cette coutume de célébrer l’Eucharistie versus populum. Il écrit, écoutez bien : « l’orientation « versus populum » est l’effet le plus visible d’une transformation qui ne touche pas seulement l’aménagement extérieur de l’espace liturgique, mais explique une conception nouvelle de l’essence de la liturgie : la célébration d’un repas en commun… Il n’y a pas d’autre explication au fait que le repas soit devenu l’idée normative de la célébration liturgique chrétienne. Alors dans cette perspective, on a pu voir se développer une « clérification » comme jamais il n’en a existé auparavant. Le prêtre – devenu l’animateur liturgique – est devenu le véritable point de référence de la célébration eucharistique. Tout se rapporte à lui. Il faut le regarder. C’est sa personnalité qui porte toute l’action. La position du prêtre tourné vers le peuple a fait de l’assemblée priante une assemblée refermée sur elle-même. Celle-ci n’est plus ouverte ni vers le monde à venir ni vers le ciel. .La prière en commun, prêtres et fidèles vers l’est signifiait une marche commune, une procession vers le Seigneur, une marche vers l’orient…ensemble vers le Christ qui vient à notre rencontre. »

 

Le cardinal Ratzinger dit même : « l’orientation commune  vers l’est pendant le canon demeure essentielle ». C’est à la page 69 de son livre : « l’esprit de la liturgie ». « Il ne s’agit pas d’un élément accidentel de la liturgie. L’important n’est pas de regarder le prêtre mais de tourner un regard commun vers le Seigneur. Il n’est plus question ici – lors du canon –  de dialogue mais d’une commune adoration, de notre marche vers Celui qui vient ».

Et c’est pourquoi on comprend que Mgr Gamber, le maître de Ratzinger en matière liturgique, puisse lui aussi dire : « Personnellement, je tiens l’introduction des autels face au peuple et la célébration orientée vers ce dernier pour beaucoup plus graves et génératrices de problèmes pour l’évolution future que le nouveau missel. Car à la base de cette nouvelle position du prêtre par rapport à l’autel  – et il s’agit ici sans nul doute d’une innovation et non d’un retour à une pratique de l’Eglise primitive – il y a une conception nouvelle de la messe : celle qui en fait une « communauté de repas eucharistique » (p 2 de son livre « Tournés vers le Seigneur »)

 

Restons bien attacher à notre célébration vers l’Orient. Cette orientation est essentiel, du moins, durant la prière du Canon.

 

Revue-Item.com

 

 

partager cette page

bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark bookmark