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Benoît XVI se démet de ses fonctions, à partir du 28 février 2013

publié dans regards sur le monde le 11 février 2013


Dossier

Benoît XVI se démet de ses fonctions, à partir du 28 février 2013

 Le Pape l’a annoncé, en personne lundi matin 11 février 2013, en latin.

Ses déclarations en français

Je vous ai convoqués à ce Consistoire non seulement pour les trois canonisations, mais également pour vous communiquer une décision de grande importance pour la vie de l’Eglise. Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. Je suis bien conscient que ce ministère, de par son essence spirituelle, doit être accompli non seulement par les œuvres et par la parole, mais aussi, et pas moins, par la souffrance et par la prière. Cependant, dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de saint Pierre et annoncer l’Evangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien administrer le ministère qui m’a été confié. C’est pourquoi, bien conscient de la gravité de cet acte, en pleine liberté, je déclare renoncer au ministère d’Evêque de Rome, Successeur de saint Pierre, qui m’a été confié par les mains des cardinaux le 19 avril 2005, de telle sorte que, à partir du 28 février 2013 à vingt heures, le Siège de Rome, le Siège de saint Pierre, sera vacant et le conclave pour l’élection du nouveau Souverain Pontife devra être convoqué par ceux à qui il appartient de le faire.

Frères très chers, du fond du cœur je vous remercie pour tout l’amour et le travail avec lequel vous avez porté avec moi le poids de mon ministère et je demande pardon pour tous mes défauts. Maintenant, confions la Sainte Eglise de Dieu au soin de son Souverain Pasteur, Notre Seigneur Jésus-Christ, et implorons sa sainte Mère, Marie, afin qu’elle assiste de sa bonté maternelle les Pères Cardinaux dans l’élection du Souverain Pontife. Quant à moi, puissé-je servir de tout cœur, aussi dans l’avenir, la Sainte Eglise de Dieu par une vie consacrée à la prière.

Du Vatican, 10 février 2013

BENEDICTUS PP XV »

Radio Vatican – 2013-02-11 12:00:39

Sa déclaration originale en latin

Fratres carissimi

Non solum propter tres canonizationes ad hoc Consistorium vos convocavi, sed etiam ut vobis decisionem magni momenti pro Ecclesiae vitae communicem. Conscientia mea iterum atque iterum coram Deo explorata ad cognitionem certam perveni vires meas ingravescente aetate non iam aptas esse ad munus Petrinum aeque administrandum.

Bene conscius sum hoc munus secundum suam essentiam spiritualem non solum agendo et loquendo exsequi debere, sed non minus patiendo et orando. Attamen in mundo nostri temporis rapidis mutationibus subiecto et quaestionibus magni ponderis pro vita fidei perturbato ad navem Sancti Petri gubernandam et ad annuntiandum Evangelium etiam vigor quidam corporis et animae necessarius est, qui ultimis mensibus in me modo tali minuitur, ut incapacitatem meam ad ministerium mihi commissum bene administrandum agnoscere debeam. Quapropter bene conscius ponderis huius actus plena libertate declaro me ministerio Episcopi Romae, Successoris Sancti Petri, mihi per manus Cardinalium die 19 aprilis MMV commissum renuntiare ita ut a die 28 februarii MMXIII, hora 29, sedes Romae, sedes Sancti Petri vacet et Conclave ad eligendum novum Summum Pontificem ab his quibus competit convocandum esse.

Fratres carissimi, ex toto corde gratias ago vobis pro omni amore et labore, quo mecum pondus ministerii mei portastis et veniam peto pro omnibus defectibus meis. Nunc autem Sanctam Dei Ecclesiam curae Summi eius Pastoris, Domini nostri Iesu Christi confidimus sanctamque eius Matrem Mariam imploramus, ut patribus Cardinalibus in eligendo novo Summo Pontifice materna sua bonitate assistat. Quod ad me attinet etiam in futuro vita orationi dedicata Sanctae Ecclesiae Dei toto ex corde servire velim.

Ex Aedibus Vaticanis, die 10 mensis februarii MMXIII

BENEDICTUS PP XV

Communiqué de la Maison Générale de la FSSPX

La Fraternité Saint-Pie X a appris l’annonce soudaine de la démission du pape Benoît XVI, qui sera effective au soir du 28 février 2013. Malgré les divergences doctrinales manifestées encore à l’occasion des entretiens théologiques tenus entre 2009 et 2011, la Fraternité Saint-Pie X n’oublie pas que le Saint Père a eu le courage de rappeler que la messe traditionnelle n’avait jamais été abrogée, et de supprimer les effets des sanctions canoniques portées contre ses évêques, à la suite des sacres de 1988. Elle n’ignore pas l’opposition que ces décisions ont suscitée, obligeant le pape à se justifier devant les évêques du monde entier. Elle lui exprime sa gratitude pour la force et la constance dont il a fait preuve à son égard en des circonstances aussi difficiles, et l’assure de ses prières pour le temps qu’il souhaite désormais consacrer au recueillement. A la suite de son fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, la Fraternité Saint-Pie X réaffirme son attachement à la Rome éternelle, Mère et Maitresse de Vérité, et au Siège de Pierre. Elle redit son désir d’apporter sa contribution, selon ses moyens, à la grave crise qui secoue l’Eglise. Elle prie pour que, sous l’inspiration du Saint-Esprit, les cardinaux du prochain conclave élisent le pape qui, selon la volonté de Dieu, œuvrera à la restauration de toutes choses dans le Christ (Eph. 1,10).
Menzingen, le 11 février 2013, en la fête de Notre-Dame de Lourdes

 

SOURCE : DICI

 

Sur « Atlantico »:

La foudre sur le Vatican, un signe après la renonciation de  Benoît XVI

Alors que le pape a annoncé qu’il renonçait à ses  fonctions lundi, la foudre est tombée sur le Vatican dans la nuit.

Incroyable coïncidence

Publié le 12 février 2013

La foudre sur la basilique Saint-Pierre de Rome lundi soirLa foudre sur la basilique Saint-Pierre de Rome lundi  soir (11 février 2013)

Le cliché est étonnant. Dans  la soirée du lundi 11 février, la foudre s’est abattue sur la  basilique Saint-Pierre du Vatican et cela, quelques  heures après l’annonce de la démission du pape Benoît XVI. Un coup de colère  céleste, capturé par le photographe de l’AFP à Rome Filippo Monteforte. Certains  ont perçu cela comme un « signe divin ».

« J’ai eu un coup de chance total », raconte Filippo  Monteforte. « J’ai pris cette image sur la place Saint-Pierre, en m’abritant sous  les colonnes. Il faisait froid et il pleuvait à torrents. Quand l’orage a  commencé, je me suis dit que la foudre allait peut-être s’abattre sur le  paratonnerre de la basilique et j’ai fait le pari d’essayer de photographier cet  instant précis, en utilisant un objectif de 50 mm ». Il fallait tout de même un  sacré concours de circonstances pour y parvenir…

En savoir plus sur http://www.atlantico.fr/atlantico-light/foudre-vatican-signe-apres-renonciation-benoit-xvi-636934.html#xxVMjh6

 

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 L’ interview de Georg Ratzinger, son frère

Le 13 février 2013 – (E.S.M.) – Cette interview exclut totalement l’hypothèse que la décision de Benoît XVI ait été précipitée, et prise sous la pression des évènements.

« Je le savais, nous en avions parlé avec mon frère »

Le 13 février 2013 – E. S. M. – Le correspondant de La Repubblica en Allemagne s’est permis de téléphoner à Mgr Ratzinger, qu’il appelle – ce qui est plutôt beau – « Père Georg ». On imagine à quel point le pauvre a dû être harcelé par les journalistes, comme il l’avait été au moment de l’élection de son frère. Je ne veux pas insister sur la gentillesse, la magnanimité, la sagesse du vieux gentilhomme bavarois, répondant avec une bouleversante candeur aux questions du représentant d’une presse qui n’a pas hésité à le traîner dans la boue lors de l’émergence des cas de pédophilie en Allemagne (allant même jusqu’à éclabousser son honneur). La noblesse et la sérénité de ses propos parlent d’elles-mêmes, et il n’est pas impossible que le journaliste ait été impressionné. Ce que je veux faire ressortir ici, c’est que cette interview exclut totalement l’hypothèse que la décision de Benoît XVI ait été précipitée, et prise sous la pression des évènements. Je CROIS Mgr Georg, sa sincérité ne laisse pas de place au doute. Et je lui dis merci, car il nous aide à comprendre l’incompréhensible.
Le Père Georg Ratzinger: je voyais que désormais, ses forces ne lui suffisaient plus, ni la conviction pour aller de l’avant «Depuis des mois, je connaissais les doutes de mon frère»
Andrea Tarquini La Repubblica Berlin «Je le savais depuis un certain temps, nous en avions parlé, moi et mon frère le Saint Père. C’est un grand geste d’humilité chrétienne, il nous rappelle à tous combien nous sommes tous petits et mortels». Le Père Georg retient son émotion et sa nervosité, en parlant au téléphone.

