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L’identité de la France en question

L’identité de la France en question

publié dans doctrine politique le 25 mars 2010


L’identité de la France en question

Eric Zemmour : « La droite a perdu ses repères »
Fabrice Madouas
dans Dossier d’actualité  dans « Valeurs actuelles » du 25 mars 2010

Dans son livre “Mélancolie française”, Éric Zemmour retrace l’histoire de la France et prévient qu’en renonçant à l’“assimilation” notre pays court un grand risque.

De cette Mélancolie française on cite souvent, pour nourrir la polémique, le tout dernier chapitre, « La Chute de Rome ». Non sans raison, car Éric Zemmour, journaliste, écrivain, y défend l’idée – références historiques à l’appui – que la France d’aujourd’hui pourrait connaître le destin funeste de cette antique civilisation, incapable sur la fin d’“assimiler” des populations étrangères attachées à leurs coutumes. Il y montre aussi comment la cécité des élites romaines a précipité le déclin de cet empire qui domina le monde, comme la France le fit autrefois. « L’histoire se répète toujours deux fois, disait Marx : la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce. » Nos élites sauront-elles éviter à la France le sort que Zemmour lui promet, à regret ? La droite saura-t-elle renouer, après les élections régionales, avec le discours sur l’identité nationale qui fit le succès de Nicolas Sarkozy en 2007 ? Et, surtout, le mettra-t-elle en pratique ?

 

On aurait tort, cependant, de ne retenir de ce livre que la conclusion, en oubliant tout ce qui l’annonce. C’est ce que font ceux que Zemmour agace – ils sont nombreux – par ses formules lapidaires et son ironie mordante,qu’il exerce volontiers contre ceux que Philippe Muray nommait « les mutins (ou les matons) de Panurge » : de faux rebelles prompts à dénoncer les résurgences d’un “ordre moral”depuis longtemps aboli.

 

Certains lui reprochent aujourd’hui de tenir des propos incorrects sur l’immigration sans prendre le temps de l’entendre, ni de discuter ses analyses. Ce temps,que la télévision n’offre pas, nous l’avons pris. D’où l’entretien qui suit, sur l’actualité et sur son livre, complété par un article sur les travaux récents de deux experts : la démographe Michèle Tribalat et Jean-Paul Gourévitch.

 

ric Zemmour, quelles leçons tirez-vous des élections régionales ?

 

Le fait majeur, c’est l’abstention.Les gens se disent de nouveau : « Les politiques ne servent à rien…» La droite a tort de ne pas voir que c’est son électorat qui n’est pas allé voter. Elle a tort aussi d’ignorer la remontée du Front national.

Ses dirigeants ont beaucoup joué la carte “écolo”… C’est une erreur, car l’électeur préfère toujours l’original à la copie. Le vote écologiste est en voie de structuration.Trois formations se disputaient auparavant cet électorat urbain et “bobo” : le parti socialiste, les Verts et le MoDem. François Bayrou en avait une grosse part en 2007. Il ne reste que le PS et les Verts.

Et le vote FN ?

 

C’est assez simple : en 2007, Nicolas Sarkozy avait capté entre le tiers et la moitié des voix du Front national en mettant l’accent sur la sécurité et sur l’identité nationale. Il plaidait alors pour un retour à l’assimilation. Or la sécurité laisse à désirer, et il zigzague aujourd’hui entre assimilation et discrimination positive. Mais on ne peut pas avoir l’une et l’autre. La droite a pourtant tenu les deux discours.

 

Par opportunisme ?

 

Non. Je crois plutôt qu’il s’agit d’une perte totale de repères.

