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Entraide et Tradition

Méditation pour le temps de la Passion. L’hymne du Pange Lingua

publié dans couvent saint-paul le 31 mars 2021


Au TEMPS  DE  LA   PASSION

HYMNE

L’hymne des Matines

Pange,   lingua,

Pange,   lingua,   gloriosi   Lauream   certaminis,   Et  super  Crucis  tropheo,  Dic  triumphum  nobilem:  Qualiter  Redemptor   orbis   Immolatus  vicerit. 

Chante,  ma  langue  Les  lauriers  d’un  glorieux  combat;  Célèbre  le  noble  triomphe  Dont  la  croix  est  le  trophée,  Et  la  victoire  que  le  Rédempteur  du  monde  Remporta   en   s’immolant. 

Oh ! Que cette première strophe est riche d’enseignements sur le Mystère de la Rédemption. Cette Rédemption fut d’abord une « victoire »,  d’où le choix du mot de « lauriers » « gloriosi  Lauream certaminis ». Le « laurier » orne le front du guerrier, du vainqueur. Cela nous vient de la mythologie grecque  Le front du dieu Apollon en était orné.  Cette Rédemption fut donc un combat « gloriosi certamini » «  d’un glorieux combat ». Le Christ a mené ce combat et il en fut le « vainqueur ». Notre auteur utilise le mot latin « certamen ». « Certamen », c’est le combat, c’est même la lutte dans les jeux publics, c’est la lutte à main armée. C’est le conflit, c’est aussi le débat. Tous ces sens conviennent parfaitement pour parler du « combat » du Seigneur lors de sa Passion contre les Juifs. Cette Passion fut menée publiquement, depuis le jardin de Gethsémani. C’est toute une cohorte à la tête de laquelle se trouve Judas qui commença cette lutte. Son procès devant Anne puis devant Caïphe, puis Pilate, puis Hérode et enfin de nouveau Pilate…fut « public ». Toute cette procédure fut menée devant une foule souvent agressive et hurlante : « Crucifie le », hurle la foule excitée par le Sanhédrin.  (Voir le procès de Jésus-Christ)  Ces procès furent également un débat : «  es-tu le roi des juifs » demanda Pilate à Jésus, un faux débat, certes,  mais tout de même un débat…

Notre auteur nous dit que ce combat fut, non seulement un « glorieux  combat » mais aussi un «noble triomphe »  « triumphum nobilem » et il ajoute « par la croix », dont la «  croix  fut  le  trophée ».   Alors cela mérite une explication. Comment la Croix peut-elle être « le trophée d’une victoire » flamboyante qu’il faut non seulement  « chanter » mais aussi «  proclamer » : « Pange lingua gloriosi lauream certaminis » « Dic triumphum nobilem super Crucis trophaeo ».

Oui ! Vraiment, la croix, un trophée ? Est-ce possible. N’est-ce pas le contraire et donc s’illusionner ?

Car le trophée peut être la dépouille d’un ennemi vaincu, cuirasse ou armes. Ce peut-être aussi des prises de guerre destinées à attester ou à commémorer la victoire. C’est le butin. On parlera aussi d’un trophée de chasse, tête empaillée de l’animal abattu ; ce peut être une coupe, une médaille, ce sont les trophées du sportif vainqueur.  Quoi qu’il en soit le trophée c’est le signe, le témoignage d’une victoire, d’un triomphe.

Alors la « croix » serait-elle   le signe de la victoire ? Comment est-ce possible ? Comment cette « immolation » c’est ainsi qu’en parle notre auteur, serait-elle une victoire, un trophée ? C’est plutôt, à première vue, le signe d’une défaite,  d’une grande défaite. « Père ! Pourquoi m’avez-vous abandonné ». Les disciples d’Emmaüs le confesse tristement.

Alors comment comprendre ces affirmations  de notre auteur qui, dans cette première strophe, ne cesse de parler de « victoire », de « trophée » de « lauriers « de glorieux combat » .

