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Les Nouvelles de Chrétienté n°185 : l’année sacerdotale et le saint Curé d’Ars (3)

Les Nouvelles de Chrétienté n°185 : l’année sacerdotale et le saint Curé d’Ars (3)

publié dans nouvelles de chrétienté le 3 juillet 2009


Nous publions d’abord le texte intégral (A) du discours prononcé, le mercredi 24 juin 2009, par le pape Benoît XVI au cours de l’audience générale, place Saint-Pierre. Il est revenu sur le thème de l’année sacerdotale rappelant que le prêtre doit être un homme de vie intérieure. Nous le faisons suivre de la troisième partie de l’Encyclique de Jean XXIII sur le saint Curé (B)

(A) Le prêtre doit être une homme de vie intérieure. Précisément le but de cette année sacerdotale doit être de favoriser la tension de chaque prêtre « vers la perfection spirituelle de laquelle dépend en particulier l’efficacité de son ministère »,

Chers frères et sœurs,

Vendredi dernier, 19 juin, solennité du Sacré-Cœur de Jésus et journée traditionnellement consacrée à la prière et à la sanctification des prêtres, j’ai eu la joie d’inaugurer l’Année sacerdotale, décidée à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de la « naissance au ciel » du curé d’Ars, saint Jean Baptiste Marie Vianney. Et en entrant dans la basilique vaticane pour la célébration des vêpres, presque comme premier geste symbolique, je me suis arrêté dans la chapelle du Chœur pour vénérer la relique de ce saint pasteur d’âmes : son cœur. Pourquoi une Année sacerdotale ? Pourquoi précisément en souvenir du saint curé d’Ars, qui n’a apparemment rien accompli d’extraordinaire ?

La Providence divine a fait en sorte que sa figure soit rapprochée de celle de saint Paul. En effet, alors que se conclut l’Année paulinienne, consacrée à l’apôtre des nations, modèle extraordinaire d’évangélisateur qui a accompli plusieurs voyages missionnaires pour diffuser l’Evangile, cette nouvelle année jubilaire nous invite à nous tourner vers un pauvre agriculteur devenu un humble curé, qui a accompli son service pastoral dans un petit village. Si les deux saints diffèrent beaucoup dans les itinéraires de vie qui les ont caractérisés – l’un est allé de région en région pour annoncer l’Evangile, l’autre a accueilli des milliers et des milliers de fidèles en restant toujours dans sa petite paroisse -, il y a cependant quelque chose de fondamental qui les rassemble : il s’agit de leur identification totale avec leur ministère, leur communion avec le Christ qui faisait dire à saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Et saint Jean-Marie Vianney aimait répéter : « Si nous avions la foi, nous verrions Dieu caché dans le prêtre comme une lumière derrière la vitre, comme le vin mélangé à l’eau ». Le but de cette Année sacerdotale – comme je l’ai écrit dans la lettre envoyée aux prêtres à cette occasion – est donc de favoriser la tension de chaque prêtre « vers la perfection spirituelle de laquelle dépend en particulier l’efficacité de son ministère », et d’aider avant tout les prêtres, et avec eux tout le peuple de Dieu, à redécouvrir et à raviver la conscience de l’extraordinaire et indispensable don de Grâce que le ministère ordonné représente pour celui qui l’a reçu, pour l’Eglise entière et pour le monde, qui sans la présence réelle du Christ serait perdu.

Les conditions historiques et sociales dans lesquelles se trouva le curé d’Ars ont indéniablement changé et il est juste de se demander comment les prêtres peuvent l’imiter dans l’identification avec leur propre ministère dans les sociétés actuelles mondialisées. Dans un monde où la vision commune de la vie comprend toujours moins le sacré, à la place duquel « l’aspect fonctionnel » devient l’unique catégorie décisive, la conception catholique du sacerdoce pourrait risquer de perdre son caractère naturel, parfois même à l’intérieur de la conscience ecclésiale. Souvent, que ce soit dans les milieux théologiques, ou bien dans la pratique pastorale et de formation concrète du clergé, s’affrontent, et parfois s’opposent, deux conceptions différentes du sacerdoce. Je remarquais à ce propos il y a quelques années qu’il existe « d’une part, une conception socio-fonctionnelle qui définit l’essence du sacerdoce avec le concept de « service » : le service à la communauté, dans l’exercice d’une fonction… D’autre part, il y a la conception sacramentelle-ontologique, qui naturellement ne nie pas le caractère de service du sacerdoce, mais le voit cependant ancré à l’être du ministre et qui considère que cet être est déterminé par un don accordé par le Seigneur à travers la médiation de l’Eglise, dont le nom est sacrement » (J. Ratzinger, Ministero e vita del Sacerdote, in Elementi di Teologia fondamentale. Saggio su fede e ministero, Brescia 2005, p. 165). Le glissement terminologique du mot « sacerdoce » à ceux de « service, ministère, charge », est également un signe de cette conception différente. Ensuite, à la première, la conception ontologique-sacramentelle, est lié le primat de l’Eucharistie, dans le binôme «sacerdoce-sacrifice», alors qu’à la deuxième correspondrait le primat de la parole et du service de l’annonce.