Il y a quand même eu le débat sur l’identité nationale… Qui n’a débouché sur rien. La gauche vous dira que la droite a fait remonter le FN en relançant ce débat.Moi, je crois que c’est l’inverse : c’est parce que la droite n’a pas osé aller au bout de ce débat que Le Pen remonte. C’est l’inconstance idéologique de la droite qui favorise le Front national. Nicolas Sarkozy n’a pas encore choisi sa ligne. Quand il évoque dans un livre, avant la présidentielle, la nécessaire discrétion des religions dans l’espace public, il a raison : c’est l’essence même de la laïcité ! C’est le modèle français. En revanche, quand il parle de discrimination positive et de quotas dans les grandes écoles, il se réfère à un autre modèle, le modèle américain, qui a sa cohérence mais qui précipite la désagrégation de la société française. Les thuriféraires du modèle anglosaxon ne disent jamais qu’aux États- Unis il n’y a presque pas de mariages mixtes. Ils nous disent : « L’Amérique, c’est magnifique ! Il y a des Noirs dans les séries télévisées. » Mais Blancs et Noirs ne vivent pas dans les mêmes quartiers et ne partagent pas le même lit ! En 1917, les soldats américains noirs étaient fascinés par la France : c’était le premier pays où on les traitait en êtres humains !

 

Quel est le modèle français ?

 

Je le décris dans mon livre. Nous avons toujours eu la nostalgie de l’Empire romain. Les “quarante rois qui ont fait la France” avaient pour ambition de forger une nouvelle Rome dans les limites de la Gaule romaine : la France telle qu’on la connaît, plus la rive gauche du Rhin, la Belgique et le nord de l’Italie (la Gaule cisalpine). « La mer et le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; ce sont nos sept collines », disait Michelet. Et, quoi qu’en pense la droite maurrassienne, Napoléon Ier a tenté de poursuivre ce projet. Le schéma millénaire français, c’est ça : reconstituer la Gaule romaine et les marches qui la protègent.

 

Il est quand même allé jusqu’en Russie !

 

C’est vrai. Napoléon s’est perdu, et la France avec, quand il s’est égaré ailleurs : en Russie, en Espagne aussi. Deux peuples, situés aux deux extrémités de l’Europe et qui sont liés par un destin commun, disait Soljenitsyne : sauver la civilisation chrétienne dans une lutte millénaire, l’un face aux Mongols, l’autre face à l’islam. Mais c’est surtout contre la volonté britannique que s’est finalement brisé ce destin impérial. L’Angleterre, puissance thalassocratique, ne pouvait pas admettre l’affirmation d’une puissance continentale qui contrôlait de surcroît les ports de la mer du Nord. C’est Carthage contre Rome, mais Carthage détruisant Rome. 1815 est la pire de nos défaites. L’affaiblissement de la France permet la naissance de l’Allemagne, qui reprend le flambeau de l’unification européenne des mains désormais débiles de la France vaincue à Waterloo. 1815 conduit à 1914, puis à 1940…

Cette référence impériale est inattendue. On a l’habitude d’opposer l’unité de la nation française à la diversité des empires, conglomérats de peuples aux coutumes diverses – d’où leur fragilité. D’abord, on voit aujourd’hui qu’il est possible de concilier les deux.La Chine et l’Inde, par exemple, sont des empires nationaux. Napoléon l’avait compris il y a deux siècles : il a désespérément tenté de hisser la France au niveau des nations-continents qui dominent désormais le monde.

 

Ensuite, Rome pratiquait l’assimilation des populations étrangères qu’elle incluait dans son empire.Les Gaulois ont adopté les moeurs et les coutumes de leurs vainqueurs.Nous avons assimilé les codes culturels de Rome. La France, à l’image de son modèle, a longtemps pratiqué une politique exigeante d’assimilation des étrangers installés sur son sol, parfois si rigoureuse que beaucoup ne l’ont pas acceptée et sont repartis dans leur pays : on l’oublie souvent,mais 60% des Italiens venus travailler en France sont retournés en Italie ! L’État était impérieux, à défaut d’être impérial.

 

Enfin, la France a toujours refusé que se constitue “un État dans l’État”(d’où, entre autres, la guerre menée par Richelieu contre les protestants désireux de s’ériger en puissance au sein du royaume), comme Rome a toujours refusé l’imperium in imperio.