Quoi !  Cette « immolation » du Christ serait une victoire ?

Si l’on  veut comprendre ce langage de la foi, il faut impérativement se souvenir  d’un texte fameux d’Isaïe, le dernier des poèmes du Serviteur souffrant d’Isaïe : Is 52 13-14 et 53 12. C’est la clé indispensable pour une intelligence théologique de la Passion du Christ, comme victoire sur le mal. C’est de ce texte que nous avons absolument besoin pour la compréhension de la Passion du Christ. Ce Serviteur souffrant est celui qui est chargé de conduire jusqu’à son plein achèvement le plan salvifique de Dieu en offrant sa vie en sacrifice d’expiation pour réconcilier avec Dieu l’humanité pécheresse. Car cette iniquité reste, bien sûr, à expier. C’est une affaire de justice. Dans ce discours du Serviteur, il ne s’agit, de fait, que du péché. Il est clair que le Serviteur souffrant est l’innocence absolue. Il se substitue aux pécheurs et expie, par sa croix, et son immolation » et ses souffrances volontairement acceptées par obéissance,  les « péchés de beaucoup », i.e. des nations de la terre et inaugure, de ce fait, le salut final et rend effective la nouvelle alliance divine. Voilà la victoire finale. Voilà le « glorieux combat », « voilà le noble triomphe ». Voilà pourquoi la Croix, lieu de ses souffrances, est le  « trophée du Rédempteur du monde ».

Voilà pourquoi il faut avoir sous les yeux la prophétie du Serviteur Souffrant d’Isaïe pour comprendre ce triomphe du Rédempteur. Relisons-le !

« Voici que mon Serviteur prospérera ; il grandira, il sera exalté, souverainement élevé. De même que beaucoup ont été dans la stupeur en le voyant, — tant il était défiguré, son aspect n’étant plus celui d’un homme, ni son visage celui des enfants des hommes, — ainsi il fera tressaillir des nations nombreuses. Devant lui les rois fermeront la bouche ; car ils verront ce qui ne leur avait pas été raconté, et ils apprendront ce qu’ils n’avaient pas entendu. » (Is ch 52 13-15

« Qui a cru ce que nous avons entendu, et à qui le bras de Yahweh a-t-il été révélé ? Il s’est élevé devant lui comme un frêle arbrisseau ; comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée ; il n’avait ni forme ni beauté pour attirer nos regards, ni apparence pour exciter notre amour. Il était méprise et abandonné des hommes, homme de douleurs et familier de la souffrance, comme un objet devant lequel on se voile la face ; en butte au mépris, nous n’en faisions aucun cas. Vraiment c’était nos maladies qu’il portait, et nos douleurs dont il s’était chargé ; et nous, nous le regardions comme un puni, frappé de Dieu et humilié.

Mais lui, il a été transpercé à cause de nos péchés, broyé à cause de nos iniquités ; le châtiment qui nous donne la paix a été sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.

Nous étions tous errants comme des brebis, chacun de nous suivait sa propre voie ; et Yahweh a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous.

On le maltraite, et lui se soumet et n’ouvre pas la bouche, semblable à l’agneau qu’on mène à la tuerie, et à la brebis muette devant ceux qui la tondent ; il n’ouvre point la bouche. Il a été enlevé par l’oppression et le jugement, et, parmi ses contemporains, qui a pensé qu’il était retranché de la terre des vivants, que la plaie le frappait à cause des péchés de mon peuple ? On lui a donné son sépulcre avec les méchants, et dans sa mort il est avec le riche, alors qu’il n’a pas commis d’injustice, et qu’il n’y a pas de fraude dans sa bouche. Il a plu à Yahweh de le briser par la souffrance ; mais quand son âme aura offert le sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours, et le dessein de Yahweh prospérera dans ses mains. A cause des souffrances de son âme, il verra et se rassasiera. Par sa connaissance le juste, mon Serviteur, justifiera beaucoup d’hommes, et lui-même se chargera de leurs iniquités. C’est pourquoi je lui donnerai sa part parmi les grands ; il partagera le butin avec les forts. Parce qu’il a livré son âme à la mort et qu’il a été compté parmi les malfaiteurs ; et lui-même a porté la faute de beaucoup, et il intercédera pour les pécheurs ».( Is 53 1-12)