– Père Georg, comment avez-vous réagi en apprenant la nouvelle? Avez-vous avez été surpris? – Non. Parce que je savais déjà avec certitude depuis quelque temps que ce choix allait arriver dans sa vie, et qu’il saurait l’affronter

– Vous le saviez, ou vous le présumiez. – Je le savais, et je l’ai présumé, entre autres motifs parce que je suis vieux moi aussi, et même j’ai sur les épaules une paire d’années de plus que lui.

– Et donc? – Et donc je connais bien cette sensation, parce que je la vis moi aussi comme un moment de passage et de changement. Je sens combien, passé un certain âge, vous sentez vos forces disparaître, vous abandonner petit à petit. C’est une sensation de retournement qui vous entre dans le corps, jour après jour, mois après mois. Le vieillissement, à un certain point, vous le ressentez comme une force qui vous change à l’intérieur, vous réduit jour après jour chacune de vos capacités, physiques ou spirituelles, qui vous avaient accompagné durant toute une vie et avaient mené votre quotidien. Nos savons que ce moment arrive, et pourtant, il nous place devant des défis et des choix.

– Comment jugez-vous le choix du Pape, vous, comme homme de foi, et en même temps comme frère? – Je le juge de façon objective, ou du moins, j’essaie. Je voyais depuis un certain temps que désormais, ses forces ne lui suffisaient plus, ni la conviction pour aller de l’avant. Elles n’étaient plus présentes en lui de manière suffisante pour continuer le magistère sur le Trône de Pierre. Au moins, pas avec l’énergie et le sens de responsabilité qu’il a toujours considérées comme justes, et nécessaires.

– C’est vrai, que son médecin lui avait déconseillé les voyages longs? – Oui, c’est vrai, son médecin personnel lui avait expressément dit que désormais, il devait éviter les vols transatlantiques, ou autres déplacements éloignés. Il ne le pouvait plus.

– C’est vrai, que votre frère a des difficultés à marcher? – Oui, depuis quelque temps, il doit aussi compter avec cela.

– Autrement dit, il a dû affronter une dramatique lutte avec lui-même? – Non, pas dramatique, il ne l’a pas vécu comme dramatique. Mais avec la conscience que le problème des forces qui s’en vont aurait augmenté petit à petit avec le temps.

– Pensez-vous que votre frère retournera en Bavière? – Non, il me semble qu’il veut rester à Rome. J’espère le voir bientôt, mais je compte le voir quand j’irai à Rome. Pour le moment, je n’ai pas encore de plan de voyage.

– Vous êtes admiratif, de son choix? – Cela a été une conclusion méritée, ce choix conscient. C’est aussi une façon de dire, comme chrétiens, que nous sommes tous de petits mortels. Espérons que s’imposera une nouvelle génération de religieux, capables d’affronter de nouveaus défis auxquels nous, plus vieux, nous ne trouvons plus toujours les réponses justes.

Sources : Traduction Benoit-et-moi E.S.M.

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  «Benoît XVI ne fuit pas devant les loups» 

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    Giovanni Maria Vian, directeur de l'Osservatore Romano. Giovanni Maria Vian, directeur de l’Osservatore Romano. Crédits photo : Benjamin Bechet / Odessa / Pictu/B.Bechet/Odessa/Le figaro

    INTERVIEW – En exclusivité pourLe Figaro, le directeur de l’Osservatore Romano, Giovanni Maria Vian, un laïc, professeur d’université nommé à ce poste par Benoît XVI, explique les raisons profondes qui ont poussé le Pape à donner sa démission.

    LE FIGARO.- Quand Benoît XVI a-t-il pris la décision de démissionner?

    Giovanni Maria VIAN. – En aucune manière le cardinal Joseph Ratzinger n’a cherché à se faire élire pape en 2005. Ce conclave fut l’un des plus brefs de l’histoire, sinon le plus court. Il a duré moins de vingt heures. Cela signifie que le conclave le plus nombreux de l’histoire a élu à une majorité des deux tiers, et peut-être plus, le Pape actuel. Cette rapidité indique que la volonté des cardinaux de le voir élu était limpide. Et celui qui devenait alors Benoît XVI contre son gré n’a d’ailleurs rien caché du choc qu’il a alors ressenti. Celui qui avait été pendant presque vingt-cinq ans en responsabilité d’un des postes les plus importants de la curie romaine, préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, il n’aspirait qu’à une chose – il avait alors 78 ans -, partir à la retraite… Il a dû se soumettre à la puissance de ce vote qu’il a interprété comme exprimant la volonté de Dieu.

     
     

    Cela n’explique pas pour autant sa démission?

    Le droit canonique prévoit le cas de la démission du pape. C’est une éventualité exceptionnellement pratiquée mais possible. Savez-vous qu’elle a été très sérieusement envisagée par Pie XII pour raison de guerre, par Jean XXIII et Jean-Paul II pour raison de santé mais aussi par Paul VI qui ne voulait pas encombrer l’Église avec sa vieillesse. Paul VI a prié intensément pour que Dieu lui donne la grâce de mourir en fonction et il est mort à l’improviste…

    Mais entre l’hypothèse d’une démission et l’acte de démission, il y a un pas, Benoît XVI l’a franchi, lui, pourquoi?

    Le poids de la charge est énorme. Personne ne peut mesurer ce que cela représente vraiment… Et si je viens de rappeler les circonstances de son élection, c’est parce qu’il est évident que Benoît XVI a pensé à la possibilité de démissionner dès le début de son pontificat.

    Dès son élection…

    Benoît XVI pense profondément que la vie de tout homme est gouvernée par Dieu et par son amour. S’il est appelé par Dieu, l’homme doit donc être attentif à la volonté du Seigneur. Son pontificat est comme arrivé à maturité. Sa durée, presque huit ans, est dans la moyenne des pontificats. Trois jours avant d’annoncer sa décision il a rencontré les séminaristes de Rome. Il a improvisé devant eux pendant une demi-heure pour leur dire notamment: l’Église ne cesse de mourir et de renaître. Sa démission doit donc se lire dans cette perspective.

    Cette démission ne serait-elle pas une forme de fuite après une année terrible au Vatican?

    Benoît XVI ne fuit pas devant les loups. Il ne s’échappe pas. Il ne descend pas non plus de la croix.

    Les loups? Qui sont-ils?

    Les loups sont partout. Il y en a dans le monde, à l’intérieur de l’Église et à l’intérieur de l’homme lui-même. C’est le péché. En plus, Benoît XVI n’a jamais voulu se mettre en évidence. À Sydney, lors de Journées mondiales de la jeunesse il avait été acclamé comme une star. Mais il était très réticent. Il a d’ailleurs répondu: «le pape n’est pas une rock star».

    Que voulez-vous dire en affirmant qu’il ne descend pas de la croix?

    Benoît XVI se perçoit plus comme Simon de Cyrène, celui qui est appelé pour aider à porter la croix que supporte le Christ. Il a déjà dit qu’il y a de «grand papes» et des «papes plus petits». Lui, ne s’identifie pas à l’image d’un grand pape. C’est un homme humble. Son départ n’est donc pas un abandon pour lui, mais une autre façon de continuer à remplir sa mission particulière. D’ailleurs en terme de croix, elles n’ont pas manqué au cours de ces huit années… Il faut donc relire ce qu’il a dit lundi 11 février. Je le résumerais ainsi: «j’aurais pu continuer à assumer cette charge mais pas à la façon dont je conçois le service de cette haute fonction».

    Mais quand a-t-il pris sa décision?

    En avril 2012, ou début mai, après le voyage au Mexique et à Cuba.

    A-t-il été influencé par l’affaire VatiLeaks?

    En aucune manière. Il a pris cette décision parce qu’il se sentait trop fatigué. Et s’il y a une chose que cet homme aimable et paisible n’accepte pas c’est de prendre une décision dictée par des pressions extérieures. Et puis l’affaire des prêtres pédophiles a été pour lui beaucoup plus lourde à supporter. Les deux affaires que vous mentionnez n’ont pas impressionné outre mesure celui qui connaît la curie de l’intérieur depuis plus de trente ans maintenant.

    Comment un tel secret a-t-il pu être gardé si longtemps?

    Très peu de personnes étaient informées: une poignée au début et moins d’une dizaine à la fin, avant l’annonce.

    A-t-il hésité à prendre cette décision?