A tout bien considérer, il ne s’agit pas de deux conceptions opposées, et la tension qui existe cependant entre elles doit être résolue de l’intérieur. Ainsi, le décret Presbyterorum ordinis du Concile Vatican II affirme : « En effet, l’annonce apostolique de l’Evangile convoque et rassemble le peuple de Dieu, afin que tous les membres de ce peuple… s’offrent eux-mêmes en « victime vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12, 1), et c’est précisément à travers le ministère des prêtres que le sacrifice spirituel des fidèles atteint sa perfection dans l’union au sacrifice du Christ, unique médiateur. En effet, ce sacrifice, accompli par les mains du prêtre et au nom de toute l’Eglise est offert dans l’Eucharistie « de manière non sanglante et sacramentelle, jusqu’à ce que vienne le Seigneur lui-même » (n. 2).

Nous nous demandons alors : «Que signifie précisément pour les prêtres évangéliser ? En quoi consiste ce que l’on appelle le primat de l’annonce ? ». Jésus parle de l’annonce du Royaume de Dieu comme du véritable but de sa venue dans le monde et son annonce n’est pas seulement un « discours ». Elle inclut dans le même temps son action elle-même : les signes et les miracles qu’il accomplit indiquent que le Royaume vient dans le monde comme réalité présente, qui coïncide en fin de compte avec sa propre personne. En ce sens, il faut rappeler que, dans le primat de l’annonce également, la parole et le signe sont inséparables. La prédication chrétienne ne proclame pas des « paroles », mais la Parole, et l’annonce coïncide avec la personne même du Christ, ontologiquement ouverte à la relation avec le Père et obéissant à sa volonté. Un service authentique à la Parole exige de la part du prêtre une profonde abnégation de soi, jusqu’à dire avec l’Apôtre : « Ce n’est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi ». Le prêtre ne peut pas se considérer comme «maître» de la parole, mais comme serviteur. Il n’est pas la parole mais, comme le proclamait Jean le Baptiste, dont nous célébrons précisément aujourd’hui la Nativité, il est la « voix » de la Parole : « Voix de celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers » (Mc 1, 3).

Or, être « voix » de la Parole, ne constitue pas pour le prêtre un simple aspect fonctionnel. Au contraire, cela présuppose une substantielle « perte de soi » dans le Christ, en participant à son mystère de mort et de résurrection avec tout son moi : intelligence, liberté, volonté et offrande de son propre corps, comme sacrifice vivant (cf. Rm 12, 1-2). Seule la participation au sacrifice du Christ, à sa khènosi, rend l’annonce authentique ! Tel est le chemin qu’il doit parcourir avec le Christ pour parvenir à dire au Père avec Lui : que s’accomplisse « non ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mc 14, 36). L’annonce, alors, comporte toujours également le sacrifice de soi, condition pour que l’annonce soit authentique et efficace.

Alter Christus, le prêtre est profondément uni au Verbe du Père, qui en s’incarnant a pris la forme d’un serviteur, est devenu serviteur (cf. Ph 2, 5-11). Le prêtre est le serviteur du Christ, au sens que son existence, configurée à Lui de manière ontologique, assume un caractère essentiellement relationnel : il est en Christ, pour le Christ et avec le Christ au service des hommes. Précisément parce qu’il appartient au Christ, le prêtre est radicalement au service des hommes : il est ministre de leur salut, de leur bonheur, de leur libération authentique, mûrissant, dans cette assomption progressive de la volonté du Christ, dans la prière, dans le « cœur à cœur » avec Lui. Telle est alors la condition inaliénable de toute annonce, qui comporte la participation à l’offrande sacramentelle de l’Eucharistie et la docile obéissance à l’Eglise.