Cette prophétie semble avoir été écrite sous la Croix du Golgotha.  On peut y discerner trois parties : d’abord un préambule (53 13-15) puis  l’exposé du  mystère du Serviteur souffrant : Is  53 1-9 et enfin l’exaltation du Serviteur Souffrant,  contrepartie glorieuse de son martyre : Is 53 13-15. Ce qu’exprime parfaitement l’auteur du Pange Lingua.

Le préambule 52 13-15

C’est Dieu lui-même qui annonce pour son serviteur une réussite invraisemblable et totale, le succès complet de son Elu. Alors qu’en apparence, c’est l’échec total. Ce triomphe est annoncé pour faire accepter plus facilement le scandale des humiliations décrites par la suite : 53 1-9. . Nous devons comprendre que cette voie de l’épreuve si capitale qu’elle soit, n’est qu’une étape intermédiaire et non le terme du plan divin. Ce terme du plan divin,  c’est la victoire sur le mal, contrepartie victorieuse de l’humiliation volontaire du Serviteur. Cette victoire ! C’est une mort, c’est un sacrifice volontaire, c’est une immolation qu’il faut voir  comme étant un sacrifice expiatoire. Il est une « réparation ». Le serviteur innocent se substitue aux nations pécheresses. Ainsi on comprend tout au long de ces versets, la particulière générosité du Serviteur qui, librement, se solidarise lui-même avec la multitude pécheresse. Cette mort est une victoire car elle est suivie d’une résurrection : « il reverra la lumière ». Et de plus, cette mort est suivie également de la constitution d’une communauté messianique – une postérité du verset 10 que le serviteur instruira et justifiera – verset 11 – Il en suivra qu’on pourra le comparer aux plus grands conquérants de l’histoire, comme Cyrus – verset 12. Et cet empire du Serviteur sera d’ordre purement spirituel.  Notre oracle, enfin,  se termine par cette promesse : « il intercèdera pour les pécheurs ». Ainsi se trouve affirmé le rôle perpétuel du médiateur que le serviteur s’est acquis. Son crédit lui viendra de ce qu’il aura été une victime expiatoire pour les péchés de l’humanité.

Cette page est vraiment capitale pour l’intelligence du mystère de la Rédemption Aussi les fidèles auront-ils avantage de la lire et relire souvent pour s’imprégner  de son enseignement.

 

« De  parentis  protoplasti  Fraude  Factor condolens,  Quando  pomi  noxialis  In  песеm  morsu   ruit:  Ipse  lignum  tunc  notavit,  Damna  Ligni  ut  solveret ». 

« Dieu  compatit  au  malheur  Du   premier   homme   sorti   de   ses   mains. Dès  que,  mordant  à  la  pomme  funeste Adam  se  précipita  dans  la  mort,  Dieu  lui-même  désigna  l’arbre  nouveau  Pour   réparer   les   malheurs   causés   par   le   premier ».

Cette strophe contient encore  un magnifique enseignement : celui du péché originel et de ses conséquences. Je vais le commenter en m’inspirant de la pensée de saint Marie Grignon de Montfort qu’il nous donne sur ce mystère dans son magnifique ouvrage : « l’amour de la Sagesse éternelle »

Il commence tout d’abord par nous donner une magnifique description d’ A          dan dans son état d’innocence : «  Tout dans l’homme était lumineux sans ténèbres, beau sans laideur, pur sans souillure, réglé sans désordre et sans aucune tache ni imperfection. Il avait pour apanage la lumière de la Sagesse dans son esprit, par laquelle il connaissait parfaitement son Créateur et ses créatures. Il avait la grâce de Dieu dans son âme, par laquelle il était innocent et agréable aux yeux du Très-Haut. Il avait dans son corps l’immortalité. Il avait le pur amour de Dieu dans son cœur, sans crainte de la mort, par lequel il l’aimait continuellement, sans relâche, et purement, pour l’amour de lui-même. Enfin il était si divin, qu’il était continuellement hors de lui-même, transporté en Dieu, sans qu’il eût aucune passion à vaincre ni aucun ennemi à combattre.

