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“Le débat sur l’immigration est quasiment impossible en France”

“Le débat sur l’immigration est quasiment impossible en France”

publié dans doctrine politique le 17 avril 2010


Michèle Tribalat “Le débat sur l’immigration est quasiment impossible en France”

dans Spectacle du Monde du mois  d’Avril 2010

Dans Les Yeux grands fermés, l’immigration en France, la démographe Michèle Tribalat dénonce le blocage du débat en France sur les questions ayant trait à l’immigration. Elle met en cause l’absence d’investigation des médias, qui ont tendance à occulter des réalités qui gênent les tenants de l’antiracisme idéologique.

Démographe et directrice de recherche à l’Ined, vous venez de publier Les Yeux grands fermés, l’immigration en France. Vous expliquez que le débat sur l’immigration est verrouillé dans notre pays. Comment expliquer ce phénomène ?

Le débat est difficile en raison d’une vigilance « antiraciste » qui traque tout débordement de langage et suspecte tout discours critique ou simplement circonspect sur l’immigration ou ses effets. Cette vigilance s’exerce aussi vis-à-vis des discours plus scientifiques. On attend des chercheurs qu’ils partent en mission pour rééduquer ceux qui pensent mal. Le succès du Front national, dans les années 1980, n’y est pas pour rien. Sa résurgence actuelle ne va rien arranger. Il faut s’en démarquer pour ne pas être soupçonné soi-même de quelque accointance secrète, voire inconsciente. Si bien qu’un point de vue sur l’immigration qui, sans prôner un arrêt des flux migratoires, souhaiterait voir ses flux mieux contrôlés ou ralentis, se voit fustigé au mieux pour ignorance, au pire pour mauvaise intention.

 

Est-ce spécifique à notre pays ?

A certains égards, non. Partout en Europe, le manque d’enthousiasme vis-à-vis de l’immigration est réprouvé par un courant de pensée que John Fonte a qualifié de progressisme transnational, favorable à une libéralisation des flux migratoires, lesquels devraient faire l’objet de décisions émanant d’une gouvernance globale dépassant l’intérêt étroit des Etats.

Ce qui est tout à fait particulier en France, c’est que les arguments des « mesurés » sont désavoués et considérés comme illégitimes, sans qu’on puisse débattre de leur véracité. Au Royaume-Uni, les sceptiques ont voix au chapitre et ne peuvent être réduits à un ramassis d’ignorants ou de racistes. C’est le cas d’un organisme comme Migration Watch UK qui est très actif et entendu. Sous la pression des lobbies anti-immigration de masse, comme Migration Watch, le Labour a dû admettre que le nombre global d’immigrants avait son importance. Vous avez aussi au Royaume-Uni un groupe transversal (Labour et Tories) intitulé « Cross Party Group on Balanced Migration ». Le débat est beaucoup plus ouvert et beaucoup moins manichéen qu’en France.

 

Vous écrivez que « les études d’impact de l’immigration sont rarissimes en France et, quand elles existent, restent inconnues ou ignorées, souvent même par les décideurs ». N’y a-t-il pas aussi une carence des médias, qui ne font pas leur travail d’information ?

Les médias ont généralement le souci de ne pas caresser dans le sens du poil une opinion publique dont ils craignent les excès et les débordements xénophobes. Comme la plupart des politiques, ils ont peur d’ouvrir la boîte de Pandore, selon la formule consacrée. On cherche donc plutôt à rassurer. Par exemple, un article du Monde du 5 novembre 2009 prétendait que les flux migratoires s’étaient stabilisés depuis 1982.

On peut aussi présenter les choses de telle manière que les immigrés ou leurs descendants apparaissent toujours comme victimes des événements. Le rapport « Immigration, qualifications et marché du travail », établi par le Centre d’analyse économique, rédigé par Gilles Saint-Paul, et remis à Eric Besson en juin 2009, n’a reçu l’attention d’aucun média français, contrairement à ce qui s’était passé au Royaume-Uni, l’année précédente, avec le rapport de la Chambre des lords sur l’impact économique de l’immigration. Les journalistes manquent, me semble-t-il, d’un minimum de formation statistique. J’ai le souvenir d’un journaliste, un seul, Guy Herzlich, qui travaillait au Monde, dont on avait l’impression qu’il connaissait parfaitement le sujet et qui pouvait discuter, en finesse, des données démographiques. Ce n’est plus le cas. Les médias sont donc peu intéressés par la fabrication des données statistiques. Ils prennent ce qui vient, sans aucun esprit critique, surtout si cela va avec l’air du temps.

 

Peut-on parler d’une « idéologie immigrationniste » et quels sont ses tenants et ses objectifs ?