Le saint curé d’Ars répétait souvent avec les larmes aux yeux : « Comme il est effrayant d’être prêtre ! ». Et il ajoutait : « Comme c’est triste un prêtre qui célèbre la Messe comme un fait ordinaire ! Combien s’égare un prêtre qui n’a pas de vie intérieure ! ». Puisse l’Année sacerdotale conduire tous les prêtres à s’identifier totalement avec Jésus crucifié et ressuscité, pour que, à l’imitation de saint Jean Baptiste, ils soient prêts à « diminuer » pour qu’Il grandisse ; pour qu’en suivant l’exemple du curé d’Ars, ils ressentent de manière constante et profonde la responsabilité de leur mission, qui est le signe et la présence de la miséricorde infinie de Dieu. Confions à la Vierge, Mère de l’Eglise, l’Année sacerdotale qui vient de commencer et tous les prêtres du monde.

(B) L’encyclique de Jean XXIII, « Sacerdotii Nostri Primordia ». Troisième partie : son zèle apostolique.

III – ZELE PASTORAL

Le saint Curé d’Ars, modèle de zèle apostolique

40. Cette vie d’ascèse et de prière, dont Nous venons, Vénérables Frères, de vous dire la ferveur, livre au surplus le secret du zèle pastoral de saint Jean-Marie Vianney et de l’étonnante efficacité surnaturelle de son ministère.  » Que le prêtre cependant se souvienne, écrivait Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire Pie XII, que son ministère, si important, sera d’autant plus fécond qu’il sera lui-même plus étroitement uni au Christ et qu’il sera guidé dans l’action par l’esprit du Christ (65) « . La vie du Curé d’Ars vérifie une fois de plus cette grande loi de tout apostolat, fondée sur la parole même de Jésus :  » Sans moi, vous ne pouvez rien faire  » (Jn 15, 5).

41. Sans doute ne s’agit-il pas ici de rappeler l’admirable histoire de cet humble Curé de campagne, dont le confessionnal fut, trente années durant, assiégé par des foules si nombreuses que certains esprits forts de l’époque osèrent lui reprocher de  » troubler le XIXe siècle  » (66), ni de traiter avec opportunité de ses méthodes d’apostolat qui ne sont pas immédiatement applicables à l’apostolat contemporain. Et il Nous suffit de rappeler, sur ce point, que le saint Curé fut en son temps un modèle de zèle pastoral dans ce village de France où la foi et les moeurs se ressentaient encore des ébranlements de la Révolution.  » Il n’y a pas beaucoup d’amour de Dieu dans cette paroisse, vous y en mettrez « , lui avait-on dit en l’y envoyant. (67) Apôtre infatigable, plein d’initiatives pour gagner la jeunesse et sanctifier les foyers, attentif aux soucis humains de ses ouailles, proche de leur vie, se dépensant sans compter pour l’établissement des écoles chrétiennes et en faveur des missions paroissiales, il fut en vérité pour son petit troupeau le bon pasteur, qui connaît ses brebis, les garde du danger et les conduit avec autorité et sagesse. Ne se louait-il pas à son insu par cette apostrophe d’un de ses sermons :  » Un bon pasteur, un pasteur selon le coeur de Dieu : c’est là le plus grand trésor que le bon Dieu puisse accorder à une paroisse !  » (68) L’exemple du Curé d’Ars garde en vérité une valeur permanente et universelle sur trois points essentiels, qu’il Nous plaît, Vénérables Frères, de proposer ici à votre attention.

Sens aigu des responsabilités pastorales

42. Ce qui frappe tout d’abord, c’est le sens aigu qu’il avait de ses responsabilités pastorales. Son humilité et la connaissance surnaturelle qu’il avait du prix des âmes lui firent porter avec crainte sa charge de curé.  » Mon ami, confiait-il à un confrère, vous ne savez pas ce que c’est que de passer d’une cure au tribunal de Dieu !  » (69) Et l’on sait le désir qui le tourmenta longtemps de fuir en quelque lieu de retraite pour y  » pleurer sa pauvre vie « , et comment l’obéissance et le zèle des âmes le ramenèrent chaque fois à son poste.