O libéralité de la Sagesse éternelle envers l’homme! O heureux état de l’homme dans son innocence!

Mais malheur, trompé par le Démon, il désobéit au précepte divin : ‘tu ne mangeras pas du fruit de cet arbre ». La fameuse pomme. Voilà comment saint Grignon de Montfort présence ce drame : «  Mais, malheur des malheurs! Voilà ce vaisseau tout divin qui se brise en mille morceaux; voilà cette belle étoile qui tombe; voilà ce beau soleil qui est couvert de boue; voilà l’homme qui pèche, et qui, en péchant, perd sa sagesse, son innocence, sa beauté, son immortalité. Et enfin il perd tous les biens qu’il avait reçus, et est assailli d’une infinité de maux. Il a l’esprit tout hébété et ténébreux: il ne voit plus rien. Il a le cœur tout glacé pour Dieu: il ne l’aime plus. Il a l’âme toute noire de péchés: elle ressemble au démon. Il a des passions toutes déréglées: il n’en est plus le maître. Il n’a que la compagnie des démons, il en est devenu la demeure et l’esclave. Il est attaqué des créatures: elles lui font la guerre. Voilà l’homme en un instant devenu l’esclave des démons, l’objet de la colère de Dieu et la victime des enfers!

Il se paraît à lui-même si hideux que de honte il va se cacher. Il est maudit et condamné à la mort; il est chassé du paradis terrestre et il n’en a plus dans les cieux. Il doit mener, sans aucune espérance d’être heureux, une vie malheureuse sur la terre maudite. Il y doit mourir en criminel, et, après sa mort, être comme le diable, à jamais damné dans son corps et dans son âme, lui et tous ses enfants.

Tel est le malheur épouvantable où l’homme, en péchant, tomba; tel est l’arrêt équitable que la justice de Dieu prononça contre lui ».

Tout cela est en pleine conformité avec l’enseignement de l’Eglise exprimé dans sa section 5 du Concile de Trente sur le péché originel.  L’Eglise, au Concile de Tente, a déclaré ce qui suit au sujet du péché originel : « Si quelqu’un ne confesse pas que le premier homme, Adam, après avoir transgressé le commandement de Dieu dans le paradis, a immédiatement perdu la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été établi et a encouru, par l’offense que constituait cette prévarication, la colère et l’indignation de Dieu et, par suite, la mort dont il avait été auparavant menacé par Dieu, et avec la mort la captivité sous le pouvoir de celui qui ensuite a eu l’empire de la mort, c’est-à-dire du diable ; et que par l’offense que constituait cette prévarication Adam tout entier dans son corps et dans son âme a été changé en un état pire : qu’il soit anathème ».

« Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam n’a nui qu’à lui seul et non à sa descendance, et qu’il a perdu la sainteté et la justice reçues de Dieu pour lui seul et non aussi pour nous, ou que, souillé par le péché de désobéissance, il n’a transmis que la mort et les punitions du corps à tout le genre humain, mais non pas le péché, qui est la mort de l’âme : qu’il soit anathème, puisqu’il est en contradiction avec l’Apôtre qui dit : Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort ; et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui ».

