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L’esprit de Mgr Lefebvre

L’esprit de Mgr Lefebvre

publié dans 40ème anniversaire sacerdotal le 11 mai 2011


Dès 1973, vous êtes nommé sous-directeur au séminaire d’Ecône…Vous avez l’occasion de côtoyer Mgr Lefebvre et vous pouvez mesurer de près les intuitions qui font de cet évêque, prétendu rétrograde, un pasteur en avance sur les exigences spirituelles de son temps. Pouvez-vous nous dire quels étaient les thèmes favoris de Mgr Lefebvre à cette époque et comment se caractérisait son souci de la formation sacerdotale ?

Je suis effectivement arrivé à l’automne 1973 au séminaire avec la charge de l’enseignement en année de spiritualité et avec la fonction de vice-resteur….Ces années à Ecône m’ont apporté une grande familiarité avec la pensée de Mgr Lefebvre. L’œuvre de la FSPPX était encore très embryonnaire, informelle, même si ses statuts étaient déjà officiels et approuvés par l’Eglise. Au cours des conférences spirituelles, Mgr Lefebvre s’évertuait à donner l’intelligence de sa fondation ; il voulait communiquer aux séminaristes son esprit. Ses idées sur le sacerdoce étaient très classiques, inspirées, je pense, de l’Ecole française de spiritualité. Mgr Lefebvre insistait beaucoup sur la relation entre le sacerdoce et la sacrifice de la messe, entre le sacerdoce et la sainte Eucharistie et il tirait de cette relation toutes les vertus sacerdotales qu’il désirait nous transmettre.

Pourriez-nous préciser les implications concrètes d’une telle perspective spirituelle ? Que signifie ce lien entre le sacerdoce et le sacrifice de la messe dans la vie d’un jeune prêtre de cette Fraternité ?

Ce lien entre le sacerdoce et le sacrifice de la messe est essentiel, car c’est toute la vie du prêtre qui doit être « comme une sacrifice d’agréable odeur ». Nous tenons là sans doute la raison fondamentale pour laquelle notre fondateur n’a jamais voulu faire de la FSSPX une société religieuse définie par des vœux. Quant à lui, il tirait toute sa sagesse sacerdotale de la nature même du sacerdoce qu’il définissait dans sa relation au sacrifice de la croix, perpétué dans le sacrifice de la messe. Il devait préciser cela souvent car dans les jeunes têtes des séminaristes, voire même dans le corps professoral hétéroclite, des incertitudes, des incompréhensions se faisaient jour et le pédagogue qu’était Mgr Lefebvre s’efforçait de bien préciser sa pensée sur ce qu’il désirait faire. On lui reprochait des statuts qui n’auraient pas été suffisamment précis. Certains, parmi les professeurs, poussaient vers la vie religieuse, et une pression s’exerçait, du père Barielle par exemple, qui aurait souhaité vivement que Mgr Lefebvre fît de nous des religieux. Mais Mgr Lefebvre n’a jamais voulu y céder ou accéder à ces demandes instantes ; il ne voulait pas faire de ses prêtres des religieux. Son unique souci était le sacerdoce, sa restauration, le maintien des valeurs sacerdotales, comme la prière, le goût liturgique, la prédication, le zèle des âmes, de la mission, tout cela trouvant ses racines dans l’amour du sacrifice du Christ. D’où l’importance qu’il donnait à la formation liturgique et surtout à la vie liturgique.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de cet attachement si caractéristique de Mgr Lefebvre pour la liturgie ?