43. Mais si, à certaines heures, il fut ainsi accablé par sa charge devenue exceptionnellement écrasante, c’est que précisément il avait de son devoir et de ses responsabilités de pasteur une conception héroïque.  » Mon Dieu, priait-il en ses premières années, accordez-moi la conversion de ma paroisse ; je consens à souffrir ce que vous voudrez tout le temps de ma vie !  » (70) Il obtint du ciel cette conversion. Mais il avouait plus tard :  » Quand je suis venu à Ars, si j’avais prévu les souffrances qui m’y attendaient, je serais mort d’appréhension sur le coup (71) « . À l’exemple des apôtres de tous les temps, il voyait dans la croix le grand moyen surnaturel de coopérer au salut des âmes qui lui étaient confiées. Pour elles, il souffrit sans se plaindre les calomnies, les incompréhensions, les contradictions ; pour elles, il accepta le véritable martyre physique et moral d’une présence presque ininterrompue au confessionnal chaque jour durant trente années ; pour elles, il lutta en athlète du Seigneur contre les puissances infernales ; pour elles, il mortifia son corps. Et l’on connaît sa réponse à ce confrère qui se plaignait du peu d’efficacité de son ministère :  » Vous avez prié, vous avez pleuré, vous avez gémi, vous avez soupiré. Mais avez-vous jeûné, avez-vous veillé, avez-vous couché sur la dure, vous êtes-vous donné la discipline ? Tant que vous n’en serez pas là, ne croyez pas avoir tout fait « . (72)

44. Nous Nous tournons vers tous les prêtres qui ont charge d’âmes et Nous les conjurons d’entendre ces véhémentes paroles ! Que chacun, selon la prudence surnaturelle qui doit toujours régler nos actions, apprécie sa propre conduite vis-à-vis du peuple confié à sa sollicitude pastorale. Sans jamais douter de la miséricorde divine qui vient en aide à notre faiblesse, qu’il considère à la lumière des exemples de saint Jean-Marie Vianney sa propre responsabilité.  » Ce qui est un grand malheur pour nous autres curés, déplorait le Saint, c’est que l’âme s’engourdit  » ; et il entendait par là une dangereuse accoutumance du pasteur à l’état de péché dans lequel vivent tant de ses ouailles. Ou encore, pour mieux se mettre à l’école du Curé d’Ars, qui  » était convaincu que pour faire du bien aux hommes, il fallait les aimer « , (73) que chacun s’interroge sur la charité qui l’anime à l’égard de ceux dont il a devant Dieu la charge et pour qui le Christ est mort !

45. Certes, la liberté des hommes ou certains événements indépendants de leur volonté peuvent parfois s’opposer aux efforts des plus grands saints. Mais le prêtre n’en garde pas moins le devoir de se rappeler que, selon les insondables desseins de la divine Providence, le sort de beaucoup d’âmes est lié à son zèle pastoral et à l’exemple de sa vie. Cette pensée n’est-elle pas de nature à provoquer chez les tièdes une salutaire inquiétude et à stimuler les plus fervents ?

Prédicateur et catéchiste infatigable

46.  » Toujours prêt à répondre aux besoins des âmes (74) « , saint Jean-Marie Vianney excella en vrai pasteur à leur procurer en abondance l’aliment primordial de la vérité religieuse. Il fut toute sa vie prédicateur et catéchiste. On sait le travail acharné et persévérant qu’il s’imposa pour bien remplir ce devoir de sa charge, le premier et le plus grand des devoirs, selon le Concile de Trente. Ses études, faites tardivement, furent laborieuses, et ses sermons lui coûtèrent au début bien des veilles. Mais quel exemple pour les ministres de la Parole de Dieu ! Certains s’autorisent volontiers de son peu d’instruction pour excuser leur manque de zèle dans les études. Mieux vaudrait imiter son courage à se rendre digne d’un si grand ministère, selon la mesure des dons qui lui avaient été départis ; ceux-ci d’ailleurs n’étaient pas si modestes qu’on se plaît parfois à dire, car  » il y avait dans son intelligence beaucoup de distinction et de clarté « . (75)