Et parce que le péché a une certaine infinité de malice parce qu’il se dresse contre une personne d’une dignité infinie, Dieu lui-même, selon l’adage « injuria est in injuriato » «  l’injure est dans la dignité de la personne injurié » il est clair qu’aucune créature humain, angélique n’était capable  de réparer l’injure infinie du péché originel, seule NSJC,  Homme-Dieu pouvait accomplir une telle œuvre réparatrice. C’est encore l’enseignement du Concile de Trente : « Si quelqu’un affirme que ce péché d’Adam – qui est un par son origine et, transmis par propagation héréditaire et non par imitation, est propre à chacun -, est enlevé par les forces de la nature humaine ou par un autre remède que le mérite de l’unique médiateur notre Seigneur Jésus Christ qui nous a réconciliés avec Dieu dans son sang, devenu pour nous justice, sanctification et rédemption ; ou s’il nie que ce mérite de Jésus Christ soit appliqué aussi bien aux adultes qu’aux enfants par le sacrement du baptême conféré selon la forme et l’usage de l’Eglise : qu’il soit anathème. Car il n’est pas d’autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes par lequel nous devons être sauvés. D’où cette parole : Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde, et celle-ci : Vous tous qui avez été baptisés, vous avez revêtu le Christ ».

D’où le mystère de l’Incarnation. C’est ce que dit joliment Grignon de Montfort :

«  Adam, en cet état, est comme désespéré; il ne peut recevoir de remède ni des anges ni des autres créatures. Rien n’est capable de le réparer parce qu’il était trop beau et trop bien fait en sa création, et qu’il est, par son péché, trop hideux et trop souillé. Il se voit chassé du paradis et de la présence de Dieu, il voit la justice de Dieu qui le poursuit avec toute sa postérité; il voit le ciel fermé et l’enfer ouvert, et personne pour lui ouvrir l’un et fermer l’autre. »

Quel drame !

Mais la miséricorde divine intervient. C’est le sens de la première partie de la strophe du Pange Lingua : « De  parentis  protoplasti  Fraude  Factor condolens,  Quando  pomi  noxialis  In  песеm  morsu   ruit » « Dieu  compatit  au  malheur  Du   premier   homme   sorti   de   ses   mains. Dès  que,  mordant  à  la  pomme  funeste, Adam  se  précipita  dans  la  mort,  » 

Vous remarquerez au passage la merveilleuse  description du péché d’Adam ; « in necem morsu ruit » «  se jeter dans la mort en mordant au fruit fatal » ou encore : « Adam se précipita dans la mort en mordant à la pomme fatale ». Cette petite phrase est  une belle description, un beau résumé du péché originel tel que la Genèse nous le présente : Gen 3 1-24. C’est bien exact : la mort entra dans le monde par le péché. Saint Paul dit bien : « Stipendia peccat mors » « le salaire du péché c’est la mort ». Autrement dit, Adam s’est bien jeté dans la mort en mordant à la pomme funeste ». Tous les mots du Pange lingua sont justes.

Et je vous dis qu’à l’occasion de ce péché, éclate la miséricorde de Dieu.

C’est ce que dit l’auteur du Pinge Lingua, « Le Créateur eut compassion… » et Saint  Grignon de Montfort écrit, toujours dans le même texte : «  La Sagesse éternelle est vivement touchée du malheur du pauvre Adam et de tous ses descendants. Elle voit, avec un grand déplaisir, son vaisseau d’honneur brisé, son portrait déchiré, son chef-d’œuvre détruit, son vicaire sur la terre renversé. Elle prête tendrement l’oreille à sa voix gémissante et à ses cris. Elle voit avec compassion les sueurs de son front, les larmes de ses yeux, les peines de ses bras, la douleur de son cœur et l’affliction de son âme. Il me semble voir cette aimable Souveraine appeler et assembler une seconde fois, pour ainsi dire, la Sainte Trinité pour réparer l’homme, comme elle avait fait pour le former. Il me semble que, dans ce grand conseil, il se fait une espèce de combat entre la Sagesse éternelle et la Justice de Dieu. Il me semble que j’entends cette Sagesse qui, dans la cause de l’homme, dit qu’à la vérité l’homme mérite, par son péché, avec sa postérité, d’être à jamais damné avec les anges rebelles; mais qu’il faut avoir pitié de lui, parce qu’il a plus péché par faiblesse et par ignorance que par malice. Elle représente, d’un côté, que c’est un grand dommage qu’un chef- d’oeuvre si accompli demeure pour jamais l’esclave de son ennemi, et que des millions de millions d’hommes soient à jamais perdus par le péché d’un seul. Elle montre, de l’autre, les places du ciel vacantes par la chute des anges apostats, qu’il est à propos de remplir, et la grande gloire que Dieu recevra dans le temps et l’éternité si l’homme est sauvé.