    Un prélat ce matin me résumait effectivement ce sentiment avec une formule très juste: il parlait d’un «deuil blanc». Mais Benoît XVI connaît trop bien l’histoire de l’Église et la théologie pour savoir toute l’importance de ce geste qui est dans la ligne même d’une Église qui avance toujours en se réformant. Son geste est audacieux mais il montre aussi sa cohérence: il s’est toujours considéré au service, et pense qu’il ne faut pas s’attacher à une fonction. Il change simplement sa façon de servir et l’Église continue à avancer.

    Ce «conservateur» est-il, par ce geste, un «réformateur»?

    Il est vrai que Benoît XVI est d’une certaine manière le «dernier» pape du concile Vatican II, c’est-à-dire, l’ayant lui-même vécu. Mais une vision «politique» de la réforme évoquée par votre question ne serait pas la sienne. Pour lui l’essentiel de l’Église n’est pas dans sa structure mais dans le cœur des chrétiens. La seule réforme qui vaille donc est celle de la conversion. Si la réforme intérieure de chaque chrétien est authentique alors l’Église renaît en permanence et elle porte son fruit pour le monde.

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  •  « …impact négatif majeur… » du Luc Perrin, professeur d’histoire

     

    SOURCE – Luc Perrin – Le Forum Catholique – 12 février 2013


    […] ce que vous dîtes est correct mais ne retire rigoureusement rien à l’impact négatif majeur de cette démission sur la papauté.   Un pape qui, apparemment valide et ayant tous ses moyens – même diminués par l’âge et peut-être la maladie (mais dès lors pourquoi faire du Pompidou ? quand tant d’hommes et femmes politiques ont annoncé un cancer ou autre maladie potentiellement invalidante) – se retire ainsi, c’est son droit et nul ne le conteste, porte un coup au moins temporaire au ministère pétrinien.   Tous les observateurs de l’Église le disent et ils ne sont pas tous frappés d’une soudaine hallucination collective. Le geste de Benoît XVI est bien révolutionnaire car il accrédite – involontairement j’en suis bien conscient et même contre son intention affichée – l’idée que le pape est doté d’un mandat limité et qu’à terme, il faudra prévoir une maison de retraite des papes émérites …   Beaucoup ici ignorent que depuis des années et des années, des folliculaires théologiens ne cessent de promouvoir cette idée radicalement hérétique (protestante) et dramatiquement fausse que l’Église est une société humaine comme les autres, qu’elle devrait calquer son fonctionnement sur celui des démocraties occidentales et par conséquent substituer à la Révélation et au Credo, la souveraineté populaire et le mandat déterminé et le vote pour définir des « dogmes » variables dans le temps, au gré des majorités : c’était la grande idée d’Alfred Loisy.   Il va de soi, c’est aveuglant, que la décision de Benoît XVI donne un formidable encouragement à tous ces gens : il suffit d’écouter les radios et lire les media français, tous les intervenants vont dans ce sens.   Au fond, que les motivations du pape soient très nobles, très spirituelles, qu’elles soient justifiées par son état de santé réel peut-être très grave, tout cela ne change rien à l’objectivité des conséquences sur la papauté. Le nouveau pape élu aura fort à faire pour remonter la pente même si c’est un athlète et un grand spirituel. A supposer qu’il en ait la volonté.

    La pression morale ad intra et ad extra pour institutionaliser un papauté faible sera énorme à partir de mars 2013. Un peu comme au temps de Martin V à l’issue du Grand Schisme d’Occident et d’Eugène IV.  Les partisans du conciliarisme et les tenants de la primauté des Églises locales sur le centre romain sont à tous les micros et devant toutes les caméras … ce n’est qu’un début. Ces pressions s’exerceront au sein du conclave.   D’autant plus que l’image – fausse là encore, hélas – d’un Benoît XVI continuateur du cardinal Raztinger sur le trône de Saint Pierre et ayant échoué en tout, le dernier grand échec nous le connaissons, jette le discrédit sur la voie « ratzinguérienne » alors que Benoît XVI n’a pas osé emprunter cette voie en tant que pape. Hélas de mon point de vue. Renouveau resourcé de la liturgie (le NOM), redynamisation du sacerdoce par une refonte du corps épiscopal, réenracinement de l’enseignement théologique dans l’orthodoxie doctrinale, clarification sérieuse de l’interreligieux, TOUS les chantiers ouverts par le cardinal Ratzinger avant 2005, tous ont été laissés à l’abandon, pas même ouverts par le pape démissionnaire.
    • Le départ de Mgr Ranjith en 2009 marquait, je l’avais dit, le grand renoncement au chantier liturgique : cela s’est confirmé. S.P. est non une poire mais une myrtille pour la soif … on ne traverse pas le Sahara avec une myrtille en poche. Ou, si l’on préfère, on ne nettoie pas les écuries néo-liturgiques d’Augias avec un demi kleenex.
    • Le maintien d’Assise sans une catéchèse préalable, avec quelques menues retouches certes utiles, a confirmé le brouillard de l’interreligieux actuel qui ne sait pas trop où il va ni comment il est articulable avec l’essence missionnaire de l’Église.
    • L’activité de la CDF pour protéger les fidèles contre des penseurs déviants a été extrêmement faible en comparaison des règnes de Paul VI et Jean-Paul II : Benoît XVI a été sûrement le pape le plus timide dans ce domaine depuis Vatican II.
    • Aucune politique claire de nomination n’est apparue : ni parmi les cardinaux ni dans la Curie aussi disparate et tirant à hue et à dia qu’elle l’était sous Jean-Paul II ni dans l’épiscopat mondial (les choix heureux étant contrebalancés par la reconduction des candidats au profil 1960-1970).
    • Là encore, Benoît XVI est en retrait par rapport à la fin du règne de Paul VI et aux gros efforts de Jean-Paul II. Or le cardinal Ratzinger, bien inspiré, avait souligné que ce renouvellement était une clef majeure pour un renouveau ecclésial en zone déchristianisée.
    • les rares dossiers où une impulsion papale nette a été donnée sont aussi des échecs surtout par pusillanimité finale :
    a) la promotion de l’herméneutique de réforme dans la continuité s’est peu traduite dans les faits ni dans les institutions d’enseignement et de formation des clercs (cf. les raisons ci-dessus)
    b) Anglicanorum coetibus (2009) est un texte potentiellement majeur – avec quelques risques d’ailleurs – mais Rome a abandonné ensuite les candidats à l’unité aux lobbies oecuménistes et aux petitesses internes et à celles des épiscopats locaux : le résultat est maigrichon avec 3 minuscules Ordinariats et une grande occasion qui paraît manquée. Le retrait de la T.A.C. qui avait été en pointe dans le processus est un camouflet cinglant.
    c) enfin le recul final de mai-juin 2012 et l’abandon du dossier de la réconciliation avec la F.S.S.P.X et les traditionalistes séparés sont difficiles à comprendre : pourquoi tant d’efforts (2005, 2007 avec Summorum Pontificum, la tempête de 2009, les discussions de 2009-2011) pour aboutir à ce revirement de dernière minute sans plan B ?
    Là où, semble-t-il vu de l’extérieur, Benoît XVI s’est impliqué personnellement et a mis de la constance dans sa politique, ultimement c’est l’abandon en rase campagne. On peut se demander si, avec le Vatileaks et la zizanie curiale grandissante (conséquence indirecte des choix erratiques faits par le pape) , cet échec retentissant sur le dossier qu’il avait le plus porté n’a pas pesé dans la démission annoncée hier. Moralement au moins.   En dressant ce bilan, »sans concession » au sugar-coating clérical usuel, je mesure bien qu’il fera hurler les papolâtres inconditionnels en dépit de son caractère purement factuel et, à mon sens, parfaitement objectif.
    Je mesure aussi bien que le pape n’est pas un surhomme et c’est la noblesse de la décision de Benoît XVI d’en prendre acte pour lui-même. J’ai souligné à l’envie que l’Église ne se réduit pas au pape et que les fidèles ont une lourde responsabilité devant Dieu : peuple de Dieu, qu’as-tu fait de ton baptême ? pour paraphraser Jean-Paul II.   Il n’empêche, pour des raisons qui restent obscures aujourd’hui, Benoît XVI s’est de plus en plus éloigné des analyses et des remèdes mûrement énoncés par Joseph Ratzinger. Il a renoncé progressivement à donner les impulsions fortes requises par l’état de l’Église. Dans le grand débat qui va surgir dans l’Église, on ne saurait de ce fait écarter cette « voie ratzinguérienne » comme ayant échoué puisque, au final, le pontificat qui s’achève à la fin du mois ne l’a pas véritablement empruntée.
    Le conclave aura-t-il le courage de relever le défi ou bien s’abandonnera-t-il aux « délices » illusoires des compromis tous azimuts avec la modernité libérale, telle une pastorale de fin de vie, les soins palliatifs d’un christianisme occidental qui s’épuise ?   La surreprésentation cardinalice du catholicisme européen anémié et aveuglé, « fort » de ses ratages et de son insignifiance sociale grandissante, peut nourrir le pessimisme. Mais l’Esprit déjoue parfois les pesanteurs de la sociologie ecclésiale : prions pour cela en pensant que le frère Benoît, dans sa retraite prochaine, priera aussi pour cette intention.
je partage ce jugement qui n’est pas tendre. (PA)
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 « Tout un mois de prière et aussi de réflexion » , article de Jean Madiran

 

L’explosion médiatique d’une multitude de bavardages ne doit pas nous entraîner à croire, comme on nous le propose artificieusement, que la renonciation de Benoît XVI « soulève une multitude de questions sur les raisons de sa décision ».