En tout cas, chaque prêtre a le devoir d’acquérir et d’entretenir les connaissances générales et la culture théologique proportionnées à ses aptitudes et à ses fonctions. Et plaise à Dieu que les pasteurs d’âmes fassent toujours autant que fit le Curé d’Ars pour développer les capacités de son intelligence et de sa mémoire, et pour puiser surtout aux lumières du plus savant livre qu’on puisse lire, la croix du Christ ! Son évêque disait de lui à certains de ses détracteurs :  » Je ne sais pas s’il est instruit, mais il est éclairé « . (76)

48. C’est avec grande raison que Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire, Pie XII, ne craignit pas de donner en modèle aux prédicateurs de la Ville Eternelle l’humble prêtre de campagne.  » Le saint Curé d’Ars n’avait certes pas le génie naturel d’un P. Segneri ou d’un Bossuet ; mais la conviction vive, claire, profonde, dont il était animé, vibrait dans sa parole, brillait dans ses yeux, suggérait à son imagination et à sa sensibilité des idées, des images, des comparaisons justes, appropriées, délicieuses qui auraient ravi un saint François de Sales. De tels prédicateurs conquièrent vraiment leur auditoire. Celui qui est rempli du Christ ne trouvera pas difficile de gagner les autres au Christ (77) « . Ces paroles décrivent à merveille le Curé d’Ars, catéchiste et prédicateur. Et quand, à la fin de sa vie, sa voix affaiblie ne parvenait plus à se faire entendre de tout l’auditoire, c’est encore par son regard de feu, par ses larmes, par ses cris d’amour de Dieu ou son expression de douleur à la seule pensée du péché, qu’il convertissait les fidèles accourus au pied de sa chaire. Comment, en effet, n’être pas saisi par le témoignage d’une vie aussi totalement livrée à l’amour du Christ ?

49. Jusqu’à sa mort, saint Jean-Marie Vianney fut ainsi fidèle à instruire son peuple et les pèlerins qui emplissaient son église, à dénoncer  » à temps et à contretemps  » (2 Tim 4, 2) le mal sous toutes ses formes, à soulever surtout les âmes vers Dieu, car  » il préférait montrer le côté attrayant de la vertu plus que la laideur du vice  » (78). Cet humble prêtre avait en effet compris à un rare degré la dignité et la grandeur du ministère de la Parole de Dieu :  » Notre-Seigneur qui est la Vérité même, disait-il, ne fait pas moins de cas de sa Parole que de son Corps « .

50. On comprend donc la joie de Nos Prédécesseurs d’offrir ce pasteur d’âmes en modèle aux prêtres, car il est d’une souveraine importance que le clergé soit partout et en tout temps fidèle à son devoir d’enseigner.  » Il importe, disait à ce propos saint Pie X, de mettre en relief et avec insistance ce point essentiel : un prêtre quel qu’il soit n’a pas de tâche plus importante et il n’est tenu par aucune obligation plus stricte (79) « . Cette objurgation, constamment renouvelée par tous et dont le Code de droit canonique se fait l’écho (80), Nous vous l’adressons à Notre tour, Vénérables Frères, en cette année centenaire du saint catéchiste et prédicateur d’Ars.

Nous encourageons les recherches faites avec prudence et sous votre contrôle en divers pays pour améliorer les conditions de l’enseignement religieux des jeunes et des adultes, sous ses différentes formes et compte tenu des différents milieux. Mais, pour utiles que soient de tels travaux, Dieu nous rappelle en ce centenaire du Curé d’Ars l’irrécusable puissance apostolique d’un prêtre qui, par sa propre vie autant que par ses paroles, rend témoignage au Christ crucifié  » non par les discours persuasifs de la sagesse, mais par une démonstration d’Esprit et de puissance  » (1 Co 2, 4).