Mgr Lefebvre officiait avec une grande majesté et le respect des rubriques qu’il connaissait parfaitement. Au temps de ses études au Séminaire français, il avait été le grand cérémoniaire, chargé spécialement des cérémonies, de leur beauté, de leur conformité aux rubriques, i.e. aux règles précises qui en fixent le déroulement. Mais son goût liturgique n’était pas un goût « rubriciste » : on ne peut pas dire qu’il était attaché au décorum pour le décorum ; il était attaché à l’esprit de la liturgie catholique, parce qu’elle forme les âmes. Pour lui, la liturgie était l’acte par excellence du prêtre ; il transmettait aux séminaristes ce goût de la liturgie qui est, à mon avis, le grand trésor du peuple chrétien. Etant donné son aspect sensible et son déploiement extérieur, elle est parfaitement adaptée à tous les individus, si différents soient-ils, et il n’est pas nécessaire d’être un savant pour la goûter. C’est elle, par sa beauté, qui nourrit l’âme du peuple chrétien. Il nous faisait comprendre que la liturgie est l’enseignement vivant du dogme catholique et nul n’insistait plus que lui sur le fameux adage, rappelé par Pie XII dans son encyclique Médiator Dei : Lex orandi, Lex credendi, la loi de la prière est la loi de la foi. Pour lui, la liturgie était la vie chrétienne ou, si vous voulez, la vie christique, l’esprit même de Jésus-Christ. De la liturgie jaillissaient naturellement l’adoration, la contemplation, le respect de l’autre et la maîtrise de soi-même. La liturgie romaine, telle que nous l’a fait apprécié Mgr Lefebvre, devait être considéré comme l’antidote des temps modernes et c’est parce qu’elle était cela que l’esprit révolutionnaire, à l’œuvre au cœur de Concile, l’a détruite. La liturgie traditionnelle est très antirévolutionnaire par l’expression de la hiérarchie, de l’ordre, par le respect des choses saintes qu’elle inspire, par le peu de part laissé à la subjectivité. Il est vrai que la préoccupation oecuménique est pour beaucoup dans le rejet de la liturgie romaine, considérée comme trop catholique. Mais on peut penser que l’origine de cette révolution liturgique, c’est l’esprit « démocratiste » qui anime les rites nouveaux et qui anima de fait les réformateurs. L’esprit de la nouvelle liturgie, c’est l’égalitarisme, c’est la disparition des normes objectives parce que ce qui est objectif est l’ennemi de l’idéalisme contemporain, c’est l’exaltation de la liberté de chacun dans l’improvisation omniprésente.

Outre ses conférences spirituelles, Mgr Lefebvre assurait-il un cours particulier ?

Ce qui préoccupait Mgr Lefebvre dans ces années de formation, c’était de nous mettre en garde contre les erreurs modernes, dénoncées, principalement depuis le Syllabus(8 décembre 1864), par tous les papes qui se sont succédés. D’où certaines conférences spirituelles, d’où également le cours spécial qu’il instaura pour que les séminaristes connaissent ces grandes encycliques, Humanum Genus de Léon XIII sur la franc-maçonnerie, Pascendi dominici gregis de saint Pie X, sur le modernisme, Quas Primas de Pie XI sur le Christ-Roi. Ce cours, au début, il le donnait lui-même, manifestant ainsi l’importance qu’il y attachait. A Ecône aujourd’hui, les actes du magistère pontifical sont toujours au programme de la première année. Jeune professeur, cela m’avait impressionné. Cette innovation de Mgr Lefebvre est restée très présent dans mon esprit, à tel point que lorsque je dus présenter au cardinal Gagnon le clergé de la FSSPX, lors de sa visite canonique de 1988, alors que les prêtres du centre de la France se trouvaient réunis au prieuré de Dijon, je dis au cardinal : « Eminence, si vous vouliez qualifier les prêtres de notre Fraternité, dites-vous : ce sont « les hommes du Syllabus ». Nul doute que c’était le fruit de l’enseignement de Mgr Lefebvre et fasse le Ciel que nous lui soyons fidèles.

Monseigneur était le prédicateur de la royauté sociale de NSJC. Aujourd’hui, on fait de la foi catholique une affaire de conviction personnelle, on n’arrive plus à s’élever au niveau d’une vérité qui dépasse la subjectivité des personnes et c’est pour cela qu’on ne veut plus que Jésus-Christ soit honoré dans la société. Au lieu de s’opposer à cet état d’esprit, qui peut tuer la foi elle-même, la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse épouse l’attitude du monde et place la personne humaine au dessus de Dieu…La seule chose certaine, ce sont les droits de l’homme. En comparaison, pour nos contemporains, les droits de Dieu, que la foi nous enseigne, ne pèsent pas lourd. Le cardinal Etchégaray, un homme sympathique que j’ai connu au Séminaire français, a récemment déclaré cela presque mot pour mot.