Il faut, je crois, prendre dans sa simplicité directe et tranchante, quoique discrète, la raison qu’il donne de son départ : la situation d’une « vie de la foi » engloutie dans « le monde d’aujourd’hui » réclame de l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, une vigueur du corps et de l’esprit que l’« avancement de son âge » a diminuée chez lui « au cours des derniers mois ».

puce_carrePour cette raison, Benoît XVI vient d’accomplir un acte qui en contient deux : il quitte sa charge, mais aussi il allonge de 17 jours le délai minimum prévu pour la réunion du conclave qui choisira son successeur. Ce sage délai est d’au moins quinze jours après la vacance du siège apostolique : deux semaines de prières et de réflexion avant que les cardinaux enfin réunis entrent dans l’obligation de voter quatre fois par jour. La situation du monde et de l’Eglise exige ou du moins conseille, selon Benoît XVI, de porter à un mois entier le délai de réflexion et de prières.

puce_carreLe Pape qui, le 07.07.07, a pleinement rendu à la messe traditionnelle son droit de cité dans l’Eglise, le Pape qui a rétabli le principe d’interpréter le Concile à la lumière de la Tradition, et non l’inverse, le Pape qui a dénoncé l’apostasie silencieuse de l’exégèse actuellement dominante a rencontré l’opposition d’une grande partie de la catholicité, trop souvent conférences épiscopales en tête. Sans avoir à entrer dans le détail des contradictions doctrinales ou pastorales que des évêques, que des cardinaux lui ont publiquement manifestées d’une manière implicite ou même explicite, il suffit de s’arrêter à ce que tout le monde peut constater. Car tout le monde a pu constater que malgré son enseignement et son exemple, il n’a réussi ni à supprimer la communion dans la main, ni à retourner vers Dieu le célébrant de la forme « ordinaire » du rite romain, ni à faire cesser la suppression de tous les agenouillements. Il a rencontré dans l’Eglise la puissance perverse d’autorités anonymes et de leurs réseaux contraires à la structure hiérarchique de l’Eglise : le pape et les évêques, non pas les comités et les commissions. Il a pu mesurer combien ces autorités parallèles résistaient à la reconnaissance du droit de cité qu’il avait rendu à la messe traditionnelle. Et cette Eglise-là, cette Eglise qui se veut intellectuellement ingouvernable, est immergée dans un « monde d’aujourd’hui » où les nations qui furent chrétiennes rejettent Dieu et sa loi hors de la cité politique, tandis que les autres nations adorent un Dieu qui n’est pas la Sainte-Trinité.

Tout cela appelle, selon Benoît XVI, que soit renouvelée la vigueur physique et mentale, naturelle et surnaturelle, du ministère pétrinien. En effet !

puce_carreSur l’état de l’Eglise et sur l’état du monde, nous avons donc, avant l’ouverture du conclave, un mois de réflexion. Il se trouve qu’elle peut être alimentée par deux ouvrages qui viennent de paraître en même temps, deux ouvrages très différents de sujet et de contenu, et cependant très convergents. L’un, présenté par les Editions Clovis, c’est 670 pages, pas moins, d’une biographie détaillée, celle du P. Roger-Thomas Calmel (1914-1975), par le P. Jean-Dominique Fabre. L’autre, présenté par les Editions de l’Homme nouveau, s’intitule La révolution chrétienne, c’est le P. Michel Viot, venu « de Luther à Benoît XVI », qui répond aux questions de l’abbé Guillaume de Tanoüarn. Nous allons prendre le temps de les consulter.

JEAN MADIRAN

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Après la renonciation de Benoît XVI

Un autre pape qui continuera la transition commencée ?

Un entretien avec l’abbé Claude Barthe

 

— Comment un Pape « démissionne »-t-il ? Quels sont les exemples historiques et que dit le droit (canon 221 de l’ancien CIC-17, et canon 332 du CIC-83) ?

— Le pape, évêque de Rome, le devient par son acceptation de l’élection par l’Eglise de Rome, représentée par les cardinaux. Il peut inversement renoncer à sa charge comme l’indiquait l’ancien Code de Droit canonique et comme l’indique le nouveau. La plus célèbre, et à vrai dire la plus certaine des renonciations pontificales, est celle de Célestin V, au XIIIe siècle, qui s’estima incapable de gouverner au milieu des factions de la Ville, pape qui a d’ailleurs été canonisé après son décès. Il y eut aussi Grégoire XII, pape de Rome, au moment du Grand Schisme, qui a démissionné pour permettre au concile de Constance d’élire un pape incontestable, qui fut Martin V. Quelques autres cas plus anciens sont parfois évoqués, dont certains se discutent.

— Quelles en sont les raisons ? Le Pape a évoqué sa fatigue ; peut-on supposer qu’il n’a pas trouvé le soutien qu’il a représenté lui-même auprès de Jean-Paul II ?

— Benoît XVI a évoqué sa fatigue. On parle de l’état alarmant de son cœur. On peut dire aussi, en effet, qu’il n’a pas pu, pas su, pas voulu peut-être, trouver des soutiens forts pour l’exercice de sa charge. Sachant qu’il était un intellectuel de haute volée, mais pas un homme de gouvernement, il aurait pu solliciter le soutien d’un Secrétaire d’Etat dirigeant fermement la Curie, d’un homme de doctrine solide à l’ex-Saint-Office, de cardinaux chefs de dicastères qui eussent été de puissants « barons », comme au temps de Jean-Paul II, mais cette fois des barons ratzinguériens.

Il a donné l’impression d’hésiter en lui-même pour savoir ce qu’était la vraie « ligne Ratzinger », celle du théologien conciliaire qui avait participé à renverser la Curie de Pie XII, ou bien celle de l’auteur de L’Entretien sur la foi, qui durant près de 25 ans, comme Préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi, avait tenté d’encadrer le torrent du Concile et qui avait, on peut le dire, pensé intellectuellement le processus de restauration engagé par Jean-Paul II. Les nominations curiales de Benoît XVI ont été majoritairement, au moins du point de vue symbolique, dans la ligne de L’Entretien sur la foi (entre autres : Burke, Piacenza, Sarah, Cañizares, Ranjith, ce dernier restant à des milliers de kilomètres – Colombo – un homme de Curie). Mais il y a eu aussi des nominations faites pour ainsi dire par le premier Ratzinger : Hummes, durant un certain temps, à la Congrégation du Clergé, Müller, l’an passé, à l’ex-Saint-Office, Ravasi, surtout, un exégète semi-libéral.

Etait-ce tout le problème de ce pontificat qui s’achève comme un concert au milieu de la partition ? L’opposition au pape, diverse mais féroce, a constamment cherché à le pousser à la démission morale. Mais on a l’impression que c’est l’ensemble des « bons » qui, avec le pape, ont été intimidés, ankylosés. Que se serait-il passé si ces hommes nommés par lui, dont certains excellents, avaient exercé un pouvoir de substitution comme le firent sous Jean-Paul II, certes dans le désordre, les Sodano, Re, Sandri, qu’on peut estimer préjudiciables, ou comme les Medina, Castrillón, un vrai « fonceur », et aussi comme… le cardinal Ratzinger ? Pape âgé, ménageant ses forces au maximum, devenu quasi inaccessible (la plupart des chefs de dicastères n’avaient pas de conversations régulières avec lui), couvé par un entourage dominé par la très sympathique personnalité de Georg Gänswein, il était convenu que toutes les décisions sensibles à prendre devaient passer entre les mains de Benoît XVI. Et elles y restaient des mois et des mois.

N’y a-t-il pas, désormais, le risque d’une « fracture », entre partisans de l’ancien et du nouveau pape, si l’on peut dire. Et, plus philosophiquement, celui d’un relativisme, contre lequel Benoît XVI s’est si souvent élevé ?