Le vaillant apôtre du confessionnal

51. Il nous reste enfin à évoquer dans la vie de saint Jean-Marie Vianney cette forme du ministère pastoral qui lui fut ici-bas comme un long martyre et demeure à jamais attachée à sa gloire : l’administration du sacrement de pénitence, qui en reçut un singulier éclat et produisit les fruits les plus abondants et salutaires.  » Il passait en moyenne quinze heures au confessionnal chaque jour. Ce labeur quotidien commençait à 1 h. ou 2 h. du matin et ne finissait qu’à la nuit (81) « . Et quand il tomba d’épuisement, cinq jours avant sa mort, les derniers pénitents se pressèrent au chevet du moribond. Vers la fin de sa vie, estime-t-on, le nombre annuel des pèlerins avait atteint le chiffre de quatre-vingt mille. (82)

52. On a peine à imaginer les gênes, les incommodités, les souffrances physiques de ces interminables séances au confessionnal, pour un homme déjà épuisé par les jeûnes, les macérations, les infirmités, le manque de repos et de sommeil. Mais surtout, il en fut moralement comme écrasé de douleur. Écoutez sa plainte :  » On offense tant le bon Dieu, qu’on serait tenté de demander la fin du monde ! … Il faut venir à Ars pour savoir ce qu’est le péché… On ne sait qu’y faire : on ne peut que pleurer et prier « . Le Saint oubliait d’ajouter qu’il prenait aussi sur lui une part de l’expiation :  » Pour moi, confiait-il à qui lui demandait conseil, je leur donne une petite pénitence et je fais le reste à leur place « . (83)

53. En vérité, le Curé d’Ars ne vivait que pour les  » pauvres pécheurs « , comme il disait, dans l’espérance de les voir  » se convertir et pleurer « . Leur conversion était  » le but vers lequel convergeaient toutes ses pensées et l’œuvre pour laquelle il dépensait tout son temps et toutes ses forces  » (84). C’est qu’en effet il sait, par l’expérience du confessionnal, toute la malice du péché et ses effroyables ravages dans le monde des âmes ; il en a parlé en termes terribles :  » Si nous avions la foi et que nous vissions une âme en état de péché mortel, nous mourrions de frayeur !  » (85)

54. Mais l’acuité de sa peine et la véhémence de sa parole proviennent moins de la crainte des peines éternelles qui menacent le pécheur endurci que de l’émotion ressentie à la pensée de l’amour divin méconnu et offensé. Devant l’obstination du pécheur et son ingratitude envers un Dieu si bon, les larmes jaillissaient de ses yeux :  » Oh ! mon ami, disait-il, je pleure de ce que vous ne pleurez pas ! 86  » Mais, au contraire, avec quelle délicatesse et quelle ferveur ne fait-il pas renaître l’espérance dans les cœurs repentants. Inlassablement, il se fait auprès d’eux le ministre de la miséricorde divine, qui est, disait-il, puissante « comme un torrent débordé qui entraîne les coeurs sur son passage » 87 et plus empressée que la sollicitude d’une mère, car Dieu est « plus prompt à pardonner qu’une mère ne le serait à tirer son enfant du feu » (88).

55. À l’exemple du saint Curé d’Ars, les pasteurs d’âmes auront à coeur de se consacrer, avec compétence et dévouement, à ce ministère si grave, car c’est là que finalement la miséricorde divine triomphe de la malice des hommes et que le pécheur est réconcilié avec son Dieu.

Qu’on se souvienne également que Notre Prédécesseur Pie XII a condamné « en termes sévères » l’opinion erronée d’après laquelle il ne faudrait pas faire tant de cas de la confession fréquente des fautes vénielles : « Pour avancer avec une ardeur croissante dans le chemin de la vertu, Nous tenons à recommander vivement ce pieux usage de la confession fréquente, introduit par l’Église sous l’impulsion de l’Esprit- Saint ». (89) Enfin, Nous voulons avoir confiance que les ministres du Seigneur seront eux-mêmes les premiers fidèles, selon les prescriptions canoniques, (90) à la pratique régulière et fervente du sacrement de pénitence, si nécessaire à leur sanctification, et qu’ils tiendront le plus grand compte des pressantes objurgations que, plusieurs fois et le coeur serré, Pie XII tint à leur adresser à cet égard. (91)

CONCLUSION

56. Au terme de cette lettre, Vénérables Frères, Nous désirons vous dire Notre très douce espérance que, par la grâce de Dieu, ce centenaire de la mort du saint Curé d’Ars réveillera en tous les prêtres le désir d’accomplir plus généreusement leur ministère, et surtout ce  » premier devoir qui est de travailler à leur propre sanctification (92) « .