Il me semble que j’entends la Justice qui répond que l’arrêt de mort et de damnation éternelle est porté contre l’homme et ses descendants, et qu’il doit être exécuté sans remise et sans miséricorde, ainsi que contre Lucifer et ses adhérents; que l’homme est un ingrat pour les bienfaits qu’il a reçus; qu’il a suivi le démon en sa désobéissance et en son orgueil, et qu’il le doit suivre dans ses châtiments, parce qu’il faut nécessairement que le péché soit puni.

La Sagesse éternelle, voyant qu’il n’y avait rien dans l’univers qui fût capable d’expier le péché de l’homme, de payer la justice et d’apaiser la colère de Dieu, et voulant cependant sauver le pauvre homme qu’elle aimait d’inclination, trouve un moyen admirable. Chose étonnante, amour incompréhensible qui va jusqu’à l’excès, cette aimable et souveraine Princesse s’offre elle- même en sacrifice à son Père pour payer sa justice, pour calmer sa colère et pour nous retirer de l’esclavage du démon et des flammes de l’enfer et nous mériter une éternité de bonheur ».

C’est ainsi que l’Incarnation fut décidée. Décidé aussi le mode de cette délivrance : par le bois de la Croix. Ainsi si le bois, l’arbre,  fut l’instrument de la perte d’Adam par la manducation du fruit de l’arbre, un autre bois portera le fruit de la Rédemption: Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. C’est ce que dit merveilleusement l’auteur du Pange lingua à la fin de cette deuxième strophe : « Ipse  lignum  tunc  notavit,  Damna  Ligni  ut  solveret ».  « Dieu  lui-même  désigna  l’arbre  nouveau  Pour   réparer   les   malheurs   causés   par   le   premier (bois).

C’est ainsi que l’on peut dire que l’œuvre de la  Rédemption est une revanche contre Satan : Dieu utilisant le même moyen – l’arbre – que Satan utilisa pour causer la damnation. Et non seulement l’arbre.  Mais aussi la femme. Si Eve fut au cœur de cette damnation, Marie fut au cœur, oh combien ! de la restauration. Elle fut au pied de la Croix, l’arbre de Vie. Elle est  la Nouvelle Eve,  l’immaculée qui donna naissance par son humilité  au Nouvel Adam, principe de la Vie éternelle. Elle est Co Rédemptrice.

C’est ce que dit expressément notre auteur dans la troisième strophe :

Hoc  opus  nostra  salutis  Ordo  depoposcerat ; Multiformis  proditoris  Ars  ut  artem  falleret,  Et   medelam   ferret   inde,   Hostis  unde  laeserat. 

Tel  fut  le  plan  divin  Dressé  pour  notre  salut,  Afin  que  la  sagesse  y   déjouât   La  ruse  de  notre  cauteleux  ennemi,  Et  que  le  remède  nous  arrivât  par  le  moyen  même  Qui  avait  servi  pour  nous  faire  la  blessure.