 

Vous dites que la France a renoncé à ce projet assimilateur…

 

Oui. Depuis les années 1970, on a “déconstruit” le modèle français. La nation et le peuple ont été délégitimés.On a dévoyé l’analyse de Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue, qui disait qu’il fallait sauvegarder toutes les cultures. C’est vrai, mais Lévi-Strauss n’a jamais dit qu’il fallait les sauvegarder toutes sur un même sol… À la fin de sa vie, il était d’ailleurs consterné qu’on ait ainsi détourné son oeuvre. Ce rejet de l’assimilation coïncide avec des flux migratoires très importants.

 

Qui s’expliquaient par une démographie défaillante…

 

En partie seulement. La France a longtemps été “la Chine de l’Europe” : le pays le plus peuplé du continent.Mais la démographie s’effondre après 1815, sans que nous renoncions à notre suprématie dans ce domaine. D’où la colonisation puis le recours à l’immigration, qui explique notre dynamisme démographique.

Parallèlement, le capitalisme, soucieux de retrouver des marges érodées par la social-démocratie, favorise une immigration continue pour faire pression à la baisse sur les salaires.

Je pense, enfin, que nos élites méprisent le peuple et la nation pour deux raisons : d’abord, parce que le peuple ne veut plus faire la révolution (d’où le remplacement, à gauche, du prolétaire par l’immigré) ; ensuite, parce que les Français ne peuvent plus faire l’empire. Je crois sincèrement que nos élites n’ont pas renoncé à leur rêve impérial.D’où leur projet européen. Seulement,elles sacrifient la France à ce rêve impérial.Rappelez-vous ce que disait Drieu la Rochelle :« Que nous est une patrie si elle ne nous est pas une promesse d’empire ? »…

 

Comment voyez-vous la suite ?

 

Gibbon, le grand historien, nous a appris que la décadence de Rome s’est inscrite dans son impuissance croissante à assimiler les populations barbares.Rome, ayant renoncé à l’assimilation,a dû se résoudre à la dissolution de son empire. Des territoires ont fait sécession.Au IVe siècle,les violences,les pillages se sont multipliés.

Vous croyez que l’histoire se répète ? N’êtes-vous pas trop pessimiste ? Après tout, la France a déjà traversé bien des crises dont elle s’est relevée. Des crises, et des guerres civiles.

 

Il est vrai que le système de protection sociale dont bénéficient les habitants de ce pays permet de retarder l’échéance.

 

Mais la participation des Français au débat sur l’identité nationale prouve qu’ils restent attachés à l’idée de nation.

 

Je crois en effet qu’il y a, dans le peuple, beaucoup de gens qui défendent cette idée. Mais ils ne sont pas audibles. La chape de plomb médiatique les étouffe.

Dans votre livre, vous citez Jean-Claude Michéa qui parle d’“ateliers sémantiques chargés d’imposer au grand public, à travers le contrôle des médias, l’usage des mots les plus conformes aux besoins des classes dirigeantes”. Vous croyez vraiment à l’existence de ces “ateliers” ?

 

Je n’y ai pas cru pendant longtemps. Et puis on a découvert que des intellectuels travaillaient à la conception de slogans, en Mai 68,autour de Sartre et de Beauvoir… Mais ces ateliers, ce sont aussi les agences de communication qui diffusent des mots tels que “diversité”, “ métissage”, “accommodements raisonnables”… Ce sont les mots d’une guerre idéologique. Le métissage en soi, c’est très beau ! Ce sont des peaux qui s’attirent, des désirs qui se mêlent. Mais ces mots, auparavant innocents, ont désormais une charge idéologique si contraignante qu’ils virent à l’injonction.

D’autres mots sont utilisés pour vous disqualifier. Le débat public est devenu une machine à traquer le “dérapage”. La France était naguère le pays de Voltaire : « Je ne partage pas vos idées mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez les exprimer. » C’est désormais celui de Torquemada, avec les curés du “politiquement correct” qui crient “Sacrilège ! Sacrilège !” dès qu’on sort des clous qu’ils ont posés. On est passé d’un débat rationnel et argumenté à un débat émotionnel et moraliste : «Vous n’avez pas tort, mais vous dites le mal. » Qui n’est pas d’accord avec les canons du “politiquement correct” est menacé d’interdit professionnel. C’est du maccarthysme.

Propos recueillis par Fabrice Madouas

Revue-Item.com

 

 

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