57. Quand, de ce faîte du suprême Pontificat où la Providence a voulu Nous placer, Nous considérons l’immense attente des âmes, les graves problèmes de l’évangélisation en tant de pays et les besoins religieux des populations chrétiennes, toujours et partout se présente devant Nos yeux l’image du prêtre. Sans lui, sans son action quotidienne, que deviendraient les initiatives les plus appropriées aux nécessités de l’heure ? Que feraient même les apôtres laïques les plus généreux ? C’est à ces prêtres tant aimés et sur qui se fondent tant d’espoirs de progrès dans l’Église, que Nous osons demander, au nom du Christ Jésus, l’entière fidélité aux exigences spirituelles de leur vocation sacerdotale. Ces sages paroles de saint Pie X rehaussent Notre appel :  » Pour faire régner Jésus-Christ dans le monde, rien n’est plus nécessaire qu’un clergé saint, qui soit, par l’exemple, la parole et la science, le guide des fidèles (93) « . Saint Jean-Marie Vianney disait semblablement à son évêque :  » Si vous voulez convertir votre diocèse, il faut faire des saints de tous vos curés « .

Différentes exhortations

58. À vous, Vénérables Frères, qui portez la responsabilité de la sanctification de vos prêtres, Nous vous recommandons de les aider dans les difficultés, parfois graves, de leur vie personnelle ou de leur ministère. Que ne peut faire un évêque qui aime ses prêtres et a gagné leur confiance, qui les connaît, les suit de près et les guide avec une autorité ferme et toujours paternelle ! Pasteur de tout le diocèse, soyez-le en premier lieu et avec une sollicitude toute particulière pour ces hommes qui collaborent si étroitement avec vous et auxquels vous unissent des liens si sacrés.

59. C’est aussi à tous les fidèles que Nous demandons, en cette année centenaire, de prier pour les prêtres et de contribuer, pour leur part, à leur sanctification. Aujourd’hui, les chrétiens fervents attendent beaucoup du prêtre. Ils veulent voir en lui, dans un monde où triomphent souvent la puissance de l’argent, la séduction des sens, le prestige de la technique, un témoin du Dieu invisible, un homme de foi, oublieux de lui-même et plein de charité. Qu’ils sachent bien, ces chrétiens, qu’ils peuvent beaucoup pour la fidélité de leurs prêtres à un tel idéal, par un respect religieux de leur caractère sacerdotal, une plus exacte compréhension de leur tâche pastorale et de ses difficultés, une plus active collaboration à leur apostolat.

60. Enfin, c’est vers la jeunesse chrétienne que Nous tournons un regard chargé d’affection et rempli d’espoir.  » La moisson est grande, mais les ouvriers sont peu nombreux  » (Mt 9, 37). En tant de régions, les apôtres, usés par le labeur, attendent avec un vif désir ceux qui assureront la relève ! Des peuples entiers souffrent d’une faim spirituelle plus grave encore que celle du corps ; qui leur portera la nourriture céleste de vérité et de vie ? Nous avons la ferme confiance que la jeunesse de ce siècle ne sera pas moins généreuse à répondre à l’appel du Maître que celle des temps passés.

Certes, la condition du prêtre est souvent difficile. Il n’est pas étonnant qu’il soit le premier en butte à la persécution des ennemis de l’Église, car, disait le Curé d’Ars,  » quand on veut détruire la religion, on commence par attaquer le prêtre « . Mais, malgré ces grandes difficultés, que nul ne doute du bonheur profond qui est le partage du prêtre fervent appelé par le Sauveur Jésus à collaborer à la plus sainte des oeuvres, celle de la rédemption des âmes et de la croissance du Corps mystique. Familles chrétiennes, pesez vos responsabilités et donnez vos fils avec joie et gratitude pour le service de l’Église.

Prière et bénédiction

61. Nous ne voulons pas développer ici cet appel, qui est aussi le vôtre, Vénérables Frères. Mais vous comprendrez, Nous en sommes sûr, et partagerez l’anxiété de Notre coeur et toute la puissance de conviction que Nous voudrions mettre en ces quelques paroles. C’est à saint Jean-Marie Vianney que Nous confions cette cause si grave et dont dépend l’avenir de tant de milliers d’âmes ! Vers la Vierge immaculée Nous tournons maintenant Nos regards. Peu avant que le Curé d’Ars n’achevât sa longue carrière pleine de mérites, elle était apparue dans une autre région de France à une enfant humble et pure pour lui communiquer un message de prière et de pénitence, dont on sait l’immense retentissement spirituel depuis un siècle.