Il faut insister sur le verbe « deposco », is,ere, poposci. Il veut dire non seulement « demander », mais « demander avec instance, réclamer, revendiquer ». L’œuvre de notre salut réclamait cette Ordre : « Hoc opus nostra salutis Ordo depoposcerat », « Ordo » « ce stratagème »  pour « tromper » le démon : « falleret », mais plus que « tromper », pour « échapper », « être caché », « être invisible », « se dérober » pour échapper avec ruse à celui qui est la ruse même : « Multiformis proditoris ars ut artem falleret ». Dans quel but ? Dans le but de nous apporter le salut, usant du même stratagème dont l’ennemi s’était servi pour nous « blesser » «  Et   medelam   ferret   inde,   Hostis  unde  laeserat ». « Pour   que  le  remède  nous  arrivât  par  le  moyen  même  Qui  avait  servi  pour  nous  faire  la  blessure » : « laeserat » de « laedo ». Ce verbe est un bon choix pour définir le péché originel. C’est vraiment une « blessure ». Il nous a « endommagés », « abîmés », « blessés » par la perte, entre autres des dons préternaturels. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les effets qui ont suivi cette désobéissance d’Adam et d’Eve, à l’instigation de Satan. (Cf le Concile de Trente cité plus haut) ;

Quando  venit  ergo  sacri  Plenitudo  temporis,  Missus  est  ab  arce  Patria  Natus   orbis  Conditor;  Atque  ventre  virginali  Carne  amictus  prodiit. 

Quand fut donc arrivée la plénitude du temps sacré  «Celui  par  qui  le  monde  a  été  créé  Fut  envoyé  du  trône  de  son  Père,  Et  ayant  pris  chair  au  sein   d’une   Vierge, Il  parut  en  ce  monde. 

Voilà confessé par notre auteur le mystère de l’Incarnation Rédemptrice : ce plan divin, expression de la miséricorde de Dieu qui a pour but de « sauver tous les hommes » et qui n’est rien d’autre que le Christ Seigneur. . « Notre Sauveur Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un seul Dieu, un seul médiateur entre Dieu et les hommes : le Christ Jésus-Christ qui s’est donné lui-même en rançon pour tous » (I Tim 2 3-6) Quiconque donne de cœur son adhésion à cette révélation –le Christ- est purifié de ses péchés et se sauve de la perdition. C’est cette doctrine chrétienne que saint Paul et l’Eglise prêchent. C’est ce qu’il appelle « le mystère de la piété ». Voilà ce qu’il enseigne : « Dieu m’a confié parmi vous d’annoncer dans sa plénitude la parole de Dieu, à savoir : le mystère tenu caché aux siècles et aux générations mais qui vient d’être révélé à ses saints auxquels Dieu a daigné faire connaître quels étaient pour les gentils la richesse et la gloire de ce mystère qui n’est autre que le Christ en vous l’espérance de la gloire »  (Col 1 25-27) Il faut dire encore avec saint Paul que Dieu a fait connaître  le mystère de sa volonté, selon le dessein qu’il lui avait plu de former dans le Christ, pour le réaliser dans la plénitude des temps – cette expression est reprise par notre auteur de l’hymne – , à savoir de tout réunir dans le Christ (Eph 1 8-10). La sagesse divine a donc conçu le dessein de sauver tous les hommes et il a constitué tout un plan – cet ordo dont nous parle notre auteur – de réalisation et de promulgation de ce salut. C’est le mystère du Bon Vouloir divin et cette volonté divine ne s’est décidé que d’après son bon plaisir (Eph 1 9) Ce plan sauveur a été tu (Rm 16 25), caché aux siècles et aux générations passées. Il est par sa nature inconnaissable aux hommes aussi longtemps qu’il n’est pas manifesté (Eph 3 5) Parce que c’est un mystère, un secret, une connaissance réservé à Dieu seul. Ce n’est qu’à la plénitude des temps, à l’âge messianique que Dieu en a décrété l’exécution et la révélation (EP 1 10) ; ce plan a pour objet la vie éternelle. Et le Christ Jésus est au centre de ce dessein à tel enseigne que saint Paul identifie le mystère salvifique au Christ lui-même. Il s’agit  de la personne même du Seigneur, de son avènement sur la terre – C’est ce que confesse dans cette strophe notre auteur -, de son rôle salutaire. NSJC est sans aucun doute celui qui porte ce dessein divin, il le résume et le réalise. De fait si  Dieu veut sauver tous les hommes et les faire parvenir à la vie éternelle, c’est le Christ qui est le sauveur, l’unique médiateur de toute l’humanité, non pas seulement des Juifs mais des Gentils. C’est pourquoi il est vrai de dire que Dieu s’est proposé de « tout réunir dans le Christ » ( Eph 1 10).Le Christ est vraiment au cœur du plan de Dieu. Non seulement au cœur, mais même le cœur.