Votre question suppose donc le cas où le futur pape ne serait pas dans la ligne de Benoît XVI, mais qu’il serait, non pas un progressiste, car il n’en existe pas parmi les papables, mais un « ratzinguérien de gauche », si on peut établir cette catégorie. Le plus probable, dans cette hypothèse, serait l’élection de Gianfranco Ravasi, 72 ans, Président du Conseil pour la Culture, sur le nom duquel pourraient se retrouver les voix de l’ensemble des personnages écartés de la Curie Jean-Paul II, les quelques vrais progressistes, et tous ceux qui, grosso modo, parmi les cardinaux électeurs ne se retrouvent pas dans la ligne restaurationniste qu’a représentée ce pontificat. La machine restaurationniste, si vous me permettez l’image, n’ayant pourtant fonctionné qu’à 10 % de ses capacités en matière de nominations, de liturgie, de défense de Summorum Pontificum. Quant à la répression des hérésies patentes et du schisme latent qu’elles entraînent…

Alors, en effet, on verrait non pas ressurgir, car il est toujours bien là, mais reprendre un certain nombre de postes de commande à tous les niveaux, un progressisme, qui est en réalité un libéralisme mortifère. Le soulagement qu’il manifeste depuis l’annonce de la renonciation montre qu’il pense que son heure est revenue. J’imagine un immense découragement, d’une part de ceux que l’on appelle les membres des forces vives (traditionalismes divers, communautés nouvelles, jeunes prêtres col romain, communautés religieuses qui recrutent, familles, mouvements de jeunesse, etc.), mais aussi un découragement des libéraux eux-mêmes, car leur retour en force ne ferait qu’accentuer la désertification des diocèses, des paroisses, des congrégations. Alors, le relativisme contre lequel s’est élevé Benoît XVI reprendrait ad intra tous ses droits. Ce qui provoquerait le risque d’une fracture dans l’Eglise, demandez-vous ? Non pas un risque, mais une salutaire fracture.

Heureusement, l’hypothèse qui sous-tend votre question n’est pas la seule.

Quelle serait l’autre hypothèse ?

L’autre hypothèse me semble la plus plausible : un restaurationniste devrait recueillir les deux tiers des voix du conclave. Mais cela dit fort peu de chose, car il y a bien des degrés dans cette appellation fourre-tout, qui va du cardinal Burke au cardinal Schönborn, archevêque de Vienne. En 2005, si le conclave s’était prolongé, le cardinal Ratzinger se serait désisté et deux hommes, assez différents humainement, mais semblablement consensuels, auraient pu émerger : le cardinal canadien Marc Ouellet, 69 ans, aujourd’hui préfet de la Congrégation des Evêques, et le cardinal Angelo Scola, 71 ans, archevêque de Milan. Il y a aussi aujourd’hui le cardinal Dolan, 63 ans, de même profil, archevêque à poigne de New York. Et si le conclave du mois prochain durait longtemps, pourquoi ne penserait-on pas à un cardinal de pays émergent, comme on dit, d’Asie par exemple ?… Je ne fais absolument aucun pronostic. Mais si j’étais cardinal – une « supposition impossible », comme celle de saint François de Sales ! –, et à supposer que des candidats dont je me sens très proche paraissent n’avoir plus de chances après les « primaires » des premiers tours, je voterais Scola pour bien des raisons raisonnables. La première est qu’il est Italien, et qu’il est somme toute normal que l’évêque de Rome soit Italien.

Si d’ailleurs Benoît XVI a le sentiment que la situation se délite (je ne parle pas de la question physique), n’est-il pas envisageable qu’il préfère que l’élection ait lieu maintenant, plutôt que plus tard ?

Vous avez parfaitement raison. D’autant qu’ainsi son ombre s’étendra nécessairement sur les congrégations de cardinaux qui vont précéder le conclave et sur le conclave lui-même, dans lequel entrera, non pas pour voter mais en tant que Préfet de la Maison Pontificale, Mgr Gänswein.

Que deviendra Benoît XVI ? Quel rang aura-t-il ?

Célestin V s’est retiré dans un ermitage. Sauf erreur, Grégoire XII est devenu cardinal-évêque. Benoît XVI, lui, va se retirer dans un couvent au cœur du Vatican, un peu comme Charles-Quint se retirant au monastère de Yuste en Espagne pour y mourir. A la différence près que Charles-Quint avait préparé sa succession. Le titre qui sera donné à l’ancien pape, les honneurs protocolaires qui lui seront rendus, seront réglés par le nouveau pape. La question se posera très spécialement lors du décès de Benoît XVI. Un pape qui meurt cesse à l’instant d’être pape, mais sa dépouille reçoit, en raison de la charge qu’il a exercée, des honneurs funèbres très particuliers. Il me semble qu’au jour de son décès Joseph Ratzinger aura pleinement droit à ces honneurs. Ce sera, à mon avis, sa dernière réapparition publique. A moins qu’il ne renonce aussi à ses funérailles pontificales. Ou qu’il demande une messe de Requiem en forme extraordinaire, la messe qu’il n’a pas dite comme pape…

— Quid du motu proprio Summorum Pontificum ? Peut-il être défait ? Et en quoi ce point (ou d’autres) s’imposera-t-il au prochain successeur de Pierre ?

L’élément principal du motu proprio, sur lequel reposent toutes ses dispositions, est cette constatation : « Il est donc permis de célébrer le sacrifice de la messe en suivant l’édition type du Missel romain promulgué par le bienheureux Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé ». Un participe passé (« abrogé ») nié par un adverbe de temps (« jamais » : à aucun moment). C’est tout, mais les conséquences sont colossales. Peut-on imaginer un pape disant : « Benoît XVI s’est trompé, car Paul VI avait bel et bien abrogé le missel antérieur » ? Cela ne se fait pas. Sauf que Benoît XVI l’a bien fait vis-à-vis de Paul VI. Peut-on imaginer un pape disant : « J’abroge, pour ma part, le missel antérieur à la réforme de Paul VI » ? Jusqu’à ce qu’un autre pape abroge l’abrogation en confirmant la non-abrogation ? Etc., etc.

La vraie question doctrinale est : cette messe est-elle substantiellement abrogeable ? Je n’ai pas besoin de vous donner ma réponse.

Il est clair qu’un pape hostile à Summorum Pontificum pourrait vouloir augmenter les conditions concernant la célébration des messes extraordinaires publiques. Ce ne serait d’ailleurs même pas nécessaire, tant et tant d’évêques mettant en œuvre contre la loi et contre son esprit une interprétation déjà très restrictive. Il suffirait que le pape les y encourage. Ou plus simplement encore qu’il continue à ne pas les décourager d’agir ainsi.

Mais le futur pape peut aussi amplifier Summorum Pontificum. Et, de toute façon, ses usagers de tous rangs doivent s’y employer, comme depuis la réforme de Paul VI ils se sont employés à faire vivre et prospérer l’antique liturgie romaine. Il y va de l’honneur rendu à Dieu et du salut des âmes.

— Quid des discussions et de l’avenir de la FSSPX ?

Aussi incroyable que cela paraisse, dans l’immédiat, il n’y a rien de changé. Je m’explique. Tout le monde sait désormais que la Commission Ecclesia Dei a adressé une lettre à Mgr Fellay le 8 janvier et qu’elle attend une réponse de lui pour le 22 février, jour de la fête de la Chaire de Saint-Pierre. De ce jour-là, 22 février, pourrait être datée l’érection de la Prélature Saint-Pie-X. Cela deviendrait la vraie conclusion du pontificat de Benoît XVI : la réhabilitation de Mgr Lefebvre. Vous imaginez quel coup de tonnerre et aussi, indirectement, quel poids dans l’orientation des événements de mars.

A une époque où, avec Paul VI et surtout Jean-Paul II, le ministère pétrinien comprend désormais une dimension de grand voyageur, apparemment difficile à remettre en cause, on peut comprendre la réaction d’un homme de 85 ans. Compte tenu de l’évolution du monde et des hommes, faut-il prévoir, ou envisager, une évolution du pape (comme la chose s’est faite pour l’âge limite des évêques) ? Bref, peut-on envisager une évolution non de ce qu’est le pape, mais de l’exercice de sa fonction ?

Les voyages ne font pas partie intrinsèque du ministère de l’évêque de Rome. Le cardinal Siri ne se gênait pas pour critiquer ouvertement Paul VI et Jean-Paul II sur ce point : il était même très drôle quand il mimait Jean-Paul II. Autrefois, le pape envoyait des légats. Mais les voyages du pape peuvent être fort utiles. Ceci dit, on peut envisager de nombreuses évolutions dans les formes concrètes de l’exercice de la fonction pontificale. Nous nous dirigeons à grande vitesse vers un retour moral de l’Eglise aux catacombes. Le pontificat de Benoît XVI a d’ailleurs entrevu ce catholicisme marginal mais vigoureux au sein d’une société toujours plus hostile. Le plus important est que le ministère d’unité de la foi soit exercé par le pape. Et qu’il confirme les évêques afin qu’ils exercent pleinement leur ministère sur le corps mystique. Et qu’eux-mêmes encouragent leurs collaborateurs, les prêtres, à être totalement des hommes ordonnés à l’eucharistie. Et que l’ensemble du peuple chrétien soit formé et formant, dans la mission, l’éducation, le témoignage, au critère de l’Evangile et du catéchisme.