C’est en tout cas comme cela que Pierre-André Taguieff a défini ce nouveau progressisme. Les migrations seraient inscrites dans le sens de l’histoire et donc appelées à se multiplier, et ce serait aux peuples et à leurs gouvernants de s’y plier, avec grâce si possible. Ces mouvements ne pourraient être que bénéfiques, une fois dépassées ce qu’on appelle « les externalités négatives ».

A long terme, donc, plus de problème, dans un monde où la liberté de s’installer, indépendamment des frontières, serait la règle, et le marché du travail mondial. L’idée est de ne pas laisser aux seuls Etats le soin de définir leur politique migratoire, mais d’y associer des ONG, des syndicats, des Eglises, etc., pour que les décisions prises au niveau mondial tiennent compte des intérêts de tous les pays, y compris des pays d’émigration.

C’est donc bien une nouvelle utopie postdémocratique qui fait chanter les lendemains et il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter si les bénéfices annoncés devaient tarder et ne pas se manifester de notre vivant. Les tenants objectifs de cette thèse sont multiples.

On y trouve des ONG qui en vivent, des organismes à vocation internationale, telles que les Nations unies, des entreprises qui sont assurées de disposer d’une main-d’œuvre bon marché, des consommateurs de produits et services à bas prix aussi. Par ailleurs, cette utopie n’engage à rien quand on a les moyens de vivre dans des beaux quartiers, préservés des joies de la mixité sociale et ethnique. Une classe sociale favorisée se voit ainsi en position de défendre des opprimés hors de nos frontières et demande aux Français moins dotés de faire preuve d’ouverture d’esprit et de se plier à une cohabitation dont elle est elle-même épargnée.

 

Depuis quand vous intéressezvous à ces questions et qu’avez vous écrit sur le sujet ?

Je travaille depuis plus trente ans sur la question de l’immigration et des populations d’origine étrangère. Je suis à l’origine de la définition de concepts entrés dans la pratique statistique courante : la distinction entre immigrés et étrangers ; l’utilisation de la filiation pour l’étude par génération et, notamment, le recours aux données de recensement sur le pays de naissance des jeunes et le pays de naissance et la nationalité de leurs parents, données qui m’ont permis, plus récemment d’étudier, avec Bernard Aubry, de l’Insee-Alsace, les concentrations et les voisinages. Cela n’a été possible que grâce à l’existence du fichier harmonisé des recensements (Saphir), mis au point par Bernard Aubry, qui offrait de merveilleuses possibilités. Je dis « qui offrait » car, malheureusement, Bernard Aubry est parti à la retraite et le fichier a été abandonné, au moins dans sa version initiale. J’ai estimé, à deux reprises, l’apport démographique de l’immigration et la population d’origine étrangère en France. J’ai conçu la première grande enquête aléatoire auprès des populations immigrées et d’origine étrangère : « Mobilité géographique et insertion sociale » (MGIS) ; réalisée en 1992, elle a donné lieu à de nombreuses publications dont on reprend bien imprudemment les résultats aujourd’hui pour décrire la situation actuelle. C’était la première fois que l’on avait une mesure des unions mixtes selon l’origine des parents. Mais c’était en 1992 et elle ne dit rien de la situation actuelle.

Vous avez écrit un livre avec Jeanne-Helène Kaltenbach, la République et l’islam : entre crainte et aveuglement (Gallimard, 2002). Quel était votre propos ?

Ce livre faisait suite à mon passage éclair au Haut Conseil à l’intégration (HCI) qui avait remis un rapport sur l’islam, lequel nous semblait complaisant. Nous avons donc travaillé d’arrache-pied pour nous faire une idée du problème que l’installation de l’islam en France posait à la République et à la société française. Il en est résulté une analyse de la situation qui contrastait avec l’eau tiède de ce rapport qui ne reflétait ni ce que nous avions pu observer lors de nos déplacements, ni ce qui avait pu sortir des quelques débats que nous avions eus dans le cadre du Haut Conseil à l’intégration.

 

Selon vous, que doit pouvoir faire l’Etat en France face à la complexité des phénomènes migratoires ?

Il doit doter la France d’outils adéquats pour mieux observer. Par exemple, en l’état actuel, aucune information n’est collectée régulièrement sur le niveau éducatif des migrants que nous accueillons. Ne pas chercher à s’aveugler, ne pas montrer de condescendance vis-à-vis des citoyens, ni chercher à les leurrer par crainte de leur manque de maturité ou d’une xénophobie rampante qui ne demanderait qu’à s’exprimer.

A lire Les Yeux grands fermés, l’immigration en France de Michèle Tribalat, Denoël, 300 pages, 19 €.

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