Si ce plan divin fut tout d’abord caché, ce silence fut interrompu, et maintenant,  à la plénitude des temps, Dieu, par bienveillance a voulu révéler son secret. Il a donné à cette divulgation la plus grande publicité possible ; il met en lumière (Eph 3 ç), annonce, manifeste (Col 1 26). Le secret divin est manifesté dans le monde,  annoncé par les anges, attesté aux païens, (les Mages),  cru dans l’univers entier (1 Tim 3 16).

C’est ce que dit notre auteur dans un langage merveilleusement poétique : « Quand fut donc arrivée la plénitude du temps sacré  «Celui  par  qui  le  monde  a  été  créé  Fut  envoyé  du  trône  de  son  Père,  Et  ayant  pris  chair  au  sein   d’une   Vierge, Il  parut  en  ce  monde ». « Atque ventre virginali Carne amictus prodiit ». « Prodiit » de prodo.  Les traductions sont vraiment trop faibles. Pour moi, je traduirais  volontiers : « du sein de la Vierge, il s’est manifesté revêtu de chair ». Le premier sens du verbe « prodo » est : se faire connaitre, dévoiler, révéler, signaler.  C’est cela précisément le mystère de l’Incarnation. Le fils, du trône de son Père s’est incarné, s’est manifesté dans la chair pour opérer notre salut.   

Et Dieu a choisi des hommes, les Apôtres, l’Eglise, pour communiquer au monde ce mystère. Dès lors l’Eglise n’a qu’une mission : celle d’annoncer le Mystère de l’Incarnation rédemptrice. Et l’on peut dire en toute vérité que cette Révélation est le couronnement du mystère, en ce sens que le Christ  et sa rédemption ne nous sauveraient pas s’ils n’étaient pas annoncés (Rm 10 14). Ainsi ce mystère qui n’était à l’origine qu’on propos divin a été mis en exécution, il acquiert une existence historique. Cette hymne de l’Eglise, ce Pange Lingua,  précisément l’annonce.

Désormais le mystère de la piété, c’est le dessein de Dieu parvenu au stade historique actuel. C’est ce que dit à sa façon notre hauteur dans l’ultime strophe :

« Vagit   infans   inter   arcta   Gonditus  prsesepia:  Membra  pannis  involuta  Virgo  mater  alligati  Et   Dei   manus   pedesque   Stricta  cingit  fascia.

Petit  enfant,  il  vagit  Couché  dans  une  pauvre  crèche,  La  Vierge,  sa   Mère   enveloppe   de   langes Ses  membres  délicats,  Et  des  bandelettes  étroites  serrent  Les  mains  et  les  pieds  d’un  Dieu »

Aussi peut-on dire que « le mystère de la piété », le mystère du salut, c’est le Christ en personne. Le plan salvifique de Dieu se réalise en le Christ, qui fut d’abord couché tendrement dans une crèche, enveloppé de linges, par la Vierge, sa Mère,  avant d’avoir ses membres cloués cruellement sur la Croix.

Voilà l’histoire de ce salut divin.

C’est tout cela le mystère du salut : il englobe et l’Incarnation et la Rédemption. C’est ce qui est merveilleusement compté par l’auteur du Pange Lingua.

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