Un dernier mot ?

Il me semble que le pontificat qui s’achève de cette manière qui nous laisse tous pantois, avait commencé une transition. Une transition qui semblait très lente et qui est bien loin d’être parvenue à son terme. Une symphonie inachevée. Je souhaite, pour ma part, un autre pape qui continue cette transition, ou au moins qui se laisse porter par elle. Je le souhaite avec une raison raisonnable, mais avec toute ma foi catholique. Nous savons, nous avons appris que la foi dans les promesses faites à l’Eglise suppose une longue patience.

Propos recueillis par la rédaction de “Présent”

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Jugement de Jérôme Bourbon.

Jérôme Bourbon – Rivarol] La renonciation de Benoît XVI

SOURCE – Jérôme Bourbon – Rivarol – 15 février 2013


Le  11 février,  à la surprise générale, Benoît XVI  a annoncé aux cardinaux lors d’un consistoire qu’il renonçait à occuper le siège de Pierre : « Après  avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu  à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont  plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. (…) Dans le  monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides changements et agité par des  questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque  de saint Pierre et annoncer l’Evangile, la vigueur du corps et de l’esprit  est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi  d’une telle manière que je dois reconnaître mon incapacité à bien  administrer le ministère qui m’a été confié. C’est pourquoi, bien  conscient de la gravité de cet acte, en pleine liberté, je déclare renoncer  au ministère d’Evêque de Rome, Successeur de saint Pierre, qui m’a été  confié par les mains des cardinaux le 19 avril  2005, de telle sorte que, à partir du 28 février  2013 à vingt heures, le Siège de Rome, le Siège de saint Pierre, sera vacant  et le conclave pour l’élection du nouveau Souverain Pontife devra être  convoqué par ceux à qui il appartient de le faire.»

UN UNANIMISME SOVIETOÏDEAussitôt  cette décision a été saluée unanimement. Par les media qui ont loué ce  geste témoignant d’une grande modernité. Par le monde politique, de la  gauche à la droite nationale. Par les dignitaires des diverses religions et  confessions, les organisations juives se montrant particulièrement élogieuses.  On retiendra notamment le communiqué du Congrès juif mondial, dithyrambique :  « Aucun pape avant lui n’avait visité autant de synagogues. Il a  rencontré des représentants de la communauté juive à chaque fois qu’il  s’est rendu à l’étranger. Aucun pape avant lui n’avait fait autant  d’efforts pour améliorer les relations avec les juifs, sur autant de niveaux. »  Le Conseil représentatif des institutions juives de France n’est pas en reste  (voir ci-dessous son communiqué), non plus que le grand rabbin d’Israël qui  se dit « reconnaissant envers le pape Benoît XVI pour tout ce qu’il a  fait pour renforcer les liens entre les religions et promouvoir la paix  interconfessionnelle » Il faut dire que Josef Ratzinger a maintes fois répété  que l’Ancienne Alliance n’a jamais été abrogée, que l’interprétation  juive de la Bible est parfaitement possible, qu’il a décoré moult rabbins,  reçu plusieurs fois au Vatican le B’naiB’rith (en 2006 et 2011), condamné  à maintes reprises le révisionnisme (sans jamais dénoncer les peines de  prison infligés en Occident aux chercheurs et historiens ne croyant pas en  l’“Holocauste”), visité nombre de synagogues de Rome à Cologne. On  s’explique ainsi aisément l’hommage universel qui lui est rendu.

LES RAISONS D’UN  DEPART
Reste  à s’interroger sur les raisons de cette renonciation. La raison officielle  est son état de santé. Il ne tiendrait pas à finir comme son prédécesseur  dont le délabrement et l’agonie très médiatisés se sont éternisés. Nous  ne savons évidemment rien des éventuels problèmes de santé de Benoît XVI  mais il ne semble pas en tout cas que ses capacités intellectuelles soient altérées  puisque deux jours avant cette annonce il méditait quasiment sans notes la  première épître de saint Pierre avec les séminaristes de Rome ! Ce qui  est sûr en revanche, c’est que cette décision contribue à désacraliser la  fonction qu’il affirme incarner. En 1964 Paul VI avait déjà déposé la  tiare, ce qui était un geste fort. Celui de Benoît XVI en ce mois de février  2013 est tout aussi significatif. De même que depuis Vatican II les curés et  les évêques doivent prendre leur retraite à 75 ans et que les cardinaux sont  privés de droit de vote à partir de 80 ans révolus, l’occupant du siège de  Pierre prend désormais sa retraite tel un vulgaire PDG ! Les conséquences  de cette décision seront innombrables : dès que son successeur tiendra  des propos controversés, dès qu’il vieillira, on l’incitera à démissionner.  A terme, au rythme où vont les choses, on pourrait même envisager des mandats  limités dans le temps comme cela se fait dans les démocraties pour les différents  élus, de la mairie à la présidence de la République. Ce serait pousser la  logique démocratique et la collégialité conciliaire à leur paroxysme.
Certains  observateurs pensent que cette subite renonciation pourrait être liée à  l’affaire VatiLeaks, le majordome particulier de Benoît XVI, Paolo Gabriele,  ayant dérobé des documents confidentiels faisant notamment état de  corruption, de malversations, de népotisme et de favoritisme dans la gestion  des biens immobiliers de la cité vaticane. D’aucuns affirment que la décision  de Benoît XVI s’expliquerait en grande partie par l’échec, au moins  temporaire, des pourparlers avec la Fraternité Saint-Pie X. Depuis son élection  le 19 avril 2005, Josef Ratzinger avait entrepris de “normaliser” l’œuvre  fondée par Mgr Lefebvre. En recevant son supérieur général Mgr Fellay à  Castel Gandolfo en août 2005. En promulguant en juillet 2007 le Motu  Proprio SummorumPontificum faisant de la messe tridentine (cependant modifiée  par les réformes de Jean XXIII) une « forme  extraordinaire » du rite romain. En levant en janvier 2009 les  excommunications des quatre évêques sacrés par le fondateur de la Fraternité  Saint-Pie X. En organisant des colloques doctrinaux avec les “lefebvristes”  entre 2009 et 2011. En proposant la signature d’un préambule doctrinal en échange  de l’octroi d’une prélature personnelle. Ces efforts qui ont failli être  couronnés de succès en juin 2012 ont finalement été vains. Tout comme,  semble-t-il, la dernière lettre de Mgr Di Noia envoyée en janvier par  l’entremise de Menzingen à tous les prêtres de la FSSPX. Les dirigeants de  la commission Ecclesia Dei, Müller et  Di Noia, auraient d’ailleurs fixé un ultimatum au 22 février, soit quelques  jours seulement avant le départ de Benoît XVI (étrange coïncidence !)  pour que Mgr Fellay acceptât le préambule doctrinal du 13 juin 2012. Cet échec  si, comme c’est probable, il se confirme est une défaite cinglante pour Benoît  XVI qui avait mis au centre de ses préoccupations et de son action la résolution  du « problème FSSPX».
VERS DE  NOUVEAUX BOULEVERSEMENTS
Quoi  qu’il en soit des raisons réelles de cette abdication, compte tenu de  l’atmosphère anti-chrétienne dans laquelle évolue le monde, on peut  s’attendre dans les années et décennies qui viennent à de terribles  bouleversements. Voici ce que l’on pouvait lire il y a quelques jours dans Le  Monde, quotidien de la bien-pensance, sous la plume du socilogue Eric Fassin :  « Ainsi, l’Eglise catholique est  aujourd’hui, en tout cas en France, le seul employeur qui affiche fièrement  une discrimination homophobe à l’embauche — au mépris du droit. […] L’Eglise  catholique est-elle homophobe ? Ce sera aux tribunaux d’en juger, dès qu’un  séminariste alsacien ou mosellan, écarté de la carrière ecclésiastique,  aura porté plainte contre une telle discrimination dans l’emploi. Ce pourrait  être l’occasion de contester une autre exclusion, tellement familière que la  justice oublie de s’en soucier : les femmes sont interdites de sacerdoce.  Peut-être le Vatican aura-t-il intérêt à moins se mêler de politique,  s’il ne veut pas qu’en retour l’Etat se mêle davantage de ses affaires. »  Cela paraît fou mais la perspective de légaliser une union contre-nature ne  paraissait-elle pas insensée il y a trente ans ? Les anti-chrétiens  cachent d’ailleurs de moins en moins leur fanatisme. La une de Libération, le mercredi  des Cendres, était volontairement blasphématoire : « Après le pape : Dieu démission ! » La veille, les  lesbiennes hystériques du mouvement Femen entraient à Notre-Dame, torse nu, et  se jetaient sur les cloches flambant neuves exposées dans la nef en braillant  des slogans anticatholiques, avant de se mettre à genoux et de singer le signe  de Croix.
Ne  nous leurrons pas, le pire est devant nous d’autant que l’on ne saurait  attendre d’un aréopage de fieffés modernistes la moindre espérance de  redressement tant d’ailleurs sur le plan temporel que spirituel.
Jérôme BOURBON.
RIVAROL  daté du vendredi 15 février 2013
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Jugement de de Mattei