Aussi la défense de la royauté sociale de NSJC n’était rien d’autre pour Mgr Lefebvre que le culte en esprit et en vérité dont parle Jésus à la Samaritaine. Comment peut-on dire que Jésus est la Vérité si l’on ne veut pas qu’Il règne sur la société ? La vérité de NSJC, c’est son sacrifice de la Croix. Combien de fois nous a-t-il cité saint Paul : « Je n’ai rein voulu connaître que Jésus-Christ et Jésus crucifié ». Il y avait ainsi d’une façon non systématique mais très réelle une parfaite unité dans sa doctrine, tout étant centré sur la Croix, sur la rédemption, car c’est de ce mystère que jaillit le sacerdoce, que jaillit la beauté liturgique, et que jaillit la société chrétienne elle-même.
Et l’esprit de la Fraternité me semble-t-il est centré sur ces grandes vérités ; qui y demeurera fidèle, demeurera fidèle à Mgr Lefebvre et à son apostolat.

Je vais maintenant vous poser une question u n peu naïve : considérez-vous qu’il existe une spiritualité particulière à la FSSPX ? On dit qu’il y a une spiritualité franciscaine, une spiritualité dominicaine, une spiritualité jésuite. Avez-vous, en tant que membre de la FSSPX, une spiritualité propre ?

Dans ses conférences, Mgr Lefebvre ne nous donnait pas une spiritualité de la FSSPX mais, séminaristes et professeurs, ce que nous aimions, c’était cet esprit de l’Eglise qu’il nous communiquait jour après jour . Nous n’avons pas de spiritualité propre à la Fraternité. La spiritualité de la Fraternité, si elle existe, c’est la spiritualité de l’Eglise, le dogme, la politique, la morale de l’Eglise. A la différence des capucins, des jésuites, des dominicains ou des bénédictins : la vie bénédictine c’est la liturgie au choeur, les jésuites, c’est la dévotion au pape, les dominicains c’est la doctrine thomiste…Osons le mot : la Fraternité c’est simplement le sacerdoce catholique, dans toute son amplitude, et religieuse et politique. Le prêtre, dans la pensée de Mgr Lefebvre, c’est l’homme du culte, c’est l’home de Dieu, mais c’est aussi l’homme de la cité, l’homme d’une pensée politique, au sens noble du terme. Cette vison des choses est symbolisée par le Mont Saint-Michel qui a pour point d’orgue, en son sommet, le Christ Roi. Ainsi le prêtre est à la fois un homme de contemplation et un homme public qui pense la cité catholique, qui insuffle les principes de la cité catholique auprès des fidèles. Voir dans le prêtre seulement l’home de la sacristie, c’était une notion étrangère à l’esprit de Mgr Lefebvre. Depuis deux siècles, la Révolution fait en sorte que le prêtre se contente de nager dans son bénitier ; Mgr Lefebvre à cet égard est le contre-révolutionnaire par excellence. Son expérience d’évêque missionnaire lui a montré le rôle que le prêtre devait jouer dans la société pour être vraiment prêtre. Que cela soit sa pensée profonde, j’en veux pour preuve la lettre 9 qu’il diffusa auprès des amis et bienfaiteurs, toutes centrée sur l’antilibéralisme.

Voilà ce que j’ai appris pendant ces trois années (1973-1976) auprès de Mgr Lefebvre au séminaire à Ecône et ce que je désire garder au plus haut point. J’y tiens comme à la prunelle de mes yeux ».

(extrait de mon livre « La tradition sans peur » p 79-86). A commander aux Editions Servir. 12 rue saint Joseph. Paris 2 ou au domicile de l’auteur, 29 av. de l’Europe 78200 Magnaville)

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