En vérité, l’existence du saint prêtre dont Nous célébrons la mémoire, était à l’avance une vivante illustration des grandes vérités surnaturelles enseignées à la voyante de Massabielle ! Il avait lui-même pour l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge une très vive dévotion, lui qui, en 1836, avait consacré sa paroisse à Marie conçue sans péché et devait accueillir avec tant de foi et de joie la définition dogmatique de 1854. (94)

Aussi, Nous plaisons-Nous à unir dans Notre pensée et Notre gratitude envers Dieu ces deux centenaires, de Lourdes et d’Ars, qui se succèdent providentiellement et honorent grandement la nation si chère à Notre cœur, à qui appartiennent ces lieux si saints. Fidèle à tant de bienfaits obtenus et dans l’espérance de grâces nouvelles, Nous ferons Nôtre l’invocation mariale qui était familière au saint Curé d’Ars : « Bénie soit la Très Sainte et Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu ! Que toutes les nations glorifient, que toute la terre invoque et bénisse votre Cœur immaculé ! » (95)

62. Avec la vive espérance que ce centenaire de la mort de saint Jean-Marie Vianney pourra susciter, dans le monde entier, un renouveau de ferveur chez les prêtres et chez les jeunes appelés au sacerdoce, et aussi qu’il pourra susciter de la part de tous les fidèles une attention plus grande et plus agissante aux problèmes de la vie et du ministère des prêtres, Nous accordons de grand coeur à tous, et en premier lieu à vous,

Vénérables Frères, en gage des grâces célestes et de Notre bienveillance, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-Pierre,

le 31 juillet de l’année 1959,

la première de Notre Pontificat.

JEAN XXIII, PAPE.

NOTES

65) Pie XII, Exhortation apostolique Menti nostrae. AAS XLII (1950) 676.

66) Cf. Arch. secr. Vat., t. 227, p. 629.

67) Ibid. t. 227, p. 15.

68) Cf. Sermons du Bienheureux Jean-Baptiste-Marie Vianney, t. II (1909), p. 86.

69) Cf. Arch. secr. Vat., t. 227, p. 1210.

70) Ibid. t. 227, p. 53.

71) Ibid. t. 227, p. 991.

72) Cf. Arch. secr. Vat., t. 227, p. 53.

73) Ibid. t. 227, p. 1002.

74) Cf. Arch. secr. Vat., t. 227, p. 580.

75) Ibid. t. 3897, p. 444.

76) Ibid. t. 3897, p. 272.

77) Pie XII, Allocution Ci torna sempre aux curés et aux Prédicateurs de Carême de Rome, du 16 mars

1946. AAS XXXVIII (1946) 186.

78) Arch. secr. Vat., t. 227, p. 185. arsnet.org – S ’A 13

79) Pie X, Lettre encyclique Acerbo nimis, Acta Pii X, t. 11, p. 75.

80) Code de Droit Canon, cc. 1330-1332.

81) Arch. secr. Vat., t. 227, p. 18.

82) Ibid.

83) Ibid. t. 227, p. 1018.

84) Arch. secr. Vat., t. 227, p. 18.

85) Ibid. t. 227, p. 290.

86) Ibid. t. 227, p. 999.

87) Ibid. t. 227, p. 978.

88) Ibid. t. 3900, p. 1554.

89) Pie XII, Lettre encyclique Mystici Corporis du 29 juin 1943. AAS XXXV (1943) 235.

90) Code de Droit Canon, c. 125.

91) Cf. Pie XII, Lettre encyclique Mystici Corporis. AAS XXXV (1943) 235 ; Encyclique Mediator Dei du 20

novembre 1947. AAS XXXIX (1947) 585 ; Exhortation apostolique Menti nostrae. AAS XLII (1950) 674.

92) Pie XII, Exhortation apostolique Menti nostrae. AAS XLII (1950) 677.

93) Pie X, Lettre au Cardinal Respighi La ristorazione. Acta Pii X, t. 1, p. 257.

94) Arch. secr. Vat., t. 227, p. 90.

95) Arch. secr. Vat., t. 227, p. 1021.

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