Considérations sur l’acte de renonciation, par  Roberti de Mattei

Ce 11 février, jour de la Fête de Notre Dame de Lourdes, le Saint-Père Benoît XVI a communiqué au Consistoire des cardinaux et au monde entier sa décision de renoncer au Pontificat. Les cardinaux ont accueilli l’annonce «presque incrédules», «avec une sensation d’égarement», «comme la foudre dans le ciel pur», selon les mots adressés au Pape, tout de suite après l’annonce, par le Cardinal doyen Angelo Sodano. Si l’égarement des cardinaux a été aussi grand, on peut imaginer combien la désorientation des fidèles peut l’être en ces jours, surtout pour ceux qui avaient toujours vu en Benoît XVI un point de repère et qui maintenant se sentent en quelque sorte “orphelins”, sinon abandonnés, face aux grandes difficultés qu’affronte l’Eglise à l’heure actuelle.

Pourtant l’hypothèse de la renonciation d’un Pape à la papauté n’est pas tout à fait inattendue. Le président de la Conférence épiscopale allemande Karl Lehmann et le primat de Belgique Godfried Danneels avaient avancé l’hypothèse de la “démission” de Jean-Paul II au moment où son état de santé s’était aggravé. Le cardinal Ratzinger, dans le livre-interview de 2010, Lumière du monde, avait dit au journaliste allemand Peter Seewald que si un Pape se rend compte qu’il n’est plus capable «physiquement, psychologiquement et spirituellement, d’assumer les devoirs de ses fonctions, alors il a le droit et même, en certaines circonstances, l’obligation de se démettre».

Plus tard, en 2010, cinquante théologiens espagnols avaient exprimé leur adhésion à la Lettre ouverte aux évêques du monde entier du théologien suisse Hans Küng avec ces mots : «Nous croyons que le pontificat de Benoît XVI s’est épuisé. Le pape n’a ni l’âge, ni la mentalité pour répondre de façon adéquate aux problèmes graves et urgents que l’Eglise catholique doit affronter. Nous pensons donc, avec tout le respect dû à sa personne, qu’il doit présenter la démission de ses fonctions». De même lorsque certains journalistes, comme Giuliano Ferrara et Antonio Socci, avaient écrit, entre 2011 et 2012, au sujet de la possible démission du Pape, cette hypothèse avait provoqué plus de désapprobations que de consentements.

En ce qui concerne le droit d’un Pape à abdiquer, il n’y a aucun doute à ce sujet. Le nouveau Code de Droit Canon règlemente l’éventualité de la renonciation du Pape dans le canon 332, deuxième paragraphe, en ces termes : «S’il arrive que le Pontife Romain renonce à ses fonctions, il requiert, pour que la renonciation soit valide, qu’elle soit faite librement et qu’elle soit manifestée de façon rituelle, il ne requiert donc pas qu’elle soit acceptée par qui que ce soit». Dans les articles 1 et 3 de la constitution apostolique de 1996 Universi Dominicis Gregis, à propos de la vacance du Saint-Siège, il est prévu du reste que la possibilité de la vacance du Siège Apostolique ne soit pas seulement déterminée par la mort du Pape mais aussi par sa renonciation valide.

L’histoire ne rapporte pas beaucoup d’exemples d’abdication. Le cas le plus connu reste celui de saint Célestin V, le moine Pierre de Morrone, élu à Pérouse le 5 juillet 1294 et couronné à l’Aquila le 29 août suivant. Après un pontificat de seulement cinq mois, il crût opportun de se démettre, ne se considérant pas à la hauteur pour les fonctions qu’il devait assumer. Il prépara ainsi son abdication en consultant d’abord les cardinaux et en instaurant ensuite une constitution grâce à laquelle il confirmait la validité des normes déjà établies par Grégoire X pour le déroulement du prochain Conclave. Le 13 décembre à Naples il prononça son abdication devant le collège des cardinaux, il déposa ses insignes et les vêtements papaux et repris l’habit d’ermite. Le 24 décembre est élu Pape à sa place Benoît Caetani, avec le nom de Boniface VIII.

Un cas ultérieur de renonciation papale -le dernier jusqu’à aujourd’hui- eut lieu pendant le Concile de Constance (1414-1418). Grégoire XII (1406-1415), Pape légitime, envoya à Constance son plénipotentiaire Charles Malatesta pour rapporter sa volonté de se retirer de ses fonctions papales, dans le but de réconcilier les courants opposés du Grand Schisme d’Occident (1378-1417); la démission fut reçue officiellement le 4 juillet 1415 par l’assemblée synodale qui dans le même temps déposa l’antipape Benoît XIII. Grégoire XII fut réintégré dans le Collège Sacré avec le titre de cardinal évêque de Porto et avec la première position après le Pape. Une fois qu’il eut abandonné son nom et son habit de pontife et qu’il eut repris son nom de cardinal, Angelo Correr, il se retira dans les Marches comme légat pontifical et mourut à Recanati le 18 octobre 1417.

Le cas de renonciation en soi ne scandalise donc pas : il est prévu par le droit canonique et il s’est vérifié historiquement à travers les siècles. Il faut remarquer cependant que le Pape peut renoncer, et qu’il a renoncé au Pontificat quelques fois dans l’histoire, car le Pontificat est considéré une «fonction juridictionnelle dans l’Eglise», qui n’est pas liée de façon indélébile à la personne qui l’exerce.

La hiérarchie apostolique exerce en effet deux pouvoirs mystérieusement unis dans la même personne : le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction (cf. par exemple saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica, II-IIae, q. 39, a. 3, corpus; III, q. 6. a. 2). Les deux pouvoirs sont destinés à réaliser les fins particulières de l’Eglise, mais chacun avec des caractéristiques propres, qui le distinguent de l’autre : la potestas ordinis est le pouvoir de distribuer les vecteurs de la grâce divine et fait référence à l’administration des sacrements et à l’exercice du culte officiel; la potestas iurisdictionis est le pouvoir de gouverner l’institution ecclésiastique et les fidèles. Le pouvoir d’ordre se distingue du pouvoir de juridiction non seulement par sa différence de nature et d’objet mais aussi par la façon dont il est conféré, en tant qu’il a comme propriété d’être donné avec la consécration, c’est-à-dire par un sacrement et avec l’impression d’un caractère sacré. La possession de la potestas ordinis est absolument indélébile en tant que ses différents degrés ne sont pas des fonctions temporaires mais marquent l’âme de celui qui les reçoit. Selon le Code de Droit Canon, une fois qu’un baptisé devient diacre, prêtre ou évêque, il l’est pour toujours et aucune autorité humaine ne peut annuler une telle condition ontologique. Le pouvoir de juridiction, au contraire, n’est pas indélébile mais est temporaire et révocable; ses fonctions, auxquelles sont préposées des personnes physiques, se terminent avec la fin du mandat.

Une autre caractéristique importante du pouvoir d’ordre est la non-territorialité, puisque les conditions de la hiérarchie d’ordre sont absolument indépendantes de toute circonscription territoriale, au moins pour ce qui concerne la validité de l’exercice. Les fonctions du pouvoir de juridiction, au contraire, sont toujours limitées dans l’espace et ont dans le territoire un de leurs éléments constitutifs; seul le territoire du Pontife Suprême n’est soumis à aucune limitation spatiale.

Dans l’Eglise le pouvoir de juridiction revient, iure divino, au Pape et aux Évêques. La totalité de ce pouvoir réside toutefois dans le Pape seul, le fondement qui soutient tout l’édifice ecclésiastique. En lui se trouve tout le pouvoir pastoral, et dans l’Eglise on ne peut en concevoir un autre.

La théologie progressiste soutient en revanche, au nom du Concile Vatican II, une réforme de l’Eglise, au sens sacramentel et charismatique, qui oppose le pouvoir d’ordre au pouvoir de juridiction, l’Eglise de la charité à celle du droit, la structure épiscopale à la structure monarchique. Au Pape, réduit au primus inter pares au sein du collège des évêques, elle attribuerait seulement une fonction éthico-prophétique, un primat d’ “honneur” ou d’ “amour”, mais pas de gouvernement et de juridiction. Dans cette prospective Hans Küng a évoqué l’hypothèse d’un pontificat “à termes” et non plus à vie, comme forme de gouvernement requise par la rapidité de la transformation du monde moderne et de la nouveauté continuelle de ses problèmes. «Nous ne pouvons pas avoir un Pape de 80 ans qui n’est plus pleinement présent d’un point de vue physique et psychique», a-t-il déclaré à la radio “Südwestrundfunk”. Küng voit dans la limitation du mandat du Pape une étape nécessaire pour la réforme radicale de l’Eglise. Le Pape serait réduit à être Président d’un Conseil d’administration, à être une figure complètement arbitraire, avec à ses côtés une structure ecclésiastique “ouverte”, tel un synode permanent, avec des pouvoirs délibératifs.

Si en revanche on retenait que l’essence de la Papauté était dans le pouvoir sacramentel d’ordre et non dans le pouvoir suprême de juridiction, le Pontife ne pourrait pas abdiquer; s’il le faisait, il perdrait avec la renonciation seulement l’exercice du pouvoir suprême, mais pas le pouvoir en lui-même, qui serait indélébile comme l’ordination sacramentelle dont il dépend. Qui admet l’hypothèse de la renonciation doit admettre avec elle que la summa potestas du Pape résulte de la juridiction qu’il exerce et non du sacrement qu’il reçoit. La théologie progressiste est donc en contradiction avec elle-même quand elle prétend fonder la Papauté sur sa nature sacramentelle, et quand elle revendique la démission du Pape, qui ne peut en fait être admise que si sa tâche est fondée sur le pouvoir juridictionnel. Pour la même raison, après la renonciation de Benoît XVI, il ne pourra pas y avoir “deux papes”, un régnant et un “ermite”, comme cela a été improprement dit. Benoît XVI redeviendra son éminence le cardinal Ratzinger et ne pourra plus exercer de prérogatives comme l’infaillibilité qui sont intimement liées au pouvoir de juridiction pontifical.

Le Pape peut donc abdiquer. Mais est-il opportun qu’il le fasse ? Un auteur assurément fort peu “traditionaliste”, Enzo Bianchi, écrivait sur “La Stampa” du 1er juillet 2002 : «Selon la grande tradition de l’Eglise d’Orient et d’Occident, aucun Pape, aucun patriarche, aucun évêque ne devrait se démettre seulement à cause de l’atteinte d’une limite d’âge. Il est vrai que depuis une trentaine d’années dans l’Eglise catholique une norme invite les évêques à présenter leur démission au pontife arrivé l’âge de soixante-quinze ans, et il est vrai que tous les évêques acceptent par obéissance cette invitation et présentent leur démission, il est vrai aussi qu’ils sont exaucés en général et que leur démission est acceptée. Mais cela reste une norme et une pratique récente, fixée par Paul VI et confirmée par Jean-Paul II : rien n’exclut que dans le futur elle soit revue, après qu’on ait pesé les avantages et les problèmes qu’elle a produit pendant ces décennies d’application».

La norme qui veut que les évêques démissionnent de leurs diocèses à 75 ans est une phase récente de l’Histoire de l’Eglise qui semble contredire les paroles de saint Paul, selon lesquelles le Pasteur est nommé «ad convivendum et ad commoriendum» (2 Cor 7, 3), pour vivre et mourir aux côtés de son troupeau. La vocation d’un Pasteur, comme celle de tout baptisé, ne dépend pas en effet de l’état de santé et n’engage pas la personne jusqu’à un certain âge mais jusqu’à la mort.

Sous cet aspect la renonciation au pontificat de Benoît XVI apparaît comme un acte légitime du point de vue théologique et canonique mais, sur le plan historique, il est en totale discontinuité avec la tradition et la pratique de l’Eglise. Quant à ce que pourraient être les conséquences de cet acte, il ne s’agit pas d’un acte simplement “innovateur” mais radicalement «révolutionnaire», comme l’a défini Eugenio Scalfari sur “La Reppublica” du 12 février. Aux yeux de l’opinion publique du monde entier, l’image de l’institution pontificale est en effet dépossédée de sa sacralité pour être livrée aux critères de jugement de la modernité. Ce n’est pas par hasard que sur le “Corriere della Sera” du même jour, Massimo Franco parle du «symptôme extrême, final, irrévocable de la crise d’un système de gouvernement et d’une forme de papauté».

On ne peut faire de comparaison ni avec Célestin V, qui a renoncé après avoir été tiré de force de sa cellule érémitique, ni avec Grégoire XII, qui fut contraint à son tour de renoncer pour résoudre la gravissime question du Grand Schisme d’Occident. Il s’agissait de cas exceptionnels. Mais où est l’exception dans l’acte de Benoît XVI ? La raison, officielle, selon ses mots du 11 février exprime, plus que l’exception, la normalité : «Dans le monde d’aujourd’hui, qui est sujet à des changements rapides et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, la vigueur du corps et de l’âme sont nécessaires pour gouverner la barque de Pierre et annoncer l’Evangile, et cette vigueur s’est réduite en moi ces derniers mois, de telle sorte que j’ai dû reconnaître mon incapacité».

Nous ne sommes pas face à une grave inaptitude, comme était celle de Jean-Paul II à la fin de son pontificat. Les facultés intellectuelles de Benoît XVI sont complètement intègres, comme l’a démontré une de ses dernières et plus significatives méditations au Séminaire Romain, et sa santé est «dans l’ensemble bonne», comme l’a précisé le porte-parole du Saint Siège, le père Federico Lombardi, selon lequel, en revanche, le Pape a ressenti ces deniers temps «un déséquilibre entre les devoirs, les problèmes à affronter et les forces dont il pense ne pas disposer».

Pourtant, dès l’instant de l’élection, chaque pontife éprouve un sentiment compréhensible d’inadéquation, et ressent la disproportion entre les capacités personnelles et le poids de la tâche à laquelle il est appelé. Qui peut se dire capable de pouvoir soutenir avec ses seules forces le munus de Vicaire du Christ ? L’Esprit Saint n’assiste pas le Pape seulement au moment de l’élection mais jusqu’à la mort, à tout instant, même les plus difficiles, de son pontificat. Aujourd’hui l’Esprit Saint est souvent évoqué de façon erronée, comme lorsqu’on prétend qu’il couvre chaque mot et chaque acte d’un Pape ou d’un Concile. En ces jours cependant, l’Esprit Saint est le grand absent des commentaires des médias qui valorisent le geste de Benoît XVI en suivant un critère purement humain, comme si l’Eglise était une multinationale, dirigée en terme de pure efficacité, laissant de côté toute influence surnaturelle.

Mais on peut se demander : en deux-mille ans d’histoire, combien sont les Papes qui ont régné en bonne santé et qui n’ont pas ressenti le déclin de leurs forces et n’ont pas souffert de maladies ou d’épreuves morales de tout genre ? Le bien-être physique n’a jamais été un critère pour le gouvernement de l’Eglise. Le sera-t-il à partir de Benoît XVI ? Un catholique ne peut pas ne pas se poser ces questions et s’il ne se les pose pas, elles seront établies par les faits, comme dans le prochain Conclave, quand le choix du successeur de Benoît XVI s’orientera fatalement vers un cardinal jeune et vigoureux pour qu’il puisse être considéré adéquat à la grave mission qui l’attend. A moins que le cœur du problème ne soit pas dans ces «questions de grande importance pour la vie de la foi», auxquelles le Pontife a fait référence, et qui pourraient faire allusion à la situation de non-gouvernabilité dans laquelle semble se trouver l’Eglise aujourd’hui.

Il serait peu prudent, dans ce cas, de considérer déjà “clos” le pontificat de Benoît XVI, en s’aventurant à des conclusions hâtives, avant d’attendre l’échéance fatidique qu’il a lui-même annoncé : le soir du 28 février 2013, une date qui restera gravée dans l’histoire de l’Eglise. Avant mais aussi après cette date, Benoît XVI pourrait encore être à l’initiative de nouveaux et imprévus scénarios. Le Pape a en effet annoncé sa démission mais pas son silence, et son choix lui restitue une liberté dont il se sentait peut-être privé. Que fera le Pape Benoît XVI, ou le cardinal Ratzinger dans les prochains jours, semaines et mois ? Et surtout, qui dirigera, et de quelle manière, la nacelle de Pierre à travers les nouvelles tempêtes qui l’attendent inévitablement ? (Roberto de Mattei)

 

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